Vous êtes ici : Accueil / Informations scientifiques / Dossiers thématiques (transversaux) / Mobilités, flux et transports / popup / Qu'est-ce qu'un péage urbain ? L'exemple londonien

Mobilités, flux et transports

Qu'est-ce qu'un péage urbain ? L'exemple londonien

Publié le 02/03/2009
Auteur(s) : Manuel Appert, maître de conférences en géographie, HDR - Université de Lyon, Université Lyon 2

Mode zen PDF

Les nuisances occasionnées par l'usage excessif de l'automobile ont fait resurgir les velléités "pigoviennes" [1] qui consistent, afin de réduire les effets externes liés à l'usage d'un bien ou d'un service, à faire payer au responsable des nuisances une taxe de valeur égale au coût social qu'il fait supporter à la collectivité. Ce principe est similaire à celui du "pollueur-payeur" élaboré par le prix Nobel d'économie Ronald Coase (1991).

Le péage urbain a fait l'objet d'un certain nombre d'expériences dans le monde (Singapour dès 1975) et plus particulièrement dans des villes européennes : notamment en Norvège (Oslo, Bergen, Trondheim) à partir de 1986, à Rome dès 2001, Milan début 2008 à titre expérimental, à Londres (2003), à Stockholm (2007, après six mois d'expérimentation en 2006), (voir fiches résumés en annexe 4), et dans plusieurs villes allemandes, Cologne, Berlin et Hanovre.

Des études sur la faisabilité d'un péage urbain à Londres ont été entreprises dès 1992. Une loi votée en 1999 par l'Autorité stratégique du Grand Londres (Greater London Authority Act 1999) a prévu la possibilité de percevoir des taxes sur la propriété d'un véhicule et d'imposer un péage pour l'utilisation des véhicules à moteur. La municipalité de Londres a introduit le dispositif le 27 février 2003. Le péage de cordon [2], le plus vaste des 5 villes équipées, délimite une zone (Congestion Charging Zone) de 21 km² qui correspond peu ou prou à l'hypercentre de Londres, circonscrit par les terminus ferroviaires de Liverpool Street, London Bridge, Waterloo, Victoria, Paddington et Euston (voir la carte en page principale). Le péage fonctionne en semaine entre 7h et 18h30 et nécessite un prépaiement de 11 euros (7,50 euros de février 2003 à juin 2005) que les automobilistes peuvent s'acquitter par SMS, téléphone ou en se rendant dans un kiosque à journaux. Les automobilistes résidant dans la zone ne paient que 10% de la somme s'ils s'abonnent à la semaine ou à l'année. Le profit généré par le dispositif (100 millions d'euros) est intégralement transféré au financement des transports collectifs.

Le péage a permis de réduire de 18% le volume de circulation entrant dans le périmètre et de 15% celui circulant à l'intérieur de la zone en 2005, soit un an après la mise en œuvre du péage [3] . La diminution du trafic s'est traduite par une baisse des temps de trajet de 14% dans et vers la zone et les retards dus à la congestion du trafic routier (en minutes supplémentaires par kilomètre parcouru) ont diminué de 30%. Les vitesses de circulation ont augmenté de 8%, dépassant à nouveau 15 km/h. Transport for London (TfL) estime que 20 à 30% des véhicules qui ne pénètrent plus dans le périmètre évitent la zone, que 50 à 60% des passagers de ces véhicules utilisent les transports publics (le bus notamment) et que 15 à 25% font du covoiturage, utilisent des deux-roues, circulent hors des heures payantes ou ont réduit le nombre de leurs trajets dans la zone de péage. Le nombre de passagers des autobus a augmenté de 10% dans la zone centrale, les retards enregistrés ont diminué de 60%, enfin la vitesse commerciale des autobus à l'heure de pointe du soir a augmenté de 6%.
La réduction de la circulation dans le centre de Londres se révèle importante, même si elle est partiellement imputable au ralentissement de l'activité économique en 2003-2004. Les conséquences sur les réseaux bordant la zone tarifée sont toutefois moins claires. TfL admet une augmentation significative du trafic sur la rocade (+7%). L'origine de ces études nous impose toutefois la plus grande prudence. Le péage peut donc s'avérer efficace pour réduire la congestion lorsqu'il est appliqué à un périmètre restreint comme l'hypercentre de Londres. Un périmètre plus large, équivalent aux limites administratives de Greater London par exemple, réduirait l'efficacité d'un tel dispositif dans la mesure où la grande majorité des déplacements ont une origine et une destination internes au périmètre. La mairie de Londres a finalement décidé de n'étendre la zone tarifée qu'aux arrondissements cossus en bordure ouest du centre ville en février 2007, soit 17 km² supplémentaires. Mais l'arrivée de Boris Johnson, élu maire en 2008, pourrait remettre en question cette extension qui devrait être abandonnée à l'horizon 2010.

