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Image à la une. L’odonymie à l’épreuve de l’art urbain, esthétisation oppositionnelle, dans l’espace public, à la ville officielle

Publié le 27/01/2021
Auteur(s) : Jean Rieucau, professeur émérite de géographie - Université Lyon 2.

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Pour se repérer en ville, tout le monde lit les noms des espaces publics (odonymie) : rues, avenues, passages, montées, impasses, places, etc., inscrits sur des plaques indicatrices murales. Autour de ces noms s’agglutinent les différents modes opératoires de l’art urbain (tag, lettrage, graffiti, pochoir, collage, autocollant, mosaïque, fresque, moulage, etc.), faisant de l’emplacement des plaques odonymiques des lieux stratégiques pour cet art. Cet article s'intéresse aux relations entre les noms de rues et l’art urbain.

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Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / Maître-Albert Kefran

Document 1. Zone Artistique à Défendre, rue Maitre-Albert (Paris, 5e arrondissement)

La plaque nommant la rue Maître-Albert (1193-1280), philosophe et théologien, est entourée d’une sorte de retenue esthétique et iconographique, de la part des artistes de rue, respectueux de cet odonyme prestigieux. La rue se situe dans un arrondissement parisien résidentiel et bourgeois, à proximité de la rue de Bièvre. Seul un autocollant garnit la plaque indicatrice. En haut à droite de la photographie, un bois peint, de couleur verte a été collé. À gauche prend place une cassette vidéo VHS revisitée, puis collée sur le mur. Le passant retient surtout le troisième collage, en bas à droite, indiquant Zone Artistique à Défendre. Cliché : Jean Rieucau, 2019.

Lieu de prise de vue : Rue Maître-Albert (Paris 5e)
Date : 2019
Droits d’usage : photographie libre de droits pour l’usage pédagogique dans la classe
Auteur : Jean Rieucau

Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / Maître-Albert Kefran (détail)

Document 2. Représentation des protections sanitaires inhérentes à l’expression artistique de l’artiste de rue, rue Maître-Albert (Paris, 5e arrondissement).

Kefran est le nom, en verlan, du graffeur, reproduit en signature ou tag, lisible en bas à droite du graffe. Cet artiste de rue reconnu, au site consultable sur internet, a réalisé sur bois peint (feutres et pinceaux) collé à même le mur, l’allégorie d’une Zone Artistique à Défendre, nom donné par analogie avec le label contestataire ZAD (Zone à Défendre), lui-même détourné de Zone d’Aménagement Différé, utilisé par des militants alternatifs et écologistes, pour dénoncer et lutter contre les grands projets d’aménagement (aéroports, rocades autoroutières, parcs de loisirs etc.). Cliché : Jean Rieucau, 2019

Le regard du géographe

L’odonymie, paysage linguistique des villes

Un odonyme est un nom de lieu qui se réfère à une voie de circulation (Badariotti, 2002). Par extension, il concerne les espaces publics urbains (allées, promenades, esplanades, squares, parcs, etc.) (Rieucau, 2006). L’odonymie (du grec hodos : route) constitue une composante de la toponymie. Cette nomenclature urbaine officielle s’appuie sur la vie sociale, renseigne sur la société qui les produit, sur ce que celle-ci cherche à promouvoir. Les odonymes affichent les valeurs d’une époque, souvent en modifiant ou en supprimant celles des sociétés précédentes (Badariotti, op. cit.). Cette terminologie urbaine combine plusieurs finalités. Les principales sont : préciser la fonction d’un lieu, assurer le repérage d’un emplacement, faciliter l’orientation des citadins, informer sur l’usage de la voie de communication en question (passage, montée, impasse, carrefour etc.). L’odonyme permet de marquer le territoire urbain de symboles, de références, de signes, de perpétuer la mémoire, l’esprit d’un lieu (ibid).

