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Risques et sociétés

Archive. L’infection à VIH/sida, image de la fracture Nord-Sud ?

Publié le 13/05/2005
Auteur(s) : Jeanne-Marie Amat-Roze, professeure des Universités - université Paris 12 Val de Marne
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NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.

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NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.
>>> Pour des informations à jour sur le sida, voir l'entrée de glossaire : VIH, sida. Pour les questions de santé dans les pays émergents, lire : Virginie Chasles, « Les inégalités de santé dans les pays émergents, le cas de l’Inde », Géoconfluences, septembre 2022.

Vingt-cinq ans après l'émergence de l'épidémie à VIH/sida, le monde est parcouru par de très nombreux systèmes infectieux à VIH. Vieilles épidémies d'Amérique du Nord, d'Europe de l'Ouest, d'Afrique orientale et centrale, jeunes épidémies d'Europe orientale et d'Asie centrale, ici épidémies relativement sous contrôle, là épidémies explosives, la planète sida se conjugue au pluriel. Ne serait-il pas possible de voir une illustration de la fracture Nord-Sud dans le fait que la très grande majorité de ses victimes sont dans les pays en développement ? Nous discuterons cette question après avoir répondu à l'interrogation "comment connaître l'infection à VIH/sida ?" et dressé un tableau dynamique de la géographie de la pandémie.

Comment connaître l'infection à VIH/sida ?

La connaissance de l'infection à VIH/sida peut être abordée par les surveillances du sida, soit au stade de la maladie déclarée, soit au stade asymptomatique d'une durée d'au moins dix ans.

La surveillance du sida

Le sida est une maladie à déclaration obligatoire. Les cas sont donc enregistrés par les États, puis officiellement notifiés à l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette surveillance présente quatre inconvénients majeurs :

  • la maladie sida d'aujourd'hui est une infection “d'avant-hier”, compte tenu de la longue durée du stade asymptomatique ;
  • la proportion des cas notifiés varie considérablement : la sous-déclaration est notoire dans la majorité des pays les plus touchés. On admet couramment que 10% des cas y font l'objet d'une notification contre 75 à 94% dans les pays industrialisés. La sous-déclaration est aussi variable selon le sexe, l'âge (enfant ou adulte) et selon les lieux ; la ville est souvent privilégiée aux dépens des territoires ruraux ;
  • la définition du cas de sida varie d'un pays à l'autre ; le diagnostic peut être clinique et/ou biologique.

Comme le nombre de personnes séropositives bénéficiant des traitements antirétroviraux augmente, le stade sida est retardé et l'espérance de vie allongée d'autant. L'infection à VIH devient alors une affection chronique contrôlée par le traitement comme des affections de longue durée (type hypertension ou hypercholestérolémie). En 1996, la large diffusion des traitements dans les pays les plus avancés a fait chuter brutalement la courbe des décès dus au sida, comme l'illustre la figure ci-contre pour l'Europe de l'Ouest. La lecture des cas de sida notifiés n'est alors plus en phase avec les contaminations de la décennie écoulée.

Décès dus au sida en Europe

La surveillance de l'infection à VIH

Pour évaluer les tendances de l'épidémie et la programmation des actions de lutte, la surveillance de l'infection est irremplaçable. Durant la première décennie épidémique (1980-1990), les pays les plus développés lisaient l'épidémie au travers des cas de sida notifiés. Dans les pays en développement, la sous-déclaration des cas de sida a conduit à fonder la surveillance sur le dépistage de l'infection.

En Afrique noire, les premiers systèmes de surveillance furent mis en place en 1987. Les sondages antérieurs étaient plus le fait d'opportunités locales que de planification raisonnée.

Au cours des années 1990 furent généralisés, dans les PED, les suivis de populations dites sentinelles, sur des lieux sentinelles, de façon à pouvoir lire une évolution spatio-temporelle rigoureuse.

Les femmes enceintes, consultantes de services prénatals, sont la population sentinelle de référence. Pour lire l'évolution de l'infection au travers de l'incidence (nombre de nouveaux cas relevés entre deux dates données), l'Onusida préconise le suivi des femmes enceintes âgées de 15 à 24 ans.

Dans quelques pays européens, la mise en place de la surveillance de l'infection fut tardive : Allemagne et Irlande en 1993, Italie en 1999, Portugal en 2000, Pays-Bas en 2002, France en 2003.

À côté de ces suivis, on dispose de plus en plus d'enquêtes nationales à domicile qui livrent une image plus étendue de l'ensemble de la population : femmes non enceintes ou ne faisant pas suivre leur grossesse, hommes, populations rurales.

