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Du tourisme à l'après-tourisme, le tournant d'une station de moyenne montagne : St-Nizier-du-Moucherotte (Isère)

Publié le 11/04/2014
Auteur(s) : Philippe Bachimon, professeur de géographie - Université d'Avignon
Philippe Bourdeau, professeur à l'université - Université de Grenoble Joseph Fourier, UMR Pacte
Jean Corneloup, maître de conférences - Université de Clermont-Ferrand, UMR Pacte
Olivier Bessy, professeur à l'université - Université de Pau

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Le village de Saint-Nizier-du-Moucherotte situé à 1100 m d’altitude, en bordure du Plateau du Vercors, à moins de 20 km de Grenoble, présente l’exemple d'une commune qui, d'abord rurale, est devenue un temps touristique avant d'entrer dans le périurbain résidentiel de Grenoble. Comment la bifurcation de la trajectoire du territoire est-elle reconstruite par les habitants ?

Bibliographie | citer cet article

Le village de Saint-Nizier-du-Moucherotte situé à 1100 m d’altitude, en bordure du Plateau du Vercors, à moins de 20 km de Grenoble, présente l’exemple d'une commune qui, d'abord rurale, est devenue un temps touristique avant d'entrer dans le périurbain résidentiel de Grenoble.

Dans le cadre de l'ANR TerrHab[1], l’étude conduite entre 2010 et 2014 se propose de saisir l'articulation de la périurbanisation avec les logiques territoriales précédentes résiduelles de la station touristique. Comment la bifurcation de la trajectoire du territoire est-elle reconstruite par les habitants ? Comment s’effectue la recomposition identitaire sur la base du vécu des résidents et de l'imaginaire récréatif qui coiffe le résiduel touristique, fait de friches, de lieux réinvestis ? Le recours à la notion d’habitabilité permet de comprendre comment les individus, pour habiter un territoire, le façonnent, en combinant différentes dimensions (sociale, technique, corporelle, patrimoniale…) qui leur permettent de tendre vers un compromis géographique acceptable.

Saint-Nizier-du-Moucherotte, une commune de moyenne montagne résidentielle
Une commune des Préalpes

Source : IGN
St-Nizier-du-Moucherotte appartient au massif de moyenne montagne du Vercors, à 20 km au sud-ouest de Grenoble.

Une commune de moyenne montagne attractive

Source : DATAR, Observatoire des Territoires
La carte en grande résolution, en .pdf (2.8 Mo).
Dans la typologie des espaces de montagne de la DATAR, St-Nizier figure en rouge, comme espace de la haute et moyenne montagne résidentielle et touristique.

1. De l'avant à l'après-tourisme

La commune de Saint-Nizier-du-Moucherotte, du nom du massif qui la domine, a été créée en 1929, par séparation de la commune de Pariset, devenue « Seyssinet-Pariset »[2]. Aussi le territoire de l'entité précédente, qui comprenait toute la pente de la vallée du Drac au Plateau du Vercors, est-il dès lors partagé entre la ville du bas, voisine de Grenoble et le village du haut, en bordure du plateau. Cet événement administratif se cale sur un changement fonctionnel du village.

Ce dernier, qui n'était qu'un modeste hameau habité par des éleveurs et des forestiers, sis au milieu de prairies entourées de forêts de conifères, est alors en passe de devenir une station d'altitude qui, après avoir accueilli l’excursionnisme grenoblois dès les années 1870, se spécialise dans le climatisme, comme d'ailleurs le reste du Plateau du Vercors. Cet accueil médicalisé s'y développe notamment grâce à la ligne de tramway à crémaillère Grenoble-Villard-de-Lans, ouverte en 1920 et suivie de la construction de la gare (photo ci-dessous) et de deux hôtels[3]. Saint-Nizier devient « station de séjours et de cures pour enfants délicats » dans les années 1930. L’air pur des montagnes est alors considéré comme un facteur de santé permettant de soigner la tuberculose dans des « aérariums », et ce, jusqu'à l'arrivée des antibiotiques dans les années 1950. Les Bruyères constitue la première maison pour enfants, puis s'ouvrent des hôtels, comme le chalet-pension de l’Aiguille des Pucelles (incendié en 1944) et les Tilleuls (aujourd’hui Domaine de Romanet) sur la pente. La guerre, qui met entre parenthèses le climatisme, se termine par la quasi-destruction du village : 82 des 93 maisons sont incendiées par les troupes allemandes entre le 13 et le 15 juin 1944.

