Où en est la francophonie ?
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Avec environ 300 millions de locuteurs en 2018 (Beck et al. 2018), le français est la cinquième langue mondiale (Le Monde, 2018) par le nombre de locuteurs, mais la dixième par le nombre de locuteurs natifs, c’est-à-dire pour lesquels il est leur langue maternelle. Le français est en effet, pour des raisons historiques, une langue véhiculaire, c’est-à-dire qui est parlée par des personnes dont ce n’est pas la langue maternelle pour se faire comprendre en dehors de leur groupe d’origine. C’est ainsi la langue administrative de pays qui furent des colonies françaises et dont les habitants jonglent entre un pluralisme de langues vernaculaires et une ou plusieurs langues véhiculaires. C’est aussi une langue internationale, utilisée pour les échanges dans les instances internationales, même si l’anglais l’a supplantée comme principale langue diplomatique.
Carte 1. Les pays ayant le français comme langue officielle et co-officielle
Source principale : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/francophonie.htm Téléchargez ici une version simplifiée sans les trois cartouches. |
La francophonie peut se définir comme l’ensemble des locuteurs du français, qu’il soit pour eux leur langue maternelle, d’usage, administrative ou d’enseignement. Sont considérées comme francophones l’ensemble des personnes qui savent lire et écrire le français (gouvernement.fr, 2017). Jacques Leclerc (2018) distingue la Francophonie avec une capitale initiale (les gouvernements et instances officielles utilisant le français) de la francophonie avec une minuscule (l’ensemble des populations francophones et des locuteurs du français). Il attribue l’origine du mot « francophonie » à Onésime Reclus, frère d’Élisée, dans France, Algérie et colonies (1886, p. 422). Nous n’utiliserons ici que le mot avec une majuscule pour designer à la fois l’ensemble des locuteurs et des institutions qui utilisent le français.
Carte 2. Les Francophones dans le monde
Source principale : http://www.odsef.fss.ulaval.ca/sites/odsef.fss.ulaval.ca/files/odsef-lfdm-2018.pdf La méthodologie pour aboutir à ces données est détaillée dans la source principale. Il s’agit d’extrapolation des populations par rapport aux sources sur les francophones (enquêtes, questionnaires OIF, recensement…) et aux données connues de population totale, afin d’arriver à une estimation à une même date (2018) pour tous les pays. La qualité de l’estimation est évaluée pour chaque territoire, de A (Algérie, Géorgie, Martinique…) à C (Égypte, Israël, Mozambique…). On peut toutefois critiquer le choix de cette source canadienne d’utiliser la classification de l’ONU qui distingue l’outre-mer français et la métropole. |
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Ce texte ne vise nullement à l’exhaustivité, mais simplement à une première approche de la Francophonie visant à offrir au lecteur des documents, des pistes de recherche, et des suggestions de lectures complémentaires.
1. Les territoires et les États francophones
La francophonie regroupe des territoires voisins du foyer de naissance de la langue française, et des territoires aussi lointains que le Vanuatu (ancienne colonie française sous le nom de Nouvelles Hébrides, 31 % de francophones, membre de l’OIF) ou la Nouvelle Calédonie, aux antipodes de l’hexagone.
Parmi les territoires européens, outre la France métropolitaine, des communautés francophones sont présentes en Wallonie, en Suisse romande, en vallée d’Aoste en Italie, et en Andorre (dont la langue officielle est le catalan). Ces communautés ont parfois fait reconnaître le français comme seule langue officielle à l’échelle de leur maille administrative (en communauté française de Belgique et dans les cantons suisses de Genève, Vaud, Neuchâtel et Jura). Le français est également langue co-officielle dans trois cantons suisses, en vallée d’Aoste en Italie et à l’échelle de l’État en Belgique et en Suisse. Par ailleurs, le français est parlé dans les pays proches (Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas…) où il est enseigné à l’école à une partie des élèves en langue seconde après l’anglais.
La majorité (58 %) des Francophones vivent hors des limites conventionnelles du continent européen. Cela comprend les départements et régions d’outre-mer français et les autres territoires ultramarins français (Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle Calédonie).
Le Canada compte la cinquième communauté francophone hors d’Europe avec 9 millions de locuteurs (derrière la R.D.C., l’Algérie, le Maroc, et le Cameroun). Ils sont très majoritairement au Québec (7,8 millions, 93 %), mais également dans les provinces du Nouveau Brunswick (326 000, 42 %) et de l’Ontario (1,7 million, 11 %).
