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Territoires européens : régions, États, Union

Archive. Une nouvelle architecture territoriale pour les États d’Europe centrale et orientale

Publié le 30/11/2005
Auteur(s) : Lydia Coudroy de Lille, professeure de géographie - Université Lumière Lyon 2, CNRS, EVS
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NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.

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L'Union Européenne a accueilli, au 1er mai 2004, dix nouveaux États membres, dont huit appartiennent à l'Europe post-socialiste. Cette terminologie, pas encore désuète, nous rappelle que la date de 1990 n'a pas remis les compteurs à zéro, et que ces pays entreront dans l'Europe avec un certain nombre de marques héritées de la parenthèse historique du socialisme, malgré une décennie consacrée à la restructuration globale des systèmes économiques, sociaux et politiques.

L'analyse géographique des modalités de cette "transition" vise à explorer les dimensions spatiales de ces processus de restructuration. Pour ce qui est de la restructuration politique, l'abandon du système socialiste revient à remplacer des logiques centralisatrices d'exercice du pouvoir par un système de relations plus complexe, dans une architecture territoriale totalement revisitée. Les réformes territoriales mises en œuvre partout correspondent en effet à un double objectif :

  • mettre en place des cadres territoriaux pour l'exercice de la démocratie, et au service d'une administration réformée,
  • préparer les collectivités locales ainsi constituées à recevoir les fonds structurels européens.

La commune, socle de la décentralisation

Un des premiers actes politiques forts des États post-socialistes fut la restauration du principe d'autonomie locale, dès 1990. Cette mesure répondait à une exigence de démocratisation : en même temps que les mécanisme du multipartisme étaient restaurés, on redonna à l'échelon local, la commune, son autonomie politique (par des élections libres au suffrage universel), budgétaire et patrimoniale (transfert d'une partie du patrimoine de l'État vers les municipalités). La commune est donc appelée à être le terreau dans lequel s'enracinera la démocratie retrouvée : les "conseils du peuple" deviennent de véritables collectivités locales. Parfois, le principe d'autonomie locale fut enrichi d'une loi sur l'autodétermination municipale, qui ouvrit la voie à une tendance à l'émiettement communal par l'augmentation du nombre de communes (Hongrie, République Tchèque, Slovaquie). La pratique de l'intercommunalité s'avère alors un rempart possible contre la désintégration du territoire (encadré ci-dessous). Ailleurs, le maillage communal est resté stable (Roumanie, Bulgarie, Pologne).

La fragmentation communale en République Tchèque

La République Tchèque a choisi la voie de la fragmentation communale dans la refonte du territoire opérée dans les années 1990. La taille moyenne des communes actuelles est en effet des plus basses : 17 km², 1 700 habitants ; 80% des communes ont moins de 1 000 habitants. Cette tendance est un renversement par rapport à une phase de contraction du maillage communal entamée en 1950, au nom de la rationalisation du territoire. De 11 459 communes en 1950 on était passé à un total de 4 120 en 1989, au détriment surtout des villages qui avaient dû fusionner, et contre les vœux de la population. Dans les années 1990, ces mêmes villages ont repris leur autonomie communale, si bien que 60% des 6 246 communes ont aujourd'hui moins de 500 habitants. Mais ces petites collectivités territoriales expérimentent parallèlement la coopération intercommunale, sur des champs divers (tourisme, environnement, transports, etc.).

Source : d'après ILLNER M., 2002, Multilevel Government in Three East Central European Candidate Countries and its Reforms after 1989, EUI Working Papers, European University Institute

Les élections locales à cette échelle, qui ont eu lieu déjà 4 fois dans certains pays, montrent une érosion de la participation, reflet à la fois des grands espoirs qu'on avait fondés dans cet échelon et des déceptions que les édiles locaux ont pu susciter.

L'échelon régional, au cœur de la stratégie d'intégration européenne

Dans un deuxième temps, on s'est attaqué au chantier plus complexe de la réforme au niveau régional.

Cet objectif était présent dès 1990 dans les politiques de démocratisation. Mais il fallait d'abord défaire l'existant, réformer des maillages régionaux issus de la période précédente : ils avaient été plusieurs fois remodelés depuis 1945, et exprimaient une logique de gestion centralisée des territoires. Les contours étaient artificiels par rapport aux structures du peuplement, à l'histoire, à la géographie, et le nombre élevé d'unités reflétait le souci de quadriller le territoire dans une logique de contrôle politique et social.

