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Risques et sociétés

La gestion du risque sanitaire de l'amiante : une comparaison France / États-Unis

Publié le 31/10/2005
Auteur(s) : Sylviane Tabarly, professeure agrégée de géographie, responsable éditoriale de Géoconfluences de 2002 à 2012 - Dgesco et École normale supérieure de Lyon

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Les maladies consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante sont à l'origine d'une grave crise sanitaire. Elle aurait pu être évitée en large partie si des mesures de précaution avaient été prises à temps. Bien d'autres victimes sont à dénombrer en Europe, ailleurs dans le monde, aux États-Unis par exemple. Une étude parallèle des situations en France et aux États-Unis peut faire apparaître les différences dans les temporalités de gestion de la crise, dans l'établissement des responsabilités et dans les politiques de réparations à l'égard des victimes.

 

Données initiales

Ses propriétés intéressantes (isolation sonore et thermique, incombustibilité, etc.) ont fait de l'amiante, dès la fin du XIXe siècle, un matériau utilisé par de nombreux corps de métier : bâtiment, industrie de l'automobile, construction navale, etc.. C'est un matériau par ailleurs peu coûteux car on le trouve en abondance sur terre. Il existe deux grandes familles d'amiante utilisées dans l'industrie : la chrysotile et le groupe des amphiboles (essentiellement crocidolite et amosite), toutes deux cancérogènes.

Le risque de contracter un cancer lié à l'amiante dépend des dimensions des fibres et de la dose inhalée. Des expositions au chrysotile ou aux amphiboles peuvent induire des fibroses pulmonaires (asbestoses), des plaques et des tumeurs pleurales, des pleurésies, des cancers du poumon ou de la plèvre. Le cancer de la plèvre (mésothéliome) peut apparaître dès l'exposition à de faibles doses d'amphiboles. Le mésothéliome reste un cancer assez rare qui se traduit par une tumeur atteignant la membrane de la plèvre, ou plus rarement le péritoine (membrane protectrice des intestins dans la cavité abdominale) ou le péricarde (membrane qui entoure le cœur). Ce cancer est LA maladie de l'amiante, car plus de 90% des cas sont liés à l'inhalation de ces fibres, le tabac ne jouant aucun rôle dans sa survenue.

 

Spatialités des maladies liées à l'exposition aux fibres d'amiante


Compte tenu de la latence pour que ces maladies se manifestent (bien souvent autour de 15 à 30 ans et davantage mais, en fait, c'est variable selon les types de pathologie), les Déclarations de maladie professionnelle (DMP) ne sont pas toujours localisées sur les lieux de l'exposition initiale. Et bien souvent, les entreprises responsables ont disparu.

En France, dès la fin du XIXe siècle, les industries de textile de Basse-Normandie, subissant de plein fouet la crise du coton, se sont reconverties dans le travail des fibres d'amiante. Dans d'autres régions, telles que l'Auvergne, les usines de transformation de l'amiante se sont multipliées fabriquant des tôles en amiante-ciment pour les toitures, des plaques d'amiante aggloméré destinées à couvrir les plafonds, etc. Au total, plus de 3 000 références de productions commercialisées contenant de l'amiante seront dénombrées sur l'ensemble du territoire français. À la fin des années 1960, on trouve de l'amiante partout. Mais les victimes contaminées (travailleurs, mais aussi, dans une moindre mesure, leurs familles, les usagers) ne deviendront malades que longtemps après l'exposition initiale. Les exemples abondent : à Caen, l'usine de tissage d'amiante Ferodo à Condé-sur-Noireau ; à Valenciennes, l'usine Eternit de Thiant, à Dunkerque, les sociétés Normel et Sollac, les chantiers navals civils ou militaires (les DCN), etc. (cf., sur le site du Sénat, quelques sociétés concernées par les décisions judiciaires : www.senat.fr/rap/r04-301/r04-30132.html)

Par ailleurs, la France a été, pendant quelques années, un petit producteur d'amiante avec des mines en Corse et dans la vallée de la Maurienne. Les dernières mines ont été fermées dans les années 1980. Des gisements non exploités existent dans les Alpes (Savoie et Hautes-Alpes), les Pyrénées (Ariège et Haute-Garonne), le Massif Central (Haute-Loire et Haute-Vienne), en Corse et en Loire-Atlantique. À ces gisements naturels s'ajoutent des foyers de concentration artificiels résultant des enfouissements ou des mises en décharge à proximité des lieux d'exploitation industrielle de l'amiante.