Nommer une voie de circulation, dire des lieux situés dans l’espace public, revêtent un enjeu fonctionnel, sociétal, politique et identitaire. En France, les conseils municipaux, par l’intermédiaire des commissions des noms de rues, décident des choix des appellations des voies de communication. L’odonyme et son attribution participent largement de l’instauration d’un ordre social et politique.

Le nommage des espaces publics, au début du XXIe siècle, devient pluriel, en raison de concurrences dénominatives nouvelles. Celles-ci proviennent de la multiplication des noms de lieux, de la concurrence exercée sur ceux-ci, par la marchandisation des noms (noms de stades portant des appellations de sociétés privées ou naming : Groupama stadium à Lyon, stade Orange Vélodrome à Marseille). Des dénominations émergentes sont également issues de la montée de questions sociétales, de revendications de genre, qui dénoncent l’invisibilisation des femmes dans l’histoire (sur les 33 % des noms de rues portant des noms de personnalités, seuls 6 % sont celui d’une femme). L’orientation genrée du choix des odonymes se fait très largement aux dépends du féminin (Giraut, 2020). Des mouvements féministes procèdent par des collages éphémères, de noms de femmes célèbres, sur les plaques odonymiques. Des activistes demandent la prise en compte de la mémoire de l’esclavage, à Paris, Bordeaux, Nantes et progressivement dans l’ensemble des villes françaises. Leurs actions réclament la suppression de certains odonymes qui nomment des figures coloniales. Elles recommandent l’adjonction, sous les plaques indicatrices, de phrases rendant hommage aux victimes, aux esclaves. Dans certains cas, elles demandent le remplacement de certains odonymes, par des noms de leaders indépendantistes, ou de figures anticolonialistes.

Face à ces concurrences, à ces remises en question nominales, l’irruption de l’art urbain, par la profusion de ses marquages, de ses signes, de ses graphies, de ses techniques, apporte une concurrence supplémentaire, omniprésente, en contredisant, en s’opposant, en brouillant, les odonymes de la ville officielle.

L’irruption de l’art urbain dans l’espace public

L’extrême diversité des formes de l’art urbain ou street art complique toute tentative de catégorisation (Gzeley, Laugero-Lasserre, Lemoine, Pujas, 2019). Dans le monde, de nombreux artistes et experts anglo-saxons de cet art de rue ne reconnaissent que le terme writing. Ils le préfèrent à ceux de graffiti writing ou de graffiti, jugés trop génériques et péjoratifs. Nous utilisons le terme graffiti ou graffe, passés dans la langue française, pour qualifier l’ensemble des formes d’expression murales, réalisées, sans autorisation, dans l’espace public, par les graffeurs. Le terme tag est utilisé commodément, de manière générique, à tort, par les citadins du monde entier. Il signifie, pour les experts en art contemporain, la seule signature, écrite au pinceau ou au feutre, apposée au bas d’un graffiti, par son auteur.

Le street art recouvre, dans le monde, un nombre quasi infini, de techniques et de modes d’expression : muralisme mexicain, latrinolia (inscriptions dans les toilettes publiques), pochoir, sculpture, objet customisé collé, graffiti, dessin, lettrage, collage ou street collage, autocollant, mosaïque, dessin à la craie etc.

Aucune métropole au monde n’échappe à l’omniprésence, à la saturation visuelle, de l’art urbain. Il ne laisse pas l’œil indifférent, par son visuel, par ses couleurs (Marrou, 2018). Il détourne souvent l’attention du passant. Il aiguise la curiosité. Il accompagne le vécu quotidien des citadins, comme l’odonymie constitue une mémoire vivante du passé, dans leur vie de tous les jours (Chaléard, 2020).

L’art urbain participe à la fois d’une esthétisation de l’espace public, mais aussi, pour de nombreux citadins, d’une dégradation, d'un irrespect. Pour certains urbains, il étonne, il agace, voire il révolte, par son côté transgressif, intrusif, dans l’espace de tous les jours. Nombre d’habitants le qualifient, à tort, du terme générique de « tags », avec un sens connoté négatif, signifiant une agression visuelle : œuvre sauvage, dégradante, des murs urbains. Il est fréquemment qualifié de « vandalisme des tags ». Pour d’autres, y compris dans le grand public, il jouit d’une large popularité et correspond à une esthétisation de l’urbain (Gzeley, Laugero-Lasserre, Lemoine, Pujas, op. cit.), ainsi qu’à une artialisation de la ville.