Après-guerre, le village est presque entièrement reconstruit mais, du climatisme, il ne demeure plus que le centre médicalisé pour enfants Blanche-Neige qui remplace l'ancien Touristic-Hôtel[4]. C'est que le programme d'aménagement préfectoral stipule que « ne sont autorisés que les maisons d’accueil pour enfants, les colonies de vacances, les villas, les chalets, les maisons de repos, à l’exclusion de tous établissements hospitaliers, y compris les maisons de cure ». Cette bifurcation réglementaire entérine le changement de trajectoire du village entamé en 1932, avec la création du syndicat d’initiative. S'ouvrent alors des centres de vacances à l'écart du village, comme celui de Fontaine (commune du piémont) ou le Tanagra. Alors que la ligne de tramway ferme en 1951, l'automobile devient le moyen de transport prépondérant, tandis que l'agriculture perd de son importance.

Il faut attendre la fin des années 1950 pour qu'apparaissent des hôtels modernes et que le village se mue en une micro-station familiale de sports d’hiver de moyenne altitude[5]. Le signal est donné par l’implantation en 1956 d’une télécabine partant du bourg pour desservir l'Hôtel de l'Ermitage (3 étoiles, 25 chambres) situé 800 m plus haut, à proximité du sommet du Moucherotte, et l'ouverture d'une piste de ski alpin pour les relier. Dans les années 1960, quatre téléskis sont installés et le parc hôtelier s'agrandit, en particulier avec l'inauguration de l'Hôtel Concorde en 1968 (photo infra). La construction d’un tremplin utilisé pour les épreuves de saut à ski des Jeux Olympiques de Grenoble en 1968 (photo ci-dessus) donne la touche finale à cette station de moyenne altitude devenue station olympique, à l’instar de Chamrousse, Villard-de-Lans, l'Alpe D'Huez... situées plus haut, et qui ont, depuis, gardé leur statut de station de sports d'hiver. A cette occasion, la place du village est remodelée et les voies d’accès au village considérablement améliorées, à commencer par la liaison avec Grenoble qui est recalibrée. En complément du ski alpin, 40 kilomètres de pistes de ski de fond sont tracés dans la forêt.

La construction d'un site olympique

Cliquer sur l'image pour ouvrir le diaporama (défilement manuel)


Source : Geoffrey Aguiard www.grenoble-1968.com
Le chantier d’aménagement du site du saut à ski a duré 18 mois entre l’été 1966 et janvier 1967, pour un montant de 5,9 millions de francs, pris en charge par l’Etat à 80 % et Grenoble à 20 %. La piste de réception et de freinage a nécessité un terrassement de 280 000 m³. L’épreuve olympique a rassemblé plus de 60 000 personnes. Le tremplin a accueilli des compétitions jusqu’en 1989.