Notons que les données sur les seuls "mésothéliomes et autres tumeurs pleurales" sous-estiment la réalité de l'impact des maladies dues à l'exposition à l'amiante car elles ne tiennent pas compte des autres types de pathologie (autres types de cancers du poumon ou de la plèvre) considérés comme moins spécifiques.

(cliquer sur les images pour les agrandir)

L'indice comparatif de mortalité (ICM) est le rapport du nombre de décès observé au nombre de décès qui serait obtenu si les taux de mortalité par sexe et âge étaient identiques aux taux nationaux. 1999 est l'année centrale de la période triennale utilisée pour le calcul.
Sources : INSERM CépiDc, INSEE, www.fnors.org/score/mot.asp?
provenance=libre&mot=cancer+de+la+pl%E8vre#

Pour télécharger graphiques et données (format .xls)

Les maladies résultant de l'exposition à l'amiante s'inscrivent dans les tableaux 30 des maladies professionnelles. Le total, de 1985 à 1995, des cas de maladies professionnelles indemnisées pour la première fois au titre des tableaux 30, toutes maladies confondues, montre de grandes disparités régionales. Si l'on ne retient que le total des cas de mésothéliomes, très typiques (tableau ci-contre), on observe de grandes disparités : 170 cas pour Paris, environ 80 cas pour Rouen et Nantes, autour de 60 cas pour Marseille, Lyon et Lille. Et, en rapportant ces chiffres bruts à la population des régions correspondantes (recensement de 1990), le total des cas de mésothéliomes et autres tumeurs pleurales est de 25 cas par millions d'habitants à Rouen, 26 cas à Nantes, 16 cas à Paris, 14 cas à Marseille, 4 cas à Clermont-Ferrand et 1 cas à Montpellier.

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces disparités. Il y a bien sûr, et avant tout, la nature des activités industrielles installées dans ces régions : la région normande a une tradition lointaine de transformation de l'amiante sans compter la présence du port du Havre avec ses importations d'amiante, ses raffineries et leurs calorifugeages à l'amiante ; la région de Nantes a, depuis longtemps, une activité de construction et de réparation navales, tout comme la région de Marseille (PACA) qui possède en plus les anciennes mines de Corse ; on recense dans la région Ile-de-France plusieurs industries de transformation de l'amiante (liées, entre autre, à l'industrie automobile) auxquelles s'ajoutent les activités de flocage des immeubles de grande hauteur (IGH), des parkings souterrains et autres immeubles à ossature métallique, activités exposant également dans ces mêmes bâtiments les travailleurs du second œuvre dans le bâtiment, les salariés des services de maintenance, d'entretien ou d'installations de type cablage.

On peut aussi penser à des disparités régionales dans la reconnaissance des maladies professionnelles, ne serait-ce que pour des raisons de difficultés de constitution du dossier par la victime ou ses ayant droits, ou à la moindre facilité géographique d'accéder aux consultations spécialisées. Il faut savoir que le mode de gestion administrative de la déclaration de maladie ne permet pas, au cours de l'instruction du dossier, de modifier le diagnostic porté sur le certificat initial. C'est ainsi qu'une fibrose déclarée restera "statistiquement" une fibrose même si un cancer apparaît et est reconnu secondairement à sa déclaration.

Aujourd'hui, les travailleurs concernés sont avant tout ceux qui traitent l'amiante en place (déflocage et décalorifugeage). Les risques engendrés par certaines interventions sur ces matériaux sont parfois méconnus ou sous-estimés. Mais aussi les travailleurs ayant des activités qui les exposent souvent même sans qu'ils le sachent : les m2 floqués à l'amiante se comptent par dizaines de milliers et les calorifugeages par kilomètres. Les matériaux contenant de l'amiante sont encore nombreux en situation d'utilisation quotidienne : cloisons, clapets ou portes coupe-feu, dalles de faux-plafonds, tuyaux et plaques en amiante-ciment, dalles de sol, garnitures de friction. Source : Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) - Affections professionnelles liées à l'amiante - Situation en France - Documents pour le médecin du travail n° 78 - 2e trimestre 1999

Sur le site du Sénat : "Parmi les 2 195 décisions rendues par les tribunaux en matière de contentieux de l'indemnisation des maladies de l'amiante entre le 10 avril 1999 et le 2 février 2004 pour un total de 77 M €, 12 sociétés représentaient plus de 55 M €. Quatre étaient des entités publiques au moment de l'exposition : Direction des constructions navales (DCN) ; Ministère de la défense ; EDF ; SNCF. Le montant de leurs condamnations s'élève à 8 M €."

