Cadrage : Japon, les fragilités d'une puissance
Nathalie Reveyaz, agrégée de géographie, IA-IPR d'histoire-géographie - académie de Grenoble
1. Cadrage scientifique : « Le Japon : les fragilités d'une puissance »
par Raphaël Languillon
Il est commun de dire du Japon qu'il est une puissance économique mais un nain politique. Au-delà de son caractère politiquement incorrect, cette image d'un Japon économiquement puissant mais militairement et politiquement limité semble avoir vécu. D'une part, l'archipel nippon n'est plus un pôle de ce qu’on a longtemps appelé la Triade (Ohmae, 1985) à lui tout seul, mais a été rejoint par ses voisins sud-coréen puis chinois dans la montée en puissance de l'ère régionale de l'Asie du Nord-Est. Son modèle économique connait également une transformation durable imputable à des ruptures sociales internes lentes mais sûres, conduisant à revoir l'idée de la puissance économique florissante et prospère. D'autre part, si d'armée on ne peut véritablement parler, les forces d'auto-défense japonaises se sont rapidement modernisées et sont régulièrement déployées à l'étranger depuis le tournant historique de la guerre en Irak des années 2000. Les ambitions politiques du gouvernement actuel de Nakasone visent, enfin, à renforcer la place du pays dans le concert international des nations, en particulier dans son ère régionale : le Japon n'est plus la puissance muette qu'elle pouvait être il y a vingt ans.
Ces quelques considérations rapides montrent à quel point le Japon s'est transformé en une vingtaine d'années. L'image d'une puissance ambivalente et fragile reste d'actualité, mais pour de toutes autres raisons que celles qu'un imaginaire collectif resté bloqué dans les années 1980 et 1990 continue de véhiculer. Pour pouvoir identifier les nouveaux enjeux de la fragile puissance japonaise, il convient de revenir aux fondements de ce qui constitue une puissance. Pour Gérard Dorel, il s'agit avant tout d'un « État qui dans le monde se distingue non seulement par son poids territorial, démographique et économique mais aussi par les moyens dont il dispose pour s'assurer d'une influence durable sur toute la planète en termes économiques, culturels et diplomatiques » (Dorel, 2008). Une distinction plus générale oppose le hard power que détermine l'envergure politique et militaire d'un État, ainsi que sa capacité à maîtriser son territoire et les ressources vitales à sa pérennité, et le soft power constitué des sphères de l'économique, du culturel et de la démographie.
Si on couple l'approche en hard et en soft à celle proposée par Gérard Dorel, on se rend compte que le Japon se trouve à un moment charnière de son histoire où les fondements de sa puissance évoluent dans des directions opposées :
Le poids territorial nippon est assez réduit en termes de superficie. Ce n'est pas forcément le cas de ses ressources. Certes, l'archipel est peu pourvu en hydrocarbures, mais il possède de l'eau en très grandes quantités, un fort potentiel énergétique renouvelable, et des ressources non négligeables situées dans son immense Zone Économique Exclusive (ZEE) (nodules polymétalliques, poissons, algues et même hydrocarbures offshore autour d'îlots disputés avec la Chine).
Le poids démographique d'un pays est un facteur incontestable de puissance. Le Japon est très peuplé, mais la nature et les dynamiques de ce peuplement hypothèquent les perspectives de sa puissance, marqué qu'il est par le vieillissement et le déclin.
Le poids économique est lui aussi marqué du sceau de l'ambivalence. Le Japon demeure un pays particulièrement riche. Il est toutefois rattrapé par la Chine qui, en termes de PIB par habitant, reste toutefois encore très nettement derrière. L'archipel connaît depuis une quinzaine d'années une renaissance économique timide, accélérée semble-t-il par les réformes néolibérales du gouvernement actuel de Nakasone qui tend toutefois à augmenter les disparités sociales et spatiales. Le taux d'endettement public du pays, enfin, le plus élevé au monde (plus de 220 % du PIB) constitue une autre hypothèque à la santé économique à long terme.
Malgré ces trajectoires diverses des différents leviers de sa puissance, le Japon connait un regain d'influence et de rayonnement dans le monde. Il ne s'agit pas seulement du déploiement de ses capacités diplomatiques et militaires : la culture japonaise ne s'est jamais autant exportée que dans les années 2010. Conséquence de cette fascination montante pour le Japon, les touristes internationaux n'ont jamais été aussi nombreux à se rendre sur l'archipel : l'objectif des 20 millions de touristes étrangers pour 2020, année des Jeux Olympiques d'été de Tokyo, a été atteint en 2015, avec cinq ans d'avance sur les objectifs gouvernementaux.
Ce dossier « Japon, fragilités d'une puissance » vise à interroger les divers éléments qui fondent la puissance japonaise dans toute sa complexité et son ambivalence. Deux thématiques en particulier ont été approfondies en raison d'une part de leur ampleur et de leur importance dans le Japon actuel et d'autre part de la place que les programmes scolaires du secondaire et du supérieur leur accordent : il s'agit de la démographie (vieillissement, dépopulation, inégalité de peuplement, shrinkage) et de la renaissance urbaine des grandes métropoles en tant que pôles de rayonnement économique et culturel. Bien entendu, d'autres questions tout aussi cruciales sont abordées : le nucléaire et la catastrophe de Fukushima, la renaissance des campagnes par l'art contemporain, les « villes intelligentes », les Jeux Olympiques, la Bulle financière des années 1980-1990 et ses conséquences, la reconstruction des territoires du Nord-Est détruits par le tsunami du 11 mars 2011…
Prélude à ce dossier, ce texte de cadrage pose les bases des thématiques abordées à travers une mise en contexte volontairement plus large. Une première partie présente les tensions et les contradictions de la géographie et de l'aménagement du territoire japonais. Une seconde partie interroge plus en détails les fondements de la puissance économique de l'archipel, en particulier au regard des deux thèmes principaux retenus dans le dossier (démographie et métropoles) auxquels les auteurs ont ajouté l'enjeu, socialement brûlant, du nucléaire, à cheval entre la puissance économique civile et la puissance militaire.
1. Le Japon, une géographie extrême
Le Japon est un pays contrasté où les extrêmes se côtoient parfois sur de faibles distances : extrêmes géographiques de ce bout de terre au large de l'Eurasie, s'étirant de la froide Hokkaido près de la Sibérie à la subtropicale Okinawa près de Taïwan ; extrêmes en termes de densités entre les surconcentrations mégalopolitaines et les espaces ruraux en déprise ; extrêmes climatiques et telluriques d'un archipel régulièrement frappés par des aléas violents...
Pays d'extrême orient, le Japon a joué de sa situation géographique dans la construction et l'affirmation historique de son indépendance et de sa puissance vis-à-vis de son voisin chinois. Etymologiquement, Nippon, ou ni- (le soleil) et –pon/hon (les origines, la racine) signifie « le pays d'où nait le soleil », façon plutôt poétique de nommer cette situation d'extrême est et de sortir des cadres géographique de la domination chinoise((Dans la géographie de la Chine antique, le Pays de l'Est désignait la péninsule de Corée, un état satellite vassalisé. Au VIème siècle, le Prince Shôtoku Taishi (574-622) débuta une missive diplomatique envoyée à l'empereur Tang par les mots suivant : « de l’empereur du soleil levant (hi no moto, le terme moto pouvant se lire hon/pon) à l’empereur du soleil couchant ». Ce faisant, il s'inscrivait non seulement en dehors du système politique de domination chinoise mais se positionnait comme un égal.)).
1.1. Les extrêmes du peuplement
Si la géographie physique et bio-climatique du Japon est particulièrement variée, son peuplement l'est également, sans qu'il n'existe pour autant de lien déterministe entre les deux. Les densités par exemple, si l'on ne tient compte que de la maille départementale, varient de 1 à 100, avec 65 habitants par km² pour Hokkaido et plus de 6 300 pour le département de Tokyo, avec une moyenne nationale de 335 en 2017 (tableau 2).
Tableau 1. Population, superficie et densité des 47 départements japonais
Source : Bureau des statistiques du Japon, 2016 |
Au-delà de ces forts contrastes (pour lesquels la taille très disparate des mailles départementales fausse les comparaisons), la géographie du peuplement japonais est structurée par des couples d'oppositions et de contrastes forts. À l'échelle du pays, on oppose traditionnellement le « Japon de l'endroit », celui de la côte est, fortement urbanisée et artificialisée et concentrant la plupart des complexes industrialo-portuaires du pays, et le « Japon de l'envers », tourné vers la péninsule de Corée et la Chine, moins aménagé. Cette dichotomie formalisée en 1895 par le géographe japonais Shoei Yazu et popularisée dans les années 1960 au moment des années de haute croissance économique n'est guère plus utilisée, et a été remplacée par une autre structure spatiale dans les années 1980 : celle de la mégalopole japonaise, par opposition au reste du pays dit périphérique. Courant de Sendai, au nord, à Kumamoto au sud, la mégalopole japonaise peuplée de 90 millions d'habitants s'étire sur 1 500 kilomètres et concentre plus de 70 % de la population et trois quarts des richesses produites.
La population japonaise est ainsi marquée par de forts contrastes et de puissants effets de concentration. Cette inégalité de la répartition du peuplement est spectaculaire dans ses extrêmes : le dépeuplement des espaces insulaires périphériques ; la surconcentration capitulaire dans la région du Kantô et ses 35 millions d'habitants. Tous deux posent des enjeux d'aménagement d'une grande complexité.
Organiser l’archipel entre bloc central-insulaire et îles périphériques
Le Japon est un archipel composé de 6 852 îles. On oppose le hondo, bloc centralinsulaire composé des quatre îles principales (Hokkaido, Honshu, Shikoku et Kyushu), et les ritô, les îles éloignées. Ces dernières sont ainsi considérées comme des périphéries du hondo, ce qui en fait des îles d’îles : elles se caractérisent par le principe de la sur-insularité, ou insularité au carré (Pelletier, 1997). L’article de Philippe Pelletier dans le présent dossier, « L'entre-deux (ma) de l'île japonaise (shima) », permet de poser un regard géolinguistique sur l’insularité japonaise. Le lecteur désireux de s’initier à la langue japonaise appliquée à la géographie pourra se référer à notre page « La géographie en version japonaise : glossaire ».