Durant cette période faste, au cours de laquelle une dizaine d’emplois (la plupart saisonniers) ont été créés dans le secteur des remontées mécaniques, un petit projet immobilier au sommet du Moucherotte a aussi été envisagé, sans succès en raison de l’opposition de la SAFER. A l’exception des deux téléskis les plus proches du village (les seuls qui fonctionnent toujours), les principales opérations d’aménagement touristique ont été réalisées à l’initiative d’opérateurs ou de décideurs extérieurs au territoire, en l’occurrence un groupe privé d’Aix-en-Provence désigné localement par le vocable : « le fameux notaire » pour les équipements du Moucherotte, et l’État pour ce qui est du tremplin olympique. A son apogée, atteint dans les années 1970, la capacité d’accueil de Saint-Nizier représente près de 300 lits répartis entre 4 hôtels (pour un total de 200 lits), des centres de séjours climatiques pour enfants (50 lits), et divers hébergements de type gîtes ruraux et maisons familiales (50 lits). La petite station bénéficie alors d’une notoriété que la mémoire locale apocryphe associe volontiers à un « lieu de rendez-vous de la jet-set » ; cette représentation s'enracine dans la « belle époque » des années 1960 [6], marquée par le séjour de quelques vedettes de la chanson et du cinéma à l’Hôtel de l’Ermitage et le tournage in situ en 1961 de La bride sur le cou, film somme toute anecdotique, mais dans lequel joue Brigitte Bardot.

Deux temps de la trajectoire touristique de Saint-Nizier-du-Moucherotte et leurs héritages
Site reconverti de la station climatique de l'entre-deux guerres : la gare du tramway

Sur la place du village, l'ancienne gare du tramway à crémaillère (reconvertie en office du tourisme)

Site délaissé de la station olympique de 1968 : le tremplin des Jeux olympiques

Le tremplin de 90 m donnait aux sauteurs l'impression de plonger sur Grenoble.

Complément 1. Le sommet du Moucherotte, une friche touristique devenue lieu de mémoire

La période post-olympique est suivie d'une stagnation des activités touristiques. Le créneau « tout ski » ambitionné par Saint-Nizier s'avère inadapté en raison de la trop faible altitude et de l’enneigement irrégulier. Il n’est plus question de nouveaux investissements et les équipements existants se dégradent progressivement. La télécabine du Moucherotte s’arrête en 1977, suivi par l’Hôtel de l’Ermitage – qui n'avait jamais été rentable –, d’autres hôtels disparaissent et la dernière compétition sur le tremplin olympique a lieu en 1987. Deux des quatre téléskis existants sont abandonnés. Après quelques effets d'annonce concernant la relance du ski, l’ESF locale ferme au début des années 1980. La piste de luge d'été, activité ludique trans-saisonnière, qui avait été créée au début des années 1980 pour prendre la suite est rapidement abandonnée, faute de clients. Dès la fin des années 1970, une étude réalisée par l’Institut de Géographie Alpine de Grenoble évaluait la fréquentation hivernale de Saint-Nizier comme découlant aux trois-quarts d’une clientèle grenobloise et rhônalpine issue des classes moyennes, avec seulement un visiteur sur cinq séjournant sur place (David et al., 1980). Pour autant, au-delà de la célébration d’un passé glorieux, la mythologie locale des sports d’hiver est parfois réactivée, comme lorsque le skieur nordique saint-nizard, Maurice Manificat, décroche une médaille de bronze au relais 4 x 10 km aux Jeux Olympiques de Sotchi en 2014.

 

2. La résidentialité périurbaine en place et lieu du tourisme

Dans les années 1980 et 1990, la fonction résidentielle, principale et temporaire, prend peu à peu l'avantage sur la fonction touristique réduite à l’excursionnisme et contribue même d'une certaine manière à accentuer sa marginalisation. Le doublement de la population (elle passe de 575 habitants en 1990 à 1058 en 2011) va de pair avec la transformation progressive de tous les hôtels et hébergements en logements résidentiels - à l’image du Concorde revendu « à la découpe » en appartements (photo ci-dessous) - et la consommation croissante d'espace pour la construction de maisons individuelles. Ainsi 10 hectares ont été lotis durant les 10 dernières années dont environ 9 pour l’habitat, sachant qu’une zone artisanale sise au pied de l'ancien tremplin, dont elle tire son nom, constitue une partie de ce reliquat d'un hectare... alors qu'elle est largement constituée de maisons individuelles ! Au total, dans les années 2000, « une soixantaine de logements ont été construits, soit une consommation d'environ 1 500 m² par logement » (Biays, 2013).