La planète VIH/sida

La planète sida fin 2004

Dans son rapport de décembre 2004, l'Onusida estime que 39,4 millions de personnes (dans un intervalle probable — IP — compris entre 35,9 et 44,3 millions) vivent avec le VIH/sida, soit 1,2% de la population mondiale. C'est le plus haut niveau jamais enregistré. Les adultes représentent 37,2 millions (IP 33,8 - 41,7) soit 94%, dont 47% de femmes, pourcentage inégalé. Les femmes et les filles sont de plus en plus contaminées.

Les nouveaux cas d'infection à VIH en 2004 sont estimés à 4,9 millions (IP 4,3 - 6,4), dont 13% d'enfants de moins de 15 ans. À peine 5% des personnes malades se sauraient infectées par le virus.
Trois millions cent mille (IP 2,8 - 3,5) personnes seraient décédées du sida en 2004, dont 16% avaient moins de 15 ans. Huit mille cinq cents malades du sida décèdent chaque jour (soit 6 par minute), dont 1 350 enfants.

Depuis le début de l'épidémie, à la charnière des années 1970-1980, le sida, qui aurait fait plus de 25 millions de morts, s'est hissé en moins de vingt ans au quatrième rang des causes de morbidité et de mortalité dans le monde, derrière les maladies cardio-vasculaires, les tumeurs malignes et les infections des voies respiratoires. La contamination hétérosexuelle étant très largement le premier mode de transmission du virus, on compterait plus de 14 millions d'enfants orphelins.

Mais ces chiffres globaux masquent la très forte fragmentation de la pandémie en de nombreuses épidémies aux caractères distincts. Cette fragmentation s'exprime en une triple hétérogénéité, d'intensité, d'évolution et d'impact (relevée dès les premières manifestations épidémiques et à toutes les échelles d'observation) qui témoigne des nombreux systèmes pathogènes à VIH qui parcourent la planète.

La fragmentation de la pandémie fin 2004

Une pandémie fragmentée

La carte des pourcentages d'adultes entre 15 et 49 ans vivant avec le VIH/sida par grandes régions fin 2004 montre l'ampleur de l'infection sur la terre africaine : 7,4%. Il y aurait 25,4 millions (IP 23,4-28,4 millions) d'adultes et d'enfants qui vivraient avec le VIH/sida. C'est une constante depuis deux décennies épidémiques : l'Afrique subsaharienne porte le plus lourd fardeau. Pour 11% de la population mondiale, les estimations fin 2004 sont les suivantes :

  • 64% de toutes les personnes infectées dans le monde,
  • 76% de toutes les femmes vivant avec le VIH,
  • 74% des décès dus au sida (2,3 millions - IP 2,1-2,6),
  • 90% des infections chez l'enfant,
  • 63% des nouvelles infections à VIH (adultes et enfants) survenues en 2004, soit 3,1 millions.

L'Afrique subsaharienne est aussi caractérisée par :

  • le taux de contamination hétérosexuelle le plus élevé du monde (75 à 90% selon les estimations de l'OMS) ;
  • le risque de transmission mère-enfant le plus élevé du monde (20 à 30%) ;
  • l'importance de la transmission parentérale (seringues, lames souillées...), mais son évaluation est difficile ;
  • le plus fort pourcentage de femmes infectées, soit 57 femmes sur 100 personnes de 15 à 49 ans) ;
  • le plus fort pourcentage de jeunes femmes infectées : 76% des jeunes de 15 à 24 ans infectés sont de sexe féminin. Une enquête conduite à Kisumu au Kenya en 1999 a révélé ces chiffres effrayants : chez les 15-19 ans, le taux de contamination atteignait 23% chez les filles contre 3% chez les garçons.

En conséquence, les décès dus au sida depuis le début de l'épidémie se chiffreraient de 16 à 20 millions et la maladie est devenue la première cause de morbidité et de mortalité, reléguant le paludisme au deuxième rang. Dans une sombre perspective l'Onusida avance que près de 90 millions d'Africains sont menacés d'ici à 2025 si rien de plus n'est fait pour enrayer le fléau. Par contre, si des politiques intérieures efficaces sont conduites, soutenues par une aide internationale multipliée par deux, 43 millions de nouveaux cas pourraient être évités. Dans cette hypothèse, la couverture par la thérapie antirétrovirale devrait atteindre 70% d'ici à 2025. Elle est actuellement estimée à moins de 5%.

Mais là encore, les chiffres masquent les hétérogénéités soulignées. Dans la population générale des femmes enceintes, les écarts entre les niveaux d'infection sont les plus forts du monde et les évolutions sont très contrastées, signant des processus épidémiques différenciés.

