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Gentrification

Publié le 09/02/2024
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La gentrification désigne une forme particulière d’embourgeoisement d’un espace populaire qui passe par la transformation de l’habitat, des commerces ou de l’espace public. Il s’agit d’une transformation sociale qui se traduit par une transformation matérielle et symbolique de l’espace. C’est aussi un processus d’appropriation d’un espace populaire par des groupes sociaux généralement issus des classes moyennes et supérieures et, parallèlement, une dépossession des habitants des classes populaires.

« La gentrification nous apparaît comme un processus de (re)valorisation économique et symbolique d’un espace, qui s’effectue en partie sous le sceau d’un certain modèle d’urbanité inspiré par la ville ancienne européenne et à travers la concurrence entre différents acteurs et groupes sociaux inégalement dotés pour son appropriation et sa transformation. » (Chabrol et al., 2016, p. 68).

Le terme lui-même vient de l’anglais gentry, terme péjoratif pour qualifier « les gens bien nés ». Il a été inventé en 1960 par la sociologue allemande exilée à Londres, Ruth Glass, à propos de quartiers populaires anciens de la capitale anglaise en pleine transformation. « À l’origine, la gentrification désigne un processus conjuguant réhabilitation de quartiers populaires d’habitat ancien et transformation de leur profil social, par l’installation de ménages des classes moyennes et supérieures et l’éviction graduelle des classes populaires initialement en place. » (Clerval, Colomb et Van Criekingen, 2011, p. 151). Identifiés d’abord dans les villes britanniques et nord-américaines, il concerne des quartiers emblématiques comme Barnsbury à Londres, Greenwich Village, SoHo ou le Lower East Side à New York, Castro, Mission et Noe Valley à San Francisco, le Plateau Mont-Royal à Montréal, ou encore le centre d’une ancienne ville industrielle et ouvrière comme Manchester. Il se retrouve dans de nombreux centres-villes européens, du Raval barcelonais à Prenzlauerberg à Berlin, en passant en France par l’Est parisien ou la Croix-Rousse à Lyon.

Les anciens quartiers ouvriers des centres-villes sont transformés par la réhabilitation de l’habitat ancien, la montée en gamme des commerces ou l’embellissement de l’espace public. Cela contribue à la hausse des prix immobiliers qui évince progressivement les classes populaires. Ces dernières sont contraintes, après plusieurs années de ce processus, à s’éloigner en périphérie ; la hausse des prix du centre entretient ainsi l’étalement urbain.

Depuis la fin des années 1990, la gentrification s’est considérablement diffusée, touchant désormais des quartiers périphériques et d’autres contextes urbains comme les grandes villes des pays émergents. À côté de la gentrification progressive, par le jeu du marché immobilier, on trouve aussi des opérations planifiées de démolition-reconstruction, notamment de friches industrielles, qui sont qualifiées de new build gentrification. Au-delà des logiques de production capitaliste de la ville, cela pose la question du rôle des politiques publiques dans ces processus d’appropriation des espaces populaires au profit de groupes sociaux dominants. On s’intéresse aussi de plus en plus à la gentrification rurale, même si celle-ci était étudiée déjà depuis les années 1960.

La diffusion du processus et sa médiatisation (qui participe à la transformation symbolique d’un espace) ont entraîné une inflation de l’usage du terme dans le débat public. Cela trend à brouiller sa définition, mais aussi à occulter la riche littérature scientifique sur le concept. Sa dimension critique initiale est parfois perdue de vue. Certains géographes se félicitent ainsi publiquement, dans leurs prises de parole publiques, d’un embourgeoisement qu’ils perçoivent comme désirable, oubliant la violence symbolique de la gentrification qui implique, par définition, l’éviction de groupes dominés.

La diffusion du processus à travers le monde pose le défi de tenir compte à la fois des logiques générales d’appropriation ou de dépossession à l’œuvre dans les espaces populaires, et de la spécificité des contextes locaux qui se traduisent par des formes très variées de gentrification. Un débat existe, parmi les spécialistes de ce processus, entre les tenants d’une définition générique de la gentrification, dont la portée analytique permet d’éclairer des contextes très différents, et ceux d’une définition contextuelle, selon laquelle il faudrait réserver le terme aux processus d’embourgeoisement progressif des quartiers populaires anciens centraux ou péricentraux des pays du Nord.

Anne Clerval, mai 2022. Dernière modification (JBB), novembre 2023.


Références citées
  • Adam Matthieu et Comby Émeline, « Villes et capitalisme », intervention lors du café géo organisé par la Géothèque à Lyon, novembre 2021.
  • Chabrol Marie, Collet Anaïs, Giroud Matthieu, Launay Lydie, Rousseau Max, Ter Minassian Hovig (dir.), Gentrifications, éd. Amsterdam, 2016, 360 p. Voir la veille à ce sujet.
  • Clerval Anne, Colomb Claire et Van Criekingen Mathieu, « La gentrification des métropoles européennes » in Denise Pumain et Marie-Flore Mattei (coord.), Données urbaines 6, Paris, Economica, 2011, p. 151–165.
  • Clerval Anne et Van Criekingen Mathieu, « "Gentrification ou ghetto", décryptage d’une impasse intellectuelle », Métropolitiques, 20 octobre 2014
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