Les minorités tribales dans les territoires de l'Union indienne
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L'Union indienne reconnaît administrativement et politiquement tout un ensemble de communautés désignées comme "tribales" ou "Adivasi" ou "aborigènes" ou encore "autochtones", mais leurs contours sociologiques restent très difficiles à définir. Contrairement à d'autres minorités importantes de l'Inde, dont la reconnaissance repose sur des critères explicites d'appartenance religieuse (par exemple, les musulmans, les chrétiens) ou sociale (les ex-intouchables), il n'existe pas un seul critère spécifique pour définir les tribaux. Si certaines communautés tribales peuvent revendiquer, avec raison, leur caractère aborigène, d'autres ont migré plus récemment à travers l'Inde ou en provenance de régions voisines. Des tribus hindouistes pastorales du Rajasthan aux élites tribales christianisées et diplômées du Nord-Est de l'Inde, la catégorie tribale masque des réalités sociales et économiques très variées et une forte fragmentation de ces communautés.
Le territoire est au cœur de la reconnaissance de l'identité tribale et de la place de ces minorités dans la société indienne. Des communautés tribales sont reconnues comme telles dans certains États de l'Union Indienne mais pas dans d'autres. De larges pans du territoire indien sont des zones protégées au nom de la préservation des tribaux et de leur identité. Des États et des entités administratives sont créés pour garantir aux tribaux un contrôle politique sur leur territoire et ses ressources. Cette territorialisation de la catégorie tribale, toujours en évolution, ne se fait pas sans heurts, et sert des intérêts contradictoires : préservation de l'identité tribale vs intégration de ces communautés à la société indienne.
Cet article veut donc explorer les liens qui unissent identité tribale et reconnaissance administrative, et les conséquences de leur territorialisation à différentes échelles. On reviendra d'abord sur l'origine coloniale de la catégorie tribale, et sur son importance dans le contrôle du territoire indien par les Britanniques, puis par le gouvernement central de New-Delhi. On analysera ensuite comment la territorialisation de la catégorie tribale n'est pas moins importante que les dynamiques démographiques pour expliquer la géographie du peuplement tribal. Enfin, à travers la création de nouveaux États au sein de l'Union Indienne, on montrera comment la catégorie tribale - une définition administrative - réifie des identités, crée des territoires, et devient un facteur de mobilisation politique ainsi qu'une source de conflits entre communautés tribales et avec d'autres communautés.
1. Tribaux, Adivasi, Aborigènes, Autochtones : une minorité aux contours flous
Loin d'être figée, la définition, y compris administrative, de la catégorie tribale a été l'objet d'interprétations variées. Elle prend ses racines dans les recensements de la population menés par les Britanniques au XIXe siècle. L'invention des tribaux comme groupe répondait à des objectifs contradictoires de protection de communautés perçues comme primitives par leur mode de vie et leurs traditions, mais aussi d'exploitation de leurs territoires riches en ressources naturelles (forêts, mines). La catégorie tribale devient le dénominateur commun des communautés, qui ne sont ni musulmanes, ni hindoues et sont donc exclues du système de caste. Suite à l'Imperial Act de 1935 et son application en 1936, une liste des « tribus primitives » ainsi que des zones d'exclusion pour les non-tribaux sont établies.
À la décolonisation, la nouvelle Constitution indienne de 1950 donne naissance à une Liste des Tribus Répertoriées (Scheduled Tribes) et une Liste des Zones Répertoriées (Scheduled Areas) qui s'appuient sur les critères définis par l'administration coloniale en 1935-36. La définition d'une tribu répertoriée répond alors à des critères variés et non-exclusifs où se mêlent caractéristiques géographiques (isolement), socio-économiques (agriculture primitive), et culturelles (langues, religion, traditions). En 1976, les Zones Répertoriées ont été abandonnées comme critère de sélection, car de nombreux tribaux vivaient en dehors de celles-ci.
