Géographie et frontières
La géographie des frontières s’est considérablement développée depuis le début du XXIe siècle. Il n’existe cependant pas de terme unanimement reconnu pour la qualifier. La limologie (de limes, frontière) est, d’une façon globale, l’étude des frontières mais elle concerne aussi bien la géographie que le droit ou l’histoire. Par ailleurs, le terme d’horogénèse, proposé par Michel Foucher en 1986, désigne de manière plus précise le processus de formation de ces frontières.
L’étude des frontières est ancienne en géographie : Jacques Ancel écrivit une Géographie des frontières dès 1938 (Velasco-Graciet, 2008). Mais il a fallu attendre les années 1980 et le renouveau de la géopolitique pour que les géographes s’emparent du sujet (ibid.).
Ce que l’on peut retenir de ces vingt dernières années dans les approches proposées par les géographes, c'est qu’ils envisagent la frontière comme un objet complexe permettant aussi de cerner les grandes mutations contemporaines, dont plusieurs concourent à un relatif effacement :
- L’effacement des frontières au sein de la Communauté européenne puis de l’Union européenne ;
- Les logiques transnationales qui prévalent chez certains acteurs économiques (les entreprises transnationales), privés (migrations internationales et diasporas, remises), et dans la circulation du capital.
- Plus largement, les frontières à l’épreuve des mobilités des individus à toutes les échelles, mais aussi des mobilités virtuelles via internet.
Tandis que concomitamment, d’autres facteurs concourent à une induration des frontières, à tel point qu’on a parlé de « retour des frontières » (Foucher, 2016).
- L’apparition de nouvelles frontières entre pays riches et pays pauvres ;
- Le surgissement de nouvelles discontinuités linguistiques, culturelles ;
- La barriérisation et les fermetures de frontières à travers l’érection de murs frontaliers de plus en plus sophistiqués.
Ces mutations invitent finalement à décentrer le regard des seules frontières nationales, internationales et à aller vers d’autres frontières. Il s’agit notamment des discontinuités plus floues, sociales, culturelles ou religieuses entre groupes sociaux différents, par exemple entre deux quartiers à l’intérieur d’une même ville. Le terme de frontières invisibles est souvent employé pour les caractériser (par exemple par von Hirschhausen, 2021). C’est un objet d’étude en plein essor, dans le contexte du développement de la géographie culturelle, mais aussi des cultural studies anglophones.
(ST) 2008, dernière modification (JBB, SB et CB), décembre 2023
Références citées
- Foucher Michel (1986), L’Invention des frontières. Fondation pour les études de défense nationale, Paris, 1986, 320 p.
- Foucher Michel (2016), Le Retour des frontières. CNRS éditions, coll. Débats, 58 pages.
- Velasco-Graciet Hélène, « Des frontières et des géographes », Géoconfluences, octobre 2008.
- Von Hirschhausen Béatrice (2021), « Frontières invisibles, frontières imaginées, frontières fantômes », in Delsol C. ; Nowicki J., La vie de l’esprit en Europe centrale et orientale depuis 1945. Dictionnaire encyclopédique, Éditions du Cerf, p. 227–231, 2021.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Louis Le Douarin, « Carte à la une. Déconstruire un récit impérial : le mythe Sykes-Picot », Géoconfluences, mai 2024.