L’ensemble de l’espace public (murs, recoins, jusqu’aux toits des immeubles, infrastructures de transport etc.) est recouvert d’une esthétique concurrente de l’art officiel (fresques municipales), d’un art oppositionnel, d’une « culture du off » (Vaslin, 2018), réalisée par des artistes « off », souvent dans lieux « off », (Blanchard, Talamoni, 2018). L’art officiel, dans l’espace public, est mis en critique.

Le street art, au moyen de ses différentes modes d’expression, met en cause, contredit, l’institution (la municipalité qui choisit et gère les noms des voies de communications ou odonymes). Un monopole public existe dans les choix de la signalétique et dans le domaine de l’information géographique (Giraut, op. cit.). L’art urbain procède fréquemment, par des détournements de signalisation (Blanchard, Talamoni, op. cit.).

Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / rue du Prevot joconde

Document 3. Spectacularisation et esthétisation de l’espace publicautour d’un repère odonymique, rue du Prévôt (Paris, 4e arrondissement).

Une profusion esthétique se concentre autour de la plaque qui nomme la rue du Prévôt, située à proximité de la rue de Rivoli. Sur cet emplacement stratégique, éclairé la nuit, l’art urbain mélange une déclinaison de la Joconde, réalisée en céramique, un micro-tableau en forme de diptyque, un graffiti à la forme d’un dôme, non signé, surmonté d’un collage de couleur bleu. À droite de la photographie, un autre collage, de plus grande taille, représente une femme bâillonnée (bas du visage, poitrine et avant-bras) qui contraste avec l’aspect plus léger des trois Joconde. Cette photographie illustre l’existence d’un total décalage, entre les sujets représentés par les artistes de rue, et l’odonymie. Cliché : Jean Rieucau, 2019.

 

Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / passage briquet collages

Document 4. L’artialisation des murs urbains par les collages, passage Briquet (Paris, 18e arrondissement) 

La plaque indicatrice qui nomme le passage Briquet est légèrement maculée par de petits tags, réalisés au feutre, par adhérence sur le métal. Elle demeure néanmoins lisible. Ces tags sont composés d’une signature collective, sous l’expression « Artisan Kana Production ». Le collage en noir et blanc, en bas à gauche de la photographie, est signé @18emedesigne. Cette signature fait écho à un site internet, qui présente d’autres œuvres en noir et blanc, représentant de jeunes enfants africains, réalisées par cet artiste de rue. Cliché : Jean Rieucau, 2020.

 

La galaxie des modes d’expression de l’art urbain

Le street art est présent dans la rue, aux États-Unis, depuis les années 1960. Ses formes graphiques sont réalisées d’abord par les jeunes et les déshérités. Le graffiti new-yorkais participe d’une culture contestataire, d’une contre-culture alternative, souvent qualifiée d’underground (Blanchard, Talamoni, op. cit.). Puis, à partir des années 1970, les graffitis se généralisent dans l’espace urbain américain. Ils envahissent les wagons de métro, les trains, les bus, les camions et les panneaux d’affichage publicitaire des grandes villes (Gzeley, Laugero-Lasserre, Lemoine, Pujas, op. cit.). Depuis les années 1990, l’art urbain est devenu un phénomène esthétique et culturel majeur, à l’échelle mondiale.

Deux artistes de rue français, par la systémisation de la présence de leurs œuvres d’art sur les murs urbains : des mosaïques (Space Invader), des autoportraits (John Hamon), interpellent les promeneurs et interrogent le photographe-chercheur. Le premier apparaît davantage reconnu sur le plan artistique, par sa présence dans certains musées. Le second, aux collages uniquement présents dans les rues, est considéré par de nombreux artistes urbains, comme un artiste « rebelle », intervenant ans autorisation, et participant d’une vitalité subversive.

