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Histoire des délimitations des frontières orientale et occidentale de la Guyane

Publié le 11/06/2010

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La frontière orientale

À la fin du XVIIe siècle, Louis XIV ordonne le renforcement du contrôle du territoire situé au sud-est de la Guyane. Il envoie Pierre de Férolles en expédition sur l'Araguary. Le lieutenant du roi s'empare en 1697 du fort portugais de Macapa et fait détruire les implantations portugaises des "Terres du Cap Nord" comprises entre l'Oyapock et l'Amazone. Quelques mois plus tard, les Portugais reprennent le fort de Macapa. Cet incident est le premier d'une longue série de coups de force alternant avec des phases de négociation.

La France ne s'investit guère dans la défense des marches d'une colonie lointaine et jugée peu rentable et les diplomates français rédigent le traité d'Utrecht le 11 avril 1713 et plus particulièrement l'article 8 de celui-ci (Zimmermann, 1898) avec une grande légèreté. L'imprécision qui en résulte est à la source des contestations ultérieures avec le Portugal puis avec le Brésil. Par l'article 8 du traité, Louis XIV renonce aux prétentions françaises sur les "terres du Cap Nord situées entre la rivière des Amazones et celle du Japoc appelée aussi rivière de Vincent-Pinzon". Ce territoire est donc dorénavant administré par le Portugal. Or, sa reconnaissance apparaît très incomplète, elle repose sur une faible  pratique du terrain et surtout sur une cartographie peu précise où les fleuves et rivières n'ont pas constamment les mêmes noms. La localisation approximative et la dénomination changeante de la rivière Japoc / Vincent-Pinzon posent le problème de l'identification réelle et formelle de ce cours d'eau marquant la frontière. Ainsi, les incidents entre les deux pays se multiplient. Les Portugais considèrent que la rivière Japoc est aussi l'Oyapock, sous prétexte  de l'homonymie phonique entre les deux noms. Les Français, quant à eux, identifient l'Araguari, non loin du Cap Nord, comme étant la rivière appelée Vincent-Pinzon.

Au début du XIXe siècle, Napoléon Bonaparte tente de régler le litige : la frontière se déplace plusieurs fois au gré des traités européens. En 1802, elle est fixée officiellement sur l'Araguary. Mais ce vaste territoire forestier oriental n'est l'objet d'aucune mise en valeur par la France et reste peuplé majoritairement de Portugais. La Guyane, otage des enjeux géopolitiques européens, est occupée à partir de 1809 par le Portugal entré en rébellion contre l'occupation de son territoire par les troupes napoléoniennes. En 1817, la France reprend possession par la force de sa colonie, le Congrès de Vienne ayant jugé cette occupation illégale. Une convention stipule alors que la frontière est fixée temporairement sur l'Oyapock et que sa délimitation définitive doit survenir rapidement. Mais les atermoiements du Brésil (indépendant en 1822) bloquent les négociations. En 1835, Louis-Philippe fait installer deux postes militaires français dans le territoire contesté, à Mapa et à Maraca. Le Brésil reprend les négociations sur la possession des terres du Cap Nord et face à la détermination des Brésiliens, les troupes françaises doivent se retirer cinq ans plus tard. Sous Napoléon III, une nouvelle conférence, en 1855, tente, sans succès, de fixer la frontière sur le fleuve Carsevenne, à mi-chemin entre l'Oyapock et l'Araguari. Les négociations traînent en longueur et semblent ne jamais pouvoir aboutir.

Mais, à la fin du XIXe, la découverte des ressources aurifères attire  20 000 Français, Hollandais, Brésiliens, Vénézuéliens vers la région et les terres de Mapa et de Carsevenne redeviennent convoitées et sources de contestations frontalières. La recherche d'un accord au cours des années 1880-1890 échoue. Des incidents violents éclatent en 1894 et 1895 : un notable brésilien, Cabral, s'empare du pouvoir à Mapa, le représentant de la France est enlevé. La France réagit par le truchement du Gouverneur de la Guyane qui envoie des troupes : le capitaine Punier et six marins français (un monument aux morts leur est dédié à cimetière de Cayenne) ainsi que 60 Brésiliens sont victimes des combats, ce qui pousse les deux États à chercher un compromis définitif.

En 1900, l'arbitrage international du Conseil fédéral suisse est sollicité (Droulers, 2001) : la France et le Brésil se mettent d'accord sur le principe d'un retour à l'article 8 du traité d'Utrecht, fixant la frontière sur le fleuve Japoc ou Vincent-Pinzon. Le géographe Paul Vidal de la Blache, sollicité au nom de la France pour défendre la position nationale, démontre dans un mémoire que ce qui est nommé Japoc ou Vincent-Pinzon dans le traité d'Utrecht est bel et bien le fleuve Araguari et non pas l'Oyapock comme l'affirment les Brésiliens. Ceux-ci sont représentés par le talentueux et expérimenté baron de Rio Branco qui a déjà permis le règlement de la frontière entre le Brésil et l'Argentine (au profit du Brésil). La controverse oppose deux grandes personnalités. L'un s'appuie sur un discours scientifique basé sur un important corpus cartographique et l'autre sur une argumentation plus sentimentale rappelant l'antériorité du peuplement brésilien (Lézy, 1998). Rio Branco l'emporte, l'arbitrage fait définitivement perdre la Mapa à la France, un vaste territoire qui peut couvrir jusqu'à 260 000 km². La frontière est fixée sur l'Oyapock et non sur l'Araguary et la Mapa devient un État brésilien sous le nom d'Amapa. La frontière définitive s'étend sur 430 km des sources de l'Oyapock à son estuaire, la France obtient quand même une légère rectification dans le sud du territoire : la limite provisoire fixée en 1817 sur le parallèle 2°24' est déplacée sur la ligne de crête présumée des monts Tumuc-Humac. Dans les Annales de géographie de 1901 (volume 10, n° 49), Paul Vidal de la Blache, apparaît beau joueur : il s'était personnellement et scientifiquement très impliqué dans la résolution de ce conflit. Ainsi, parvient-il à voir dans la résolution de ce contesté frontalier un soulagement pour la France, bien qu'elle ait été déboutée : selon lui, l'arbitrage la reconnait comme une puissance locale et permet d'envisager enfin une "entente cordiale" avec le Brésil. Paul Vidal de la Blache ajoute pourtant que "sans manquer de respect à la chose jugée le doute scientifique et historique demeure" : pour lui, du point de vue historique et géographique rien n'indique que la rivière Vincent-Pinzon n'était pas l'Araguary.

