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Découpage frontalier issu de la (dé)colonisation

Publié le 20/02/2024
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Le discours qui consiste à souligner, pour le déplorer, le caractère artificiel et arbitraire du découpage colonial ne mène pas loin même s'il ne faut pas perdre de vue que la balkanisation coloniale et post-coloniale de l'Afrique a une part de responsabilité dans les crises qui agitent le continent. Mais, plus que le tracé des frontières, c'est le modèle étatique d'encadrement de l'espace et de la société qui a bouleversé l'Afrique.
Par ailleurs si la détermination des frontières africaines, issue de la colonisation, a pu paraître arbitraire, elle ne s'est pas faite sans principes ni logiques. La partage de l'Afrique congolaise, par exemple, a mis en jeu une représentation naturaliste du monde liée à la théorie des bassins hydrographiques. C'est ainsi que le bassin de l'Ogooué donne, dans l'ensemble, une unité formelle au Gabon. Il est intéressant de voir comment une unité plutôt abstraite, dérivant d'un naturalisme indifférent au substrat humain, a pu servir de fondement à une entité territoriale revendiquée aujourd'hui comme nation. L'État colonial, puis l'État indépendant qui en a poursuivi l'action, ont, à travers leur action administrative et organisatrice, "produit du territoire", nouveau modèle de contrôle social surimposé aux anciens modes de relation socio-spatiales.
R. Pourtier*, à propos du Gabon, s'interroge en ces termes : "Pourquoi le Gabon, comment le Gabon ? Que signifie cette figure spatiale, espace clos dont la carte atteste l'indubitable réalité ? Quels sont les fondements de son identité ? Par quelles mutations une étendue forestière inorganique est-elle devenue territoire d'État ? Comment s'est effectué le passage d'un espace fluide à un espace encadré ? Ce ne sont pas des questions académiques car on s'aperçoit que les transformations socio-spatiales résultent, pour une part déterminante, de la dynamique, largement exogène, de l'État."
On notera que les "frontières chaudes", conflictuelles, ne sont pas une spécialité de l'Afrique et ne sont pas générales en Afrique. On y rencontre plus souvent des espaces vides, sans fonctions, où l'État est peu présent ainsi que des espaces transfrontaliers perméables aux échanges licites ou illicites. Mais les groupes ethniques transfrontaliers ne constituent pas, le plus souvent tout au moins, une remise en question du contour des États. Contrairement à ce que prétendent certains analystes, les frontières africaines en général ne sont pas globalement contestées même si l’idée de redessiner l’Afrique a toujours des adeptes.
Certes, les découpages frontaliers voulus par les colonisateurs pour des raisons économiques, militaires et stratégiques, peuvent paraître inadaptés aux réalités du peuplement et de la mobilité. La délimitation, orthogonale à la côte, du territoire de certains pays côtiers correspondait à la volonté de drainer les richesses vers les ports (Ghana, Côte d’Ivoire, Nigeria, Cameroun), ou à celle de donner aux zones sahéliennes un débouché sur la mer (Bénin, Gambie, Togo). Ce découpage avait été dicté par la Conférence de Berlin (1885) au cours de laquelle les grandes puissances européennes s'étaient partagé le continent. De tels "espaces couloirs", de petite taille et sans réelle homogénéité, posent problème et les États sahéliens, vastes et peu peuplés ont des difficultés à assumer leur souveraineté nationale et à freiner les velléités indépendantistes.
Mais, malgré tout, ces frontières sont désormais stabilisées, à la suite d'une Conférence de l’OUA (devenue l'UA) de 1964, qui, dès les débuts des indépendances et craignant l'implosion du continent, a réaffirmé l’intangibilité des frontières. Cette charte de 1964 a cependant été écornée une fois, en 1993, lorsque l'Érythrée a fait sécession avec l'Éthiopie.
Il apparaît plutôt aujourd'hui qu'au-delà des États, l'avenir de l'Afrique passe par des formes de concertation et d'organisation régionales supra-nationales. Les frontières étatiques, en Afrique comme ailleurs, sont en partie subverties par les logiques de la globalisation, par les flux "invisibles" licites et illicites et par les impératifs d'actions d'ingérence aux contours discutés.

- Dans ce dossier,
> par Christian Bouquet, "La crise ivoirienne par les cartes"
> par Eric Bordessoule, "L’État-nation en Afrique subsaharienne"
- Roland Pourtier - Derrière le terrain, l'État - Histoires de géographes, textes réunis pas Chantal Blanc Pamard - Éditions du CNRS - 1991

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