Tableau 1 - L'évolution de la population tribale dans le recensement (1931-2011)
Années | 1931 | 1941 | 1951 | 1961 | 1971 | 1981 | 1991 | 2001 | 2011 | |
Population de l'Union indienne (en millions) | 353 | 389 | 361 | 439 | 548 | 683 | 846 | 1 028 | 1 210 | |
Population tribale | en millions | 22 | 10 | 19 | 30 | 38 | 52 | 68 | 84 | 104 |
en % | 6.23 | 2.57 | 5.26 | 6.83 | 6.93 | 7.61 | 8.04 | 8.17 | 8.60 |
Source : Census of India
Ces changements de définition expliquent en partie les fortes variations du nombre de tribaux répertoriés d'un recensement à l'autre. Selon le dernier recensement national de 2011, les tribaux répertoriés rassemblent plus de 104 millions de personnes, soit 8,6 % de la population indienne, (Census of India, 2011).
Le maintien de cette catégorie tribale par la nouvelle administration indienne s'inscrit dans la continuité du discours colonial sur la protection de ces populations primitives mais aussi dans le cadre d’une nouvelle politique de développement social et économique à leur égard. Un programme de discrimination positive, qui cible aussi les ex-intouchables (Scheduled Castes), doit bénéficier aux tribus répertoriées dans la Constitution. Par des postes réservés dans la fonction publique, les assemblées électorales, le système scolaire, et des programmes dédiés de développement économique et social, le gouvernement veut encourager l'intégration de ces tribus au reste de la société indienne. Entre protection et intégration, la politique ambivalente de l'État indien vis-à-vis des tribaux, est aussi l'occasion pour le gouvernement central d'établir son contrôle direct sur de larges pans du territoire de la jeune république fédérale et de s'inviter dans le jeu politique local.
La liste des Tribus Répertoriées est devenue au fil du temps un enjeu majeur de mobilisation politique par les avantages qu'elle offre. Le nombre de tribus répertoriées par le recensement est ainsi passé de 664 à 705 entre 2001 et 2011. Des groupes qui n'avaient pas été classés comme tribaux par les Britanniques dans les années 1930, du fait de leur religion hindouiste et de leur insertion à différents degrés dans le système des castes, luttent désormais pour obtenir la reconnaissance de leur caractère tribal.
Carte 1 - Les tribaux Bhils et Gonds en Inde en 2011
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Le nombre total de tribus reste donc difficile à évaluer. Certains groupes tribaux sont répertoriés autant de fois que le nombre d'États de l'Union où ils résident et où leur groupe est officiellement reconnu. La carte 1 présente la répartition spatiale des Bhils (17 millions de personnes) et des Gonds (13 millions de personnes) en 2011. Ces groupes tribaux sont les deux plus larges communautés tribales d'Inde. Douze États de l'Union répertorient des communautés Gonds qui se distribuent de l'Uttar Pradesh au Karnataka avec des concentrations importantes au Madhya Pradesh et au Chhattisgarh. Neuf États essentiellement d'Inde Centrale répertorient des communautés Bhils. Certains groupes sont répertoriés comme tribaux dans un État mais pas dans un autre. Suite à leur reconnaissance comme tribaux en 1977 par l'Andhra Pradesh, les Lambadis ont quitté en masse le Maharashtra voisin. Les Gujjars, reconnus comme tribaux au Jammu-et-Cachemire sont enregistrés comme Other Backward Class au Rajasthan où ils luttent pour la reconnaissance de leur statut tribal. Les États de l'Haryana, du Punjab et de Delhi, tous en forte croissance économique, attirent des migrants de l'Inde entière mais ne comptent pas de listes officielles de tribaux. Les nombreux tribaux du Nord-Est de l'Inde qui travaillent et étudient dans les grandes métropoles indiennes ne sont pas comptabilisés comme tels.