Si les ritô sont nombreuses, plus de 6 500, elles ne représentent que 1 % du territoire et 1 % de la population du Japon. Elles jouent néanmoins un rôle clé dans l’organisation du territoire national. Elles permettent au Japon de posséder une Zone Économique Exclusive (ZEE) de 4,5 millions de km² : si on l’incluait dans la mesure de la superficie des États, le Japon passerait de la 62e place mondiale à la 6e place mondiale. Cette ZEE est riche en ressources, en particulier pour la pêche, les hydrocarbures (cas des îles Senkaku disputées avec la Chine) et les métaux précieux.
Historiquement, ces ritô ont joué le rôle de sas entre le Japon et le monde extérieur. Périphéries sur-insulaires, elles ont aussi bien servi de bases d’échanges marchands entre le Japon et la Chine, la Corée du Sud ou l’Europe, que de lieux d’exil pour les criminels politiques des régimes successifs. C’est le cas de l’île de Sado, à l’ouest de l’archipel, qui a accueilli en exil le poète Hozumi no Asomi Oyu en 722, et l’empereur déchu Juntoku en 1221.
Espaces éloignés et communautés isolées, les ritô ont développé des cultures locales d’une très grande richesse et d’une incroyable diversité. C’est le cas par exemple des mascarades, cultures locales des masques, qui constituent des moments festifs où l’individu se soustrait à la surveillance et au confinement social en revêtant des masques qui changent d’une île à une autre (Pelletier, 2012). Lieu de repli, le fait religieux y est aussi à la fois syncrétique et spécifique. On peut citer le cas d’Amakusa, au large de Kyushu, où les chrétiens japonais se réfugièrent et fomentèrent une rébellion. On peut également penser à l’île sanctuaire d’Okinoshima, entre le Japon et la Corée, dont l’accès est tabou pour les femmes.
Figure 1. Photographies des témoignages des chrétiens cachés dans l'archipel des Goto
Haut-gauche : L'église du cap Dozaki, sur l'île de Fukue, archipel des Goto (département de Nagasaki). Haut-milieu : L'église du cap Dozaki, sur l'île de Fukue, archipel des Goto (département de Nagasaki). Bas-gauche : Crique abritée par le cap Dozaki. À l'arrière-plan au fond, on devine l'église de Dozaki. Bas-milieu : L'église principale de la ville de Fukue, archipel des Goto (département de Nagasaki). Droite : Photo 5 : Statue d'un martyr japonais, Saint Jean des Goto. Dozaki, archipel des Goto (département de Nagasaki). Clichés : Raphaël Languillon-Aussel, le 14 juillet 2017. |
Ainsi, les ritô sont exposées à de nombreux enjeux liés à leur éloignement au hondo. Victimes de l’exode rural, les îles éloignées sont toutes touchées par le dépeuplement et connaissent un vieillissement accéléré de leur population : départ des populations jeunes, allongement de l’espérance de vie, effondrement de la natalité. Les plus de 65 ans représentent souvent plus de 40 % de la population.
Figure 2. L'insularité, photographies de l'île Ogi-Jima
Dans le sens de la lecture : a. Le village portuaire d'Ogijima, situé dans la mer intérieure, département de Takamatsu, Shikoku. b. Lointaine et proche à la fois : Ogijima et la mer intérieure très fréquentée des Setou. c, d, e. Des maisons abandonnées en ruine, fléau d'Ogijima. f. Monsieur Ogi, artiste installé à Ogijima depuis 2010, dans sa fabrique de onban, les poussettes utilisées par les personnes âgées de l'île pour transporter leurs affaires dans les ruelles pentues du village. Clichés : Raphaël Languillon-Aussel, les 5 et 6 août 2017. |
Complément 1 – Les enjeux territoriaux d'un archipel fragmenté : aménager la discontinuité
La sur-insularité (Pelletier, 1997) désigne, dans un archipel, les îles périphériques par rapport aux îles principales (à ce que les anglophones appellent le « main land »). Au Japon, pour ces espaces éloignés et en déclin, la continuité territoriale est un problème majeur d’aménagement. L’État tente de maintenir une continuité par la construction de ponts ou de tunnels, qui ne desservent que les petites îles de la mer intérieure. La puissance publique prend aussi à sa charge le maintien d’une desserte par ferry ou par aéronef des îles les plus éloignées, malgré le caractère déficitaire de ces services très onéreux.
L’économie des ritô (petites îles éloignées) est maintenue sous perfusion par le gouvernement central. En plus de nombreuses aides économiques, l’État assure des transferts financiers importants par le biais des investissements publics dans les grands travaux et le secteur de la construction. La justification officielle est la lutte contre les risques. Des digues, des ouvrages sabo*, des canaux sont ainsi construits pour maintenir l’emploi dans ces espaces reculés. Le BTP est un secteur d’activité surreprésenté. Ainsi, à Aogashima, une île située à 360 km de Tokyo dans l’océan Pacifique, 15 % des emplois sont assurés par le BTP. Si l’île compte deux supérettes, elle possède trois sociétés de construction, pour seulement 200 habitants (Augendre, 2008).
L’éloignement de ces espaces sur-insulaires est aussi un enjeu géopolitique fort pour le Japon. D’une part, en cas de catastrophe naturelle, comme une éruption volcanique, il rend difficile l’évacuation de l’île ou les opérations de sauvetage. Il faut ainsi 12 heures de bateau pour se rendre de Tokyo à Aogashima. D’autre part, le contrôle militaire des îles éloignées, surtout celles qui ne sont pas habitées, est difficile. C’est le cas des îles Senkaku (Diaoyu en chinois), situées à 600 km au sud de Kyushu, que la Chine revendique au Japon. Les tensions sont montées depuis 2012, lorsque les îles ont été achetées par l’État japonais. Une escouade militaire spéciale est en projet : basée à proximité, elle aura pour mission de surveiller les Senkaku, et d’intervenir en cas d’intrusion étrangère dans les eaux territoriales.
*Les ouvrages sabô (-bô de bôsai, « prévention du désastre » et sa-, lecture chinoise de suna, sable/sédiment) visent à atténuer l'écoulement des flux et des sédiments, ou à les évacuer en dehors des zones humanisées.
L’hyperconcentration tokyoïte
À l'opposé du dépeuplement des ritô, Tokyo constitue une conurbation tentaculaire de 37,7 millions d’habitants répartis dans la plaine du Kantô. Cette conurbation associe Yokohama et Kawasaki au sud, Chiba à l’est, Saitama au nord. Avec un produit urbain brut (PUB) de presque 1 200 milliards de dollars en 2014, la richesse produite à Tokyo est équivalente au produit intérieur brut du Mexique, ce qui la placerait au rang de la quinzième puissance économique mondiale.
Figure 3. Cartes administratives de Tokyo
Les différentes définitions géographiques de Tokyo et la variation de population en fonction de chaque limite. Réalisé par l'auteur d’après Philippe Pelletier (2008).
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Le département de Tokyo et ses découpages administratifs. Réalisé par l'auteur. |
Les 23 arrondissements de Tokyo. Réalisé par l'auteur. |
Complément 2 : Tokyo, capitale tentaculaire du Japon
De Edo la médiévale à Tokyo la moderne
Tokyo, anciennement Edo, est le siège du pouvoir politique japonais : d’abord shogunal, avec Ieyasu Tokugawa au XVIe siècle qui fonde la ville, puis impérial, avec la restauration de l’autorité de l’empereur Meiji en 1868. Avec l’abdication du shogun, la cour impériale se déplace de Kyoto à Edo, rebaptisée Tokyo. Le nom de Tokyo signifie « capitale de l’est » : elle a vocation à dominer le paysage politique du Japon autant que celui de l’Asie – le Grand Est. C’est autour du palais impérial que se structure la ville haute (Yamanote). Les ministères se localisent à proximité de l’empereur, à Kasumigaseki, et le pouvoir économique dans le quartier adjacent, entre le palais et la gare centrale : il s’agit du quartier de Marunouchi.
Ci-dessus : Carte de l'ancienne Edo, 1849, 86,4 x 106,7 cm (ouest en haut). (voir en haute résolution sur Wikimédia) Ci-contre : Structure médiévale de Tokyo (Edo) sous le shogunat Tokugawa. Inspiré de Pelletier, 1997. |
Tokyo dans ses limites, et au-delà…
Tokyo est une réalité complexe. La ville se compose de 23 arrondissements spéciaux (ku), qui comptent 9 millions d’habitants en 2013. Répartis sur 617 km², cela donne une densité de plus de 14 500 habitants par km². Le département de Tokyo (Tokyo-to) associe à ces 23 arrondissements 26 villes (shi), trois bourgs (cho) et un village (mura), auxquels il faut ajouter les archipels Ozu et Ogasawara, dans le Pacifique. La mégapole (Tokyo daitoshiken), à cheval sur les départements de Tokyo-to, Kanagawa-ken, Chiba-ken et Saitama-ken, forme une aire d’un rayon de 50 km, et compte près de 33 millions d’habitants. L’aire métropolitaine (Tokyo-ken), qui comprend l’ensemble des départements de la mégapole plus celui d’Ibaraki, compte plus de 37,7 millions d’habitants, et la région capitale (shutoken), qui correspond au Kantô et à ses huit départements, compte plus de 43 millions d’habitants. On ne peut pour autant pas parler d’une urbanisation continue à ces deux derniers niveaux.
Déconcentrer Tokyo, déplacer la capitale ?
La déconcentration vise à inverser les processus de concentration spatiale, terme à ne pas confondre avec la décentralisation, qui vise à transférer des compétences aux collectivités territoires jugées plus compétentes pour leur exercice. À Tokyo, la concentration des hommes et des activités se renforce depuis les années 2000. Or, ce processus et cet état de concentration posent de nombreux problèmes. D'une part, ils déséquilibrent le territoire national. À ce titre, la dynamique olympique pour les Jeux de 2020 très centrée sur Tokyo illustre bien ce phénomène et cristallise de nombreuses critiques internes. D'autre part, la concentration accentue les risques.
