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Les entreprises du voyage et du tourisme confrontées à la gestion des crises et des risques

Publié le 04/02/2011
Auteur(s) : Sylviane Tabarly, professeure agrégée de géographie, responsable éditoriale de Géoconfluences de 2002 à 2012 - Dgesco et École normale supérieure de Lyon

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En dehors des crises de nature strictement économiques (situations de récession, désaffection brutale pour une destination) dont il ne sera pas question ici, les autres crises, de nature diverse, géopolitiques et sociopolitiques, sanitaires, environnementales ... qui se succèdent dans le monde peuvent avoir des impacts conséquents sur l'activité touristique. Le tourisme n'est pas en soi une activité à risques et peu de crises ont pour origine l'activité touristique en elle-même. Mais les destinations et les activités touristiques sont vulnérables, elles sont réactives à toute perturbation de leur système et de leur cadre de fonctionnement. Elles sont particulièrement vulnérables aux risques et aux situations de crises liés aux transports : crash aérien, naufrage, accident de transport routier, ou tout simplement événements environnementaux, climatiques ou autres (cendres volcaniques du volcan islandais Eyjafjöll en avril 2010). Elles sont par ailleurs sensibles aux environnements géopolitiques et sociopolitiques dont les impacts sur leurs conditions d'exercice sont forts. Or, les lieux touristiques peuvent être des cibles privilégiées pour ceux qui espèrent un large retentissement mondial en visant des symboles de la richesse et de la puissance dans des environnements et des territoires parfois pauvres et déshérités.

L'étude de ces différentes situations peut être, dans un contexte d'enseignement, l'occasion de recherches documentaires (différents médias), de sensibilisation à certaines situations géopolitiques dans le monde, de rencontre et de dialogue avec des professionnels impliqués.

La gestion des crises constitue donc un savoir-faire stratégique nécessaire pour les entreprises et les autres organisations engagées dans le secteur du voyage et du tourisme. Elles se trouvent confrontées à la nécessaire maîtrise des territoires, des déplacements, dans des délais très courts et avec des contraintes fortes. Dans le cadre de leurs forfaits, les professionnels s'engagent par contrat à la bonne exécution du voyage de leurs clients (en France, loi du 13 juillet 1992, ordonnance du 20 décembre 2004 dans le Code du tourisme) et, en règle générale les touristes n'aiment guère, même lorsqu'ils revendiquent une part d'aventure, les imprévus, les aléas. Si chaque crise est sans doute unique, il y a cependant des anticipations nécessaires, des procédures à appliquer, des savoirs à diffuser. La gestion de crise ne se limite pas à la gestion "pendant" mais aussi à son anticipation, à sa prévention et, ensuite, à la gestion de ses conséquences et de ses enseignements. Ces derniers peuvent être bénéfiques et peuvent conduire à l'adoption de mesures positives pour l'organisation.

 

Les crises peuvent être classées selon leur degré de prévisibilité. Certaines peuvent sembler relativement imprévisibles, dans le temps du moins : les épidémies (grippe H1N1 en 2009-2010, épidémie du Syndrome respiratoire aigu sévère / SRAS en 2002 - 2003 par exemple), les événements liés aux aléas naturels, séismes et tsunamis (Asie du Sud-Est en décembre 2004, Izmit en Turquie en 1999), événements climatiques paroxystiques sur des destinations touristiques (cyclones sur les Caraïbes). Au demeurant, certains de ces risques peuvent être prévenus, anticipés, car les espaces vulnérables sont dans l'ensemble connus.