Si le statut de tribal est une source de mobilisation politique, il n'est pas fondateur d'une identité tribale transcendant les communautés. Dans la région du Nord-Est de l'Inde, les populations autochtones locales se désignent ainsi comme "tribaux" (Tribals) et emploient le terme "Adivasi" pour désigner les populations autochtones d'Inde centrale installées dans la région par les Britanniques pour travailler dans les plantations de thé (tribus Santhals, Mundas). |
Dénonciation de la compétition entre tribusCette affiche placardée à Dimapur, capitale économique du Nagaland dénonce le tribalisme et la compétition entre tribus. |
2. La géographie des tribaux : une population marginalisée et fragmentée
Tableau 2 - La répartition des tribaux et des districts avec une majorité de population tribale (2011)
Source : Census of India, 2011 |
Les données officielles issues du recensement présentent certains biais quant à l'enregistrement des populations tribales, mais elles nous donnent aussi un aperçu unique sur la situation de ces populations, notamment sur la concentration de leur peuplement à l'échelle de l'Inde. Les 3/4 des tribaux résident dans 1/4 des districts (154 districts sur 640). La moitié des tribaux résident dans 11 % des districts (71 districts). Les tribaux ne sont majoritaires que dans 90 districts (14 %). Si les tribaux restent une minorité à l'échelle nationale, la géographie de leur peuplement leur assure un poids démographique important dans plusieurs régions.
Carte 2 - Les populations tribales en Inde en 2011
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La carte 2 présente le nombre de tribaux et leur part dans la population par district en 2011. Le Nord et le Sud de l'Inde comptent un faible nombre de tribaux. On doit y voir à la fois un effet des flux migratoires qui ont repoussé au fil des siècles les populations autochtones loin des plaines et un effet de l'hindouisation de certains groupes autochtones, qui les a intégrés au système de castes. Même dans certains États ayant mené des politiques actives de reconnaissance des tribaux, les populations tribales restent largement minoritaires et circonscrites à quelques districts. En Uttar Pradesh, par exemple, 60 % de la population tribale résident dans 4 districts sur 72. Au Maharashtra, 40 % de la population tribale de l'Etat (10,5 M), résident dans 3 districts sur 35.
Seules deux régions se caractérisent par une forte présence numérique et relative des populations tribales. Au cœur de l'Inde, un territoire surnommé la Ceinture Tribale (Tribal Belt) s'étend du Gujarat au Jharkhand en passant par le Madhya Pradesh, le Chhattisgarh et l'Odisha : 50 % des tribaux répertoriés en Inde vivent dans ces cinq États de l'Union. Mais leur part dans la population totale reste très inégale d'une région et d'un district à l'autre. 50 % de la population tribale de ces États vivent dans 29 districts sur 148 (20 %). Seuls 31 districts (21 %) de cette région comptent plus de 50 % de tribaux. Le peuplement tribal, malgré des mouvements de reconnaissance importants dans la deuxième moitié du XXe siècle, est sous pression depuis l'époque coloniale. À partir du XIXe siècle, l'introduction de nouveaux régimes de propriété foncière destinée à encourager l'exploitation des ressources naturelles de cette région et le développement de nouveaux systèmes marchands fondés sur le prêt, a transformé de nombreux tribaux en main d'œuvre bon marché et les a forcés à quitter leurs terres pour migrer ailleurs, notamment vers le Nord-Est de l'Inde.
Le Nord-Est de l'Inde est la deuxième grande région de forte implantation des tribaux. Dans cet espace constitué des États du Sikkim, de l'Assam, de l'Arunachal Pradesh, du Nagaland, du Manipur, du Mizoram, du Tripura et du Meghalaya, le nombre de tribaux est moins important (12 % de la population tribale indienne), mais leur poids démographique reste localement plus favorable qu'en Inde centrale. 46 des 86 districts (56 %) de la région comptent une majorité de tribaux. 25 districts (29 %) comptent plus de 90 % de tribaux dans leur population. La majorité de ces districts se situent sur les contreforts himalayens par opposition à la vallée du Brahmapoutre où le poids des populations tribales est plus faible suite aux migrations anciennes en provenance du Bengale.