En outre, le redécoupage régional coïncide avec une injonction externe, celle de l'Union Européenne. Le lancement des programmes de pré-adhésion, puis des politiques structurelles après 2004 (ou 2007 pour la Bulgarie et la Roumanie) nécessite la création de collectivités régionales chargées à la fois d'initier des politiques de développement régional, et de gérer les aides financières européennes. Ces nouvelles régions correspondent donc au niveau NUTS 2 du maillage européen.

Leur mise en place fut longue, et parfois l'objet de débats politiques houleux. À moins en effet d'opter pour un découpage technocratique insipide (voir encadré ci-dessous), le choix de telle ou telle limite impose de réfléchir sur les identités régionales, l'usage des régions historiques, les armatures urbaines, etc.. sans parler de considérations purement électoralistes qui au final ont pu prendre le dessus.

L'État roumain se méfie toujours des identités régionales

"La Roumanie, État jeune issu de l'union de provinces dotées d'une forte personnalité historique et géographique (Moldavie, Valachie, Transylvanie) n'a eu de cesse, lors d'incessants redécoupages régionaux au long du XXe siècle, de dissoudre ces identités dans des maillages qui les ignoraient totalement. De plus, entre 1968 et 1997, le niveau régional fut purement et simplement écarté du fonctionnement de l'État roumain. Ce n'est que sous la pression de l'Union européenne qu'ont été créées 8 "régions de développement", pour la distribution des aides régionales dans l'étape préparatoire à l'intégration. Dotées de noms impersonnels (du type "Nord-Est"), leur découpage ignore délibérément les limites des provinces historiques et géographiques (Transylvanie, Valachie, etc..) dont elles semblent perpétuer la négation, alors même que celles-ci structurent toujours certaines dynamiques de l'espace roumain (circulation, migrations régionales, etc)."

Source : d'après GROZA O., & MUNTELE I., Le maillage sans territoire – la région de développement en Roumanie, Colloque Refonder les territoires, ENS de Lyon, janvier 2003

Les collectivités territoriales contre les États ?

Les nouvelles régions n'ont pas pour l'heure conquis une assise politique, opérationnelle et identitaire stabilisée. Elles souffrent d'un certain nombre de faiblesses, et cherchent encore leur place à côté des États.

Le rôle central des régions consiste aujourd'hui à mettre en œuvre les stratégies de développement territorial financé par les fonds européens. Or, l'expérience montre qu'elles ont du mal à consommer les crédits disponibles, à la fois par manque d'expérience, mais aussi parce qu'elles sont entravées par la persistance de pratiques centralisatrices du côté des administrations gouvernementales. Un fréquent décalage existe ainsi entre l'étendue des compétences des régions et la réelle maîtrise financière dont elles disposent. Cette indigence opérationnelle rejaillit sur les faibles performances électorales aux scrutins régionaux, et par conséquent sur la capacité des collectivités régionales à fonder la démocratie "par le bas". Les électeurs montrent par leur forte abstention aux scrutins locaux une faible identification au territoire régional.

Par ailleurs, les nouveaux maillages évitent les configurations qui rappelleraient la territorialité de minorités ethniques, sauf en Pologne où la minorité allemande a obtenu de haute lutte une voïvodie en Silésie (voir encadré ci-dessous). La crainte que les identités régionales ne menacent l'intégrité de l'État et de la nation apparaît à travers les lois instituant les régions : par exemple, les régions polonaises doivent entretenir "le caractère national polonais".