Les crises liées au terrorisme et à la violence politique sont en large partie prévisibles dans leur possibilité (sauf dans des situations extrêmes comme celle du 11 septembre 2001 aux États-Unis), moins prévisibles quant aux lieux précis où elles se produiront. Elles sont liées à des régions d'instabilité géopolitique ou d'activisme extrémiste : attentats en Égypte (Louxor en 1997, Charm el-Cheikh en 2005, Dahab en 2006), au Maghreb (Djerba en Tunisie en 2002, Casablanca au Maroc en 2003), en Indonésie (Bali en 2002 et en 2005, hôtels JW Marriott et Ritz-Carlton à Jakarta en 2009), en Inde (attentats multisites à Bombay en novembre 2008, certains très touristiques, gare centrale Chhatrapati Shivaji Terminus, hôtels Oberoi Trident  et Taj Mahal, restaurant Léopold Café, etc.) ; enlèvements et assassinats en zone sahélienne ; zones de piraterie maritime qui peut viser les navires de croisière (corne de l'Afrique et océan Indien nord-occidental, Caraïbes, mer de Chine du Sud, mer de la Sonde, golfe du Bengale). À l'extrême, des pays, voire des régions entières deviennent, de fait, interdits aux voyagistes : actuellement, en 2011, une très large partie de la zone saharo-sahélienne est dans ce cas (voir documents infra) ainsi que des pays comme l'Irak, l'Afghanistan, divers pays d'Afrique sub-saharienne par exemple.

Des phases de troubles politiques plus généralisés peuvent perturber, voire interdire, l'activité touristique sur des périodes plus ou moins durables. Il en est ainsi pour la phase ouverte par la "Révolution de la dignité et de la liberté" (ou "Révolution de jasmin" selon une dénomination souvent utilisée par les journalistes) en décembre 2010 en Tunisie et son extension possible dans un arc allant du Maghreb à la Jordanie et au Liban. Des crises sociopolitiques plus sporadiques peuvent perturber le fonctionnement de l'activité touristique (grèves des transports par exemple) ou perturber pour un temps le fonctionnement de l'État et de ses infrastructures (Bangkok et la Thaïlande en 2008, la Tunisie en 2011) obligeant les voyagistes à trouver des solutions (annulations, hébergements d'urgence, rapatriements) sur des délais très courts. Des destinations peuvent voir alors leur image se détériorer de manière plus ou moins durable du fait, entre autre, d'un climat social jugé délétère.

Certaines situations de risques individuels pour les touristes sont permanentes, latentes, dans des pays comme l'Afrique du Sud, une large partie de ceux d'Amérique latine (Mexique, Brésil par exemple) et doivent être gérées par les professionnels qui, là encore, peuvent devoir faire face à des situations délicates sur le plan humain, même si elles sont plus circonscrites.

Sûreté et sécurité des voyageurs et des touristes dans le monde : une évaluation de la situation, par pays, en 2009

Une carte réalisée d'après l'Indice de compétitivité du voyage et du tourisme (Travel and Tourism Competitiveness Index, TTCI), item "sûreté et sécurité" (safety and security). Cet item prend en compte les activités terroristes, les activités criminelles et la violence, la fiabilité des services de police, les accidents de la route. Notons que, d'une année sur l'autre, les situations peuvent changer rapidement

Voir, en rubrique savoir faire : Évaluer et comparer l'activité touristique et Utiliser des modules de cartographie interactive

 

La prévisibilité et la prévention des crises peuvent être guidées par un certain nombre de signaux d'alerte, à commencer par la désaffection progressive des touristes pour des destinations à risque. Des alertes et des mises en garde proviennent également de différents organismes étatiques : par leurs systèmes de veille, ambassades, consulats, ministères des Affaires étrangères ont des capacités d'alerte.

L'image d'une destination peut se dégrader facilement si les gouvernements déconseillent les voyages ou mettent en garde contre les menaces possibles. Ainsi, en France, afin de prévenir les risques, les tour-opérateurs suivent avec la plus grande attention les fiches ''conseils aux voyageurs'' diffusées par le Quai d'Orsay (ministère des Affaires étrangères), qui déconseillent certains pays ou certaines zones, au gré des situations politiques et sociales locales, des risques d'attentats ou d'enlèvements, des risques sanitaires. Des dispositifs comparables existent dans tous les pays de tourisme émetteur.

Conseils aux voyageurs : "dernière minute", du 3 au 14 janvier 2011, une sélection

La sélection proposée ici permet d'établir une typologie des sources de crise et de risques. Elle peut être l'occasion d'explorer, avec des élèves, la situation géopolitique du monde contemporain. En pop-up, la sélection complète

Tunisie, 14 janvier 2011

Des mouvements sociaux se déroulent depuis la fin du mois de décembre 2010 en Tunisie. Compte tenu de la situation instable qui prévaut actuellement dans le pays, il est vivement conseillé de différer tout voyage qui n'aurait pas un caractère d'urgence. Il convient en tout état de cause d'adopter la plus grande réserve et d'éviter de se mêler à toute forme de rassemblement. Un couvre-feu a été instauré sur l'ensemble du territoire de 18h00 à 5h00. (...)