Quelques sociétés concernées par les décisions judiciaires :
www.senat.fr/rap/r04-301/r04-30132.html

Aux États-Unis,environ 43 000 personnes sont décédées des suites de l'exposition aux poussières d'amiante entre 1979 et 2001 aux États-Unis. La carte par points ci-dessous à droite est basée sur les certificats de décès du gouvernement fédéral qui représentent moins de 20% du total de la mortalité due à l'amiante sur cette période. Elle n'inclut pas, par exemple, les décès par cancer de poumon qui lui sont imputables mais qui sont confondus à d'autres facteurs. Ces derniers cas seraient estimés à 5 000 ou 10 000 par an.

La carte sous-estime également les décès par mésothéliome, car ils n'ont été enregistrés en tant que tels par le gouvernement fédéral qu'à partir de 1999. Leur comptabilisation a provoqué un doublement de la mortalité passée de 935 en 1998 à 2343 en 1999.

Cas de mésothéliome, de cancer du poumon et d'asbestose d'après les données des avocats représentant les personnes affectées.

Source : www.ewg.org/reports/asbestos/maps/victim_data.php

Mortalité cumulée de 1979 à 2001 selon les données sur les décès du Gouvernement fédéral

Source :www.ewg.org/reports/asbestos/maps/government_data.php

Source : L'Environmental Working Group (EWG), organisation fondée en 1993 qui a des objectifs d'information et d'expertise dans les domaines de la santé et de l'environnement. Elle peut aussi jouer des rôles de proposition, de conseil et exercer des pressions (lobbying) auprès des décideurs. Comme souvent aux États-Unis, elle est soutenue financièrement par diverses fondations.
www.ewg.org/reports/asbestos/maps   et www.ewg.org/reports/asbestos/facts/index.php

Note, rappel : Le mésothéliome (cancer de la plèvre) et l'asbestose (fibrose pulmonaire) sont typiques des conséquences pathogènes de l'exposition à l'amiante. Ce n'est pas le cas du cancer du poumon dont les causes environnementales sont diverses.

Temporalités du risque et de sa gestion

Il faut en moyenne 20 à 40 ans pour que se déclare un cancer du poumon ou un cancer de la plèvre (mésothéliome) dû à l'inhalation de poussières d'amiante. Ces cancers surviennent donc longtemps après le début de l'exposition. Au début du XXIe siècle, on observe donc les cancers provoqués par des inhalations datant des décennies 1950-1970.

Globalement, on considère que l'incidence du mésothéliome dans les pays industrialisés augmente de 5 à 10% par an depuis les années 50.

En France, l'amiante est responsable de nombreuses maladies professionnelles (tableau 30 des maladies professionnelles) et de 2 500 à 3 000 décès par an. Outre le coût humain que cela représente, et alors qu'elles ne sont pas toutes déclarées, les maladies professionnelles dues à l'amiante représentent aujourd'hui une part importante des coût financiers de l'ensemble des maladies professionnelles. Les auteurs du rapport de l'Inserm de 1996 (voir chronologie ci-dessous) estimaient que 2 000 décès étaient, chaque année, imputables à l'amiante en France et ils constataient que l'incidence du mésothéliome était en constante augmentation, de 25% environ tous les trois ans. On peut y ajouter les 1 000 à 2 000 cas d'asbestoses et les 4 000 cas de plaques pleurales par an.

Selon le British Journal of Cancer, 250 000 européens pourraient mourir des suites de l'exposition à l'amiante. Le coût à la charge des assureurs et réassureurs approcherait les 100 à 120 milliards d'euros. Face à ce désastre sanitaire et social, comment, et surtout, pourquoi la forte probabilité du risque pour la santé des travailleurs et des consommateurs a-t-elle été sous-estimée et a-t-elle fait l'objet, pendant tant d'années, d'une dissimulation par les acteurs qui avaient la charge d'être des informateurs ? Cette dissimulation, sans doute facilitée par la longue période de latence entre l'exposition et le développement de la maladie, a des causes multiples : puissance des lobbys industriels concernés ; menaces sur l'emploi ; absence d'une politique de santé publique cohérente ; absence de leviers puissants dans la société civile.