Les chiffres cités sont issus du bilan annuel de Transport for London 2007.

Les bilans socio-économiques du péage de Londres, tel que celui présenté dans le tableau ci-dessus, font apparaître :

  • des effets positifs surtout liés aux gains sur les temps de trajets et à la fiabilité du temps de transport, pour les automobilistes et les usagers des transports collectifs (bus) ainsi que les externalités positives (moins d'accidents, réduction des émissions de polluants atmosphériques),
  • des effets négatifs liés aux coûts opérationnels du péage et à la moindre perception des taxes.

 

Mais on remarque qu'il y a simple transfert financier (c'est donc neutre pour la collectivité) entre les frais de péage payés par les automobilistes et les recettes de péage perçues les gestionnaires du péage.

Hautement médiatisé, le péage, soutenu par le maire de Londres, Ken Livingstone, est un engagement politique fort, un geste stratégique mais aussi symbolique apprécié par l'opinion publique londonienne qui lui est majoritairement favorable (TfL, 2004). À l'ère du marketing urbain, le péage de Londres est autant un "coup" de communication politique qu'un remède à la congestion et à la pollution à l'échelle de la métropole. Sa portée reste finalement quantitativement limitée, puisque, si le nombre de véhicules entrant quotidiennement dans le centre de Londres est passé de 250 000 à moins de 180 000, dans le même temps, le nombre de véhicules franchissant les limites administratives de Greater London a dépassé 2,5 millions et 6 millions de véhicules circulent quotidiennement sur le réseau routier du Greater South East, le reste de l'aire métropolitaine.

Notes

[1] De l'économiste anglais Arthur Pigou (1877-1959)

[2] On peut distinguer différentes formes spatiales pour mettre en œuvre un péage sur la circulation des véhicules. Le péage peut porter sur une aire délimitée : dans le cas d'un péage de cordon, plusieurs points de contôle permettent l'accès à la zone, leur franchissement déclenche la paiement à chaque passage ; dans le cas d'un péage de zone, l'automobiliste, une fois acquitté l'accès à la zone, paye un tarif fixe quel que soit son itinéraire. L'autre principe est celui du péage d'infrastructure qui induit une tarification de réseau : l'automobiliste rémunère un service. Il s'agit de la seule forme de péage légalement autorisée en France à ce jour.

Les péages peuvent aussi être distingués par leurs objectifs, on en identifie alors trois principaux types : le péage de financement destiné au financement de systèmes de transport ; le péage de décongestion pour la régulation des circulations ; le péage environnemental qui a pour objectif la réduction des nuisances environnementales.

[3] Source des données : TfL, Central London congestion charging impacts monitoring, Third annual report, 2005.

Ressources en ligne

 

 

 

Manuel Appert,

pour Géoconfluences le 2 mars 2009

Pour citer cet article :  

Manuel Appert, « Qu'est-ce qu'un péage urbain ? L'exemple londonien », Géoconfluences, mars 2009.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/Mobil/popup/Appert2.htm