Mali, 13 janvier 2011

L'enlèvement le 16 septembre 2010 de cinq de nos compatriotes à Arlit (Niger), l'attentat contre l'ambassade de France à Bamako (Mali) le 5 janvier 2011 et la mort le 8 janvier 2011 de deux de nos compatriotes, enlevés à Niamey (Niger) le 7 janvier, témoignent du niveau particulièrement élevé de la menace terroriste au Sahel. Les autorités françaises rappellent qu'elles déconseillent formellement tout déplacement dans les zones signalées en rouge (carte ci-dessous). Ces zones sont situées au nord d'une ligne Gogui - Nioro - Nara - Nampala - Lere - Niafunke - Fleuve Niger jusqu'à la frontière avec le Niger, y compris les villes de Tombouctou, Gao et Ouatagouna (ces villes étant incluses dans la zone rouge).

Dans ces conditions, il est formellement déconseillé de circuler entre le Mali et l'Algérie par la route.

  • Il est instamment demandé aux Français qui se trouveraient en ce moment dans ces zones, qu'ils y soient résidents ou de passage, de prendre contact avec l'Ambassade afin de les quitter au plus vite. Leur attention est notamment appelée sur les nombreux festivals qui se tiennent au Nord Mali, tels que ceux de Tessalit, Bourem, Tin Aouker et Anderamboukane, près de la frontière nigérienne, manifestations qu'il convient d'éviter absolument.
  • Zone orange (déconseillée sauf raisons impératives) : il est déconseillé, sauf motif impérieux, notamment d'ordre professionnel, et après avoir informé l'Ambassade de France à Bamako (admin-etrangers.bamako-fslt@diplomatie.gouv.fr), de se rendre dans la zone située au sud de la ligne Gogui - Nioro - Nara - Nampala - Lere - Niafunke - Fleuve Niger (cf. la carte).
  • Il conviendra en tout état de cause de se déplacer en convoi et de veiller à ce que les autorités locales (gouverneurs de région et préfets de cercle) en soient informées.

En pop-up, les autres situations sur la période analysée : Chili, Australie, Niger, Mauritanie, Venezuela, Algérie, Bolivie, Ouganda, Egypte, Soudan

Ressources :

 

  • L'Union européenne, dans le cadre de son récent Service européen pour l'action extérieure (SEAE), développe une agence de renseignement, le Centre de situation conjoint de l'Union européenne (SitCen, selon l'acronyme anglais généralement utilisé) qui est un produit de la Politique européenne de sécurité et de défense lancée en 1999. Ce centre a d'abord démarré comme plate-forme d'échanges d'informations sensibles entre plusieurs pays de l'UE (la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne notamment) puis il a renforcé ses activités en matière d'analyse dans le domaine du terrorisme après les attentats aux États-Unis de septembre 2001.

 

  • De leur côté les États-Unis, ou le Canada, parmi d'autres, mettent à disposition des fiches générales d'information sur les pays du monde entier,
  • Conseils aux voyageurs et avertissements du ministère des Affaires étrangères canadien :www.voyage.gc.ca/countries_pays/menu-fra.asp
  • The World Factbook de la CIA (les "transnational issues" attirant l'attention sur les problèmes majeurs, conflits frontaliers, trafic de drogue, enlèvements, etc., des pays analysés : www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook
  • Foreign policy, à l'origine fondé en 1970 par Samuel Huntington et Warren Demian Manshel, est publié aujourd'hui par le Groupe Slate. Il propose une analyse de la situation géopolitique mondiale et calcule un indice de la situation des États selon différents critères :www.foreignpolicy.com/.../failed_states_index_interactive_map_and_rankings

 

Ainsi, ces différents regards, parfois décalés, peuvent utilement se compléter.

