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Rio de Janeiro, portrait géographique

Publié le 06/07/2016
Auteur(s) : Hervé Théry, directeur de recherche émérite au CNRS-Creda - professeur à l'Université de São Paulo (PPGH-USP)

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L'article évoque les particularités du site, les étapes de la croissance, les principaux symboles de la ville (le Christ du Corcovado, la plage de Copacabana et le stade Maracanã), pour finir par les favelas, qui sont intimement liées à l'image de la ville et ont été récemment l'objet d'une vigoureuse politique de « reconquête ».
Voir l'article de Pascal Gillon, Les Jeux Olympiques de Rio 2016 : un héritage mais au profit de qui ?, juillet 2016
Consultez aussi notre sélection de ressources classées, juillet 2016

Quelques éléments de cadrage permettent de mieux comprendre cette métropole de plus de 10 millions d'habitants sur laquelle les JO attirent l'attention de la planète entière, sans que les médias prennent toujours le temps de présenter la ville qui les accueille.
On évoquera les particularités du site, les étapes de la croissance, les principaux symboles de la ville (le Christ du Corcovado, la plage de Copacabana et le stade Maracanã), pour finir par les favelas, qui sont intimement liées à l'image de la ville et ont été récemment l'objet d'une vigoureuse politique de « reconquête ».
 

1. Un site spectaculaire et contraignant

La ville occupe la rive occidentale de la baie de Guanabara et ses îles (comme celles de Paquetá et du Governador, où est situé l'aéroport international). Elle s'est développée dans les étroites plaines inondables comprimées entre les montagnes qui encadrent la baie. Celles-ci forment trois grands massifs, Pedra Branca, Gericinó et Tijuca, avec des pics remarquables comme le Pain de sucre et le Corcovado.

Source : Rio de Janeiro aqui

Le littoral de la ville s'étend sur près de 200 km et comprend plus de cent îles, qui totalisent 37 km2. Il est composé de trois parties : la baie de Guanabara à l'est, la baie de Sepetiba à l'ouest et la côte ouverte sur l'océan Atlantique au sud. La côte de la baie de Guanabara est basse, compte de nombreuses îles, le littoral sur l'Atlantique est marqué par des alternances de côtes escarpése, lorsqu'il borde des ramifications côtières des massifs de Pedra Branca et Tijuca, et de côtes basses, où s'étendent les plages intégrées dans le paysage urbain. Plusieurs lagunes, comme celles de Tijuca, Marapendi, Jacarepagua et Rodrigo de Freitas ont été formées dans les basses terres, ainsi que des marais pas encore complètement drainés.
Entre mer et montagne

Source : Rio de Janeiro aqui

La baie de Guanabara

La baie de Guanabara est le résultat d'une dépression tectonique formée entre des blocs faillés de la Serra dos Órgãos et de divers petits massifs côtiers. Avec une superficie d'environ 380 km², c'est la deuxième plus grande baie brésilienne. Son entrée est formée par un rétrécissement d'une largeur de 1600 mètres situé entre la pointe de la forteresse São João, du côté de Rio de Janeiro, et la pointe de la forteresse de Santa Cruz, du côté de Niteroi. Au milieu de ce goulet se trouve un écueil rocheux (île Laje), utilisé depuis l'époque coloniale comme site de défense, c'est là qu'est bâti l'actuel fort Tamandaré (anciennement Forte da Laje).
La profondeur moyenne est de 17 mètres dans le chenal d'entrée, de 8 mètres à la hauteur du pont Rio-Niteroi et de 3 mètres vers le fond de la baie, où se jettent plusieurs cours d'eau. L'accumulation de sédiments y a permis la formation de mangroves, dont la survie est compromise par la croissance urbaine et la présence d'une grosse raffinerie de pétrole, qui a déjà causé plusieurs graves marées noires.
Comme par ailleurs c'est là que sont situées la plupart des banlieues industrielles et populaires de la ville, ces dernières dotées d'égouts très déficients, la pollution de la baie est forte. Sa dépollution est promise depuis des décennies – et l'a encore été pour les JO – mais il est déjà acquis que les travaux ne seront pas réalisés à temps. Certains concurrents étrangers des épreuves de voile, qui devraient se tenir dans la baie, ont demandé à ce qu'elles soient réalisées en mer, au grand dépit des concurrents brésiliens qui perdraient ainsi l'avantage que la familiarité avec les particularités de la baie leur procurait.