En effet, le Japon, territoire sujet à des risques élevés (notamment sismiques), redoute une trop forte vulnérabilité née de la très grande concentration des pouvoirs, des hommes, des activités et des richesses à Tokyo. L’histoire a d’ailleurs meurtri la métropole plusieurs fois : en 1923, un tremblement de terre provoque la mort de plus 120 000 résidents. Vingt ans plus tard, ce n’est pas un séisme mais les bombardements qui laissent la ville en cendres, obligeant les pouvoirs publics à la reconstruire une seconde fois. C'est pourquoi, au-delà des politiques (à l'efficacité mitigées) de déconcentration, il existe depuis la fin des années 1990 des projets de déplacement de la capitale et des fonctions gouvernementales. La loi de 1992, votée par la Diète (le parlement), avalise le déplacement des activités parlementaires. Des sites sont identifiés. Ils doivent répondre à des critères précis : une ville de 600 000 habitants environ, située à moins de 2 h 30 de shinkansen (TGV japonais) de Tokyo et à moins de 60 km d’un aéroport international. L’option du transfert total (sento) est privilégiée. En 1999, trois sites sont proposés : la zone Mie-Kio, à l’ouest de Nagoya, la zone Gifu-Aichi, entre Nagoya et Shizuoka, et la zone Tochigi-Fukushima, au nord de Tokyo, non loin de la centrale nucléaire de Fukushima qui, douze ans plus tard, en 2011, a connu une succession de très graves accidents. Le projet de déplacement de la capitale a depuis été suspendu, mais rend bien compte des enjeux politiques et de la virulence des débats sur les inégalités de répartition des hommes et des richesses au Japon en faveur de la capitale.
Figure 4. Photographies de Tokyo
4a. Shibuya, quartier jeune et surfréquenté de Tokyo, vers 17h. 14 août 2009. |
4b. Un trou de verdure dans le tissu dense de Tokyo : le parc Hamarikyu, 16 août 2009. |
4c. Le quartier d'affaire verticalisé de Shinjuku Ouest. 17 août 2009. |
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4d. Le quartier populaire des plaisirs de Kabukicho – Shinjuku est. 17 août 2009. |
4e. La ville basse de Tokyo vue du ciel le 12 juillet 2017. |
Clichés : Raphaël Languillon-Aussel, 2009, 2017 |
Avec la globalisation financière des années 1980, Tokyo attire les sièges sociaux de tout l’archipel, et prend le pas sur les autres métropoles japonaises comme Ôsaka et Nagoya. Le quartier de Marunouchi (le central business district – CBD) se renforce. D’une superficie de 120 hectares, il regroupe 4 000 entreprises pesant environ 1 000 milliards d’euros, soit plus de 20 % du PIB japonais. Principal centre d’affaires du Japon et de sa capitale, le quartier héberge près de 230 000 employés dans une trentaine de gratte-ciels.
Si les années 1980 et 1990 voient le centre de la capitale japonaise perdre des habitants, cette perte se fait au bénéfice de la région capitale, et ne rééquilibre en rien le territoire national. Dans les années 2000 et 2010, le retour de la population au centre de Tokyo réamorce la logique de pompe démographique y compris à l'échelle régionale, posant avec acuité la question de la déconcentration des fonctions économiques et des activités.
Ce mouvement de concentration des hommes, des activités et des richesses à Tokyo est d'autant plus mal vécu par les Japonais que le pays est entré en déclin démographique en 2010 : il perd à présent plus de population qu'il n'en gagne par la natalité et l'immigration internationale, pourtant positive, comme le montre bien l’article de Gérard-François Dumont, « Japon : le dépeuplement et ses conséquences ». Avec la planification des Jeux Olympiques prévus pour 2020, ce mouvement d'accaparement des investissements publics et privés par la capitale est amené à se poursuivre au moins à moyen terme.
Figure 5. Cartes des migrations dans le département de Tokyo
Évolution démographique des municipalités du département de Tokyo entre 1995 et 2010. On observe très nettement trois espaces. Les espaces les plus centraux connaissent les taux de croissance les plus forts, en particulier Chiyoda-ku, Chûô-ku, Minato-ku et Kôtô-ku. Les espaces péricentraux, tout comme les centres de la première couronne, connaissent une croissance importante, mais moins forte. Les périphéries résidentielles des 23 arrondissements (surtout au nord) et de la deuxième couronne tendent à gagner des habitants, mais à un rythme assez lent. La troisième couronne perd des habitants. Réalisé par l'auteur. Source : Bureau des statistiques du Japon, 2014 |
Évolution démographique des vingt-trois arrondissements de Tokyo entre 1995 et 2010. On observe un effet gradient à partir des trois arrondissements centraux. Chiyoda-ku, Chûô-ku et Minato-ku ont connu la croissance démographique la plus forte, avec un maximum de +92 % pour Chûô-ku. Celle des arrondissements du péricentre a été moins vive mais néanmoins supérieure à 10 %, ce qui reste dynamique. Au-delà, l’évolution des arrondissements périphériques, essentiellement résidentiels, a été plus modérée, en particulier au nord. Elle reste néanmoins positive sur l’ensemble de la période. La structure est donc à l’opposé de celle des années 1960-1990, marquées par l’effet donut et l’évidement du centre. Réalisé par l'auteur. Source : Bureau des statistiques du Japon, 2014. |
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Carte 3 : Les échanges migratoires entre Tokyo et les trois départements voisins en 1990 et en 2010. Réalisé par l'auteur. Source : TMG, 2012. |
1.2. L'archipel des risques extrêmes
Au-delà de sa situation excentrée aux confins de l'Orient et des contrastes particulièrement forts de son peuplement, la géographie extrême du Japon renvoie également aux nombreux aléas et aux catastrophes qui touchent fréquemment l'archipel.
Des risques variés et fréquents
Avec 20 % des séismes mondiaux de magnitude supérieure à 6 se produisant chaque année dans le monde, 10 % des volcans actifs de la planète, les tsunamis, les typhons, les inondations comme à Kyushu cette année (photographies), les vagues de froid venant de Sibérie, les vagues de sècheresse et de chaleur… le Japon, pays étroit ne couvrant qu’à peine 1/400e des terres émergées du globe, est l’archipel des risques extrêmes. Pourtant, il n'existe pas de terme équivalent à celui de risque((Le risque est une catégorie conceptualisée récemment en Occident qui a connu un réel essor durant les années 1990, d'abord en parallèle puis en symbiose avec les thématiques du développement durable. En géographie, un risque est le produit d'un aléa (un phénomène qui peut être d'origine naturelle ou anthropique) et d'une vulnérabilité. Cette vulnérabilité est toujours sociale, et résulte de l'organisation de l'espace, de la structure de la population (niveau de richesse, d'éducation, âge, sexe...) et des dispositifs de surveillance, connaissance, prévision et anticipation des aléas, ainsi que des moyens de protection et les aménagements mis en place (voir figure 9).)) au Japon, ce qui peut paraître paradoxal étant donnée l'incroyable diversité des aléas naturels qui touchent le pays.
Figure 6. Photographie des conséquences d'un glissement de terrain consécutif à un typhon
Dégâts liés aux torrents de boue venus des montagnes à la suite d'un puissant typhon dans le département d'Oita, sur l'île de Kyushu. Clichés : Raphaël Languillon-Aussel, le 12 juillet 2017. |
Complément 3 : Dire le risque au Japon
Le terme le plus utilisé au Japon est saigai, c'est-à-dire la catastrophe (sai : calamité, et gai : dégâts). Plus surprenant, le terme de yonaoshi, la « rectification du monde », donne l'idée d'une catastrophe subversive et créatrice, un peu dans la veine des propos purificateur du gouverneur de Tokyo, Shintarô Ishihara, à propos de la vertu purificatrice du tsunami du 11 mars 2011. La japonisation du terme risk en risuku existe et se développe dans les années 1990-2000, mais ne concerne que les aléas climatiques (ce que ne saurait être un tsunami, d'origine géologique, provoqué par un séisme sous-marin). Se pose donc ici l'hypothèse non pas d'une disparition du risque, mais d'une absorption de l'idée de risque dans le territoire, qui lui deviendrait consubstantielle. Le risque imprègne donc les territoires japonais sans être clairement formulé dans la culture nippone, qui ne retient que l'idée de catastrophe.
La notion occidentale de risque appréhende l'aléa naturel sous un angle négatif. La vision japonaise est très différente. La proximité au risque n'est pas vécue uniquement sous les espèces du danger ou de la menace, mais également sous les espèces du bienfait. Ainsi, le volcanisme permet l'exploitation des sources chaudes (les onsen, photographies ci-dessous), ou encore celle du souffre. Les typhons et les fortes pluies qui créent les inondations sont aussi responsables de la fin de la maturation du riz, et dotent le Japon d'une ressource essentielle, l'eau, qui permet l'irrigation ou encore l'hydro-électricité. Le Japon associe donc à la vulnérabilité (zeijakusei) qui résulte de la proximité au risque, la notion de bienfait (megumi) qui permet de vivre malgré le risque, voire parfois à partir du risque.