 

Une crise a d'autant plus d'impact sur l'image d'une destination et sur sa fréquentation touristique que cette destination est un produit banal et donc transférable. Ainsi, après les attentats en Égypte en 1997, 2005, 2006, la fréquentation touristique a fortement chuté puis est repartie. La sécurisation des sites engagés par le pouvoir égyptien, qui s'est appuyé sur le dispositif d'état d'urgence (une législation d'exception très sévère, entrée en vigueur en 1981 après l'assassinat du président Anouar el Sadate par un commando islamiste, prorogée sans discontinuité sous l'autorité du président Moubarak), a joué un grand rôle mais aussi, l'offre culturelle égyptienne unique au monde qui rend cette destination incontournable. À l'inverse, des destinations balnéaires plus traditionnelles et "hors-sol" auront sans doute beaucoup plus de difficultés à faire revenir leur clientèle touristique après une crise majeure, car elle peut se reporter plus facilement sur d'autres destinations jugées plus sûres. De ce point de vue, il sera instructif d'observer l'impact à court ou plus long terme des événements en Tunisie et en Égypte au début de l'année 2011.

Un tour-opérateur dans la crise : L'exemple de Point-Afrique

www.point-afrique.com

www.afrik.com/article20837.html

La lettre de Point-Afrique, novembre 2010, extraits :

"Depuis mi-septembre et jusqu'à ce jour, j'ai consacré toute mon énergie à décrypter et à mesurer la "dangerosité" de la zone saharo-sahélienne. Je me suis rendu successivement au Niger, en Mauritanie et au Mali. De mes longs entretiens avec les chefs d'États, leurs États-majors, avec mes amis responsables de la société civile et militaire, je prétends pouvoir affirmer que j'ai aujourd'hui une idée assez précise de la situation. (...) Nos échanges relèvent du secret d'État et n'ont pas leur place ici, mais ils m'ont permis de mieux cerner les enjeux tant politiques qu'économiques et de mieux discerner ce qui relève du terrorisme pur et dur du simple banditisme. J'ai bien entendu consulté nos guides, nos chameliers ainsi que les populations locales pour avoir leur point de vue et mieux étayer mon appréciation et surtout et avant tout garder toute mon objectivité. Point-Afrique a définitivement – bien qu'à contre cœur – décidé pour cette saison de ne pas proposer le sud algérien, le nord du Mali ainsi que le nord du Niger. Le risque de prise d'otages y est réel, n'en déplaise à certains passionnés de ces magnifiques régions. (...)
La désertion des organismes humanitaires et du tourisme plonge les populations locales dans un dénuement inacceptable… or le tourisme leur permettait de vivre et de rester debout dans la dignité… Par contre le Point-Afrique a choisi de rester présent sur Atar en Mauritanie et sur Mopti au Mali, réduisant ainsi des trois quarts ses activités. Ce choix douloureux est indispensable dans les conditions actuelles.

Maurice Freund, www.point-afrique.com/newsletters/nl040/Newsletter040.html

"La priorité fondamentale est de ne pas disparaître de ces zones aujourd'hui privées de toute source de revenu. Si AQMI reste le seul opérateur sur le terrain et que la présence de l'occident est assurée uniquement par les forces militaires, l'avenir sera sombre.

Point-Afrique tient à poursuivre son action en direction des populations. Forts de notre connaissance approfondie des lieux, des hommes et des réseaux en place qui bénéficient de toute notre confiance, nous mettrons en place des actions telles que la prise en charge scolaire des enfants, des formations à l'agro-écologie avec le concours de notre ami Pierre Rabhi, l'amplification du système des microcrédits, etc.

Pour financer cette activité, nous serons contraints de faire appel aux dons privés. En un mot, Point-Afrique se transformera momentanément en "organisme humanitaire"."

Maurice Freund, invité du JT de TV5 Monde le 15 janvier 2011, www.point-afrique.com

Voir aussi, parmi de nombreuses autres sources évoquant la situation :

 

 

La spatialisation des situations de crise est de configuration variée. La crise peut avoir lieu dans la destination touristique elle-même, tsunami ou, moins grave pour la vie des hommes, "marée noire" touchant durablement tout un littoral (destruction de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon et ses conséquences dans le golfe du Mexique en 2010, naufrages du Prestige en 2002 et de l'Erika en 2000 touchant le littoral français et espagnol), attentats déjà mentionnés, etc. La destination est alors au cœur de la crise et elle doit assumer l'essentiel de sa gestion. La crise peut aussi provenir des marchés émetteurs de la destination : blocage, pour une raison ou une autre, des moyens de transport par exemple.