Les différentes temporalités dans la prise en compte des risques consécutifs à l'exposition à l'amiante. Chronologie comparée

  • 1880 - Début de l'exploitation des mines d'amiante au Canada, en Afrique du Sud et en Russie.
  • 1898 - L'inspection générale du travail en Grande-Bretagne avait inclus l'amiante parmi les quatre poussières les plus dangereuses.
  • 1899 - 1900 - Premières publications (Grande-Bretagne et États-Unis) établissant le lien entre la fibrose pulmonaire (asbestose) et l'exposition à l'amiante.
  • 1906 - En France, description des risques pour les ouvriers des filatures et tissages d'amiante. Un inspecteur du travail de Caen constatant, dans une usine, le décès d'une cinquantaine d'ouvriers rédige un rapport resté dans l'ombre jusqu'aux années 1990.
  • 1910 - Aux États-Unis, les compagnies d'assurance refusaient d'assurer les travailleurs de l'amiante.
  • 1927 - Découverte du lien entre amiante et fibrose pulmonaire, baptisée asbestose.
  • 1930 - Une revue médicale britannique présente les premières descriptions cliniques des effets de l'amiante et recommande des mesures de prévention.
  • 1931 - Première réglementation en Grande-Bretagne qui reconnaît le droit à indemnisation pour les victimes d'une exposition professionnelle à l'amiante et se dote d'une loi régissant les conditions d'emploi de l'amiante, loi qui fera l'objet d'un premier ajustement dès 1969.
  • 1935 - Description des premiers cas de cancers du poumon associés à une asbestose (Wood et Gloyne) Découverte par deux britanniques, Klemperer et Rabin, du mésothéliome ou cancer de la plèvre lié à l'amiante.
  • 1945 - L'asbestose est reconnue maladie professionnelle en France
  • 1960 - Les premiers cas de mésothéliome rapportés à l'amiante sont rapportés par Wagner, en Afrique du Sud, dans une région productrice de crocidolite. Certains cas concernent des patients qui n'avaient jamais travaillé dans les mines, mais vivaient à proximité.
  • 1965 - Premier diagnostic de mésothéliome en France.
  • 1971 - Des mesures réglementaires de protection des populations, contraignantes pour les industriels, sont adoptées en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
  • 1973 - Première victoire et indemnisation d'une victime de l'amiante (Clarence Borel, ouvrier texan travaillant dans l'isolation) aux États-Unis. Début d'une longue suite de procès outre-atlantique.
  • 1975 - Premier scandale de l'amiante en France : les chercheurs de la faculté de Jussieu à Paris découvrent que leur établissement est isolé à l'amiante et ils dénoncent aussi la situation dans les usines de transformation.
  • 1976 - L'amiante est classé comme cancérogène certain par le Centre International de Recherche sur le Cancer de Lyon.
  • 1977 - Le Professeur Jean Bignon écrit (le 5 avril) à Raymond Barre, alors Premier ministre, pour l'alerter sur les risques sanitaires liés à l'exposition à l'amiante.
  • 1977 - En France, le flocage d'amiante est interdit dans les bâtiments publics et chez les particuliers. Le décret n° 77-949 du 17 août 1977 apporte la première protection aux travailleurs exposés à des poussières d'amiante. La concentration moyenne en fibres d'amiante de l'atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne devait pas alors dépasser 2 f/ml (fibres/millilitre), soit une norme dix fois supérieure à celle d'une réglementation britannique de 1969. Mise en place de valeurs limites d'exposition (VLE) et d'un suivi médical pour les travailleurs exposés.
  • 1980 - Les industriels français concernés par l'usage de l'amiante créent le Comité permanent amiante (CPA) destiné à mener des actions de communication et de lobbying pour s'opposer aux contraintes législatives et réglementaires. De leur côté, les délégués des syndicats représentés au CPA (sauf FO) défendront longtemps l'usage de l'amiante au nom de la préservation de l'emploi.
  • 1982 - Aux États-Unis, la firme américaine Johns-Manville, leader américain de la production d'amiante, se place sous la protection de l'article 11 de la loi sur les faillites (Bankruptcy Code), plutôt que de répondre aux nombreux procès qui lui sont intentés. Au cours des 20 années suivantes, plus de 70 autres compagnies connaîtront des sorts comparables.
  • 1994 - En France, la mort de six enseignants du lycée de Gérardmer relance les inquiétudes et la polémique. Création du Comité anti-amiante de Jussieu.
  • 1994 - Le Congrès des États-Unis adapte la loi sur les faillites pour permettre à des entreprises poursuivies dans le cadre des affaires liées à l'amiante de faire face aux indemnités réclamées.
  • 1995 - En France, en septembre, début de la révélation, par les médias du scandale de l'amiante, dissolution du CPA.
  • 1996 - Un décret oblige les propriétaires de bâtiments à réaliser un diagnostic sur la présence de l'amiante. En juillet, publication d'un rapport alarmiste de l'Inserm quant aux conséquences de l'exposition à l'amiante. Création de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA). Cinq malades de l'ANDEVA se portent partie civile et portent plainte contre X.
  • 1997 - Interdiction de toute fabrication, importation ou commercialisation de l'amiante en France et série de décrets et législations relatives à la protection des travailleurs et des populations.
  • La chambre sociale de la cour d'appel de Dijon condamne la société Eternit pour "faute inexcusable", à la suite d'une plainte d'un de ses employés. C'est la première des centaines de condamnations d'entreprises.
  • 2001 - Création du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA). Premier procès contre Saint-Gobain aux États-Unis.
  • 2004 - Un arrêt du conseil d'État confirme la faute de l'État dans l'affaire de l'amiante.
  • 2005 - À l'Assemblée nationale, une majorité des députés renonce à la création d'une commission d'enquête sur "les conséquences sanitaires, sociales et économiques de l'exposition professionnelle à l'amiante". Une simple mission d'information sera conduite.