Photographies d'onsen au Japon
1. Onsen collectif dans une auberge traditionnelle dans la ville de Kobayashi, département de Miyazaki, Kyushu. 27 juin 2013. Clichés : Raphaël Languillon-Aussel, 2012–2013. |
Cette ambivalence, les Japonais la nomment coexistence (kyôson) ou symbiose (kyôsei). Il n'y a donc pas au Japon de risques perçus sous les seules espèces de la mort, mais bien coexistence qui associe à la catastrophe potentielle un rôle bienfaiteur. Et c'est cette coexistence qui rend la proximité au risque socialement acceptable, et justifie l'établissement humain dans des espaces que l'Occident perçoit comme répulsifs, à commencer par la côte du Sanriku régulièrement détruite par des tsunamis dévastateurs dont celui du 11 mars 2011 n’est certainement ni le premier, ni le dernier. C'est cette même coexistence qui justifiera la reconstruction des villes du Sanriku détruites pour la troisième fois depuis 1896. La coexistence bénéficie par ailleurs d'une ligne budgétaire du ministère de l'environnement japonais (kankyôshô) depuis 1996, c’est-à-dire un an après la catastrophe de Kobe…
« Le terme de risque fait référence à un danger qui n'est que potentiel, virtuel, qui n'a de sens que par rapport aux représentations de ceux qui pensent y être confrontés. Le risque en soi n'existe donc pas, il n'existe que relativement à une société qui l'appréhende (représentations mentales) et le traite (par des pratiques spécifiques)((Thierry Coanus (1992) « La thématique contemporaine du risque : entre demande sociale et recherche scientifique » in Coll., Le risque en montagne. Les réalités et les images, Éditions du CTHS, Paris, p.13-19 (citation de la page 15).)). » L'un des volets de la gestion du risque comprend la prévention, c'est-à-dire la surveillance et l'étude des aléas (figure 7). Au Japon, c'est le Kishôchô qui se charge de ces tâches. Le Kishôchô est un organisme sous la tutelle du ministère du territoire, des infrastructures et des transports (MLIT), qui à l'origine s'occupait des manifestions météorologiques (kishô, ou manifestations -shô, du ki- l'énergie cosmique) et qui a étendu ses compétences aux aléas naturels en général((C'est en 1884 que le Kishôchô développe la surveillance sismique et volcanologique, en plus de son domaine initial de compétence, la climatologie. Cette extension est rendue possible par la polysémie du terme « ki » en japonais. Si son rôle est surtout scientifique, le kishôchô peut se transformer en PC de crise lors de catastrophes, en centralisant les informations et la gestion des opérations de secours.)).
Figure 7. La systémique complexe des risquesD'après l'original réalisé par l'auteur pour Japan Analysis, 2012. |
La prévention du risque est par ailleurs largement fondée sur la répétition et le vécu des aléas, en fonction du constat qui veut qu'une catastrophe naturelle se reproduit lorsqu'on en a oublié les précédents (figure 8). D'où le souci de commémoration des catastrophes pour entretenir la mémoire collective. En ce sens, on peut voir que le vieillissement observé dans la plupart des régions japonaises permet l'allongement de la mémoire des catastrophes, et joue donc un rôle dans la prévention des risques. Ce rôle est néanmoins difficilement mesurable.
Figure 8. L'apprentissage et le retour d'expérience lié aux catastrophes. D'après l'original réalisé par l'auteur pour Japan Analysis, 2012. |
Dans cette optique de commémoration, les dégâts de certaines catastrophes sont ainsi patrimonialisés au Japon, et inscrit dans le paysage. On peut penser aux multiples mentions des niveaux atteints par les tsunamis de 1933 et 1896 dans les villages du Sanriku, niveaux repérés par des panneaux ou des stèles (figure 9). Mais on peut aussi mentionner de véritables opérations de patrimonialisation, voire de mise en tourisme, des espaces de la catastrophe, comme Marie Augendre l'a montré avec la municipalité de Sôbetsu, à Hokkaido, détruite en partie par une succession d'irruptions du mont Usu en 1977 et 1978, puis transformée en géoparc où les dégâts ont été mis sous cloche comme à Pompéi et se visitent (Augendre, 2008).
Figure 9. Photographies : le risque de tsunami sur la côte du Sanriku
Clichés : Raphaël Languillon-Aussel, le 12 juillet 2017. |
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9a. Panneau marquant le niveau potentiel d'eau en cas de Tsunami. Ishinomaki, département de Miyagi. 9b. Panneau explicatif de l'avancée du tsunami de mars 2011 dans la ville côtière d'Ishinomaki. 9c. Bétonnage anti-tsunami sur la côte du Sanriku le long de la ligne ferroviaire reliant Sendai à Ishinomaki. 9d. Cicatrice du tsunami de mars 2011 : les zones rasées à l'arrière plan ont été laissées sous forme de friches. Cliché pris le long de la ligne ferroviaire reliant Sendai à Ishinomaki. |
Un risque majeur devenu catastrophe : le 11 mars 2011
Bien entendu, quand on parle de risque, tous les esprits pensent à la triple catastrophe du 11 mars 2011 : le séisme du Tôhoku, le tsunami du Sanriku, et l’explosion nucléaire de Fukushima. Le Tôhoku est une région située sur Honshû, l'île principale du Japon, et plus précisément au Nord, entre la région de Tôkyô (le Kantô) et l'île de Hokkaidô. La région se structure par une alternance de chaînes de montagnes et de bassins d'effondrement (graben) Nord-Sud. Elle est coupée en son milieu par la chaîne de montagne Ôu, dédoublée à l'Est par les hautes-terres Kitakami et Abukuma, et à l'Ouest par la chaîne de montagnes Dewa. Ces axes montagneux Nord-Sud sont séparés par des bassins où se concentrent population et activités avec, du Nord au Sud, les bassins de Yokote, Kitakami, Yamagata et Fukushima. Autour, sur la côte, se trouvent quelques rares plaines côtières : deux à l'Est, dont la grande plaine de Sendai, et trois à l'Ouest (les plaines de Shônai, Akita et Tsugaru).
Le Tôhoku est ainsi une région très compartimentée organisée en bandes Nord-Sud sans grande cohérence, tournée vers l'intérieur et ses bassins bien plus que vers la mer. C'est sa côte est, appelée Sanriku, qui a été touchée de plein fouet par le tsunami du 11 mars 2011.
Longtemps atone et excentré, le Sanriku ne s'est développé que récemment. Il se divise en deux parties. La partie sud, ouverte sur la plaine littorale de Sendai, dans laquelle la vague du 11 mars s'est engouffrée assez loin dans les terres. Néanmoins, Sendai étant une agglomération en retrait, séparée de la mer par une bande de terre agricole de plusieurs kilomètres, la ville en elle-même n'a pas été touchée, exception faite des lotissements récents de Arahama et de Arada, complètement détruits car bâtis sans aucun doute dans des zones à risque qui auraient dû être inconstructibles (figure 10). Il en va de même pour l'aéroport. La partie Nord du Sanriku est en revanche très différente. C'est une côte rocheuse à rias (vallées ennoyées lors de la dernière transgression marine consécutive à la fin de l'ère glaciaire) dans lesquelles les villes se trouvaient en fond de baie, accolées aux reliefs des montagnes de Kitakami. Si la vague est allée moins loin, elle y a balayé la plupart des villes et des villages, avant de buter sur les premières hauteurs. Ainsi s'explique le désastre de villes comme Minamisanriku, Kesennuma, Rikuzentakata ou Ôtsuchi.
Figure 10. Le lotissement côtier de Arahama, à Sendai, en 2008 et après le tsunami du 11 mars 2011
Source : Images extraites de Google, Digital Globe, Geo Eye. |
Complément 4 : Le Sanriku, territoire régulièrement détruit, toujours reconstruit
La côte du Sanriku est régulièrement touchée par un tsunami majeur, environ une fois tous les 60 ans*. Un séisme de magnitude 7,2 avait déjà déclenché un tsunami dévastateur de 38 mètres le 15 juin 1896 en faisant 22 000 morts et disparus le jour de la célébration du retour des soldats victorieux de la première guerre sino-japonaise. Le 2 mars 1933, un autre séisme de magnitude 8,4, dont l'épicentre était situé à 300 km à l'Est de la ville de Kamaishi, avait produit une vague de 28 mètres et fait 3 000 morts et disparus, en particulier dans la ville de Tarô (Iwate, Nord de Miyako) où 40 % de la population avait péri, et où plus de 95 % du bâti avait été détruit.
Le Sanriku, côte découpée, difficile d'accès et exposée aux tsunamis récurrents, est pourtant inlassablement repeuplée et reconstruite, alors que les données géographiques en feraient une région répulsive. Le Sanriku vit sur une ambivalence : un développement hypothéqué par un risque permanent. Il y a plusieurs raisons qui en font une région attractive malgré les risques. La principale tient à la proximité avec une zone très poissonneuse juste à l'est, du fait de la rencontre d'un courant chaud venant du Sud (le Kuroshio) et d'un courant froid venant du Nord (l'Oyashio). Le contact entre les deux, riche en nutriments, favorise le développement de poissons comme les sardines, ou encore un poisson local, le hatahata.
La ressource en poissons a permis le développement de ports de pêche importants, en particulier Ishinomaki (160 000 tonnes en 2005, 3e port de pêche japonais), Hachinohe (150 000 tonnes, 4e port), Kesennuma (120 000 tonnes, 5e port) puis Miyako, Ôfunato et Onagawa (chacun avec 50 000 tonnes), faisant du Sanriku la seconde région de pêche japonaise après Hokkaido, avec près de 20 % des prises. Ce sont ces ports qui ont été les plus durement touchés par la vague. À la pêche s'ajoute également la pisciculture et la conchyliculture, avec les huîtres de Kesennuma et de Matsushima, les coquilles Saint-Jacques de la Baie de Mutsu (près de Sendai), ou encore les algues.
Photographie : la baie de Matsushima
Gauche et centre : Baie de Matsushima, considérée comme l'un des trois plus beaux paysages traditionnels du Japon, partiellement affectée par le tsunami de mars 2011. Droite : Baie de Matsushima et ses parcs à huîtres. Clichés : Raphaël Languillon, le 28 juillet 2017. |
Ainsi, le développement du Sanriku s'est fait à partir de la mer. Avec l'explosion urbaine de Tokyo, puis de Sendai, et de leurs besoins alimentaires, la pêche du Sanriku a connu un boom, récemment freiné par la surpêche et l'épuisement des ressources. Grâce à ce boom, le Sanriku a été rattaché à l'axe central du Tôhoku, bénéficiant de la construction de transversales entre les principales villes de l’intérieur des terres et les principaux ports de la côte. En 1984, une voie ferrée est également construite le long du Sanriku. Cet axe nouveau part de Sendai et rejoint Hachinohe, ouvrant ainsi une alternative timide à l'axe central qui passe par le bassin de Kitakami. Au regard de cette configuration des transports, il faut bien prendre garde de ne pas surévaluer les problèmes d'accessibilité liés au tsunami, puisque l'axe littoral du Sanriku n'est pas l'axe vital du Tôhoku, et que toutes les villes du Sanriku peuvent être rejointes depuis l'axe central par des transversales ouest-est de construction récente.