Certaines crises sont multidirectionnelles : les conséquences des attentats du 11 septembre 2001 ont été ressenties sur l'ensemble de l'activité touristique mondiale et ils ont eu des impacts durables en rendant plus contraignantes les conditions de voyages (contrôles aux frontières, contrôles de sécurité). D'autres crises sont des crises de voisinage : la crise sur un territoire rend suspect le territoire voisin, par exemple l'ensemble du Sahel est actuellement concerné par les enlèvements et les assassinats localisés dans une partie du Niger, du Mali et de Mauritanie ; l'insécurité localisée dans un ou quelques quartiers d'une ville touristique peut ternir l'image de la ville dans son entier.

Dans une logique de gestion de crise, les agences peuvent s'appuyer sur un Plan de continuité des activités (PCA) lorsqu'elles en sont dotées, dont l'objectif est de répondre à tout type de scénario catastrophe (terrorisme, épidémie de grippe H1N1, etc.), en définissant l'ensemble des moyens nécessaires à la réparation et à la reprise des activités. Mais de tels PCA sont encore peu diffusés dans le secteur du tourisme.

Gestion de crise : les acteurs s'organisent

Salaün Holidays*, tour-opérateur, fait face aux conséquences du nuage de cendres du volcan islandais Eyjafjöll en avril 2010

Depuis vendredi, une intense activité règne au siège de Salaün Holidays, à Pont-de-Buis (29). Les salariés du tour-opérateur breton ont 800 personnes à rapatrier vers la France, la plupart en bus. La direction promet d'y arriver avant ce soir.

"Ça y est. Mes rapatriements de Malaga, c'est bouclé". Cette jeune conseillère commerciale de chez Salaün raccroche son téléphone avec satisfaction. Dans les heures à venir, son coup de fil débouchera sur une prise en charge de 250 personnes qui étaient bloquées en Andalousie. Ils seront rapatriés par cars. Autour d'elle, une dizaine de collègues n'arrête pas une minute. "Depuis vendredi, on est en situation de gestion de crise", explique Stéphane Le Pennec, directeur du voyagiste breton, qui fait travailler 750 personnes à travers le monde. "On a 800 personnes à rapatrier. Nos conseillers sont revenus sur le site spontanément ce week-end. Ils savaient que la situation serait tendue".

Pour résoudre les problèmes des vols moyens courriers, SalaünHolidays a mis à contribution une partie de sa flotte d'autocars. On l'a vu avec Malaga, où six cars sont attendus. Même cas de figure pour les clients qui se trouvaient en Grèce. Ils ont pris le ferry jusqu'à Ancône, dans le sud de l'Italie, puis ils ont été rapatriés par la route. La gestion des longs courriers reste plus délicate. "Ça se fait presque au cas par cas. On réussit à acheminer pas mal de clients vers les aéroports français ouverts. Comme Lyon ou Marseille. Ensuite on les conduit jusqu'à leur ville de départ".

Chez Salaün, on assure que pas une seule personne n'a été abandonnée à son triste sort dans un hall d'aéroport. "Nos clients ont vite été pris en charge par nos référents internationaux. Ils sont logés à l'hôtel et prennent leur repas au restaurant". Au Vietnam, un des collaborateurs du voyagiste breton a même loué des véhicules pour une excursion. Après les retours, la direction se penchera sur le problème des départs qui ont été annulés. (…)

Didier Déniel - "Salaün Holidays s'active pour rapatrier ses 800 clients", Le Télégramme, 20 avril 2010, www.letelegramme.com/ig/generales/fait-du-jour/salaun-holidays-s-active-pour-rapatrier/..

* Le groupe Salaün, voyagiste breton installé à Pont-en-Buis (Finistère) emploie 850 salariés dans 29 sociétés spécialisées dans les voyages et 119 agences en propre. Une des originalités du groupe est la pratique du préacheminement de ses 170 000 clients (donnée 2011) entre leur domicile et l'aéroport de départ grâce à un parc de 300 autocars qui lui ont été bien utiles, à l'échelle européenne, pour rapatrier ses clients bloqués par la crise.