Une croissance démographique soutenue

Source : INSEE, recensements de population

Aussi, le tournant résidentiel du village, symboliquement marqué en 2000-2001 par le chantier de nettoyage des friches de l’Hôtel de l’Ermitage, le démontage de la télécabine et des remontées mécaniques du Moucherotte, est désormais clairement engagé. De la période précédente ne subsistent que des friches, principalement celle du tremplin olympique, et des hébergements fermés, dont notamment l'Hôtel-Club sur la place du village (photo ci-dessous). Les seules installations restant ouvertes sont les deux téléskis situés au cœur du village, qui ne fonctionnent que par intermittence, lorsque l’enneigement – perçu comme de plus en plus aléatoire – le permet en l’absence de canons à neige et les quelques hectares du petit domaine skiable soumis à un grignotage résidentiel qui laisse mal augurer de sa survie.

Le patrimoine hôtelier dans la période d'après-tourisme
1er cas : reconversion résidentielle

L'ancien Hôtel Concorde, ouvert en 1968, est devenu une résidence.

2ème cas : friche touristique

Sur la place du village, l'Hôtel-Club Le Moucherotte est en état de délaissé depuis 2007.

Complément 2. Démanteler les friches touristiques en montagne : qui ? comment ?

La bifurcation résidentielle de facto, liée aux qualités d’habitabilité du territoire (accessibilité depuis Grenoble, disponibilités foncière et immobilière, paysage panoramique, potentiel récréatif, sociabilité non contraignante…) s’est opérée sur fond de métropolisation[7] et de marginalisation des très petites stations de sports d’hiver, dans un contexte de changement climatique et d’exigences sportives et techniques croissantes des domaines skiables. Elle cohabite avec un excursionnisme renforcé qui se pratique à partir de l’agglomération grenobloise, décliné tout au long de l’année en pratiques variées (randonnée à pieds, à skis, ou à raquettes, cyclotourisme et vélo tout terrain, spéléologie, escalade, pêche, pique-nique et contemplation, free-parties, excursions scientifiques et culturelles…) avec des pics de fréquentation très marqués les week-ends d’hiver en cas de bon enneigement. Cet excursionnisme semble assez bien toléré par les néo-résidents devenus les propriétaires du bâti et d'une partie du foncier, dans la mesure où il est peu impactant à l’exception du week-end, et fait l'objet d'une signalétique coercitive : parkings aménagés au départ de chemins de randonnée balisés, interdits de circulation sur les pistes, absence de balisage partout ailleurs (sorte d'interdit par omission). L’itinéraire de la Grande Traversée du Vercors (GTV) ne fait que transiter par la commune, car celle-ci ne pratique plus l'accueil du fait de son HRL (Hébergement, Restauration, Loisirs) non renouvelé. Au total, le dispositif s'apparente à une mise à distance des visiteurs, dès lors que l'excursionniste se retrouve dans un espace codifié par une signalétique (média froid) qui tranche avec la convivialité qu'induisait la relation humaine de l'accueil touristique in situ. De fait, l’office de tourisme de St-Nizier s’apparente plus à un pôle de services d’information à la population (vie pratique, bibliothèque, élections) qu’à un pôle de promotion touristique.

En définitive, il ne reste que certains « spots » communaux  – le Moucherotte, le Mémorial de la Résistance, le Parcours Aventure (accrobranche), le belvédère qui permet la vue jusqu'au Mont-Blanc – à être l'objet de l'excursionnisme grenoblois, voire de « stops » de touristes venus dans le Vercors. À l’image de l’office de tourisme, l'accueil n'est plus guère qu'un « faux semblant », aussi bien dans ce qu'il a de visible (la signalétique directive s'apparente à un évitement du contact) que dans ce qu'il a de moins visible (l'héritage touristique est à l'abandon, démoli ou reconverti). Voilà 20 ans que le tourisme ne constitue plus qu'une ressource locale résiliente en termes de représentations, une in/é-vocation plutôt qu'une rente de situation, dans un contexte dominé par l'économie résidentielle principale. A tel point qu'en dehors d'un gîte, celui des Gorges du Bruyant, la commune ne compte plus aucun lit touristique marchand depuis la fermeture en 2007 de l'Hôtel-Club le Moucherotte qui devait être découpé en appartements et qui reste à l'abandon (photo supra).