Au Sénégal, sur les sites sentinelles, les taux d'infection relevés demeurent inférieurs à 2%. À l'opposé, au Botswana, Lesotho, Namibie, Swaziland, ils sont souvent supérieurs à 30% et aucune tendance baissière n'a été mise en évidence. Le Botswana se distingue avec le niveau d'infection le plus élevé du monde dans la population des femmes enceintes : 38,8% ; sur quelques sites le taux dépasse les 50%. Au cours de la deuxième décennie épidémique, l'Afrique australe est devenue le territoire privilégié de l'infection. Neuf États comptant pour 2% de la population mondiale rassemblent presque 30% du total mondial de personnes vivant avec le VIH/sida. L'Afrique du Sud, avec une prévalence générale du VIH chez les femmes enceintes de 27,9% en 2003, compterait 5,3 millions de séropositifs (IP 4,5-6,2), soit le premier pays au monde de personnes vivant avec le VIH/sida (le deuxième est l'Inde, avec un nombre estimé assez voisin, mais sur un total de plus d'un milliard d'habitants).

L'Afrique du Sud illustre bien l'hétérogénéité spatiale possible de l'infection. Le taux chez les femmes enceintes à l'échelle nationale masque des variations régionales significatives : il est supérieur à 30% dans trois provinces (État libre d'Orange, Mpumalanga et 37,5% au KwaZulu-Natal), alors qu'il est compris entre 13% et 17,5% dans les provinces du Cap occidental, du Cap septentrional et du Limpopo. Mais partout, les jeunes femmes sont exposées au risque d'infection de façon tout à fait disproportionnée : 77% des jeunes sud-Africains vivant avec le VIH sont des femmes.

L'infection VIH/Sida en Afrique sud-saharienne fin 2001

Au contraire de l'Afrique australe, l'Afrique de l'Est montre une chute assez générale des niveaux d'infection. En Ouganda, pays le plus affecté pendant la première décennie épidémique, le taux d'infection à Kampala, la capitale, est passé de 29,4 en 1992 à 11,2% en 2000 ; la prévalence nationale se maintient à 5-6%. Hors Afrique, Haïti est le territoire qui compte le plus fort pourcentage de séropositifs ; les résultats d'enquêtes sentinelles suggèrent néanmoins une baisse de la prévalence chez les femmes (15-49 ans) dans les consultations prénatales.

Parmi les autres faits marquants fin 2004, relevons les menaces qui pèsent sur l'Asie du Sud et de l'Est, et l'explosion épidémique du bloc Europe orientale-Asie centrale.

En Asie du Sud et de l'Est, les niveaux nationaux sont encore relativement bas mais, dans certains pays, Indonésie, Népal, Vietnam, plusieurs provinces chinoises et régions indiennes, le nombre de nouveaux cas est inquiétant. Les principaux moteurs de la propagation actuelle sont, selon les territoires, les injections de drogues ou le commerce du sexe. Le risque d'évolution défavorable existe, mais ce n'est pas une fatalité si les États mobilisent rapidement leurs capacités de riposte comme l'ont fait la Thaïlande et le Cambodge. Des pays conservent des niveaux de prévalence très bas : Bangladesh, Pakistan, Philippines, Timor-Leste, RD Laos.

Infection à VIH dans trois groupes de transmission

L'Europe orientale et l'Asie centrale sont le théatre des plus jeunes épidémies. Avec une multiplication par neuf du nombre de porteurs du virus en moins de dix ans, on assiste à une explosion de l'infection. Le premier moteur épidémique est, très largement, l'usage de drogues injectées, le deuxième, le commerce du sexe. Plus de 80% des infections sont notifiées chez des moins de 30 ans (Europe 30% dans ce groupe d'âge). Le terreau : un jeune de moins de 25 ans, de sexe masculin, sans emploi, vivant dans une grande ville, sexuellement actif.

L'inquiétude : la proportion de femmes contaminées augmente, conséquence de l'accroissement des nouvelles infections contractées par des rapports hétérosexuels, d'après les faits observés en Russie et en Ukraine.