Les autorités publiques et la gestion de crise.
Le Centre de crise (CDC) français et la Thaïlande, fin 2008

 

En France, un Centre de Crise (CDC), créé en 2008 est rattaché directement au ministre des Affaires étrangères. Il est compétent pour l'ensemble des questions relatives à la sécurité des ressortissants français à l'étranger : veille, anticipation, alerte et gestion des crises se déroulant à l'étranger et nécessitant une réaction ; compétence à l'égard de la sécurité des Français établis ou de passage à l'étranger (décès, disparitions inquiétantes, prises en otage). Ainsi, par exemple, alors que les deux aéroports internationaux de Bangkok étaient totalement bloqués par des manifestants anti-gouvernementaux lors de la crise politique en Thaïlande de la fin d'année 2008, jusqu'à 100 000 touristes étrangers, dont près de 10 000 français, se sont trouvés dans l'incapacité de rentrer dans leur pays. Confronté parallèlement à la gestion de la crise en Inde (attentats de Bombay du 26 novembre), le CDC était en alerte. Pendant la dizaine de jours qu'a duré la crise il a fallu informer et rassurer le public (un numéro d'appel dédié) et trouver des solutions alternatives de retour pour les français bloqués, en liaison avec les tour-opérateurs et les compagnies aériennes et d'assistance. Le 2 décembre, un gros porteur affrété par le CDC était envoyé à Bangkok pour rapatrier des ressortissants français. Ce vol spécial a permis le retour de 486 personnes, dont des personnes âgées, des urgences médicales et des enfants en bas âge.

 

La chaîne des informations est une question particulièrement sensible. Une enquête auprès des offices de tourisme étrangers en France montre que beaucoup possèdent une cellule de crise, en général rattachée directement au ministère du Tourisme ou à son équivalent. Les autres sont rattachées aux offices nationaux du tourisme de la destination considérée. Les gestionnaires d'une destination doivent être en lien avec les ministères des Affaires étrangères des gouvernements des pays émetteurs de clientèles. Les ministères du Tourisme et les organismes spécialisés dans le secteur ont l'habitude de travailler avec les professionnels réceptifs de la destination (hôteliers, agences réceptives, transporteurs…) et de les tenir informés en priorité. Un écueil à éviter serait d'informer les acteurs extérieurs à la destination sans impliquer suffisamment les acteurs locaux. Pendant la crise, il peut y avoir nécessité de transporter et d'héberger les touristes dans une zone plus sûre, rapidement et gratuitement.

Parmi les acteurs de la situation de crise : l'assistance et l'assurance

L'assistance touristique d'urgence est un service qui couvre, en particulier, le transport et les soins médicaux, ainsi que les problèmes liés aux différences culturelles (réglementations entre autre) et linguistiques. Ses entreprises sont en première ligne dans les situations de crise, quelles qu'en soient l'ampleur et l'échelle : accidents limités à quelques victimes ou catastrophes de grande ampleur. Ainsi, en janvier 2010, lorsqu'un bus transportant des touristes chinois s'est renversé sur une autoroute près du Barrage Hoover aux États-Unis, faisant sept morts et dix blessés, International SOS a travaillé avec le Gouvernement chinois pour affréter des vols afin de ramener les victimes chez elles.

Les tarifications de l'assurance sont un indicateur que prennent en compte leurs clients, agences de voyages et voyagistes, voire autorités gouvernementales contractantes. L'attitude des compagnies d'assurance vis-à-vis de la destination est fondamentale, incitant ou au contraire décourageant les entreprises du tourisme à son égard.

Sources et ressources

 

 

La communication de crise exige transparence, crédibilité, interactivité, proximité, empathie. Le gel des publicités pendant la phase aiguë de la crise est souvent la règle pour éviter une exposition inutile de la marque de destination. En termes de communication des erreurs sont à éviter : sous estimer la gravité de la situation, ne pas s'apercevoir de l'entrée dans la crise et la laisser s'installer au lieu de la désamorcer très vite (les informations tardives sèment le doute, la "bunkerisation" enkyste souvent la crise) ; faire des déclarations d'intention et ne pas montrer les mesures adoptées  ; pratiquer le "no comment" et la langue de bois, multiplier les démentis systématiques et les déclarations rassurantes de façade, mettre en cause ceux qui informent.