 

L'établissement des responsabilités et les réparations

D'un type de société à un autre, la chronologie comparée proposée ci-dessus révèle les différences de comportement des différents acteurs (États, entreprises, victimes, société civile, ...) impliqués dans les risques associés à l'amiante. On peut ainsi proposer une comparaison entre les approches française et américaine (législations, réglementations, actions), et faire apparaître leurs évolutions respectives.

Aux États-Unis, des centaines de milliers de personnes ont engagé des plaintes collectives (class actions) pour obtenir des indemnisations. Plusieurs groupes concernés ont dû placer leurs filiales les plus exposées sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites pour ne pas être contraintes de fermer. D'autres, parfois étrangères mais dont les activités s'exerçaient sur le territoires des États-Unis, ont eu à verser d'importantes indemnités, parmi lesquelles : le constructeur d'équipements électriques helvético-suédois ABB, le groupe français Saint-Gobain, Halliburton dans les services parapétroliers par exemple.

En France, les pouvoirs publics, comme les entreprises, connaissaient la réalité des risques de l'amiante pour la santé bien avant d'avoir pris les mesures proportionnées, il ne s'agissait donc pas de fautes "involontaires". Aussi des plaintes au pénal ont été déposées par les victimes et par l'Andeva mais n'ont pas abouti. Ainsi, quatre victimes adhérentes de l'Association régionale des victimes des l'amiante du Nord-Pas-de-Calais (ARDEVA) ont porté plainte devant la justice pénale en 1997. Une instruction a été ouverte mais a abouti à une ordonnance de non-lieu en 2003, confirmée par la cour d'appel de Douai en 2004. Le juge a estimé que la loi du 10 juillet 2000 définissant les délits non intentionnels (dite loi Fauchon), empêche de reconnaître la responsabilité des personnes poursuivies.

Le 3 mars 2004, le Conseil d'État a reconnu la responsabilité des pouvoirs publics relevant que, le pouvoir cancérigène des poussières d'amiante étant connu depuis les années 1950, les autorités françaises n'avaient entrepris, avant 1977, "aucune recherche afin d'évaluer les risques pesant sur les travailleurs exposés à l'amiante, ni pris des mesures aptes à éliminer les dangers d'une telle expostion". Il considère que la "carence de l'État à prendre les mesures de prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante a constitué une faute, et cette faute engage [sa] responsabilité."