Le Sanriku concilie donc depuis l'ère Meiji un bienfait (la pêche) et un danger (le tsunami). Le bienfait étant supérieur au danger, le Sanriku s'est toujours reconstruit après chaque destruction. À la pêche s'ajoute d'ailleurs depuis quelques décennies une nouvelle activité : le tourisme, qui s’y diffuse pour deux raisons. Le Sanriku possède de très beaux paysages, dont l'une des trois vues les plus célèbres du Japon (nihon sankei) : l'archipel de Matsushima, près de Sendai. Le Sanriku possède également le point de vue sur la mer le plus à l'Est de Honshû (Todo-ga-saki), où se pressent les admirateurs du Soleil Levant.
*Voir au sujet des séismes japonais : Gregory K. Clancey (2006) Earthquake Nation : the Cultural Politics of Japanese Seismicity, 1868-1930, University of California Press, 331 p.
2. Quelques enjeux d'une puissance fragile
Malgré les extrêmes de sa géographie, le Japon, contrecarrant toute analyse déterministe, a su devenir une puissance économique, culturelle et même, récemment, politique et militaire. Toutefois, les leviers de sa puissance ne semblent pas connaître d'évolution conjointe. Au-delà des considérations géopolitiques en Asie orientale (en particulier avec la République Populaire de Chine), quatre dimensions de la puissance sont ici analysées : l'économie, la démographie, le rayonnement métropolitain et la question polémique du nucléaire.
2.1. Les mutations de la puissance économique nippone
Depuis les années 1980, le Japon est identifié comme étant le pôle asiatique de la Triade, qui compte également l'Europe de l'Ouest et l'Amérique du Nord. Cette appartenance est toutefois le fruit d'un rattrapage fulgurant des puissances occidentales par l'archipel nippon, amorcé dès la modernisation Meiji au tournant du XXe siècle, suspendu un temps à la suite de la défaite de 1945 puis repris avec la Haute croissance des années d'après-guerre, période plus dynamique encore que ses équivalents occidentaux comme les Trente Glorieuses en France. C'est au cours de cette période que le modèle socio-économique japonais se met en place. La stagnation des années 1990 et 2000 a toutefois remis en question les structures héritées de cette période faste au cours de laquelle l'Etat pensait être en mesure de dépasser la puissance économique étasunienne – prétention nettement revue à la baisse depuis une vingtaine d'années.
Les performances de l'économie japonaise, pôle majeur de la Triade
Le Japon est l’un des pays les plus riches et les plus développés au monde. Son PIB est de 5 266 milliards de $ en 2016 ce qui en fait la 3e puissance économique mondiale, derrière les États-Unis (18 624 milliards) et la Chine (11 200 milliards), mais devant l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France (OCDE, 2016). Pris du point de vue du PIB par habitant, le Japon se classe 18e, avec 41 534 $ par habitant en 2016. Si on ne regarde que les grandes puissances, ce taux est plus faible que les États-Unis (57 591 $ / hab.), l’Australie ou le Canada, mais plus fort que l’Allemagne ou la France, et bien plus élevé que la Chine (8 123 $ / hab.) (OCDE, 2016).
Le Japon est également une très grande puissance commerciale. Selon l’OMC, en 2013, l’archipel se place 4e puissance exportatrice et 4e puissance importatrice au monde, derrière la Chine, les États-Unis et l’Allemagne. Ses exportations totalisent un volume de 799 milliards de dollars, soit 4,4 % des exportations mondiales, contre 886 milliards de dollars pour ses importations, soit 4,8 % des importations mondiales : la balance commerciale du Japon est donc devenue négative, fait nouveau renversant un facteur de puissance qui caractérisait le pays depuis la modernisation Meiji. Ce basculement s'est opéré en 2011, en partie en raison de la hausse des besoins en pétrole, gaz et charbon à la suite de l’arrêt des centrales nucléaires du pays : il s'agit donc surtout d'une situation née d'un effet de conjoncture mais qui peut, à terme, devenir structurelle si les macro-systèmes énergétiques ne sont pas repensés de fond en comble.
Le Japon est aussi un grand pourvoyeur d’investissements directs à l’étranger (IDE). En 2012, le pays est le 2ème plus gros émetteur d’IDE dans le monde, loin derrière les États-Unis, avec des investissements à l’international de 123 milliards de $ (contre 329 milliards émis par les États-Unis). En revanche, il reçoit très peu d’IDE depuis l’étranger, en raison de sa trop grande fermeture aux investisseurs internationaux qui ont du mal à pénétrer son marché.
Complément 5 : Le toyotisme et la stratégie de l’industrie automobile nippone à travers le cas de Toyota
En 2012, Toyota est devenue le plus gros constructeur automobile du monde, devant General Motors (États-Unis) et Volkswagen (Allemagne). Avec un chiffre d’affaires de 256,5 milliards de dollars en 2013, Toyota se classe au neuvième rang des plus grosses entreprises mondiales. En 2014, Toyota a vendu 10,13 millions de véhicules dans le monde. Malgré ces chiffres, Volkswagen est de nouveau passé devant Toyota au tournant 2015, en raison d’une série de dysfonctionnement des produits phares de la compagnie (rappel de 2,3 millions de véhicules dans le monde en 2014 suite à des problèmes d’airbag).
Si le siège social de Toyota est resté à proximité de Nagoya, Toyota est présente sur les quatre continents. Elle possède huit usines au Japon, quatre en Europe, et est implantée en Amérique du Nord, en Asie-Pacifique, en Afrique et en Amérique latine. Elle emploie plus de 320 000 personnes dans le monde (emplois directs).
À l’origine, Toyota était une petite entreprise qui n’avait pas les moyens de concurrencer les constructeurs étrangers. Le marché intérieur japonais était étroit. Le modèle d’organisation du fordisme ne pouvait pas convenir et n’était pas viable pour les entreprises japonaises, confrontées à une consommation intérieure trop faible. Le système de l’offre étant inadapté au Japon, Toyota s’est organisée autour du système de la demande, afin de répondre aux spécificités d’un petit marché national.
Le toyotisme est né pour s’adapter au marché japonais dans le cadre d’une politique nationale protectionniste. Il est fondé sur une absence de stock, sur la production en flux tendu de petites quantités, sur le « juste-à-temps » et sur une réactivité très vive au marché. Afin d’assouplir au maximum les systèmes productifs, Toyota a eu recours à l’externalisation de certaines tâches de production, qui ont animé des bassins de sous-traitance autour des principales usines d’assemblage. Une partie des coûts d’ajustement au marché a ainsi été reportée sur les sous-traitants de Toyota, essentiellement composés de petites et moyennes entreprises ou industries (PME/PMI).
Une fois Toyota assez solide pour soutenir la concurrence internationale, l’entreprise est partie à la conquête des marchés étrangers. Sa stratégie post-fordiste lui a assuré un avantage concurrentiel certain par rapport aux autres constructeurs automobiles. Son adaptabilité lui a permis de pénétrer les marchés européens et nord-américains, avant de se lancer à la conquête des marchés émergents.
Afin de maintenir des coûts compétitifs, Toyota a internationalisé la sous-traitance. Les bassins de sous-traitance qui répondaient à une logique de proximité spatiale aux usines d’assemblage ont ainsi été éparpillés à travers l’Asie-Pacifique, qui offrait une main d’œuvre bon marché. Seules les fonctions de confection, les fonctions péri-productives et les opérations d’assemblage sont restées au Japon. Cette stratégie a participé à l’émergence des tigres et des dragons asiatiques, en particulier de la Chine littorale. L’entreprise a ainsi pu faire baisser ses coûts. La contrepartie a été la nécessaire maîtrise d’un système productif international, dont les retards de livraison ralentissent un système fondé sur le juste-à-temps. L’efficacité et la sécurisation des transports sont donc devenues des enjeux stratégiques forts de Toyota.
Toyota s’est heurtée au protectionnisme des marchés développés, en particulier nord-américains. Pour dépasser les barrières douanières, Toyota a investi dans les territoires nationaux des pays concurrents. Elle a ainsi implanté des usines et des chaînes de montage en Europe (cas de l’usine à Onnaing, dans le nord de la France) et en Amérique du Nord. L’usine française a été un succès. Fondée en 1999 et bénéficiant d’aides à la reconversion de l’État français, l’usine d’Onnaing a sorti sa deux millionième voiture en 2011, et alimente le marché européen en Yaris. En assurant des emplois à l’économie du pays d’accueil, les réticences protectionnistes ont été levées, et Toyota a pu s’installer durablement dans le marché français et plus largement européen.
Un affaiblissement sur le long terme ?
Malgré ces bonnes performances statistiques générales, le Japon a connu vingt ans de stagnation économique et de déflation des prix. Suite au dégonflement de la bulle spéculative et financière en 1991, le Japon entre dans une période de crise économique et bancaire sans précédent, qui s’accompagne de la faillite de nombreux établissements financiers nationaux, comme la Hokkaido Takushoku Bank en 1997. La croissance économique est très faible, voire négative certaines années. La décennie 1990 est surnommée dans les médias la « décennie perdue ». La bulle spéculative et ses conséquences dans le japon d’aujourd’hui font l’objet d’un article dans le présent dossier.
Ainsi, les indicateurs économiques japonais se détériorent : augmentation d’un chômage historiquement très bas, fin du système de l’emploi à vie, baisse des prix et des salaires. Dans son contexte régional, le Japon s’efface derrière d’autres pays. Les ports japonais se voient dépassés par les ports chinois et sud-coréens. Les sièges sociaux des entreprises étrangères quittent Tokyo pour Hong Kong, Singapour ou Shanghai.
