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Risques et sociétés

Les risques, le risque : quels objets enseigner ?

Publié le 20/09/2010
Auteur(s) : Jean-Louis Carnat, agrégé de géographie - académie de Lyon

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Le risque est, dans ses dimensions collectives et sociales, une manière de se penser et d'agir. Il a été longtemps vécu avec fatalisme face à des phénomènes catastrophiques (phénomènes naturels, grandes épidémies) dont les mécanismes échappaient à la connaissance et au contrôle des hommes.

Des catastrophes de toute nature (naturelle, technologique, sociétale et géopolitique) continuent à rythmer la vie des sociétés contemporaines, mais avec des effets différenciés, selon la connaissance et la maîtrise que les hommes en ont, selon leur représentation du danger qui ne prend souvent corps qu'au moment où survient l'événement. Ainsi, le tsunami du 26 décembre 2004 rappelle qu'un événement destructeur peut toucher en quelques heures les littoraux à l'échelle d'un bassin océanique tout entier. De la même façon, la diffusion planétaire, en 25 ans, de l'infection à VIH/sida rend envisageable l'apparition de nouvelles pandémies.

Mais la représentation rationnelle du risque n'est pas toujours assurée. Le principe de fatalité ou de punition divine est encore présent dans de nombreux groupes et sociétés. Les sociétés les plus développées au plan technologique n'échappent d'ailleurs pas à des "grandes peurs" parfois fondées sur une surévaluation d'un risque réel (encéphalopathie spongiforme bovine /ESB ou "vache folle", grippe H1N1, etc.) ou potentiel (bug informatique de l'an 2000). La mémoire collective du risque s'efface en revanche très vite (cf. celle des inondations en France). Enfin, le risque n'est bien souvent perçu qu'à travers son caractère massif ou concentré : ainsi, bien qu'elle provoque quelque 500 000 décès par an dans le monde, la circulation automobile n'est pas réellement perçue comme un risque collectif majeur.

Le mode de lecture du risque couvre à la fois les relations "verticales" sociétés/nature (risque dits naturels), et les relations "horizontales" internes aux sociétés, ou inter sociétés (risque technologique, risque social, risque géopolitique). Les typologies qui se donnent pour projet de classer les risques cherchent à rendre compte de ce très large spectre en répondant à des logiques diverses. S'il est tentant de distinguer risques "naturels" et risques "anthropiques", ces catégories sont loin d'être étanches. Par exemple, si l'homme n'est pas directement responsable de l'existence de maladies virales telles que le VIH/sida ou le SRAS, il en est l'agent de diffusion (voyages) et de transmission (comportements "à risques"). Dans le même ordre d'esprit un risque, même clairement identifié, ne peut être isolé d'autres menaces : les risques, au moment où ils se concrétisent dans une situation de crise, d'accident ou de catastrophe, entrent fréquemment en interaction (effet dominos).

Plus que dans l'existence de l'aléa,  c'est dans la capacité à gérer le risque que se fonde une différenciation planétaire. Si on admet, conformément à la définition qu'en donne l'Onu, que le développement humain est "l'élargissement des possibilités de choix offertes aux individus, parmi lesquelles la capacité à vivre longtemps et à préserver sa santé, à recevoir une éducation et à bénéficier de conditions décentes, ainsi que la liberté, la garantie des droits fondamentaux", tout ce qui menace de porter atteinte à ces conditions est un risque potentiel, et tout ce qui vise à les préserver constitue une gestion du risque. On peut, sur ce plan, opposer schématiquement les sociétés qui, à des degrés divers, gèrent le risque (connaissance de l'aléa, prévention, protection, éducation, anticipation) à celles qui, pour de nombreuses raisons (pauvreté, culture, mal gouvernance) en sont réduites à gérer, quand elles le peuvent, la catastrophe après qu'elle se soit produite. Cette distinction se traduit aussi par des différences dans l'ampleur de l'atteinte aux biens et aux personnes : nombre des victimes, importance de la valeur des biens détruits (dimension assurantielle de la gestion du risque).

L'extension des champs du risque est immense, depuis le risque naturel "classique" jusqu'au risque biologique, à l'insécurité urbaine, aux conflits, au terrorisme et aux nouvelles formes de piraterie maritime, au risque économique, etc. D'une certaine manière, tout ce qui a trait aux sociétés peut être analysé sous l'angle du risque et l'analyse géographique ne peut avoir l'ambition, à elle seule, d'épuiser ce sujet ;   les  sciences de la terre étudiant les dynamiques de la lithosphère, de l'hydrosphère, et de l'atmosphère en proposent des approches modélisées et une nouvelle science consacrée au risque, la cyndinique,  tente de se constituer. En tout état de cause c'est l'approche multifactorielle et pluridisciplinaire qui est la plus apte à cerner la question du  risque dans sa globalité.

