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Découpage frontalier issu de la (dé)colonisation

Publié le 27/09/2024
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Le discours qui consiste à souligner, pour le déplorer, le caractère artificiel et arbitraire du découpage colonial ne mène pas loin. L’historiographie récente insiste sur le fait que cette image d’Épinal du « gâteau » découpé en tranche par les puissances occidentales repose elle-même sur une vision eurocentrée, et prolonge les représentations coloniales plutôt que de les dépasser.

Ainsi, des travaux comme ceux de Camille Lefebvre (2015) sur la Conférence de Berlin (1885), ou de Louis Le Douarin (2022) sur les accords Sykes-Picot (1916), montrent à la fois « l’expertise spécifique développée par les Européens pour comprendre les spatialités qui précèdent les régimes coloniaux et les restituer sur des cartes » (Le Douarin, 2024), et le rôle des acteurs locaux pour influencer les tracés frontaliers.

Par ailleurs si la détermination des frontières africaines, issue de la colonisation, a pu paraître arbitraire, elle ne s'est pas faite sans principes ni logiques. La partage de l'Afrique congolaise, par exemple, a mis en jeu une représentation naturaliste du monde liée à la théorie des bassins hydrographiques. C'est ainsi que le bassin de l'Ogooué donne, dans l'ensemble, une unité formelle au Gabon. Il est intéressant de voir comment une unité plutôt abstraite, dérivant d'un naturalisme indifférent au substrat humain, a pu servir de fondement à une entité territoriale revendiquée aujourd'hui comme nation (Pourtier, 1991). L'État colonial, puis l'État indépendant qui en a poursuivi l'action, ont, à travers leur action administrative et organisatrice, « produit du territoire », nouveau modèle de contrôle social surimposé aux anciens modes de relation socio-spatiales. En Afrique, plus que le tracé des frontières, c'est le modèle colonial d'encadrement de l'espace et de la société qui a bouleversé les sociétés.

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« Pourquoi le Gabon, comment le Gabon ? Que signifie cette figure spatiale, espace clos dont la carte atteste l'indubitable réalité ? Quels sont les fondements de son identité ? Par quelles mutations une étendue forestière inorganique est-elle devenue territoire d'État ? Comment s'est effectué le passage d'un espace fluide à un espace encadré ? Ce ne sont pas des questions académiques car on s'aperçoit que les transformations socio-spatiales résultent, pour une part déterminante, de la dynamique, largement exogène, de l'État. »

Roland Pourtier (1991).

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Il n’est pas question de dépolitiser la question frontalière, au contraire : la frontière est bien, partout et toujours, un objet spatial de nature politique : un objet géopolitique, résultat de la cristallisation d’un rapport de force. Mais elle l’est autant en Europe qu’en Afrique ou en Asie : pouvoirs féodaux, westphaliens, impériaux, les ont imposées de l’extérieur aux populations locales, souvent sans beaucoup modifier leurs pratiques quotidiennes transfrontalières, sauf dans le cas de la barriérisation où les frontières sont fermées.

Le discours qui déplore le tracé artificiel ou exogène des frontières omet ce qui risque de se passer lorsqu’on redécoupe ces frontières : la balkanisation, qui peut aboutir à des redécoupages successifs jusqu’à faire coïncider exactement le cadre national et le groupe ethnique, ce qui est évidemment impossible.

Certes, les découpages frontaliers voulus par les colonisateurs pour des raisons économiques, militaires et stratégiques, peuvent paraître inadaptés aux réalités du peuplement et de la mobilité. La délimitation, orthogonale à la côte, du territoire de certains pays côtiers correspondait à la volonté de drainer les richesses vers les ports (Ghana, Côte d’Ivoire, Nigeria, Cameroun), ou à celle de donner aux zones sahéliennes un débouché sur la mer (Bénin, Gambie, Togo). Les États sahéliens, vastes et peu peuplés ont des difficultés à assumer leur souveraineté nationale et à freiner les velléités indépendantistes.

Mais, malgré tout, ces frontières sont désormais stabilisées, à la suite d'une Conférence de l’Organisation de l’Unité Africaine (devenue l'Union africaine) de 1964, qui, dès les débuts des indépendances et craignant l'implosion du continent, a réaffirmé l’intangibilité des frontières. Cette charte de 1964 n’a été écornée qu’une fois, en 1993, lorsque l'Érythrée a fait sécession avec l'Éthiopie. L’Afrique est aujourd’hui l’un des continents où les frontières sont les plus consensuelles : l’Afrique de l’Ouest en particulier, avec ses frontières tirées au cordeau, connaît très peu de différends frontaliers actuels, et souvent de faible intensité (Briot et al., 2021).

Il apparaît plutôt aujourd'hui qu'au-delà des États, l'avenir de l'Afrique passe par des formes de concertation et d'organisation régionales supranationales. Les frontières étatiques, en Afrique comme ailleurs, sont en partie subverties par les logiques de la globalisation, par les flux « invisibles » licites et illicites et par les impératifs d'actions d'ingérence aux contours discutés.

(ST) 2006. Réécriture partielle (JBB) : mai 2024.


Références citées
  • Briot Ninon, Jean-Benoît Bouron et Pauline Iosti (2021), « Carte à la une. Les frontières disputées et conflictuelles dans le monde », Géoconfluences, décembre 2021.
  • Le Douarin Louis (2022), La fabrique de la Syrie et du Liban : cartes, savoirs géographiques et production du territoire en contexte impérial (1860-1933), Thèse de doctorat, European University Institute, Florence, 751 p.
  • Le Douarin Louis (2024), « Carte à la une. Déconstruire un récit impérial : le mythe Sykes-Picot », Géoconfluences, mai 2024.
  • Lefebvre Camille (2015), Frontières de sable, frontières de papier : histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, XIXe-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, 543 p.
  • Pourtier Roland (1991), Derrière le terrain, l'État. Histoires de géographes, textes réunis pas Chantal Blanc Pamard. Éditions du CNRS.
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