 

La frontière occidentale

À l'ouest du territoire, la frontière franco-hollandaise fait aussi l'objet de plusieurs contestés. La rivalité entre les deux puissances coloniales remonte à 1689, date de l'expédition de Ducasse dont le but est d'étendre la domination française au-delà des rives occidentales du Maroni. L'expédition échoue car les Hollandais sont solidement implantés sur ces rives (Henry, 1950). Les Français revendiquent en effet la possession des terres de rive gauche du Maroni - Litani jusqu'au Tapanahoni. En réaction, les Hollandais affirment vouloir fixer la frontière de la Guyane française sur le Sinnamary (1723). Mais, la France n'est pas prête à céder la possession des sources du Maroni pour des raisons de contrôle de l'intérieur forestier.

Le Haut Maroni est en effet occupé au cours du XVIIIe siècle par les Djukas, des Noirs marrons, esclaves du Surinam révoltés contre le pouvoir hollandais (Mam Lam Fouck, 2002). Or, les Hollandais sont incapables de régler le problème des esclaves échappés et sont contraints de signer avec eux des traités leur accordant la liberté à condition de ne pas donner asile à de nouveaux Marrons. Ainsi, en 1761, les Hollandais établissent un traité avec le chef des Djukas, puis avec celui des Saramacas en 1762, puis avec celui des Matuaris en 1767. Trois ans plus tard, ce sont les Bonis qui entrent en conflit avec les autorités hollandaises. Contraints par les autres Noirs marrons de se réfugier encore plus loin dans la forêt, les Bonis doivent se replier sur les rives françaises du Maroni.  Au début du XIXe siècle, les Djukas alliés aux Hollandais contrôlent tout le territoire de la haute vallée du Maroni (entre le Maroni et le Tapanahoni) et empêchent les Français de pénétrer dans la région. La faible mise en valeur de la région du Maroni et des perspectives peu encourageantes d'aménagement de ce territoire font que la situation demeure en l'état jusqu'au regain d'intérêt associé à l'ouverture du bagne de Saint-Laurent-du-Maroni, dans les années 1850 puis à la découverte de l'or. En effet, le gouverneur de Guyane avait constaté que les familles de colons installés à Saint-Laurent-du-Maroni vivaient dans un meilleur état de santé. Il décide alors de favoriser la colonisation de l'ouest du territoire. Pour pallier le manque de main d'œuvre nécessaire au développement économique, un bagne est installé à Saint-Laurent le 31 mars 1852. La découverte d'or dans la vallée du Lawa (cours moyen du Maroni) en 1869 renforce l'intérêt pour cette partie de la colonie.

La France décide alors de rétablir ce qu'elle considère comme sa légitime  souveraineté sur le haut et le moyen Maroni. En septembre 1860, une conférence franco-hollandaise se tient à Albina afin de rétablir la libre circulation sur le Maroni – Litani et de fixer définitivement la frontière. Le problème consiste à définir où se situe le cours moyen du Maroni. C'est un militaire qui représente la France, le lieutenant de vaisseau Sibour, alors que du côté hollandais, les négociations sont menées par un représentant politique, le gouverneur du Surinam (la Guyane hollandaise prend le nom de Surinam en 1948 et accède à l'indépendance en 1975), Van Lansberge et le grand chef djuka Beyman. La France est prête à utiliser la force militaire, elle revendique officiellement la fixation de la frontière sur la Tapanahoni et non plus sur le Lawa comme le revendiquent les Hollandais : le contesté franco-hollandais concerne ainsi un territoire vaste de 25 000 km² qui pourrait receler des gisements d'or. On fait alors appel à l'arbitrage du tsar Alexandre III, pour sa neutralité, qui se penche sur la question de 1885 à 1891. Celui-ci reconnaît le Lawa comme cours moyen du Maroni et par conséquent comme frontière. Les revendications françaises échouent mais le cours supérieur du Maroni n'est toujours pas fixé.

Un second contesté éclate entre les deux pays en 1902. Les Français veulent situer la frontière du haut bassin du Maroni sur la Litani, les Hollandais sur le Marouini. Il faudra attendre 1935 pour que les Français obtiennent raison, la frontière définitive est fixée sur la Litani, avec un gain territorial de 6 000 km², la dyade, depuis l'embouchure du Maroni jusqu'à son cours le plus haut, mesurant 520 kilomètres. Mais cette frontière reste contestée au gré des tensions internes et des revendications nationalistes du Surinam, les cartes surinamiennes de la fin du XXe siècle localisent encore le tracé de la frontière avec la Guyane française sur le Marouini.

Patrick Blancodini, doctorant à l'Université de Lyon III, enseignant en CPGE,

pour Géoconfluences, le 11 juin 2010

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Pour citer cet article :  

« Histoire des délimitations des frontières orientale et occidentale de la Guyane », Géoconfluences, juin 2010.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/frontier/popup/Blancodini.htm