À l'inverse il faut : décrypter les signaux d'alerte ; manifester un comportement solidaire avec les populations, les acteurs locaux ; coordonner les acteurs (numéro vert, SMS, nouveau site Internet, etc.) ; devancer les questions, les interrogations en explicitant les faits ; jouer la transparence en valorisant les informations positives. Une communication par la preuve en se rendant sur les lieux (tour-opérateurs, journalistes) et en communiquant vers les medias, les élus et les victimes, s'impose en général. Ainsi, le ministère du Tourisme turc, lors du tremblement de terre d'Izmit en 1999, avait su convier des groupes de tour-opérateurs et des agences de voyages d'une part, des journalistes d'autre part, pour leur montrer que les sites d'intérêt touristique n'étaient pas touchés.

L'Internet et les récentes applications de la téléphonie mobile (smartphone, GPS, etc.) deviennent des outils centraux lors d'une crise. Des voyagistes ont utilisé un site de crise se superposant sous forme de pop-up au site corporate destiné aux acteurs du tourisme local, aux investisseurs, aux clients et aux médias. Ce sont aussi des facteurs d'accélération des crises et de compression des temps de décision et d'action. Certaines entreprises des voyages et du tourisme développent des outils de suivi (tracking) de leurs clients pour pouvoir les localiser et, ainsi, assurer leur sécurité ou tout simplement leur porter assistance. Par exemple, Avexia, membre du groupe American Express, en partenariat avec Sécurité sans Frontières, met à disposition du voyageur et de son responsable des outils précis d'analyse territoriale, cartographiée et restituée par niveaux d'alertes thématiques pour mesurer les risques encourus. Pendant son déplacement, l'entreprise et le voyageur sont avertis automatiquement et en temps réel par e-mail, des urgences sécuritaires liées à la situation politique et socio-économique ou à des événements sanitaires et des aléas naturels, afin de réagir et d'accompagner au mieux les voyageurs impliqués dans des situations complexes. Dans le secteur du voyage professionnel, International SOS établit une cartographie en temps réel du personnel en déplacement, accessible via Internet et qui constitue un outil de centralisation des données en cas de crise : localisation immédiate des voyageurs, dates et lieux de destination, numéros de vol, coordonnées de l'hôtel, numéros de téléphone mobile etc. (AFTM).

 

Si la crise est un défi, bien gérée elle peut être aussi un tournant, une opportunité pour améliorer une image, un produit, pour mieux se positionner ou se repositionner sur une destination. Quand une destination n'est pas préparée, elle subit la crise et pare au plus pressé, sa marge de manœuvre est alors faible car les mesures dans l'urgence sont rarement heureuses. Quant elles anticipent bien, les organisations touristiques en charge des destinations sont appelées à communiquer pour souder les énergies autour d'elles, à se constituer un partenariat actif permanent et à se préoccuper de l'état de leurs prestations, de leur image. Une crise bien gérée peut être bénéfique, elle peut renforcer la visibilité et la crédibilité d'une destination, face à une situation d'urgence, sécuriser les clientèles et renforcer les liens avec les divers publics de la destination. Certaines destinations qui ont pris conscience de leur vulnérabilité ont su diversifier leur offre. Ainsi de l'Indonésie dont l'activité touristique, après avoir beaucoup souffert des effets cumulés des attentats de Bali (2002, 2005) et des catastrophes naturelles qui ont frappé l'archipel, voit les touristes revenir en grand nombre grâce, notamment au tourisme asiatique, surtout chinois (de 50 000 visiteurs en 2006 à 204 000 en 2009) mais aussi indien, etc. (Le Monde, 17 juillet 2010).

En conclusion, la gestion de la crise frappant une destination touristique est donc nécessairement une gestion globale qui implique de nombreux acteurs, les entreprises concernées en première ligne mais aussi les acteurs externes que sont les autorités publiques, les transporteurs, les assureurs par exemple.

 

Sources et ressources

 

Synthèse documentaire, conception : Sylviane Tabarly,

pour Géoconfluences, le 4 février 2011

 

Mise à jour :  04-02-2011

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Pour citer cet article :  

Sylviane Tabarly, « Les entreprises du voyage et du tourisme confrontées à la gestion des crises et des risques », Géoconfluences, février 2011.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/tourisme/TourViv.htm