Le Français Invader débute en 1996, près de la place de la Bastille, à Paris, avec sa mosaïque nommée Space Invader. À partir de ce coup d’essai, il propage ses figurines géométriques, faites de mosaïques murales collées, inspirées d’un jeu vidéo, dans le reste de la capitale, puis à travers les villes du monde entier.

L’artiste français John Hamon est connu pour avoir « posté » son image (autoportrait) en noir et blanc, sur les immeubles de Paris. Il explique qu’il se promeut comme artiste, et qu’il réalise de l’art promotionnel. Sa première affiche est réalisée en 2001, sous la forme de son portrait, ayant pour base sa photographie figurant sur sa carte d’identité nationale. Ensuite, il projette cette image sur des bâtiments parisiens remarquables (Palais de Tokyo, Palais Royal, Bibliothèque Nationale de France) et enfin en 2019, sur la tour Eiffel. Sa tentative de projection de son portrait sur Notre-Dame de Paris lui vaut une arrestation, suivie d’une libération sans inculpation. Ses ambitions le poussent à afficher son image sur des monuments, dans 33 pays et 77 villes du monde entier, dont la tour de Pise ((Voir la page Wikipédia consacrée à l’artiste)). Le collage de la figure de John Hamon, répliquée sur les murs de Paris, relève d’une façon de se montrer (Catz, 2013), de signifier son existence en tant qu’acteur social (Ouarask, 2015), de marquer certains quartiers de sa présence, d’être visible du plus grand nombre.

L’art urbain, par son anonymat, par le caractère généralement illicite de ses œuvres, créées in situ, peut déboucher sur une allégorie du désordre (Vaslin, op. cit.). Certains murs subissent une dégradation, par l’excès de signatures (tags), pouvant accréditer l’expression « vandalisme de tags », au sens propre du terme.

Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / John Hamon et tags

Document 5. « Tags vandales », désordre esthétique, dus à divers modes d’expression du street art, accumulés les uns à côté des autres (Paris, 9e arrondissement).

Amoncellement de représentations murales. Dans le bas de la photographie, de nombreux tags de graffeurs, chacun se différenciant du voisin par la couleur du trait, encombrent les murs de cette entrée privative d’immeuble et la bâche de la terrasse d’un restaurant de spécialités d’Afrique du Nord. Cette surcharge en tags indispose les habitants. Le haut du mur se compose d’une mosaïque de Space Invader et d’un collage de John Hamon, un motif et un portrait répliqués sur de nombreux murs de la capitale. Cliché : Jean Rieucau, 2020.

 

Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / Montmartre profusion clitoris Karl Lagerfield

Document 6. Montée vers la butte Montmartre, haut lieu du collage international et zone artistique à défendre (Paris, 18e arrondissement)

En bordure des marches qui longent le funiculaire d’accès à la butte Montmartre s’étend une galerie d’art à ciel ouvert, une exposition en plein air (Marrou, op. cit.). Ce hot spot de l’art urbain, dans un des lieux les plus visités de Paris par les touristes, porte essentiellement des collages. Sur la photographie, le couturier Karl Lagerfeld, représenté en femme, cohabite avec d’autres collages de figures féminines et d’une vue anatomique stylisée (clitoris) en bas à droite. Les motifs féminins sont peu recouverts de motifs concurrents, à l’exception d’un tag bleu. Deux pigeons, collés en haut à gauche de la photographie, semblent posés sur une grille d’aération « détournée », mais bien réelle. Cliché : Jean Rieucau, 2020.

 

L’art urbain contredit, s’oppose, brouille les significations des odonymes de la ville officielle

L’art urbain dans la rue serait une critique de l’urbain, un piratage de l’espace public (Gzeley, Laugero-Lasserre, Lemoine, Pujas, op. cit.). Les réponses des autorités municipales sont de plusieurs ordres : créer des fresques « officielles », protéger certaines œuvres nées dans la rue, dans des musées, repeindre des murs.

