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L’élection présidentielle à Taïwan ravive les tensions avec la Chine

Publié le 16/02/2024
Auteur(s) : Marie Dougnac, agrégée de géographie, doctorante - ENS de Lyon

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L'élection présidentielle à Taïwan a maintenu au pouvoir un parti revendiquant l'autonomie par rapport à la République populaire de Chine. Alors que rien ne change vraiment à la tête de la démocratie taïwanaise, cette élection ravive néanmoins les tensions avec le puissant voisin, qui considère toujours l'île comme une province chinoise.

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Le 13 janvier 2024 à Taïwan, île revendiquée par la Chine (voir encadré 1), le candidat du Parti démocratique progressiste (PDP), favorable à lautonomie par rapport à la Chine, a été élu président face au candidat du Kuomintang (KMT), parti opposé à davantage d’autonomie. Le président élu Lai Ching-te succède à Tsai Ing-wen, dont il a été le vice-président, ce qui permet au PDP de rester au pouvoir.

Malgré son recul par rapport aux précédentes élections et une perte de sa majorité absolue au parlement (de nouveau dominé par le Kuomintang suite aux élections législatives), le PDP reste le premier parti de lhistoire de Taïwan à être élu trois fois de suite. Pourquoi cette élection intéresse-t-elle autant le reste du monde ?

 
Encadré 1. Taïwan, c’est la Chine ?

L’île de Taïwan était une province chinoise jusqu’à la guerre civile entre le parti communiste de Mao Zedong et le Kuomintang nationaliste. Après la victoire des maoïstes en 1949, le Kuomintang défait s’exile sur l’île de Formose (le nom francisé de l’île en usage à l’époque) et garde le contrôle de ce territoire. Un statu quo s’installe alors : pour les Taïwanais, leur île est tout ce qui reste de la Chine, la domination du PCC sur la partie continentale du pays n’étant pas légitime ; pour les Chinois, la Chine est la République populaire de Chine, et Taïwan, qui a fait sécession mais lui appartient toujours, doit selon eux y être rattachée.

Le nom officiel de Taïwan est ainsi la « République de Chine », pour se placer en continuité avec le régime fondé en 1912, le seul à être légal pour le Kuomintang. De son côté, ce qu’on appelle habituellement la Chine se nomme en forme longue la « République Populaire de Chine ». Jusqu’en 1971, la communauté internationale, et en particulier l’ONU, ont reconnu la République de Chine comme autorité légitime, avec le soutien actif des États-Unis dans le contexte de Guerre froide. Le basculement se produit avec la résolution 2758, qui en 1971 transfère cette reconnaissance à la RPC, dont l’influence diplomatique va croissant au détriment de celle de Taïwan. Le siège de la Chine à l’ONU est alors transféré de Taïwan à la RPC, et la plupart des pays cessent progressivement de reconnaître Taïwan pour officialiser leurs relations bilatérales avec la RPC. Le consensus de 1992, signé par le PCC chinois et le Kuomintang taïwanais, affirme qu’il n’y a qu’« une seule Chine » à laquelle elles appartiennent toutes les deux, sans que soit précisé ce que signifie cette affirmation : pour la RPC, elle signifie que Taïwan doit être rattachée, tandis que les Taïwanais réfutent cette interprétation, sans pour autant clarifier leur position de l’époque, et nient toute validité officielle à l’accord signé par le Kuomingtang en 1992.

Document 1. Le transfert progressif de la reconnaissance internationale de Taïwan vers la R.P.C.

Reconnaissance de la RPC et de Taïwan

Source : Wikimédia Commons. Traduction : Géoconfluences, 2024.

En raison du transfert progressif de reconnaissance de Taïwan vers la Chine, en 2024, seulement 11 États membres de l’ONU, plus le Saint-Siège, continuent de reconnaître officiellement Taïwan, même si beaucoup continuent d’entretenir des relations diplomatiques avec l’île. Aujourd’hui, il est d’usage, pour éviter toute ambiguïté, et hors des cercles diplomatiques officiels, d’appeler les deux États « Taïwan » et « la Chine » plutôt que d’utiliser les formes longues « République de Chine » et « R.P.C. ».

JBB et MD


 

La Chine, sujet central des élections

La Chine a occupé une place centrale dans ces élections, quelle a dailleurs tenté dinfluencer par des pressions économiques et des campagnes de propagande et de désinformation. Mais les élections ne peuvent se réduire à un vote pour ou contre lindépendance de Taïwan face à la Chine.

Dabord, les enjeux socio-économiques (hausse des loyers, stagnation des salaires et relance du nucléaire) ont aussi joué un rôle. Ensuite, les positions ne sont pas si tranchées. Du côté de la population, une partie de la jeunesse a voté pour le Parti du peuple, qui incarne une position intermédiaire entre pro- et anti-Chine. Certains Taïwanais estiment également quun rapprochement avec la Chine profiterait au tourisme et à l’économie – dautant que la Chine mène aussi une politique de séduction en octroyant des avantages fiscaux aux régions ou entreprises qui lui sont favorables.