Une succession de crises économiques touche l’archipel : la crise japonaise de 1991, la crise asiatique de 1998, la crise des subprimes de 2008. Le Japon a du mal à se sortir d’une spirale économique déprimée. Il ne faut pas oublier pour autant les secteurs dynamiques et mondialement reconnus : la robotique, l’automobile (Toyota joue au coude à coude avec General Motors et Volkswagen pour le rang de plus grand constructeur mondial), l’énergie, la mécanique, les télécommunications, les produits culturels de masse.
Les années 2000 ont permis au Japon d’assainir son économie nationale. La loi de 2002 sur la renaissance urbaine a relancé la fabrique des grandes villes et a donné lieu à un puissant phénomène de métropolisation, avec le renforcement des centres urbains. Un vaste programme de réformes économiques, dites abenomics, a été mis en place en 2013. Il correspond au retour des conservateurs au pouvoir avec l’élection de Shinzo Abe, à la suite de la mauvaise gestion, par les gouvernements de centre-gauche, de la catastrophe sismique et nucléaire du 11 mars 2011. Les abenomics visent à relancer l’économie du pays, avec trois objectifs : sortir de la déflation, renforcer la compétitivité du Japon, ouvrir le pays à l’international. Le but est de renforcer la place déclinante du Japon dans le monde, tant au niveau économique qu’aux niveaux politique, militaire et culturel.
Symbole espéré de la renaissance du Japon, Tokyo organisera les Jeux Olympiques pour 2020. Cette victoire fait suite à la candidature malheureuse de la ville pour les Jeux de 2016, remportés par Rio de Janeiro. Le projet olympique se situe au cœur de la stratégie des abenomics. Des nombreux effets positifs sont déjà mesurables : regain d’investissements immobiliers, hausse du tourisme international, image plus attractive de Tokyo et du Japon. Le lecteur désireux d’en savoir plus pourra consulter notre article « Tokyo, ville globale olympique : de l’échec du projet de 2016 au succès de la candidature de 2020 » dans le présent dossier.
2.2. L'enjeu démographique : dépeuplement et vieillissement
La puissance d'une Nation ne dépend pas que de sa vitalité économique, mais également de celle de sa démographie. Or, depuis 2010, la population du Japon décroît, à partir d’un maximum historique de 128,06 millions d’habitants. Tokyo apparaît désormais comme un îlot de croissance dans un contexte national de dépopulation((En démographie, on oppose dépopulation et dépeuplement. Le dépeuplement est défini par la diminution de la population sur un espace. Il s’explique par un solde démographique total (solde naturel + solde migratoire) négatif (Baudel, 2003). La dépopulation se définit par un déficit naturel, c’est-à-dire un excès des décès sur les naissances.)). Une très large portion du territoire national est même en sur-dépeuplement (kaso)((Le kaso est statistiquement défini au Japon comme une perte de plus de 10 % de la population entre deux recensements décennaux.)). En 2005, le phénomène concernait 8,3 % de la population de l’archipel, mais 40 % des communes et 54,1 % du territoire (figure 11). Il touchait surtout le Japon périphérique (rural et montagnard) et sur-insulaire (îles éloignées, dites ritô) : une grande partie de Hokkaidô et du Tôhoku, la dorsale des Alpes japonaises, une grande partie du littoral ouest, et la partie sud de Shikoku et Kyûshû. 23 départements (sur 47) étaient en perte d’habitants entre 1995 et 2000. Leur nombre atteint 31 entre 2000 et 2005, traduisant, plus qu’une accélération, une tendance à la généralisation progressive du phénomène (Pelletier, 2008).
Figure 11. Territoires en sur-dépeuplement et évolution projetée de la population
À gauche : territoires dits en kaso en 2005. Raphaël Languillon-Aussel. Source : Philippe Pelletier (2008, p.60). À droite : évolution projetée de la population du Japon par département entre 2010 et 2040. Source : National Institute of Population and Social Security Research, 2012. |
Au niveau national, le déclin démographique est essentiellement dû au solde naturel négatif. Si le modèle classique de la transition démographique fait apparaître deux phases distinctes, le Japon est entré dans une troisième phase, dite parfois post-moderne. La pré-phase de l’ère Edo présente un taux de mortalité et un taux de natalité élevés. Une phase 1 correspond à une baisse du taux de mortalité liée au progrès de l’hygiène, de la santé, de l’alimentation des individus, de l’enrichissement général consécutif à l’industrialisation du Japon. Une phase 2 correspond à une baisse des taux de natalité faisant suite, entre autre, à l’émancipation des femmes (relative au Japon), au recul de l’âge du mariage((Même si le taux de nuptialité japonais, de 95 %, est l’un des plus élevés au monde, les femmes se marient de plus en plus tard. Les femmes célibataires âgées de 25 à 29 ans étaient 21 % en 1975, mais 54 % en 2000. Les femmes âgées de 30 à 34 ans et toujours célibataires étaient de 7,7 % en 1975, et de 26,5 % en 2000, soit plus du quart (Pelletier, 2008).)) et du premier enfant, à la diffusion de la contraception((L’argument fréquemment avancé qui explique une baisse de la natalité par la hausse du travail féminin est invalidé au Japon, en raison du fait que les taux de travail féminin les plus élevés correspondent aussi, dans ce pays, aux taux de natalité les plus forts (Pelletier, 2008). C’est une autre particularité de la démographie japonaise.)). Une post-phase présente un taux de natalité et un taux de mortalité faibles, et donc un accroissement naturel faible mais continu.
Or, depuis 2005, la courbe de la mortalité est venue croiser celle de la natalité, faisant entrer le Japon dans une troisième phase, caractérisée par un solde naturel négatif avec plus de morts que de naissances. Le phénomène est unique depuis plus d’un siècle, hors période de guerre. L’érosion du taux de natalité avait déjà eu pour conséquence, sur le temps long, un vieillissement accéléré de la population japonaise, à l’issue du double processus de vieillissement « par le haut » et de vieillissement « par le bas ». Le taux synthétique de fécondité était en effet passé de 2 enfants par femme en 1955, à moins de 1,26 en 2005, conduisant le nombre des plus de 65 ans à dépasser le nombre des moins de 15 ans dès 1995 (Pelletier, 2008).
Le vieillissement « par le haut » correspond à la hausse généralisée de l’espérance de vie, qui au Japon passe à plus de 85 ans pour les femmes, et à près de 80 ans pour les hommes en 2008. Cette hausse conduit mécaniquement à faire augmenter le nombre absolu de personnes âgées dans l’archipel. Le vieillissement « par le bas » correspond à une baisse du nombre de naissances et à un rétrécissement de la pyramide des âges (figure 12a), conduisant le nombre relatif de personnes âgées à croître dans la population totale du Japon. Ainsi, les plus de 65 ans passent de 7 % en 1970 à plus de 20 % en 2006, et plus de 30 % en 2050 (figures 12b et 12c). Malgré le déclin général de la population du Japon dans les décennies à venir, les catégories les plus âgées du Japon seront les seules à voir augmenter leurs effectifs absolus, en particulier les plus de 75 ans qui ne connaîtront un déclin en nombre d’habitants qu’après 2050 (figure 12d).
Figure 12. La dépopulation du Japon par vieillissement
12a. La pyramide des âges du Japon en 1950, en 2010 et en 2050 Les projections de 2050 se fondent sur le scénario intermédiaire de fécondité. Raphaël Languillon-Aussel. Source : National Institute of Population and Social Security Research, 2012. On observe un rétrécissement des bases : la pyramide bleue de 1950 est très équilibrée, mise à part concernant le phénomène de génération creuse consécutive à la guerre mondiale. Celle de 2010 est inversée par rapport à 1950 : la base se contracte (moins d’enfants et de jeunes), la population active et les pré-retraités sont plus nombreux. En 2050, la structure se décale encore vers le haut, avec un rétrécissement de la base et de la population active, et un sommet très large en particulier concernant les plus de 80 ans. En cents ans (1950-2050), la pyramide s’est retournée. 12c. Évolution des plus de 50 ans par tranche d’âges entre 2000 et 2050 au Japon Raphaël Languillon-Aussel. Source : CEPII, 2006. |
12b. Part des plus de 65 ans en France et au Japon entre 1950 et 2050 Raphaël Languillon-Aussel. Source : Bureau des statistiques du Japon, 2014. Dans les années 2000, on constate un renversement : la part des plus de 65 ans devient plus importante au Japon qu’en France. Le vieillissement japonais est également plus rapide. En cent ans, le taux de séniors passe de moins de 5 % à plus de 33 % au Japon, où il sextuple, alors qu’il ne fait que doubler en France. 12d. Évolution de la population du Japon par tranche d’âges entre 1920 et 2060 Raphaël Languillon-Aussel. Source : National Institute of Population and Social Security Research, 2012. |
Spatialement, la (dé)croissance naturelle du Japon est très variable et très inégale (figure 13a). Alors que la plupart du territoire est concerné par le déclin, quelques départements clés de la mégalopole (megaroporisu) conservent un solde naturel positif en 2005 : il s’agit essentiellement des métropoles de l’axe du Tôkaidô de Tokyo à Ôsaka en passant par Yokohama, Shizuoka et Nagoya, ainsi que de l’isolat correspondant à Fukuoka, à l’extrême sud-ouest de la mégalopole. Une première couronne concerne les départements proches de ces enclaves de croissance, soit essentiellement le reste de la mégalopole. Une seconde couronne correspond aux territoires en kaso, qui en sont les plus éloignés.
Des recompositions internes accentuent le déclin dans certaines régions, en doublant le solde naturel négatif d’un solde migratoire également négatif. Ainsi, 29 départements présentaient un solde migratoire négatif entre 1980 et 1985. On en comptait 33 entre 1995 et 2000, et 37 entre 2000 et 2005, traduisant une tendance à la généralisation (Pelletier, 2008). En 2012, on voit émerger essentiellement deux pôles attractifs : le Kantô autour de Tokyo, et le bassin de Nagoya (figure 13b). Localement, des initiatives existent pour lutter contre le déclin démographique et la déprise rurale, comme celle qui est présentée dans l’article de Thekla Boven : « Vieillissement et déclin rural : redynamiser les campagnes japonaises par les festivals d’art contemporain ».