Les résidences secondaires sont elles aussi peu présentes (17% du total des résidences) en conformité avec un effet bien connu de la périurbanisation : la réduction non seulement du nombre de lits marchands (HRL), mais aussi de lits non marchands (résidentiel secondaire), accentuant ainsi la faible attractivité touristique de Saint-Nizier. Lans-en-Vercors, situé quelques kilomètres plus au sud, en amont sur le plateau, compte en valeur relative, deux fois plus de résidences secondaires que Saint-Nizier. La faiblesse du nombre d'agriculteurs (8 éleveurs en 2003, soit deux fois moins que 30 ans auparavant) tranche avec le périmètre de mise en valeur constitué essentiellement de prés de fauche, qui représentent, avec 350 ha, le tiers de la superficie de la commune, le reste étant boisé. Leur maintien s'explique par la présence d'une AOC fromagère (Bleu du Vercors-Sassenage), et la volonté affichée dans le PLU de maintenir des espaces ouverts et des paysages ruraux... toutes données environnementales allant dans le sens souhaité par des néo-résidents adeptes du maintien d'un cadre de vie « rural »... au moins dans ses aspects les plus visibles, et donc partisans du blocage du dit PLU [8]. Avec les quelques chambres d'hôtes et les rares locations saisonnières de la commune de Saint-Nizier qu'ils proposent, ces éleveurs sont devenus les héritiers de l'accueil touristique, qui leur fournit un complément de revenu indispensable.

 

3. L'habitabilité, produit d'une trajectoire complexe

La trajectoire de Saint-Nizier apparaît comparable à celle d'autres communes de moyenne montagne en situation équivalente dans l'aire urbaine de Grenoble. Reste qu'ici la césure est particulièrement évidente entre l'ère touristique et post-touristique, contrairement par exemple à la commune du Sappey-en-Chartreuse, elle aussi en « Balcon » - c'est du moins le qualificatif que lui décerne le marketing territorial - qui connaît un maintien de ses activités de sports d'hiver (ski alpin et ski de fond) sur deux sites fréquentés par les Grenoblois (Lajarge, 1997). Il est vrai que dans le cas du Sappey, on n’observe pas la concurrence de stations voisines du niveau de Lans-en-Vercors et Villard-de-Lans, sises quelques kilomètres en amont. Leur équivalent en Chartreuse  – Saint-Pierre-en-Chartreuse – reste une micro-station... sans canons à neige jusqu’à 2013, ce qui, en moyenne montagne, revient à se soumettre à l'aléa auquel échappent les grandes stations. Comment expliquer qu'un phénomène de périurbanisation très semblable, à Saint-Nizier et au Sappey, puisse aboutir à des situations touristiques aussi différentes ?

Tableau comparatif de 4 communes péri-urbaines de moyenne montagne autour de Grenoble

 

Superficie
(km²)

Altitude du village
(m)
Altitude la plus haute (m) Altitude la plus basse (m) Population
(2011)
Creux démographique
(année)
Distance à Grenoble (km) Distance à Grenoble (mn) Part des résidences secondaires
(%)
Part de la population active travaillant dans la commune (%)
Saint-Nizier-du-Moucherotte 11 1058 1897 863 1058
(2011)
171
(1946)
19 30 17 20
Le Sappey-en-Chartreuse 15 1014 2079 840 1091
(2012)
234
(1962)
14 22 21 17
Lans-en-Vercors 39 1004 1960 902 2530
(2011)
693
(1962)
27 40 42 23
Saint-Pierre-de-Chartreuse 80 1003 2079 640 1003
(2011)
563
(1982)
28 40 55 40