Selon la Cour des comptes, l'indemnisation cumulée des conséquences de l'utilisation de l'amiante s'élevait, en 2004, à 1,4 milliard d'euros soit 14% des dépenses de la branche accidents du travail des maladies professionnelles. Sur près de 15 000 demandes déposées, 6 240 victimes, ou leurs ayants droits, ont été indemnisées.

Action de groupe, action collective en France et aux États-Unis : vers une convergence ?

L'action de groupe ou class action aux États-Unis

Historique

L'action de groupe ou class action à l'américaine a été lancée dans les années 1960, sous la pression des mouvements de consommateurs et de Ralph Nader. Elle concernait essentiellement, à l'origine, la consommation : vices cachés, préjudices corporels liés à des défauts de conception, responsabilité des produits. Peu à peu, tout est devenu objet potentiel de contestation et le dispositif s'est élargi à d'autres problèmes tels que ceux de la santé : les maladies collectives graves, comme celles dues à l'amiante par exemple.

Principe

Il s'agit de permettre aux consommateurs d'obtenir réparation après avoir saisi de façon groupée et simplifiée la justice.

Fonctionnement

  • Toute personne peut engager une procédure au nom d'une collectivité, sans l'accord explicite de ses membres. Des actionnaires, des salariés ou des malades, par exemple, peuvent intenter une class action.
  • Des cabinets d'avocats américains se sont spécialisés dans les actions collectives. Ils n'hésitent pas à démarcher les consommateurs, les salariés ou les actionnaires, à faire pression pour monter leur dossier d'accusation.
  • Chaque membre du groupe dont l'intérêt est porté devant la justice, et qui se fait connaître dans un certain délai, peut profiter de la réparation fixée par le juge ("opt in"). Les victimes peuvent aussi choisir de refuser de bénéficier du résultat de l'action collective ("opt out") pour engager individuellement un procès.
  • La procédure est financée par les avocats demandeurs, qui peuvent démarcher leurs futurs clients par tous les moyens publicitaires et se rémunèrent sur les indemnités obtenues.
  • Les dossiers de class action sont jugés par des jurys populaires.
  • De fait, 90% des class actions débouchent sur une transaction entre les parties. Des assurances spécifiques ont été créées pour protéger les entreprises.

 

Les problèmes

  • Un système juridique menacé de thrombose à cause de la multiplication des procédures. Participer à une class action est d'autant plus tentant que la procédure est sans risque et sans coût pour les plaignants. Les avocats se rémunèrent sur les dommages et intérêts accordés par les tribunaux (en moyenne 40% des indemnités).
  • Les jurys populaires peuvent se montrer parfois très sensibles aux dommages corporels ou psychologiques et n'hésitent pas à accorder des indemnités importantes.
  • Les entreprises crient au chantage et au risque de sclérose, toute innovation devenant un risque juridique potentiel.

 

La réforme du système

Il s'est agi de corriger les dérives d'un système où les avocats cherchent leurs victimes par voie de presse ou racolent les malades à la sortie des hôpitaux ! Le coût total du contentieux de la responsabilité délictuelle aux États-Unis a dépassé les 200 milliards d'USD en 2002, et devrait approcher les 300 milliards en 2005 (2,3% du PIB), soit le double de ce qu'il atteint dans les autres pays développés. Sur ce montant, un tiers passe en honoraires d'avocats.

  • Le Class action Fairness Act, adopté, après six ans de débats, le jeudi 10 février 2005 par le Sénat des États-Unis, est venu réformer ce système de plus en plus contesté.
  • Un seul plaignant pouvait introduire un recours devant un tribunal local au nom d'une catégorie de personnes, quel que soit leur lieu de résidence : désormais, une class action devra être menée devant un tribunal fédéral – et non plus local – si les plaignants résident dans plusieurs États.
  • Chaque fois que les dommages réclamés dépasseront 5 millions de dollars, le litige devra être porté au niveau fédéral.
Le projet de procédure d'action collective en France

Historique, situation

En France, l'action collective instaurée par la loi Royer de 1973 autorise les associations de consommateurs agréées à se constituer partie civile. Les indemnisations reçues reviennent à l'association qui a eu qualité à agir. L'action en représentation conjointe, créée par la loi du 18 janvier 1992 et très peu appliquée, permet aux associations d'agir au nom de plusieurs personnes pour réclamer réparation d'un préjudice individuel. L'association se substitue au plaignant dont elle a le mandat, dans le cadre d'une procédure classique.