Dans ce rapide tour d’horizon de l’évolution démographique du Japon, Tokyo apparaît comme la région la plus dynamique, avec un solde naturel et un solde migratoire tous deux positifs. Il faut noter que le département qui perd le plus d’habitants est celui de Fukushima, à la suite de l’accident nucléaire de 2011 et aux départs qui en résultent, soit volontaires, soit depuis la zone d’évacuation autour de la centrale endommagée. Le très fort taux migratoire du département voisin de Miyagi-ken, où se trouve la ville très dynamique de Sendai, s’explique en grande partie par les transferts de populations depuis Fukushima.
Figure 13. Croissance démographique et solde migratoire au Japon, par département
13a. (gauche) Croissance naturelle annuelle par département en 2012. |
2.3. La renaissance inégale des métropoles
La loi de renaissance urbaine des années 2000 et ses logiques métropolitaines.
L’idée de « renaissance urbaine » (toshi saisei) connaît un regain d’intérêt au Japon au début des années 2000. Elle s’insère dans le cadre d’une loi nationale votée en 2002 sous le gouvernement libéral de Junichirô Koizumi après la mise en place du Bureau national de renaissance urbaine en 2001. Elle incarne un tournant politique dans la gestion des métropoles japonaises. Son orientation libérale revêt une dimension nouvelle au Japon : la financiarisation, dont le symbole fort correspond à l’autorisation de la titrisation immobilière en 1999.
Complément 6 : La financiarisation de l'urbain
La financiarisation correspond au rôle croissant que jouent les marchés financiers dans le fonctionnement économique, politique et social des territoires (French, Leyshon et Wainwright, 2011), en l’occurrence la fabrique des espaces urbains. Elle subdivise ces derniers en actifs financiers échangeables sur les marchés, que ces actifs soient immobiliers ou, plus récemment, qu’il s’agisse d’équipements urbains, d’infrastructures et d’opérations de renouvellement. Ce découpage des espaces urbains s’accompagne d’un nouveau marché de la dette immobilière qui joue un rôle grandissant dans la fabrique urbaine.
La financiarisation s’observe dès les années 1990 et se renforce au cours des années 2000. Elle répond à une demande croissante à la suite de trois processus conjoints : une idéologie grandissante qui accorde davantage de légitimité à l’investissement privé dans l’aménagement de l’espace ; des difficultés économiques croissantes rencontrées par les acteurs publics et privés impliqués dans la fabrique urbaine ; le renchérissement des coûts, en particulier suite aux diverses bulles foncières. Certains chercheurs parlent désormais de régime d’accumulation financiarisé (Boyer, 2000).
La financiarisation de la production urbaine fait intervenir tous les acteurs politiques des sociétés modernes. Au niveau national, c’est la puissance publique qui façonne et qui garantit le cadre juridique permettant le déploiement des stratégies financières liées à la circulation du capital (Halbert et Le Goix, 2012). À un niveau plus local, ce sont aussi les acteurs publics et leurs partenaires qui, soutenus ou non par la société civile, ont la capacité d’encourager ou de limiter la financiarisation de la ville. Or, la renaissance urbaine mise en place à Tokyo participe de ce grand mouvement d’encouragement de la financiarisation à tous les niveaux.
Dans cette perspective, la renaissance urbaine n’est pas déconnectée d’enjeux économiques bien plus importants que la seule réactivation du secteur de la construction. C’est une politique hautement stratégique pour un Japon qui a peiné au cours des années 1990 et 2000 à se relever d’un contexte structurellement déflationniste inédit par son ampleur et sa durée. La loi de 2002 tient plus à des enjeux mondialisés qu'à des enjeux proprement urbains : elle s'inscrit donc dans des logiques métropolitaines, que l'on peut résumer autour de trois enjeux généraux.
Le premier enjeu, le plus affiché, est de renforcer l’attractivité et la compétitivité des espaces urbains japonais au niveau international, en particulier face à la montée en puissance des métropoles chinoises. Il est mis en perspective avec le contexte particulier du Japon : chute des taux de natalité, vieillissement de la population, ouverture internationale accrue, informatisation des espaces urbains…
Un deuxième enjeu concerne le rôle « traditionnel » du secteur privé dans la fabrique urbaine (minkatsu). Il a connu un net ralentissement après la Bulle (période spéculative allant de 1986 à 1991) sans pour autant être remplacé par la puissance publique.
Enfin, un troisième enjeu, moins mis en avant mais néanmoins très présent dans la loi, est la liquidation définitive des actifs fonciers toxiques issus de la bulle spéculative, et la réallocation des actifs fonciers non utilisés, sous-utilisés ou mal utilisés((On peut noter toute la subjectivité et le flou conceptuel qui se cachent derrière le vocable de « mauvaise utilisation du foncier » qui permet une interprétation assez large de la loi et une légitimation de projets de renaissance contestables.)).
La renaissance urbaine et le renforcement des inégalités territoriales japonaises
La renaissance urbaine est une politique spatialement très ségrégée et sélective. A l'échelle nationale, le zonage spécial qui en est issu (dit Uruda et Suruda) concerne exclusivement les grandes métropoles situées dans la mégalopole japonaise (figure 14). Au sein de ces métropoles, ce sont les espaces centraux et hyper-centraux qui sont surtout valorisés, alors que les enjeux affichés par la loi concernent l’ensemble des espaces urbains, en particulier ceux souffrant de difficultés. A l’échelle de la mégalopole, l’essentiel des surfaces classées se concentre dans le Kantô (région du grand Tokyo). À l’échelle du Kantô, le zonage spécial se concentre dans les arrondissements centraux de la capitale: Shinjuku (le vice-centre de Tokyo), Shibuya (le cluster créatif), Chiyoda-ku et une partie de Chûô-ku (l’hyper-centre de l’agglomération), le front de mer, une partie d’Ueno (le cluster historique), Shinagawa et Ôsaki. En tout, le zonage recouvre 2 760 ha, soit 4,5 % de la superficie des 23 arrondissements. La conséquence de la renaissance urbaine a été une intense rénovation du tissu urbain, un remembrement du foncier, et une verticalisation des centres métropolitains (figure 15). Rémi Scoccimarro montre bien la mesure du phénomène dans sa contribution sur le Kantô, « Naissance d’une skyline : la verticalisation du front de mer de Tokyo et ses implications sociodémographiques », tandis que Tomoko Kubo en montre le contrepoint avec la dévitalisation des espaces suburbains éloignés : « L'accroissement de la vacance résidentielle dans les villes japonaises : le cas de la périphérie urbaine de Tokyo ». |
Figure 14. Le zonage de renaissance urbaine, une politique métropolitaineRéalisé par l'auteur. Source : MLITT, 2011 |
Figure 15. Le centre de Tokyo dans les années 1970 et dans les années 2010 : verticalisation et formation de la skyline typique d’un CBD globalisé.Deux vues du quartier OMY (acronyme de Otemachi-Marunouchi-Yurakucho). Raphaël Languillon-Aussel. Source : pour la photographie de 1970, site Internet (consultation en juin 2014) ; pour la photographie de 2010, site internet Marunouchi Direct Access (consultation en juin 2014). |
2.4. Le nucléaire, question sociale très vive
Dernier élément d'incertitude de la puissance japonaise, le nucléaire civil et militaire constitue l'un des grands enjeux politique, social et économique du Japon contemporain. Le 11 mars 2011, se produit en effet l’une des pires catastrophes nucléaires de l’histoire, à Fukushima. À la suite du séisme de magnitude 9,1, le tsunami qui a déferlé sur la côte pacifique de l’archipel a ennoyé le système d’alimentation électrique de la centrale. Le refroidissement des cœurs des réacteurs s’est ainsi interrompu, entraînant la fusion d’une partie des matériaux fissiles. Des relevés de 250 mSv ont été faits, dépassant très largement les 20 mSv jugés acceptables en temps normal par l’OMS. La contamination radioactive s’est faite sur une large portion du territoire. À Tokyo, la radioactivité est montée à 15,6 becquerels par mètre cube (Bq/m³), contre 0,1 Bq/m³ la veille de la catastrophe. À Hitachi, située à plus de 100 km de la centrale nucléaire de Fukushima, l’activité de l’iode 131 (isotope radioactif) a été mesurée à 54 100 Bq/kg. Les terribles conséquences pour les territoires et les populations sont détaillées dans deux articles du dossier : « Les migrants du nucléaire » par Cécile Asanuma-Brice et « La reconstruction du Tôhoku (nord-est du Japon) après les catastrophes du 11 mars 2011 » par Rémi Scoccimarro.
La catastrophe de Fukushima a conduit à l’arrêt de toutes les centrales nucléaires du Japon. La décision a été prise par le gouvernement en septembre 2013. Les cinquante réacteurs sont depuis en cours de vérification. Des mises aux normes sont nécessaires pour les plus anciens, sur la base du retour d’expérience de la catastrophe de Fukushima. Cette décision a plongé le Japon dans une grave pénurie énergétique, qui a durablement affecté son système productif et son activité économique. La balance commerciale du pays est devenue déficitaire, et le Japon est entré en récession en 2011 (–0,45 %), puis de nouveau en 2013.
Le retour au pouvoir des conservateurs en décembre 2012 a relancé la question du nucléaire. Si les partis de centre-gauche, de gauche et les écologistes y sont opposés, arguant du fait que le Japon est un pays trop sismique, les conservateurs sont favorables à une reprise progressive de l’activité des réacteurs mis aux normes, pour des raisons économiques. Une première centrale, celle près de Sendai (au nord de Fukushima), a ainsi été rouverte fin 2014, avant d'être de nouveau arrêtée.
L'enjeu du nucléaire civil du gouvernement ultra-libéral et conservateur de Nakasone dépasse cependant la seule sphère de l'économie. Le nucléaire est bien entendu crucial pour répondre aux ambitions militaires du parti au pouvoir qui vise, à terme, à réviser la Constitution pacifiste du Japon et doter le pays de l'arme nucléaire afin de faire le pendant à la Chine et, plus récemment, à la Corée du Nord. Les déboires du nucléaire civil et les vives tensions sociales qu'ils provoquent hypothèquent ainsi l'évolution future de la puissance militaire et politique japonaise dans le concert des Nations nucléarisées.