Source : INSEE, recensements de population

Le mythe du tourisme, même après le passage par la friche touristique persistante, reste pourtant très actif localement (Bachimon, 2013), comme en témoignent divers projets de relance qui agitent Saint-Nizier : celui, maintes fois évoqué, de la réhabilitation du tremplin olympique dans le cadre de la création d’un parc d’activités ludiques de nature, ou encore la mise à l’étude en 2011 d’un « plan de tourisme durable »... sans parler du projet de téléphérique entre Grenoble et le Vercors. Cette volonté ou velléité de renouer avec le tourisme se heurte cependant à des incertitudes stratégiques qui portent autant sur la nature du tourisme envisagé que sur celle des opérateurs et porteurs de projets concernés. De fait, par-delà l’effet d'annonce qui consiste à mettre en avant les effets sur l'emploi local, plusieurs projets, présentés par la commune depuis le début des années 2000, se résument, peu ou prou, à des opérations de promotion immobilière. Alors qu'inversement, un événement de vélo tout terrain co-organisé plusieurs fois avec des partenaires grenoblois a été abandonné du fait de l’opposition des riverains, tout comme un projet de création de via ferrata qui s'est heurté à l’hostilité de la FRAPNA [9]
En quelque sorte, l’identité territoriale de Saint-Nizier, en partie née d’un pari du développement du tourisme « bourgeois » des années 1960 (la phase précédente plus populaire du climatisme est largement occultée) sur le « balcon du Vercors », s’est reconfigurée autour de l’excursionnisme grenoblois qui vient admirer le site en même temps qu'il peut contempler de haut son agglomération. La gentrification résidentielle a ainsi d'une certaine manière ses aficionados, tenus à distance par l'enclosure des parcelles, l'absence d'hébergement local... qui lui renvoient une image de « désir ». Désir d'accéder à leur paradis (le paradis est par définition au-dessus du profane) en y passant quelques heures ou en y faisant le projet d'y résider un jour.

Dans les entretiens réalisés durant les enquêtes de terrain de l'ANR TerrHab, se trouve revendiquée par les néo-résidents une « simplicité » résidentielle, découlant du choix d’un mode de vie basé sur les usages récréatifs d’une nature peu aménagée ayant pour conséquence assumée l'éloignement au travail, le renoncement à l'ambiance culturelle de Grenoble, et par conséquent l'acceptation de contraintes lourdes en matière de transport (coûts, durée) et de vie quotidienne, notamment l’hiver du fait de l’enneigement. Rien d'élitiste en apparence, rien d'une « clubbisation » symptomatique d’un rapport consumériste à l’espace résidentiel parfois décrit comme caractéristique du périurbain contemporain (Charmes, 2011) et propre à son achèvement que serait la gated residence. On n’en relève pas moins une dimension de retranchement résidentiel qui peut donner lieu à une surenchère dans l’affirmation d’une distance « essentialiste » par rapport à l’agglomération grenobloise (Peissel, 2011). La référence au calme, à la vue – sur l’agglomération, le massif de Belledonne, ou le Moucherotte – , à la présence et à l’accessibilité immédiate de la nature, à la qualité de vie – notamment offerte aux enfants – et à une sociabilité fluide facilitée par une forte homogénéité sociale sont autant de façons d’exprimer une soustraction aux contraintes urbaines : « la pollution vue d’en haut... ça fait peur ! », fait dire à un Saint-Nizard le document d’annonce d’un atelier participatif de la communauté d’agglomération grenobloise organisé en janvier 2012 à Seyssinet-Pariset.