Du côté des partis politiques, et malgré un sentiment identitaire croissant (64 % des insulaires se déclarent aujourd’hui taïwanais, contre 20,5 % en 1992, source), aucun ne réclame un pas en avant vers une indépendance formelle, ce que la Chine prendrait pour un casus belli. D’autant que dans les faits, Taïwan est déjà souveraine, ayant un gouvernement et des institutions propres. Même les partis proches de Pékin ne veulent plus dune réunification, surtout depuis que la Chine a restreint les libertés de la population à Hong-Kong en 2020 (Cabestan, 2021) et tous les partis défendent donc le maintien du statu quo, cest-à-dire la souveraineté de facto de Taïwan.

 

Une île soumise à une pression croissante par son puissant voisin

Le président Xi Jinping prévoit de réunifier Taïwan à la Chine avant 2049, sans exclure lusage de la force. L’armée chinoise multiplie d’ailleurs les exercices militaires dans le détroit de Taïwan. Taipei, de son côté, a augmenté son budget de la défense et la durée de son service militaire. Pourtant, et même si la Chine a présenté le choix du PDP comme une menace pour la paix et la stabilité régionale, en cohérence avec sa version officielle de la situation, le degré de probabilité d’une invasion chinoise reste difficile à évaluer, comme c'est le cas depuis au moins vingt ans (voir Cabestan, 2003).

Toutefois, Taïwan est toujours soutenue par les États-Unis, qui lui fournissent des armes et ont laissé penser quils interviendraient en cas dinvasion. Ensuite, la Chine dépend économiquement de Taïwan (qui lui fournit notamment des semi-conducteurs) et de l’étranger : elle serait fortement affectée par un blocus des ports taïwanais et par des sanctions commerciales internationales. En plus de nécessiter une force militaire à la fois terrestre et maritime, une invasion pourrait, en cas de difficultés militaires sur le terrain semblables à celles éprouvées par la Russie en Ukraine, fragiliser sa posture de puissance régionale et mondiale. Il n’est pas certain non plus qu’une invasion militaire extérieure puisse recevoir le franc soutien de la population chinoise, dabord soucieuse de son bien-être économique dans un contexte de baisse de la croissance.

À une invasion coûteuse et risquée (Niquet, 2023), la Chine préfère donc pour l'instant les campagnes de désinformation et les pressions économiques (en rétablissant certains tarifs douaniers). Elle pourrait également renforcer lisolement de Taïwan en sanctionnant ses partenaires commerciaux, ou éroder la souveraineté effective de Taipei sur son territoire en multipliant les incursions dans lespace maritime ou aérien de l’île ou en influençant la politique locale via le Kuomintang majoritaire au Parlement (Duchâtel, 2023).

En revanche, on ne peut exclure un risque dincident lors des manœuvres militaires dans le détroit de Taïwan. La Chine pourrait aussi intervenir si les États-Unis se trouvent affaiblis ou si elle estime qu’il lui faut agir avant que les puissances régionales (Japon et Australie notamment) ne préparent leur réarmement (Duclos, 2024).

 

Une élection qui affecte les équilibres mondiaux 

Même si une invasion chinoise est loin d’être certaine, et même si le parti élu est le même qu’avant 2024, cette élection et l'instabilité de la région ont déjà des conséquences pour les équilibres diplomatiques et économiques mondiaux.

D'abord, lavenir de Taïwan peut être instrumentalisé dans le cadre des tensions entre Chine et États-Unis, ou par les démocraties libérales qui voient Taïwan comme un reflet du succès du modèle démocratique quils défendent.

Cette situation affecte aussi lUnion européenne. Elle doit traiter avec Taïwan de manière détournée, pour éviter des représailles de Pékin, partenaire commercial essentiel mais hostile à toute relation avec le PDP. Les douze États qui reconnaissent officiellement Taïwan, eux, font lobjet de pressions intenses de la part de la Chine. Quant aux pays dAsie du Sud-Est, ils profitent de la diversification économique entamée par Taïwan face à la menace chinoise (Vaulerin, 2023).

Le détroit de Taïwan est une route commerciale par où transite notamment 40 % du commerce entre Chine et Union européenne. En plus de causer le risque d’un conflit de grande ampleur, une invasion de Taïwan causerait une perte de 10 % du PIB mondial et perturberait les chaînes de production et le commerce avec lAsie : l’île produit en effet 90 % des semi-conducteurs les plus avancés (ces puces dont dépend l’économie mondiale).

Document 2. Le détroit de Taïwan, un passage maritime stratégique

détroit de Taïwan

 

Bibliographie

Références citées
  • Cabestan Jean-Pierre (2003), Chine Taïwan, la guerre est-elle concevable ?, Economica.
  • Cabestan Jean-Pierre (2021), Demain la Chine. Guerre ou Paix ?, Éditions Gallimard
  • Duclos Michel (2024), « 2024 : dix idées fausses (ou presque) en géopolitique », Institut Montaigne, 10 janvier 2024.
  • Vaulerin Arnaud, Taïwan, la présidente et la guerre, Novice, 2023.
  • Valérie Niquet, Taïwan face à la Chine. Vers la guerre ?, Éditions Tallandier (2023)
Pour aller plus loin
Radio, baladodiffusion

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : géopolitique, passages maritimes stratégiquesPCC, puissance, Taïwan.

 

 

Marie DOUGNAC

Agrégée de géographie, doctorante à l'ENS de Lyon, vidéaste (chaîne Archipel sur Youtube)

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Marie Dougnac, « L’élection présidentielle à Taïwan ravive les tensions avec la Chine », Géoconfluences, février 2024.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/tensions-chine-taiwan