Le recul du temps

Part estimée (en %) des ensembles régionaux sur le nombre de personnes vivant avec le VIH/sida entre la mi-1994 et fin 2004
 
mi-1994
fin 1996
fin 2000
fin 2004
Total des personnes contaminées (millions)
13-14
22,6
36,1
39,4
Afrique sub-saharienne (%)
59
62
70
64,4
Afrique du Nord et Moyen-Orient (%)
0,7
0,9
1,1
1,3
Amérique du Nord (%)
5,9
3,7
2,5
2,5
Amérique latine et Caraïbes (%)
11,1
7,2
4,9
5,4
Europe occidentale et centrale (%)
3,3
2,2
1,4
1,5
Europe orientale et Asie centrale (%)
0,3
0,2
1,9
3,5
Asie de l'Est et Pacifique (%)
0,1
0,2
1,7
2,8
Asie du Sud et du Sud-Est (%)
18,5
23
23,8
18

Sources : Rapports OMS pour 1994 et Onusida ensuite

Bien que les comparaisons d'une année sur l'autre soient entachées de nombreux biais, les valeurs du tableau ci-dessus sont des ordres de grandeur qui montrent que l'Afrique subsaharienne rassemble, fin 2004, 64% des cas d'infection ; avec l'Asie du Sud et du Sud-Est, le total atteint 82% ; avec l'Amérique latine et les Caraïbes 87,4%.

Si l'on ajoute à ce profil cumulatif quelques dizaines de milliers de cas originaires d'Afrique du Nord, du Moyen - Orient, d'Asie centrale et du vaste ensemble chinois, on constate que, avec plus de 90% des cas cumulés, l'infection à VIH/sida est devenue un immense problème de santé publique des pays du monde en développement, alors qu'à la charnière des années 1970 - 1980, l'émergence épidémique était partagée entre l'Amérique du Nord et l'Europe d'une part, plusieurs régions d'Afrique orientale, centrale et occidentale d'autre part.

Estimations, en %, des personnes vivant avec le VIH/sida dans les pays en développement et dans les pays développés
 
Pays en développement
Pays développés
1985
50
50
1990
65
35
2000
90
10

Une illustration de la fracture Nord / Sud ?

L'évolution constatée dans les tableaux ci-dessus pourrait porter à écrire que l'infection à VIH/sida est une expression de la fracture Nord-Sud, selon la métaphore opposant les pays développés aux pays sous-développés. Il serait possible d'ajouter “les médicaments sont au Nord, les malades au Sud”.

Celà n'est pas totalement faux puisque 73 pays à faible et moyens revenus représentent près de 90% du fardeau mondial ; mais cet amalgame n'est pas totalement juste. D'abord parce que les relations entre la prévalence du VIH et les indicateurs socio-économiques sont extrêmement complexes — le Botswana, pays le plus affecté du monde, n'est pas le plus pauvre d'Afrique, son RNB par habitant le plaçait en 2002 au 57e rang mondial devant le Brésil, la Turquie ou la Russie. Ensuite, l'Ukraine ou la Biélorussie sont généralement rattachées au Nord, or, si l'on considère toujours le RNB par habitant, elles sont successivement 82e et 95e mondiales. Enfin, en Amérique latine et dans plusieurs pays des Caraïbes, généralement classés côté Sud, l'accès aux traitements antirétroviraux est généralisé.

Les traitements antirétroviraux dans le monde fin 2003

Le VIH/sida illustre ainsi les limites de l'usage de cette métaphore et montre que, quelle que soit la latitude, il s'inscrit avant tout sur des fractures (fractures politique, économique, sociale, culturelle), souvent associées qui fragilisent et exposent les plus vulnérables.

Par exemple, dans le champ des fractures politiques, la première décennie épidémique épargne les pays communistes derrière leur rideau de fer. Le virus s'introduit dans les brèches du mur qui s'effondre. La rupture de l'isolement, et la phase de transition qui lui succède, créent des systèmes porteurs de risque pour les individus les moins bien armés. L'embrasement épidémique de la deuxième moitié des années 1990 de l'Afrique australe ne se comprend aussi qu'en faisant référence à une fracture politique. Le VIH s'est engouffré dans l'onde de la liberté des déplacements de la fin de l'apartheid. Comme dans les pays de la CEI, les héritages sont encore pesants et les besoins immenses.

Partout, le VIH prospère dans les populations les moins bien armées. La pauvreté, le déficit d'instruction, l'absence de droit des personnes, exposent l'individu au risque de transmission. Partout, les pauvres, les moins instruits, les individus privés de tout ou partie de leurs droits sont d'abord des femmes. La féminisation ininterrompue de la pandémie est une expression criante de la fracture qui peut exister entre les sexes.

