Pratiques spatiales et quotidien en géographie
Les pratiques spatiales sont les gestes habituels, les trajets réguliers, et plus généralement l’ensemble des microdécisions opérées par les groupes et les individus dans l’espace. L’attention portée aux pratiques insiste sur les individus et sur les échelles les plus fines, ce en quoi elle se rattache à la microgéographie qui est une géographie des microterritoires. Elle se place dans la continuité de la réflexion des anthropologues ou des philosophes qui ont analysé la façon dont les individus composent avec les contraintes imposées par les grands systèmes (État, pouvoir, société, institutions, groupes sociaux…), parmi lesquels Pierre Clastes (1974), Michel Foucault (1974) et Michel de Certeau (1980). Ce dernier écrit : « Mais à ces appareils producteurs d’un espace disciplinaire [décrit par Foucault dans Surveiller et Punir], quelles pratiques de l’espace [c’est l’auteur qui souligne] correspondent, du côté où l’on joue (avec) la discipline ? Dans la conjoncture présente d’une contradiction entre le mode collectif de la gestion et le mode individuel d’une réappropriation, cette question n’en est pas moins essentielle, si l’on admet que les pratiques de l’espace trament en effet les conditions déterminantes de la vie sociale. » (p. 146).
L’étude des pratiques spatiales vise donc à comprendre par quels arrangements, quels accommodements, de Certeau écrirait quels « bricolages » ou « braconnages », les individus se forgent une existence spatiale, ou pour le dire autrement se ménagent un territoire, malgré les contraintes extérieures, ou en jouant avec ces contraintes. Cela revient à affirmer le quotidien comme temporalité légitime pour la compréhension des sociétés, et l’anecdotique comme un matériau digne d’être étudié. La déambulation piétonne et la collecte des traces imperceptibles sont des démarches possibles pour saisir cette temporalité : « l’acte de marcher est au système urbain ce que l’énonciation (speech act) est à la langue ou aux énoncés proférés » (ibid., p. 148).
Les recherches en géographie de la marginalité, l’étude des « spatialités de l’individu » (Lussault, 2007), ou de l’habiter, mais aussi la géographie du tourisme ou la géographie culturelle, relèvent au moins en partie de l’étude des pratiques spatiales.
>>> Voir aussi : pratiques touristiques
(JBB) février 2021. Dernière modification, juin 2022.
Références citées
- Pierre Clastres, La Société contre l’État, 1974
- Michel Foucault, Surveiller et Punir, 1975
- Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, 1. Arts de faire, 1980, réed. 1990 chez Folio essais.
- Lussault, Michel. L’Homme spatial, 2007.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Noé Parot, « Regard géographique. Paysages en chantiers de l’urbanisation dans le Sud global », Géoconfluences, mars 2024.
- Jean-Benoît Bouron et Nathalie Reveyaz, « Les aires urbaines en France en classe de troisième : que faire de cet objet géographique aujourd’hui ? », Géoconfluences, avril 2023.
- Sylvie Joublot Ferré, « De la chambre à l’établissement scolaire, pluralité des expériences spatiales adolescentes », Géoconfluences, mars 2022.
- Guilhem Labinal et Didier Mendibil, « Structures et proxémie dans la classe », Géoconfluences, octobre 2021.
- Jean Rieucau, « L’odonymie à l’épreuve de l’art urbain, esthétisation oppositionnelle, dans l’espace public, à la ville officielle », image à la une de Géoconfluences, janvier 2021.
- Natacha Gourland, « Du parkour aux parkour parks : des sports de rue devenus « indoor » à Paris et à Montréal », Géoconfluences, mai 2019.
- Octavie Paris, « Les cortiços à Salvador de Bahia, entrer dans un logement caractéristique des villes brésiliennes », Géoconfluences, mars 2018.