De fait, le recours aux tribunaux est limité en France, grâce notamment à la Sécurité sociale qui reconnaît les maladies professionnelles et qui, au nom de la collectivité, prend en charge des soins liés à un préjudice causé par un tiers. Dans les cas complexes, l'État peut créer des fonds spéciaux, comme le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA).

Mais les entreprises responsables de dommages aux personnes ou aux biens sont souvent impunies et toutes les réformes du droit des quinze dernières années tendent à diluer la responsabilité des acteurs et à en reporter le poids vers la collectivité.

L'interprétation de la loi de juillet 2000 sur les délits non intentionnels (dite loi Fauchon) peut entraîner l'immunité pénale des responsables et des décideurs. Cette loi a pour but de protéger les auteurs indirects de blessure ou d'homicide involontaire en empêchant toute poursuite à leur encontre, sauf s'ils ont "violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement" ou s'ils "ont commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'ils ne pouvaient ignorer."

Un projet de loi

  • Confirmé à l'occasion des vœux présidentiels de janvier 2005, un projet de loi doit être proposé pour instaurer une procédure d'action collective devant la justice.
  • La version française des class actions, inspirée de celle du Québec, obligerait les consommateurs à obtenir le visa d'un juge – seul habilité à dire si leur demande est recevable –, avant d'entamer une procédure collective. Les procédures, seraient jugées par des magistrats.
  • Ces procédures collectives ne pourraient être utilisées par les actionnaires minoritaires, les malades, les salariés. Elles ne concerneraient que les associations de consommateurs et permettraient surtout le regroupement des petits plaignants, dont le préjudice est trop modeste pour qu'ils supportent seuls les frais d'une procédure judiciaire.
  • Poussant les entreprises à plus de vertu, la procédure permettrait en même temps de rationnaliser l'utilisation des moyens de la justice : au lieu d'être disséminées dans de nombreuses juridictions, les plaintes seraient regroupées dans un seul tribunal, qui estimerait, une fois pour toutes, le préjudice des victimes.
  • Les avocats n'auraient pas le droit d'engager des poursuites sans mandat d'un client, ni de démarcher d'éventuels plaignants. Il seraient rémunérés exclusivement par un pourcentage pris sur les dommages et intérêts accordés par le juge et non sur la base du résultat des indemnités obtenues.

 

Réactions et positions autour du projet

  • La réforme est réclamée de longue date par les associations de consommateurs qui se réjouissent de cette initiative. Dix-huit associations nationales sont agréées, ce qui les autorise à intervenir en justice pour défendre les intérêts collectifs des consommateurs. D'origine diverse (Clcv, Ufc-Que choisir, Csf, Familles de France, Familles rurales, Afoc, Asséco-Cfdt, etc) elles militent activement en faveur de la future loi.
  • Les chefs d'entreprise français sont, pour la plupart, défavorables à la class action. Le Medef appréhende ce qui, à ses yeux, pourrait inciter au harcèlement juridique et il y voit un outil de chantage. Il est attaché à la collectivisation de la prise en charge des risques par l'État et ne souhaite pas voir allourdir la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Annexe : la production mondiale d'amiante

Six pays représentent plus de 90% de la production mondiale d'amiante.

Le seul pays producteur de l'Union européenne est la Grèce (60 000 t) (Hellenic Mineral Mining Co ; mine de Zidani près de Kozani en Thessalie, dans le massif de l'Olympe).

Les États-Unis, la République Sud-africaine ont considérablement réduit la production d'amiante sur leurs propres territoires.

La Chine reste un gros producteur d'amiante.

Sources :

Sources et ressources en ligne

Europe, France
États-Unis et Canada

 

Conception et mise en page web : Sylviane Tabarly

 


Mise à jour partielle:   31-10-2005

 

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Pour citer cet article :  

Sylviane Tabarly, « La gestion du risque sanitaire de l'amiante : une comparaison France / États-Unis », Géoconfluences, octobre 2005.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/Risque/RisqueViv.htm