La réglementation coloniale a eu des effets inattendus à long terme sur la géopolitique et la sociologie de la région. En 1873, un permis d'entrée régulant le séjour des « sujets britanniques » sur une partie de cette région est introduit afin de préserver le monopole des agents commerciaux mandatés par la Couronne sur l'exploitation du thé, de l'ivoire et du pétrole. Cette réglementation est restée en place à la décolonisation par l'instauration du Inner Line Permit mais avec comme nouvel objectif de protéger les populations tribales et de limiter les mouvements migratoires vers ces espaces peu densément peuplés. L'Inner Line Permit n'est toutefois plus aussi efficace : c'est ainsi qu'en Arunachal Pradesh la part des tribaux est tombée de 89 % à 69 % entre 1961 et 2011. Il reste néanmoins un enjeu de mobilisation politique. Le Tripura, un État qui n'est pas couvert par ce permis, a vu la part des tribaux dans la population totale passer de 53 % à 32 % entre 1901 et 2011. La mise en minorité des communautés autochtones de cet État et ses conséquences dans le jeu électoral local, inquiètent les militants tribaux de l'ensemble de la région et les poussent à défendre le maintien de l'Inner Line Permit.
3. La création d'États tribaux et les risques de la balkanisation
Carte 3 - Populations tribales du Nord-Est de l'Inde et revendications territoriales
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Face au triple défi du développement économique et social des groupes tribaux, de la préservation de leur identité et de leur représentativité dans la sphère politique, la création d'« États tribaux » est apparue comme une solution adéquate par le pouvoir central de New Delhi. Le conflit frontalier avec la Chine en 1962, et la multiplication des mouvements tribaux indépendantistes ont conduit le gouvernement central à mener une politique active dans le Nord-Est de l'Inde. Afin de satisfaire les aspirations identitaires des tribaux et d'accélérer le déploiement de l'appareil administratif indien, des États sont créés à partir des territoires sous le contrôle administratif direct et indirect de l'Assam.
Le Nagaland, où l'administration indienne était confrontée à un fort mouvement de lutte armée et de désobéissance civile, est reconnu comme État de l’Union en 1963. Dans la décennie suivante, les États du Mizoram (1971), de l'Arunachal Pradesh (1972) et du Meghalaya (1972) sont créés (carte 3). Dans tous ces États, les tribaux sont largement majoritaires encore aujourd'hui. Les nouvelles administrations créent des emplois réservés aux tribaux. Les transferts financiers directs du gouvernement central vers ces petits États permettent de développer les infrastructures de transports et de diversifier les économies agraires, par l'exploitation des ressources naturelles, comme les forêts, les mines ou l'énergie hydro-électrique. Cette politique s'est accompagnée d'opérations militaires particulièrement dures pour forcer les groupes indépendantistes, notamment Naga et Mizo, à abandonner la lutte armée. |
Commémoration de la lutte pour l'indépendance du NagalandPlaque à la mémoire de Khrisanisa Seyie, le premier président du gouvernement indépendantiste du Nagaland. |
Si cette politique a rempli la plupart de ses objectifs, notamment sur le plan politique et sécuritaire à partir des années 1980, elle a échoué sur le plan du développement économique si l'on considère l'enclavement manifeste de la région et la concentration du pouvoir politique et économique dans les mains de nouvelles élites tribales corrompues. Cette politique de reconnaissance a aussi ouvert un processus de revendications autonomistes et territoriales qui n'en finit plus de morceler le Nord-Est. Alors que les mouvements séparatistes nagas réclament la formation d'un grand Nagaland (Nagalim) et que la frontière avec l'Assam est source de conflits violents, il existe un mouvement pour la création d'un État du Eastern Nagaland. Les tribus nagas (Konyak, Zeliang, Phom, Chang) qui vivent dans cette région reculée, estiment n'avoir jamais bénéficié ni de la politique de quotas ni des subventions publiques, détournées au profit d'autres tribus nagas à des fins électoralistes. En Assam, les mouvements autonomistes Bodos ont obtenu la formation du Conseil Territorial du Bodoland en 2003. Dans la région de Darjeeling, le Gorkha Janamukti Morcha obtint en 2011 des concessions similaires du gouvernement du Bengale-Occidental avec la création de l'Administration Territoriale du Gorkhaland. Ces deux mouvements réclament désormais le statut d'État de l'Union, et leur succès a encouragé les Dimasa et les Karbi d’Assam à revendiquer une plus grande autonomie. Cette nouvelle vague de mouvements autonomistes se fait sur fond de pressions migratoires accrues, notamment par l'afflux de migrants bangladais illégaux et d'explosion des violences intercommunautaires. Fin 2014, 300 000 personnes, dont des Adivasis, vivent dans des camps de réfugiés en Assam.