Le street art peut envahir les rues, parasiter, dégrader la signalétique urbaine (panneaux indicateurs de destinations, de monuments, de quartiers, signes internationaux de la voirie urbaine, de la circulation routière). Autour des plaques indicatrices des noms des voies de communication, se coagule, se concentre, voire semble s’acharner, sur une petite surface, souvent en raison de la facilité d’adhérence sur le support métallique, une profusion de modes d’expression de l’art urbain.

Autour de ces plaques semble se produire une stimulation artistique alternative, oppositionnelle, menée par un art urbain spontané, éphémère et transgressif. Dès les années 1970, à Philadelphie, à New York, les minorités affirment leurs revendications sociales, en marquant leur territoire, en inscrivant sur les murs, leurs prénoms, leurs pseudonymes, en les associant souvent à un numéro de rue (Gzeley, Laugero-Lasserre, Lemoine, Pujas, op. cit.).

Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / montée de vauzelle chimpanzé

Document 7. Profusion de collages, autour de la plaque indiquant la montée de Vauzelles (quartier de la Croix Rousse, Lyon)

La plaque indicatrice de cette montée est contredite par de petits tags et surtout recouverte d’autocollants (stickers), placés à cet endroit en raison de la bonne adhérence sur le métal, à la différence du mur voisin. Le nom de la montée est quasiment illisible. En bas de la photographie, la représentation, par la municipalité de Lyon, d’escaliers descendants stylisés est respectée. En haut à droite, un moulage mural, transgressif, en plâtre, collé à même le mur, représente une tête de chimpanzé. Un collage mural résiduel apparait en haut, à gauche de la photographie. Cliché : Jean Rieucau, 2020.

 

Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / rue Ravignan crucifié panneau impasse

Document 8. Détournement par l’art urbain de la signalétique de l’impasse, rue Ravignan (Paris, 18e arrondissement).

La rue Ravignan est située à proximité de la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre. Sur le signe de la signalétique internationale de l’impasse, un artiste urbain a réalisé un détournement ou une réappropriation de ce signe, par collage d’une figure de crucifixion. Il existe peu d’œuvres solitaires sur les murs, les artistes voulant se surpasser, se recouvrir, les uns les autres. Sur la signalétique de l’impasse « détournée », entre les bras du crucifié, prend place un autocollant. En bas de ce panneau, s’ajoutent un tag et un sticker au nom de Morsa. Cliché : Jean Rieucau, 2020.

 

Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / place d'anvers collage rose

Document 9. Dualité de l’art urbain, entre esthétisation et « vandalisme », à proximité de la signalétique de la place d’Anvers (Paris, 9e arrondissement)

Autour de l’odonyme indiquant la Place d’Anvers, sur un mur du lycée Jacques Decour, se côtoient un collage artistique, sensible, représentant un moineau sur un doigt humain et plusieurs tags de grande taille, sauvages, envahissants, fait de quatre couleurs différentes, différenciant leurs auteurs. Le nom de la place, sur la plaque indicatrice, est respecté (pas de graffitis, pas d’autocollants). Cliché : Jean Rieucau, 2020.

 

Jean Rieucau - Odonymie et art de rue / chaligny mariane merci masquée space invader

Document 10. De la révolution française au confinement de la Covid 19, autour de la plaque de la rue Chaligny (Paris, 12e arrondissement)

Les abords de la plaque indiquant la rue de Chaligny juxtaposent une mosaïque pérenne (Space Invader) et un collage éphémère, représentant deux femmes, portant des bonnets phrygiens de la révolution française, l’une symbolisant la liberté, l’autre l’emprisonnement, entourant le mot merci, décliné en plusieurs langues. La photographie prise en septembre 2020, entre deux périodes de confinement en France, en raison la pandémie de Covid-19, met en évidence la perte de liberté de la femme de droite portant un masque. Ce collage en noir et blanc résulte de la réalisation de photocopies, ayant été ensuite assemblées, puis découpées, pour produire un objet artistique d’une certaine taille. Ce cliché rend compte d’une métropole mondialisée, cosmopolite, par la diversité des langues utilisées, mais saisie à un moment fort de son histoire urbaine, représenté par une pandémie. Cliché : Jean Rieucau, 2020.

