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Ager, saltus et silva

Publié le 14/02/2024
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Ager, saltus et silva sont les trois grands modes d’occupation de l’espace hérités de la culture romaine autour du bassin méditerranéen, et ensuite dans toute l’Europe, de l’époque ancienne jusqu’aux révolutions agricoles et industrielles des XVIIIe–XIXe siècles. L'ager désigne les champs cultivés, le saltus les landes, parcours et espaces du pastoralisme, la silva correspond à la forêt.

Ainsi que le soulignent les citations de Fabrice Mouthon enchâssées dans le texte de Jérôme Lamy (ci-dessous), cette répartition correspond aussi à une représentation de l’espace. Sans même parler des thèmes pastoraux et agrestes dans l'art et la littérature, il suffit de songer à la place particulière occupée par la forêt dans les imaginaires antiques, médiévaux et modernes, entre espace refuge, espace ressource et espace de danger, voire porte d’accès à d’autres mondes. Certains auteurs soulignent que le rapport des sociétés modernes, puis contemporaines, au sauvage (qui a la même étymologie que silva) découle de ces représentations, tandis que la nature domestiquée (« domptée ») relève d’autres catégories de pensée.

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Le travail de délimitation et de catégorisation de l'environnement constitue une nouvelle façon de quadriller la nature et de lui conférer des popriétés juridiques et politiques. Fabrice Mouthon* rappelle qu’« eaux, forêts, montagnes, marais, lacs, sont réputés appartenir au seigneur au fisc romain, puis au roi barbare, enfin (après l'an mille), au seigneur de ban, ou plus tardivement encore aux communautés d'habitants qui réglementent l'accès aux particuliers ». C'est une « vision grossièrement tripartite de l'espace », héritée des « agronomes romains » qui domine : « l'ager, l'espace habité et régulièrement cultivé, la silva ou salvaticum, le monde sauvage [...] d'où l'homme est normalement exclu » et « le saltus, composé des bois, des marais, des alpages en montagne, du maquis et de la garrigue en Méditerranée, de la lande en milieu atlantique », qui constitue « un espace exploité par l'homme, mais où il ne réside ni ne travaille en permanence ». L'espace sauvage appartient pour l'essentiel aux représentations « imaginaires » ; l'ager « est par excellence l'espace des droits individuels et familiaux » ; le saltus est composé « d'espaces d'exploration collective ou les droits sont partagés ».

*Citations de Fabrice Mouthon, Le Sourire de Prométhée. L’homme et la nature au Moyen Âge. La Découverte, Paris, 2017 (p. 161–162).

 Extrait de : Jérôme Lamy, « La nature, constructions historiques et techniques », in Philippe Boursier et Clémence Guimont (dir.), Écologies. Le vivant et le social. Paris, La Découverte, « Hors collection Sciences Humaines », 2023, p. 303.

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L’âge proto-industriel fait progressivement disparaître le saltus, espace du droit communautaire (>>> voir : communs), au profit de l’ager, espace du droit privé, dès le XVIe siècle en Angleterre avec les enclosures. Ce phénomène, d’abord européen, s’est diffusé sur les autres continents par la colonisation, et il se poursuit aujourd’hui avec l’accaparement des terres.

(JBB), février 2024.


Références citées
  • Mouthon Fabrice, Le Sourire de Prométhée. L’homme et la nature au Moyen Âge. La Découverte, Paris, 2017
  • Lamy Jérôme, « La nature, constructions historiques et techniques », in Philippe Boursier et Clémence Guimont (dir.), Écologies. Le vivant et le social. Paris, La Découverte, « Hors collection Sciences Humaines », 2023, p. 301–307.
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