Le statut de la femme est déterminant. Quand des femmes sont en état de subordination (sociale, sexuelle, intellectuelle, économique), elles sont dans une situation de vulnérabilité face au risque de transmission du virus. Les pressions, sociales, économiques, culturelles ne leur permettent pas de s'abstenir de rapports sexuels ou de se protéger. L'accès au test volontaire, aux traitements est aussi pour elles inéquitable. Sous toutes les latitudes, la relation est forte entre le statut de la femme et son degré d'exposition au risque de transmission d'une affection sexuellement transmissible. Aux États-Unis, les femmes afro-américaines et hispaniques représentent moins du quart de la population féminine mais, à la fin des années 1990, elles rassemblaient 80 % des cas de sida notifiés chez les femmes. En Thaïlande, il y a douze ans, environ 90% de la transmission du VIH se produisait entre les professionnel(le)s du sexe et leurs clients. En 2002, environ 50% des nouvelles infections se passaient entre conjoints, lorsque les clients, présents ou passés, des professionnels(le)s du sexe transmettent le virus à leur épouse. En Afrique sub-saharienne, les jeunes femmes de 15 à 24 ans ont trois fois plus de risque d'être infectées que les jeunes hommes du même âge, aux Caraïbes, deux fois plus.

Certes, le virus se transmet plus facilement de l'homme à la femme que l'inverse mais ce caractère n'est pas suffisant pour expliquer une telle disproportion. L'Onusida ne déclare-t-elle pas dans son rapport de décembre 2004 : "Dans le monde, la plupart des femmes contractent l'infection à VIH en raison des comportements à haut risque de leur partenaire, sur lesquels elles n'ont pratiquement aucun contrôle." Résultat, plus une épidémie hétérosexuelle vieillit, plus le nombre de femmes infectées augmente. En Afrique australe, où au moins 20% d'entre elles sont porteuses du virus, le contexte socio-culturel, économique et politique a donné au virus le moyen d'exprimer toute sa puissance destructrice. L'Afrique australe est l'Afrique des politiques ségrégationnistes, l'Afrique des mines, des villes, des grands ports et du bitume, l'Afrique des hommes migrants, des violences urbaines et domestiques. C'est ce contexte unique qui a permis au VIH de prospérer ici mieux que nulle part ailleurs. Il est une illustration dramatique du fonctionnement du système d'intégration régional polarisé par l'Afrique du Sud en transition post-aparthied. Les pauvres, les moins instruits, les individus dépourvus de droits sont les plus exposés. Le sex-ratio des individus infectés montre que ce sont les femmes. Relations sexuelles pourvoyeuses de biens ou de services, relations avec des hommes plus âgés, relations sous contraintes traduisent la pauvreté, la dépendance, la subordination, expression du déséquilibre de pouvoir entre hommes et femmes qui surexpose les femmes.

En conclusion, la pandémie à VIH/sida se décompose en de très nombreuses épidémies qui dessinent une géographie trop complexe pour s'inscrire dans un simple partage Nord-Sud. Depuis le sommet de Cancun en août 2003, un pays peut importer des copies de médicaments protégés et les reproduire. L'Inde fournit 70% des médicaments antirétroviraux génériques, suivie par la Jordanie et le Brésil. Les rapides progrès de leur diffusion dans de nombreux pays du Sud opposent ceux-ci à l'Afrique subsaharienne qui, pour 10% de la population mondiale, concentre les deux-tiers des besoins en traitements. C'est aujourd'hui une des principales ligne de fracture de la pandémie. Une autre fracture majeure est sociale et, compte tenu de l'importance mondiale de la transmission hétérosexuelle, l'avenir de la pandémie lui est en partie liée. Il s'agit de la fracture entre hommes et femmes. Sous toutes les latitudes, plus de justice sociale pour les femmes est un élément déterminant pour que celles-ci puissent exiger et appliquer les mesures de prévention. En Afrique subsaharienne, où 76% des jeunes de 15 à 20 ans affectés sont de sexe féminin, le contrôle des épidémies à VIH passe obligatoirement par la réduction de cette fracture.


Références bliographiques

NB. La sitographie proposée en 2005 a été retirée en août 2024.

  • Amat-Roze Jeanne-Marie - L'infection à VIH/sida en Afrique, propos géographiques - dans Tragédies africaines, Hérodote, n°111, 4e trimestre 2003
  • Salem G. - Atlas de la santé en France - John Abbey - 2000
  • Vigneron E. - Santé et territoires - La Documentation française, coll. La Documentation photographique, n° 8015 - 2000

 

Jeanne-Marie Amat-Roze, professeure des Universités,

Université Paris XII - Val de Marne,

pour Géoconfluences le 13 mai 2005

Pour citer cet article :  

Jeanne-Marie Amat-Roze, « Archive. L’infection à VIH/sida, image de la fracture Nord-Sud ? », Géoconfluences, mai 2005.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/Risque/RisqueScient2.htm