Un des fondements de l'habitabilité

Affiche du premier Atelier Métro-citoyens de la communauté d'agglomération Grenoble-Alpes Métropole, sur la pollution de l'air

L’entre-soi, qui dans le déclaratif s'affirme par une revendication identitaire directement liée au mode de vie, ne va pas sans paradoxes ni pratiques contradictoires. Ainsi parmi les logements récents, rares sont ceux qui se conforment à ce qui est considéré comme identitaire du Vercors (dans la Charte du PNR, par exemple), à savoir les « pignons lauzés », pourtant choisis par la reconstruction d'après-guerre (photo ci-dessous). Rares sont aussi les maisons dites d’architecte, alors que l'on en compte encore quelques-unes datant de l'entre-deux-guerres, qui d'ailleurs ne sont pas classées (photo ci-dessous)... Même les chalets ne sont pas légion. C'est qu'en fait, hors d'une intégration pourtant revendiquée, voire même de son contraire que serait une modernité ou une « helvétisation », se réalise un bâti qui se distingue mal de l'habitat périurbain standard qui contribue à uniformiser le paysage du piémont où il se dilate dans l'espace. Paradoxale est aussi la faible fréquentation effective de la nature par de nombreux néo-résidents alors que ce serait la recherche de sa proximité, qui les aurait conduits à s'installer en altitude. Et c'est enfin leur bilan carbone, fortement alourdi par les déplacements pendulaires, qui apparaît, soit minoré : « on met de porte à porte, de la maison au travail, une demi-heure... » quand bien même, hors pointes de trafic, il faut le double, soit optimisé : « une fois par semaine je fais l'aller-retour en vélo », « je recours autant que faire se peut au covoiturage », « le télétravail me permet de limiter mes déplacements ». Toutes ces conduites éco-responsables, qui certes existent mais restent anecdotiques au regard des contraintes quotidiennes, apparaissent comme des postures d'auto-justification pour transcender l’ambiguïté née de l'éloignement. On les retrouve dans le débat qui agite les mêmes personnes à propos du projet de transport par câble entre Grenoble et le Vercors ». Car si ce téléphérique est apprécié comme un projet de transport écologique – qui peut être contre ? –, il est aussi redouté en tant que potentiel déversoir de touristes ou de nouveaux résidents, qui remettrait en cause une tranquillité chèrement acquise.

Une identité du bâti ?

Le style « vercorois » avec pignons lauzés, du bâtiment principal datant de la reconstruction d'après-guerre, a été complété par un rajout sans style.

Villa Art Déco de style paquebot des années 1930.

Conclusion

L'imaginaire comme principe de comblement entre un vécu périurbain fait de contraintes et de routines, et une nature désirée à laquelle on a accédé par la résidence, apparaît dans l'étude de cas qui précède comme illustratif de la transformation résidentielle d’une ancienne micro-station de ski des marges de l'agglomération grenobloise. Celle-ci n'est pas déterminée par des critères de proximité, du moins pas de manière unique, si l'on se réfère au contre-exemple du Sappey. Ici l'habitabilité se construit sur un héritage sublimé, celui de la petite station de ski idéalisée dont le destin post-mortem, serait d'accueillir des périurbains seuls susceptibles d'être les « gardiens du temple », à savoir d'incarner le versant culturel (et par conséquent cultuel) de ce qui a fait, après renaturalisation par la friche et/ou par la tabula rasa, son retour à la nature. Cette sacralisation n'est pas sans rites, la routine du pendulaire en serait certes l'un des plus inattendus, par les convivialités et les temps de méditation qu'elle crée. Elle n’est pas non plus sans affiliation, comme dans l’accès à des parcours récréatifs discrets ou secrets qui n'ont rien à voir avec les chemins balisés pour le commun des randonneurs du dimanche, ni sans initiation via des récits potentiellement chargés d’une symbolique ésotérique, ne serait-ce que dans la maîtrise de la toponymie ou du vocabulaire technique « branché » de telle ou telle activité sportive. Et ce sont bien les temporalités de l'acceptation (« c'est au bout de x années que l'on est intégré au milieu local ») et de l'acclimatation (« il faut se faire aux hivers et à leurs contraintes en matière d'enneigement ») à une nature valorisée, qui font sens et sont mis en avant par les néo-résidents comme processus d'habitabilité.