Carte 4 - La création de nouveaux États tribaux en Inde centrale en 2000
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En Inde centrale, la création d'États tribaux, tout en étant une revendication très ancienne, ne trouva sa conclusion qu'en 2000 par la naissance du Chhattisgarh et du Jharkhand, avec des effets très nuancés en termes de développement économique et sociale, et de représentation politique pour les tribaux. La création du Jharkhand a permis à 90 % des tribaux de l'ancien Bihar de vivre dans le nouvel État tribal. S'ils représentaient moins de 7 % de la population de leur État d'origine, les tribaux comptent pour 26 % de la population totale du Jharkhand en 2011. La création du Chhattisgarh à partir du Madhya Pradesh ne créa pas de changement majeur sur l'équilibre démographique entre populations tribales et non-tribales dans les deux États. Le Chhattisgarh compte 26 % de tribaux dans sa population en 2011. Le Madhya Pradesh compte 21 % de tribaux. Loin de donner naissance à des États où les tribaux seraient majoritaires, les États du Chhattisgarh et du Jharkhand posent question sur la pertinence des découpages territoriaux adoptés.
Ces nouveaux États viennent fragmenter un peu plus la "Ceinture Tribale" sans offrir une meilleure représentativité pour les tribaux. Le découpage des États réalisé en 1955 sur une base linguistique, qui avait éclaté les territoires historiques des tribaux d'Inde centrale et les avait placés dans une position de marginalisation spatiale dans les nouveaux États créés, n'est pas remis en cause. Le Jharkhand de 2001 ne recouvre que partiellement le territoire revendiqué par les mouvements tribaux à partir des années 1970 (carte 4). Les territoires à forte implantation tribale d'Odisha et de l'ouest du Madhya Pradesh n'ont jamais été inclus dans la réflexion. Au cours des débats parlementaires, l'intégration de six districts supplémentaires du Madhya Pradesh au futur Chhattisgarh, fut discutée mais jamais approuvée. 15 ans après la création de ces nouveaux États, l'exploitation agressive des ressources naturelles par des conglomérats privés et le conflit entre guérilla naxalite et forces gouvernementales poussent un nombre croissant de tribaux à abandonner leurs villages. Des populations tribales et leurs territoires, pourtant protégés par un ensemble de réglementations environnementales et tribales (par exemple, le Forest Rights Act, 2006), sont désormais menacés au nom de la croissance économique du pays et de la demande en matières premières. Loin de former un groupe uniforme et majoritaire, les tribaux de ces États sont l'une des variables d'une équation électorale où d'autres groupes entrent en compte (OBCs, SC). Le Jharkhand vient ainsi d'élire ainsi son premier chef de gouvernement non-tribal.
Conclusion
La Constitution indienne reconnaît depuis 1950 la place des tribaux et leur garantit un certain nombre de droits sur leurs territoires ainsi qu'une représentation politique et l'accès à différents programmes de développement économique et social. L'Inde fait par ailleurs partie des pays ayant voté en faveur de la Déclaration des droits des peuples autochtones adoptée à l'Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2007. Si le cadre légal et administratif semble donc garantir l'avenir des tribaux et leurs droits dans la société indienne, la délimitation de ce cadre et sa territorialisation posent problème.