Par ailleurs la Francophonie regroupe les États d’Afrique et d’Asie où la France et la Belgique ont exercé dans l’histoire une domination coloniale (Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, Congo, RDC, Madagascar…), y compris les colonies prises à l’Allemagne après la première guerre mondiale (Cameroun et Togo). Dans certains de ces pays, le français est la langue maternelle d’une majorité de la population (Gabon, Congo, Maurice, Seychelles, Tunisie, R.D.C. et Djibouti) mais ce n’est pas le cas le plus courant. En revanche le français est souvent la langue officielle (voir cartes 1 et 2) donc la langue de l’administration et de l’école. Dans certains États membres de l’OIF, comme le Vietnam, le Laos et le Cambodge, le français n’est plus connu que par une infime minorité de la population. Au Maghreb, la langue, arabe mais pas seulement, joue un rôle important dans l’identité culturelle et a été un ciment dans la construction des États post-indépendance. Si l’usage du français reste courant au Maroc et en Tunisie, l’Algérie a accompli une politique linguistique plus poussée de « défrancisation ».
Par ailleurs, la Francophonie inclut les migrants français installés à l’étranger (ceux qu'on appelle parfois les « expatriés », par exemple la communauté des immigrés français à Londres ou dans les États du golfe Persique) et les personnes apprenant ou pratiquant le français dans d’autres pays (Argentine, Italie, Royaume-Uni, Chine…).
Les États francophones ou ayant le français comme langue officielle ont signé à Hanoï une Charte de la Francophonie en 1997, révisée en 2005 à Antananarivo.
Tableau 1. Dix premiers pays francophones en nombre absolu et en part relative
*Métropole et outre-mer. Francophones = personnes sachant lire et écrire un petit texte en français, qu’il soit ou non leur langue maternelle. En gras : les pays figurant dans les deux parties du tableau. Source : Beck et al., 2018. Graphique 1. Nombre de francophones par pays |
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2. Le rôle de la France
La France est le premier État francophone en nombre de locuteurs (66 millions) et le deuxième (derrière Monaco) en part de locuteurs dans la population totale (96,6 %).
Les institutions françaises jouent un rôle important dans l’animation de la sphère francophone. Il s’agit en partie d’un héritage de la colonisation puisque la France a imposé le français comme langue administrative et scolaire dans ses colonies, dont la plupart sont aujourd’hui des États indépendants.
La France occupe une place importante dans les organisations liées à la Francophonie. Elle est à l’initiative, sous le premier mandat de François Mitterrand (1986), des Sommets de la Francophonie, à périodicité bisannuelle (Leclerc, 2018). Il s’agit pour la France d’un enjeu de soft power (ou plutôt de « puissance douce »), face à la concurrence de l’anglais et plus récemment du mandarin, la Chine ayant rejoint la course à l’influence linguistique par l’intermédiaire des instituts Confucius (tableau 3). Si l’existence d’une communauté d’intérêt avec ses anciennes colonies ne va pas de soi, la France peut utiliser la langue comme levier diplomatique pour conserver son influence mondiale. C’est toutefois un jeu délicat car il faut aussi éviter les procès en arrogance ou en néocolonialisme dans des instances qui promeuvent le multilatéralisme.
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La diplomatie française a mis en place deux politiques qui mobilisent « plus de 500 agents expatriés et environ 600 millions d'euros » (gouvernement.fr, 2017) : une politique bilatérale avec les États étrangers pour promouvoir l’enseignement du français, et une politique multilatérale visant à encourager la consolidation des liens entre les pays regroupés au sein de l’Organisation Internationale de la Francophonie (voir ci-après). L’objectif affiché de favoriser la mobilité des étudiants de la francophonie est toutefois en contradiction avec les politiques visant à réduire cette mobilité comme les programmes Campus 2010 et celui, plus récent et ironiquement baptisé « Bienvenue en France », qui prévoit une très forte hausse des frais de scolarité pour les étudiants étrangers et qui touche plus particulièrement les étudiants africains.
L’une des orientations récentes de la politique de la France par rapport à la Francophonie est de miser sur les opportunités offertes par l’existence d’une communauté linguistique internationale en termes de croissance économique. On peut ainsi lire sur le site du gouvernement français, citant lui-même le rapport Attali, que « l’ensemble des pays francophones et francophiles représente 16 % du PIB mondial, avec un taux de croissance moyen de 7 %, et près de 14 % des réserves mondiales de ressources minières et énergétiques, alors que les francophones ne représentent encore que 4 % de la population mondiale » (gouvernement.fr, 2017).