 


Notes

[1] « De l’habitabilité à la territorialité (et retour) : à propos de périurbanités, d’individus et de collectifs en interaction » : le projet 2010-2014 sur le site de l'ANR.

[2] Loi du 31 mars 1929 ,signée de Gaston Doumergue, Président de la République.

[3] l’Hôtel de la Gare (qui deviendra l'Hôtel du Bel Ombrage), et l’Hôtel de Geymond qui deviendra l’Hôtel des Touristes (dit aussi Touristic-Hôtel, puis du Belvédère et plus tard le Tanagra).

[4] Le centre de vacances Blanche-Neige accueille des enfants jusque dans les années 1980, date à laquelle il est racheté par la société Cimes qui le transforme en espace de réunions et de conférences (Biaye, 2013).

[5] Ce processus correspond à une descente en altitude du modèle de la station alpine tant du point de vue de ses équipements que de son paysage construit (sapinières et chalets), ce qui a été décrit ailleurs comme une « helvétisation » (Ferrier, 2002, $33).

[6] « Saint Nizier : la belle époque », titre d'un reportage fait sur le site Skipass.

[7] même si les documents officiels de la mairie insistent bien sur le fait que la commune est dans le PNR du Vercors et n'est pas dans le SCOT de Grenoble.

[8] L'ancien POS de la commune a été cassé en 2009 par le tribunal administratif, suite à sa contestation par un néo-résident. L'actuel PLU été signé en 2013 (le PLU en.pdf)

[9] La FRAPNA est l'influente Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature.

 


Pour compléter

Ressources bibliographiques
  • Akrich M. Callon M. & Latour B. (éd.), (2006), Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, Mines Paris, les Presses, « Sciences sociales », 304 p.
  • Bachimon Ph., (2005), « Le tourisme de friche », in Bachimon & alii, Tourisme et souci de l'autre, Paris, L'Harmattan, pp. 35-59.
  • Bachimon Ph., (2013), Vacance des lieux, Paris, Belin, 255 p.
  • Biays V., (2013), Saint-Nizier-du-Moucherotte, Plan local d'urbanisme, Rapport de présentation, 173 p.
  • Bourdeau Ph. (2013), « Cerner les contours d’un après-tourisme », in Martin N., Bourdeau Ph. et Daller J.-F. (Dir.) Les migrations d’agrément : du tourisme à l’habiter, L’Harmattan, coll. Tourisme et sociétés, pp. 17-33.
  • Bourdeau, Ph. (2013), « Visiting/living (in) the Alps : towards a tourist-residential convergence ? », in Varotto M. & Castiglioni B. (eds), Whose Alps are these?/ Di chi sono le Alpi ?, Padova University Press, pp. 196-205.
  • Bourdeau, Ph. (2009), « De l’après-ski à l’après-tourisme, une figure de transition pour les Alpes ? », Revue de Géographie Alpine | Journal of Alpine Research, 97-3
  • Bourdieu P. (1984), Questions de sociologie, Paris, Ed. de Minuit.
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Ressources en ligne

 

 

Philippe BACHIMON, professeur à l'université d'Avignon, UMR Espace-Dev,
Philippe BOURDEAU, professeur à l'université de Grenoble Joseph Fourier, UMR Pacte,
Jean CORNELOUP, maître de conférences à l'université de Clermont-Ferrand, UMR Pacte,
et Olivier BESSY, professeur à à l'université de Pau, UMR Set.

conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul,

avec l'aimable autorisation pour les visuels de Geoffrey Aguiard

pour Géoconfluences, le 15 avril 2014

Pour citer cet article :  

Philippe Bachimon, Philippe Bourdeau, Jean Corneloup et Olivier Bessy, « Du tourisme à l'après-tourisme, le tournant d'une station de moyenne montagne : St-Nizier-du-Moucherotte (Isère) », Géoconfluences, avril 2014.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/les-nouvelles-dynamiques-du-tourisme-dans-le-monde/articles-scientifiques/du-tourisme-a-l-apres-tourisme