L'auto-identification comme autochtone, un principe fort dans la définition d'un peuple autochtone auprès des instances internationales, ne se traduit pas automatiquement par une reconnaissance administrative en Inde. Cette reconnaissance administrative, qui ouvre la porte à l'ensemble des mesures protectrices garanties par la Constitution indienne, est l'objet de tractations politiques et électorales, parfois sans fin qui aboutissent souvent à un renforcement de l'identité d'un groupe tribal, mais aussi à l'accroissement des tensions avec le reste de la population. Ces tensions se matérialisent aujourd'hui dans des confits territoriaux violents entre groupes tribaux et non-tribaux.
Le legs colonial - catégorie tribale et zones spéciales - redéfini en partie par le gouvernement indien dans les années 1950, crée encore des identités et du territoire, 65 ans plus tard. Ce processus qui n'en finit plus de diviser les communautés, notamment dans le Nord-Est de l'Inde, semble hors de contrôle et pose question sur la capacité de l'État indien à gérer la question de l'altérité par d'autres moyens que la création de nouvelles entités territoriales. Si la balkanisation du Nord-Est de l'Inde permet de répondre aux aspirations à l'autodétermination de certains groupes tribaux, elle renforce aussi la mainmise du gouvernement central dans les affaires régionales, délégitime les institutions politiques locales et ouvre la porte à des mouvements forcés de populations qui deviennent réfugiés dans leur propre pays.
Pour compléter :
Ressources bibliographiques
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- Carrin Marine, Jaffrelot Christophe (éds), 2002, « Tribus et basses castes. Résistance et autonomie dans la société indienne », Purusartha, n° 23, Editions EHESS, 368 p. L'introduction.
- Chavinier Elsa, 2008, « L'ethnicisation de la tribu. Quelques éléments sur les réinventions tribales en Inde ». L'Information Géographique, vol 72, n°1, pp. 21-31
- De Golbéry Luc, Chappuis Anne, 1997, « Minorités défavorisées en Inde: Intouchables et Tribaux. Approche cartographique ». Espace, populations, sociétés, n°2-3, pp. 301-325.
- Jaffrelot Christophe, 2012, Inde, l'envers de la puissance. Inégalités et révoltes, CNRS, 72 p.
- Maharatna Arup, 2005, Demographic Perspectives on India’s Tribes, Oxford University Press, New Delhi, 326 p.
- Prévot Sandrine, 2009, « Le nomadisme pastoral en Inde : de la caste à la tribu », Etudes rurales, n°184, pp. 123-132
- Rousseleau Raphaël, 2003, « Entre folklore et isolat : le local. La question tribale en Inde, de Mauss à Dumont », Social Anthropology, pp. 189-213
- Xaxa Virginius, 1999, « Transformation of Tribes in India: Terms of Discourse », Economic & Political Weekly, Vol 34, n°24, pp. 1519-24
- Xaxa Virginius, 2008, State, Society, and Tribes: Issues in post-colonial India, Pearson Education India, New Delhi, 144 p.
Ressources bibliographiques
- Census of India, le site du recensement indien propose de nombreuses données en téléchargement libre sur la population indienne et les tribaux
- Data.gov.in, le portail du gouvernement indien propose en téléchargement libre des tableaux de données et des rapports.
Bertrand LEFEBVRE,
post-doctorant, MTG-UMR CNRS IDEES – Université de Rouen
Conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul,
pour Géoconfluences, le 10 mars 2015.
Pour citer cet article :
Bertrand Lefebvre, « Les minorités tribales dans les territoires de l'Union indienne », Géoconfluences, mars 2015.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/le-monde-indien-populations-et-espaces/corpus-documentaire/les-minorites-tribales-dans-le-territoire-indien