 

Conclusion

Le street art et la spectacularisation des espaces publics qu’il occasionne peut faire l’objet d’une mise en tourisme (Blanchard, Talamoni, op. cit.). Celle-ci constitue, dans certaines villes, une valeur ajoutée, capable d’attirer des visiteurs pour de courts séjours (city breakers) (Vaslin, op. cit.), faisant de l’art urbain une aménité touristique supplémentaire. L’Office de Tourisme de Montpellier organise des visites guidées, dans le lit d’un petit cours d’eau canalisé, aux rives bétonnées, propices à l’art urbain foisonnant, tapissées d’œuvres, rapidement renouvelées et non recouvertes par les autorités municipales.

Se pose également la question de la régulation des tags et des graffitis, par leur effacement et celle de leur patrimonialisation (Blanchard, Talamoni, op. cit.). Lorsqu’ils s’amoncèlent, se recouvrent les uns les autres, ils contribuent à dégrader les murs de l’espace public des villes. Dans la ville historique de Montpellier, la municipalité pratique une politique de discrimination de l’art urbain : d’une part, elle procède à un « nettoyage » des tags et des graffitis qui sont régulièrement repeints. D’autre part, considérés comme moins envahissants, moins chaotiques, collages, œuvres au pochoir, mosaïques murales, sont conservés par les brigades municipales de nettoyage.

La relation entre odonymie et art urbain de rue n’est pas simple. Le choix des plaques indicatrices des noms des voies de circulation, par les artistes de rue, répond, dans la majorité des cas étudiés et photographiés, à des facilités techniques. La plaque en métal constitue un bon support d’adhérence. De plus, à proximité de celle-ci, le détournement artistique des signes de la signalisation routière est aisé. Enfin, le nom de la rue, du square, de l’impasse est fréquemment éclairé la nuit, ce qui le rend visible du plus grand nombre, attrait supplémentaire pour apposer son tag.

 


Bibliographie

 

N.B. Les dix photographies de ce dossier sont prises à Paris intra-muros (4e, 5e, 9e, 12e, 18e arrondissements) et à Lyon (quartier de la Croix Rousse). Elles sont datées et localisées dans l’espace. Huit concernent des plaques indicatrices d’odonymes. Un cliché représente un haut lieu de l’art urbain parisien, qui longe le funiculaire de la butte Montmartre. Une photographie traduit le « vandalisme » des graffitis et des tags, sur les murs d’un immeuble du 9e arrondissement parisien. L’œil du photographe-chercheur, en exploration urbaine, s’impose quelques règles. Les photographies, toutes faites avec un téléphone portable, participent de l’instantanéité, de la spontanéité, de l’immédiateté. Les prises de vue ne sont pas préparées. La frontalité des photographies, sans premier plan, est volontaire. Les citadins sont mis en altérité, pour favoriser les seules modes d’expression du street art.

L'auteur remercie Nicolas Xavier, expert en art urbain, directeur de la galerie d’art contemporain qui porte son nom à Montpellier, pour les échanges autour de ce texte.

 

 

Jean RIEUCAU
Professeur émérite de géographie, université Lyon 2, UMR 5600 (CNRS) Environnement, Ville, Société. Administrateur de Tourisme Sans Frontières.

 

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Jean Rieucau, « L’odonymie à l’épreuve de l’art urbain, esthétisation oppositionnelle, dans l’espace public, à la ville officielle », image à la une de Géoconfluences, janvier 2021.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/street-art-et-noms-de-rue

Pour citer cet article :  

Jean Rieucau, « Image à la une. L’odonymie à l’épreuve de l’art urbain, esthétisation oppositionnelle, dans l’espace public, à la ville officielle », Géoconfluences, janvier 2021.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/street-art-et-noms-de-rue

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