Comment  enseigner et travailler de manière géographique sur les risques ? La prise en compte de la dimension risque peut être présente dans toute étude géographique, qu'elle traite d'espaces faiblement ou fortement anthropisés ; toutefois le risque apparaît comme angle d'étude explicite à différents niveaux de l'enseignement scolaire :

  • en classe de cinquième il figure dans un programme placé sous l'intitulé général "Humanité et développement durable" et constitue un thème d'étude possible, au choix,  du point II "des sociétés inégalement développées" dans un thème ; l'angle d'attaque est  celui "des inégalités face aux risques" ;
  • en lycée professionnel le risque est présent aussi bien dans les programmes de CAP (point 3. du programme) qu'en seconde BacPro (point 4. ) avec le même intitulé : "Les sociétés face aux risques" ;
  • en classe de seconde du lycée d'enseignement général "Les espaces exposés aux risques majeurs" constitue l'une des questions au choix proposées pour traiter le thème "Gérer les espaces terrestres" ;
  • Ces intitulés de programmes définissent quelques principes d'étude géographique de la question du  risque.

 

Une nécessaire spatialisation et territorialisation est clairement exprimée dans le nouvel énoncé du programme de seconde. Il ne s'agit plus d'étudier "les sociétés face au risque" comme dans l'intitulé précédent, mais de choisir une étude de cas permettant d'appréhender "Les espaces exposés au risque majeur". La démarche d'étude de cas également présente en classe de cinquième invite de la même manière à étudier dans leur cadre spatial deux  catastrophes naturelles choisies l'une dans un pays développé, l'autre  dans un pays pauvre.

Une analyse en terme de différenciation spatiale s'impose également. Un même aléa peut produire des effets économiques et humains extrêmement différents selon le  niveau de développement des sociétés qui y sont exposées. Cette différenciation est justement un des moyens de cerner les inégalités de développement humain qui sont au cœur du programme de cinquième, ainsi que la capacité d'une société à gérer son territoire (programme de seconde).

Mise en perspective temporelle, dimensions civiques et comportementales sont aussi des composantes de l'étude du (des) risque(s). La capacité d'une société à gérer le risque (connaissance et de celui-ci, prévention, capacité à en supporter les effets et à s'en relever, résilience) suppose à la fois de conserver la mémoire de  ses manifestations antérieures et aussi d'anticiper de possibles résurgences de celui-ci. Cette capacité à se projeter dans l'avenir afin  de se prémunir du risque et de se préparer aux manifestations de celui-ci est une dimension du développement durable  désormais placé au cœur des programmes de géographie. Un des enjeux du travail conduit avec les élèves sur le risque est aussi de les amener à comprendre que le risque n'est pas qu'exotique, et qu'il ne menace pas seulement des espaces lointains et des sociétés pauvres (cf. le séisme en  Haïti en janvier 2010), mais qu'il peut tout aussi bien concerner leur propre espace de vie  (cf. la submersion de la côte atlantique en Vendée et en Charente lors de la tempête Xynthia le 27 février 2010).

Le programme d'éducation civique de la classe de cinquième, en liaison directe avec le programme de géographie de cette même classe, offre deux opportunités de travail autour de la question du risque.

Le thème IV "Au choix : une action solidaire"  qui prévoit que "les élèves découvrent ce qu'est une action collective à finalité de solidarité, par une étude de cas ou par la mise en oeuvre d'un projet, par exemple dans le cadre du développement durable" peut judicieusement prendre la forme d'une action d'aide aux victimes, lointaines ou plus proches,  d'une catastrophe.

Le thème III porte lui directement sur "la sécurité et les risques majeurs" ; il  indique que "La notion de risque majeur est étudiée en liaison avec le programme de géographie" et vise, outre "la connaissance des acteurs de la sécurité sur le territoire national", l'acquisition de comportements individuels et collectifs adaptés. ; "Dans le cadre du collège, l'élève est initié aux règles essentielles de sécurité, en fonction des risques liés à sa localisation" ;   "La sécurité collective requiert la participation de chacun".

Afin d'aider les professeurs dans la mise en œuvre de ces questions, le site Eduscol propose des fiches ressources sur le thème du risque  en lien avec le programme de géographie

 

Jean-Louis Carnat, IA-IPR d'histoire et géographie,

pour Géoconfluences, le 20/09/2010

Pour citer cet article :  

Jean-Louis Carnat, « Les risques, le risque : quels objets enseigner ? », Géoconfluences, septembre 2010.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/Risque/popup/JLC-Risques.htm