Conclusion. Le Japon à la croisée des chemins
Contrairement aux décennies du second vingtième siècle, le Japon actuel se trouve à un moment particulièrement incertain de son histoire. Les années de Haute croissance comme celles de la Bulle spéculative portaient le pays vers un futur supposé radieux. Les années 1990 étaient clairement une décennie de crise et de restructuration. Les années 2000 étaient celles de la stabilisation et d'un nouveau départ. Actuellement, il est difficile de qualifier le Japon des années 2010, à la fois renaissant, décroissant, vieillissant, mature, ambitieux, étriqué…
Ce qui est plus certain, c'est qu'un grand nombre d'équilibres internes sociaux, politiques et économiques hérités de la période d'après-guerre et mis en place sous l'occupation américaine se sont rompus. Pour la première fois de son histoire, le Japon tente une ouverture à l'international qui ne soit pas le fait d'une agression (qu'elle provienne de l'extérieur ou soit le fait d'un mouvement expansionniste) : le Japon essaie de trouver à dans le Monde les ressources nécessaires au dépassement de ses faiblesses domestiques afin de nourrir ses ambitions de puissance.
* * *
2. Cadrage pédagogique
par Nathalie Reveyaz
Le Japon comme puissance était un territoire présent et étudié dans les programmes de la géographie scolaire. La prise en compte des pôles de puissance de la triade (Ohmae, 1985) lui donnait une part importante dans une appréhension d’une mondialisation émergeante qualifiée dès 1984 de « système-monde » par Olivier Dollfus (1984) que l’on retrouve comme telle dans les programmes des années 1990 en lycée. Le processus de mondialisation progressant les aires de puissance, l’émergence, puis l’affirmation de la Chine ainsi que l’adoption de l’échelle continentale comme grille de lecture ont fait se déplacer le centre dynamique de cet espace conférant au Japon une place plus réduite dans les programmes actuels. Comme territoire, il est étudié dans l’approche par aire continentale dans une démarche comparative avec la Chine sur les échelles de puissance en classes de terminales générales((Bulletin officiel n° 42 du 14 novembre 2013 et Bulletin officiel n° 8 du 21 février 2013)) (ES-L- S). Cependant, le Japon permet d’étudier ou de construire des notions centrales des programmes du collège (cycle 3 et 4) et du lycée (seconde générale et préparatoire au CAP, première STI, STL, bac pro((Bulletin officiel n° 42 du 14 novembre 2013 – Annexe 1)), terminale STMG, ST2S, et ES-L-S) comme la mondialisation, la métropolisation, la prévention et la gestion des risques, et le concept de puissance. Par son étude, les enseignants construisent la culture géographique des élèves en les invitant à la découverte et à la compréhension d’autres territoires mondiaux en appréhendant le rapport particulier société – territoire de l’archipel nippon.
Le dossier régional « Le Japon : les faiblesses d’une puissance » propose aux enseignants des entrées pour des études de cas ou des approches notionnelles des questions programmes. Le dossier permet, tout particulièrement, de conduire une réflexion sur la notion de puissance autour de ses attributs, avec une inscription dans un territoire tout en la nuançant par un raisonnement sur ses limites, ses faiblesses en considérant l’adaptation et la résilience d’une société.
Quelques propositions de démarches
Par des entrées notionnelles :
Pour étudier le processus de métropolisation dans un contexte de mondialisation, plusieurs entrées programmes sont concernées : en collège en classe de 6e avec l’étude de la littoralisation, la métropolisation et la physionomie urbaine par les thèmes « Habiter une métropole », « habiter les littoraux » ; en classe de 4e pour le thème 1 « L’urbanisation du monde » ; pour le lycée les thèmes 2 « Les dynamiques de la mondialisation » en terminale ES-L et en terminale S par une considération des lieux et des métropoles comme acteurs de la mondialisation et la question « Pôles et aires de puissance » avec l’étude des villes mondiales pour les première prépa pro. Notamment l’article autour de la verticalisation des villes : « Naissance d’une skyline : la verticalisation du front de mer de Tokyo et ses implications sociodémographiques » par Rémi Scoccimarro ou les effets spatiaux de l’urbanisation : « Les cités-jardins au Japon : entre urbanisme occidental et hybridation locale » par Tomoko Kubo. La mise en concurrence des villes implique une adaptation de leur part ; l’article « Les villes « intelligentes » au Japon » de Nicolas Leprêtre peut permettre d’aborder pour la classe de 4e dans le thème 1, le sous-thème – « Des villes inégalement connectées aux réseaux de la mondialisation ».
Pour étudier les dynamiques internes d’un territoire que ce soit les dynamiques spatiales liées à des initiatives de revitalisations spatiales à cause du vieillissement de la population : « Vieillissement et déclin rural : redynamiser les campagnes japonaises par les festivals d’art contemporain » par Thekla Boven, ou dynamiques spatiales consécutives à une adaptation économique : « L'accroissement de la vacance résidentielle dans les villes japonaises : le cas de la périphérie urbaine de Tokyo » dirigé par Tomoko Kubo.
Pour interroger dans la notion de puissance, dans sa dimension humaine en interrogeant le poids démographique dans la puissance en lien avec le vieillissement de la population « Le Japon : le dépeuplement et ses conséquences » par Gérard-François Dumont. Interroger la maitrise de son territoire par une puissance dans un travail en miroir des limites de la puissance, de son déclin, avec des espaces en crise (déprise rurale, vacance résidentielle, catastrophe nucléaire) face à des espaces en pointe (villes intelligentes, création urbaine, verticalisation).
Pour appréhender la notion d’insularité, du rapport terre-mer, en considérant la représentation et la prégnance de ces dimensions dans la compréhension d’un espace maritime. L’article de Philippe Pelletier dans la rubrique Un autre regard propose cette réflexion sur l’identité même de l’espace nippon à travers « Un regard géolinguistique, l’entre-deux (ma) de l’île japonaise (shima) ». Cette réflexion apporte un éclairage sur la mondialisation, la littoralisation comme sur l’espace maritime et un monde maritimisé (classe de 4e et terminales ES-L-S).
Une entrée pour aborder avec la notion de risque, les effets spatiaux et humains en considérant la résilience de la société avec « La reconstruction du Tôhoku (nord-est du Japon) après les catastrophes du 11 mars 2011 » par Rémi Scoccimarro ou l’analyse de Cécile Asanuma-Brice dans la rubrique Un autre regard : « Les migrants du nucléaire ».
Des entrées à considérer pour construire des études de cas :
Les différents articles du corpus peuvent servir d’appui à des approches pour traiter les espaces transformés par la mondialisation.
Pour les première STI – STL, l’article « Tokyo, ville globale olympique : de l’échec du projet de 2016 au succès de la candidature de 2020 » par Raphaël Languillon-Aussel peut être mobilisé pour le sujet d’étude « Les jeux Olympiques, un enjeu mondial ».
Ce même article peut alimenter la réflexion autour d’un objet touristique particulier que constituent les jeux olympiques dans la thématique « Espaces et identités touristiques » du programme des BTS Tourisme et territoire.
Bibliographie
- Augendre Marie (2008), Vivre avec le volcan. Une géographie du risque volcanique au Japon, thèse de doctorat effectuée à Lyon 2 sous la direction de Philippe Pelletier.
- Baudel Guy (2003), Géographie du peuplement, Paris, Armand Colin, 192 p.
- Boyer R. (2000), “Is a finance-led growth regime a viable alternative to fordism? A preliminary analyse”, Econoy and Society, n°29-1, pp. 111-145
- Bulletin Officiel de l’Éducation nationale : retrouvez les liens vers les programmes, fiches-ressources et ressources de Géoconfluences dans le Tableau de synthèse des ressources pour les classes
- Clancey G. K. (2006), Earthquake Nation: the Cultural Politics of Japanese Seismicity, 1868-1930, University of California Press, 331 p.
- Coanus T. (1992), « La thématique contemporaine du risque : entre demande sociale et recherche scientifique » in Le risque en montagne. Les réalités et les images, Éditions du CTHS, Paris, p. 13-19
- Dollfus Olivier, « Le système monde. Proposition pour une étude de géographie », Actes du Géopoint. Systèmes et localisations, Université d'Avignon, 1984, p. 231–240.
- Dorel G. (2008), Atlas de la Californie au cœur de toutes les mutations contemporaines, Éd. Autrement.
- French S., Leyshon A. et Wainwright T. (2011), “Financializing space, spacing financialization Progress”, Human Geography, n°35-6, pp. 798-819.
- Halbert L. et Le Goix R. (2012), « La ville financiarisée », Urbanisme, n° 384, p.40-72
- Ohmae, Kenechi, (1985), Triade Power: The Coming Shape of Global Competition, Kodansha Publishing Company
- Ohmae, Kenechi, La Triade, émergence d’une stratégie mondiale de l’entreprise, Flamarion, 1985
- Pelletier Philippe (2012), Le Japon, Le Cavalier Bleu, coll. Idées reçues, 2e édition, 127 p.
- Pelletier Philippe (2008), Atlas du Japon. Une société face à la post-modernité, Paris, Editions Autrement, 80 p.
- Pelletier Philippe (1997), La Japonésie. Géopolitique et géographie historique de la surinsularité au Japon, Paris, CNRS Éditions, 391 p.
- Pour plus de références, voir la bibliographie complète du dossier.
Raphaël LANGUILLON-AUSSEL
chercheur de la Confédération Suisse – Université de Genève, chercheur associé – UMR 5600, Université de Lyon, ancien boursier du Comité International Olympique
Nathalie REVEYAZ,
IA-IPR histoire et géographie – Académie de Grenoble
Mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :Raphaël Languillon-Aussel et Nathalie Reveyaz, « Le Japon : les fragilités d'une puissance », Cadrage scientifique et pédagogique du dossier, Géoconfluences, 2017. |
Pour citer cet article :
Raphaël Languillon-Aussel et Nathalie Reveyaz, « Cadrage : Japon, les fragilités d'une puissance », Géoconfluences, octobre 2017.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/japon/cadrage-et-problematiques-generales