Une réforme territoriale mouvementée en Pologne

La Pologne se singularise dans le déroulement de la réforme administrative de l'État par le caractère passionné que prit le débat. Ce qui commença comme un chantier technocratique d'experts envahit l'espace politique, des tribunes parlementaires jusqu'à la rue, voire aux églises (en Silésie, des messes ont été célébrées pour invoquer la création d'une région propre). Il faut dire que l'enjeu était plus complexe dans ce grand pays de 320 000 km². À la nécessaire refonte du découpage régional (émietté en 49 voïvodies) s'ajoutait la nécessité de recréer un niveau de gestion intermédiaire entre les régions et les communes : le powiat. En 1992, le gouvernement diffusa une proposition de découpage régional en 12 grandes voïvodies. La classe politique se divisa sur trois options à partir de cette proposition (selon des clivages plus territoriaux que partisans), puis la carte des nouveaux powiat souleva de nouvelles protestations dans les communes mécontentes de leur rattachement à une ville voisine plutôt qu'à une autre. Des collectifs en tous genres, relayés ou non par les partis politiques, ont exprimé leur position jusqu'à l'adoption de la nouvelle carte administrative en 1998, avec finalement 16 voïvodies. Il en ressort un activisme très affirmé de l'identité silésienne (qui a permis de faire apparaître une région propre là où la part de la minorité allemande est de 30%), et plus généralement des régions les plus urbanisées de l'ouest dans lesquelles les propositions gouvernementales ont le plus été affectées par les contestations locales.

Source : Lydia Coudroy de Lille, "Réforme territoriale et repositionnement des métropoles en Pologne" in Rey V. et Saint-Julien T., Identités et recompositions territoriales en Europe, à paraître à ENS-Editions, 2004

Photo : "Défends ta commune !", Varsovie, 2002

Une affiche de la campagne politique autour de la réorganisation administrative de la capitale. À Varsovie, comme ailleurs, les communes s'étaient habituées depuis 1990 à une large et nouvelle autonomie politique. Mais en 2002, elles ont été transformées en arrondissement et ont perdu leurs prérogatives. D'où le slogan : "Liquidation = désorganisation. Défends ta commune !"

La difficile émergence des régions peut être interprétée à la fois comme un héritage des traumatismes démographiques consécutif à la Guerre (exterminations, déplacements massifs de populations), et comme le résultat de 45 ans de centralisme démocratique. Mais il ne faut pas mésestimer le rôle d'héritages plus anciens : avant 1918, dans les empires qui alors se partageaient l'Europe centrale et orientale, la quête des identités nationales était prioritaire. Les États-nations sont jeunes : la méfiance de certains États aujourd'hui envers les régions renvoie donc au spectre de la perte de cohésion nationale.

La "gouvernance territoriale" en Europe : divergence ou convergence ?

On pourrait croire que les pays d'Europe centrale et orientale suivent un "modèle" de gestion des relations entre l'Union et les différents niveaux de gestion administrative ; or l'injonction européenne se limite au respect de quelques principes fondamentaux - la subsidiarité, la Charte de l'autonomie locale de 1985, et le respect du droit des minorités -, et à la mise au point d'un outil, le maillage NUTS, pour la distribution des fonds structurels. Le reste est du ressort des États respectifs, ce qu'a bien fait ressortir la décennie passée, puisque les dispositifs installés, à taille égale de population, montrent une grande divergence à la fois dans le nombre de niveaux choisis, et la taille des unités territoriales (voir encadré ci-dessous).

Du reste, comment pourrait-il en être autrement, alors que tout oppose par exemple la région autonome espagnole, très soucieuse de ses conquêtes face à l'État, à la région grecque, qui ne servent que de tiroirs-caisses pour les fonds structurels ?

L'Union à 25 sera tout aussi disparate de ce point de vue, les pays nouvellement entrants adaptant leur architecture territoriale à leur stratégie nationale.

Comment découper des petits pays ? Hongrie, Slovaquie, Bulgarie

À population comparable, trois États d'une dizaine de millions d'habitants chacun ont choisi des architectures très différents. La Bulgarie a conservé un maillage communal large, avec de grosses communes, et imposé par-dessus la trame régionale un découpage au niveau NUTS 2 en "régions de développement". Le centralisme s'est maintenu, sous d'autres formes. La Hongrie présente une voie moyenne : 7 "régions statistiques de planification" et plus de 3000 communes d'environ 3000 habitants. La République Tchèque s'en distingue non pas par le niveau régional (avec les 8 "régions programme"), qui est comparable au cas hongrois mais par l'émiettement communal prononcé.


Lydia Coudroy de Lille, Université de Lyon II, Géophile

Mise à jour :   30-11-2005

 
Pour citer cet article :  

Lydia Coudroy de Lille, « Archive. Une nouvelle architecture territoriale pour les États d’Europe centrale et orientale », Géoconfluences, novembre 2005.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Europe/EurScient.htm