3. L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF)
L’Agence internationale de la Francophonie, créée en 1970, est devenue en 2005 l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Son siège est à Paris. L’actuelle secrétaire générale est la Rwandaise Louise Mushikiwabo.
Il est difficile d’en trouver des équivalents dans le monde par l’ampleur et les ambitions, à l’exception du Commonwealth mais ce dernier est davantage une communauté politique, culturelle et historique qu’une communauté organisée autour de la langue (voir la liste de ses 53 membres). Les lusophones ont la Communauté des pays de langue portugaise, fondée à Lisbonne en 1996, qui compte 9 membres (liste). L’hispanophonie n’a pas d’organisation défendant ses intérêts, peut-être parce que cette langue, la deuxième langue maternelle par le nombre de locuteurs derrière le chinois dans ses différentes versions, ne craint pas de perdre son influence. Il existe une Association des académies de langue espagnole fondée à Mexico en 1951, comptant 23 membres (liste). Par ailleurs, si la langue arabe est bien un critère pour entrer dans la Ligue arabe, cette association n’a pas comme but premier la défense de la langue arabe.
Les membres de l’OIF sont les signataires du traité de Niamey. Ces 88 États (voir la liste et la carte), dont 54 membres à part entière et 34 membres observateurs et associés, ne sont pas tous les États où le français est la langue officielle ou co-officielle (voir carte 1). Tous ne sont pas non plus majoritairement francophones. Certains pays membres comptent même une très faible part de francophones dans leur population comme l’Arménie (0,3 %) ou le Vietnam (0,7 %) (Beck, Marcoux, Richard, Wolff, 2018). Inversement, un État comme l’Algérie, par exemple, troisième pays par le nombre de francophones (presque 14 millions, un tiers de la population du pays), n’est pas adhérent de l’OIF (ibid.), pour des raisons essentiellement politiques et historiques. Pour reprendre le jeu sur la majuscule de Jacques Leclerc (2018), il y a donc un fossé entre la francophonie comme communauté de personnes parlant le français, et la Francophonie comme organisation à laquelle appartiennent aussi des pays où personne, ou presque, ne parle le français.
D’après ses statuts, l’OIF a quatre missions principales : « Promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique ; promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme ; appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche ; développer la coopération au service du développement durable » (OIF). On voit que ces missions sont suffisamment vastes pour permettre un vaste champ de modalités dans les projets accompagnés par l’institution quitte à risquer la dilution.
L’OIF dispose de quatre représentations diplomatiques permanentes : à Addis-Abeba, auprès de l’Union Africaine et de la Commission économique de l’Afrique de l’ONU, à Bruxelles, auprès de l’Union européenne, à New York et à Genève, auprès des Nations unies. Elle dispose ensuite des relais que sont ses six bureaux régionaux : à Lomé (Togo) pour l’Afrique de l’Ouest, à Libreville (Gabon) pour l’Afrique centrale, à Hanoï (Vietnam) pour la zone Asie-Pacifique, à Port-au-Prince (Haïti) pour la Caraïbe et l’Amérique latine, à Bucarest (Roumanie) pour l’Europe centrale et orientale, et à Antananarivo (Madagascar) pour l’océan Indien. (OIF)
Tableau 2. Les sommets de la Francophonie
Source : Leclerc (2018), informations très complètes sur cette page. |
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Ces sommets sont organisés avec d’autres acteurs de la Francophonie tels que L’Association internationale des maires francophones (AIMF), ainsi qu’avec deux Conférences ministérielles permanentes : la Conférence des ministres de l’Éducation nationale (Confémen) et la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports (Conféjes) (source : OIF).
4. La fondation Alliance française
Le réseau des alliances françaises vise à promouvoir l’enseignement du français et la culture française. Il est présent dans 132 pays dont la France, et surtout dans de très nombreuses villes, et pas seulement des capitales : on compte 834 alliances françaises.
8 000 enseignants spécialisés dans 700 centres de l’alliance française enseignent le français langue étrangère à 450 000 personnes dans 132 pays. Les alliances françaises ont aussi un rôle de certification linguistique en proposant à leurs apprenants de passer des diplômes comme le DELF (diplôme d’études en langue française) ou le DALF (sa version approfondie), qui permettent à leur possesseur d’attester d’un niveau en français. 184 000 candidats ont préparé le DELF en 2017. Cette certification payante est une source de revenu pour les alliances françaises, leur permettant de financer leur fonctionnement et leurs programmes culturels. Les prix varient selon les pays mais à titre indicatif il en coûtera 130 € à un candidat s’inscrivant à l’examen du DELF à Lyon en 2019, le succès à l’examen n’étant évidemment pas garanti (source : Alliance Française).
La répartition des apprenants par pays est différente de celle des francophones (carte 1), même si on trouve des pays francophones avec beaucoup d’apprenants. Madagascar avec 26 592 apprenants est le pays comptant le plus d’apprenants, la France étant le deuxième avec 24 887. On trouve des apprenants du français dans des pays où cette langue n’a pas d’implantation historique autre que des liens culturels, comme les États-Unis, des pays d’Amérique Latine ou ceux d’Europe de l’Est.
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Tableau 3. Les organisations de promotion de la langue et de la culture à travers le monde (d'après Nashidil Rouiaï)
Source : Nashidil Rouiaï, « Sur les routes de l'influence : forces et faiblesses du soft power chinois », Géoconfluences, septembre 2018. |
Parmi les actions de la fondation, le Projet alliance française prévoie également des partenariats pour faciliter l’accès à la culture et à internet à des groupes défavorisés. Dans ce cadre, le projet « Alliance française 3.0 » a par exemple contribué à des rénovations de médiathèques en Mauritanie, ou à distribuer des bibliothèques numériques portables en partenariat avec Bibliothèques sans frontières.
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Conclusion
La Francophonie n’est pas un état de fait, mais un projet qui est porté par des institutions : la Francophonie existe par des acteurs qui la font exister, sans quoi on parlerait simplement des locuteurs du français, lesquels ne représentent même pas 5 % de la population mondiale (4,3 %). C'est l’existence de ce projet qui donne au français une place à part parmi les grandes langues internationales, dans la mesure où c’est la seule qui déploie autant d’effort pour maintenir son influence. Ces efforts sont aussi le signe que les locuteurs de cette langue, et ses promoteurs, craignent son recul et estiment qu’elle mérite d’être défendue. Mais les différentes initiatives évoquées dans ce texte montrent aussi que la francophonie n’est pas repliée sur la défense de la langue, c’est au contraire un projet positif d’une grande vitalité dans ses diverses manifestations.
- La Charte de la francophonie, adoptée par la Conférence ministérielle de la Francophonie, Antananarivo, le 23 novembre 2005.
- La carte des États membres, observateurs, et associés de l’OIF.
- Beck Baptiste, Marcoux Richard, Richard Laurent et Wolff Alexandre (2018), Estimation des populations francophones dans le monde en 2018. Sources et démarches méthodologiques. Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone, 2018 [pdf]. (en particulier sur les problèmes méthodologiques liés au comptage des francophones)
- Fondation Alliance Française (2017), « Les alliances françaises dans le monde, le journal data 2017 » [pdf].
- Gouvernement.fr, « La Francophonie » [Contenu publié sous la présidence de François Hollande du 15 mai 2012 au 15 Mai 2017 ; mis à jour le 15 mai 2017]
- Leclerc Jacques (2018), « Qu'est-ce que la Francophonie ? », L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, CEFAN, Université Laval, octobre 2018.
- Le Monde (2018). Marc Semo, « Le français, cinquième langue la plus parlée dans le monde », Le Monde, 11 octobre 2018.
- Marcoux Richard et Wolff Alexandre (2019), « La langue française dans le monde : géographie et perspectives », Population & Avenir, n° 742, mars-avril 2019.
- Observatoire de la francophonie : « Qui parle français dans le monde ? » (statistiques sur la francophonie)
- Observatoire de la francophonie, « Francophones par pays » [pdf] (s’appuie sur les chiffres donnés par Beck et al. (2018).)
- OIF, L’Organisation Internationale de la Francophonie
- Poissonnier Ariane et Sournia Gérard (2006). Atlas mondial de la francophonie. Cartographie de Fabrice Le Goff. Autrement.
- Reclus Onésime (1886), France, Algérie et colonies, Hachette, 803 p. [disponible sur Gallica].
Jean-Benoît BOURON
Professeur agrégé de géographie, responsable éditorial de Géoconfluences
Pour citer cet article :Jean-Benoît Bouron, « Où en est la francophonie ? », Géoconfluences, juin 2019. |
Pour citer cet article :
Jean-Benoît Bouron, « Où en est la francophonie ? », Géoconfluences, mai 2019.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-du-politique/articles/francophonie