Le massif de Tijuca

Le massif est formé par une série de reliefs abrupts, la masse montagneuse étant dominée par une série de morros (mornes tropicaux) dégagées par l'érosion dans des gneiss et des granites. Le plus connu est le Pain de Sucre (396 m) qui marque l'entrée de la baie, mais qui est loin d'être le seul, le Corcovado atteint 710 m, le point culminant de Rio étant à 1 024 mètres au Pico da Pedra Branca, dans le massif du même nom.
Une grande partie de sa superficie est occupée le parc national de Tijuca, la troisième plus grande forêt urbaine au monde (après le Parque Estadual da Pedra Branca, également à Rio de Janeiro, et le Parque da Cantareira à São Paulo), qui abrite de nombreuses espèces de faune et la flore caractéristiques de la Mata Atlântica (forêt atlantique).
L'aéroport Santos Dumont et les massifs de Tijuca et de Pedra Branca

Le massif de Tijuca se situe juste en arrière du centre-ville. À l'arrière-plan, le massif de Pedra Branca, et au premier plan, l'île de Villegaignon, siège de l'École Navale brésilienne et qui a été rattachée à la ville par la construction de l'aéroport Santos Dumont.

Contraintes du site et  développement aéroportuaire

Le développement d'un aéroport permettant l'atterrissage des avions longs courriers (en plus des hydravions qui se posaient déjà sur les eaux calmes de la baie) a été rendu nécessaire, malgré les difficultés du site, par le développement de la ville et son statut de capitale fédérale jusqu'en 1960. L'urbaniste français Alfred Agache conçut donc l'aéroport Santos Dumont (du nom du pionnier franco-brésilien de l'aviation) au début des années 1930.
En 1934, les travaux commencèrent par la construction d'un remblai de plus de 370 000 m², utilisant environ 2,7 millions de m³ de sable. L'aéroport a commencé son activité commerciale en 1936 avec une piste de 700 mètres, prolongée à 1 050 mètres en 1938, pour répondre à la demande accrue. Le terminal pour passagers a été inauguré en 1945, les travaux commencés en 1938 ayant été interrompus pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1947 la piste a été étendue à 1350 mètres et l'aéroport a connu son pic de trafic, avant que les vols intercontinentaux ne soient transférés à l'aéroport du Galeão (rebaptisé Tom Jobim, en 1999, du nom du père de la bossa nova), situé sur l'île du Gouverneur, sur la rive occidentale de la baie de Guanabara.
Avec la construction de Brasilia, la nouvelle capitale du Brésil, et l'affirmation croissante de São Paulo comme la ville la plus importante du pays, l'aéroport de Rio de Janeiro a subi une réduction du trafic mais le « pont aérien » Rio-São Paulo est à lui seul plus que suffisant pour assurer à Santos Dumont une demande constante de passagers intéressés à débarquer directement au centre-ville. Au début des années 2000, il fonctionnait à plus du double de sa capacité, avec environ 5 millions de personnes chaque année, pour une capacité opérationnelle de seulement 1,8 million de passagers par an.

 

3. Les étapes de la croissance de Rio

La ville coloniale (1565-1822)

Les navigateurs portugais ont découvert la baie de Guanabara en 1502, qu'ils nommèrent Rio de Janeiro. Les Français y firent une courte incursion entre 1555 et 1560 et y fondèrent une colonie − Villegagnon, chef de l'expédition, a donné son nom à un îlot de la baie.
La victoire du Portugais Estácio de Sá sur les Français en 1565 a permis de fonder définitivement Rio de Janeiro et de repousser ensuite toute nouvelle tentative d'invasion étrangère. La ville portugaise a été implantée sur le Morro do Castelo (morne du château), complètement rasé en 1922 lors de l'une des grandes réformes urbaines de cette période.
Pendant la plus grande partie du XVIIe siècle, la ville a connu un développement urbain lent. Cependant, avec l'invasion hollandaise du Nord-Est du Brésil (1624-1654), qui assurait l'essentiel de la production de sucre et des exportations, les quelques plantations que comptaient les environs de la ville ont prospéré. Avec environ 30 000 habitants dans la seconde moitié du XVIIe siècle, Rio de Janeiro était devenue la ville la plus peuplée du Brésil, et avait pris une importance fondamentale pour la domination coloniale.

Les quais de l'époque coloniale

Cette importance s'est encore accrue avec la découverte des gisements d'or du Minas Gerais au XVIIIe siècle car sa relative proximité par rapport à eux a permis la consolidation de la ville comme port et centre économique. La ville présentait en effet l'avantage de pouvoir être reliée aux mines d'or par un nouveau chemin (le caminho novo) plus court que celui qui menait à São Paulo ou à Salvador. Il était en outre plus facile d'y contrôler le passage des convois de mules – et donc de prélever l'impôt dû à la Couronne – que sur des chemins plus fréquentés. Comme ce tribut était d'une importance vitale pour le Portugal, le premier ministre portugais, le marquis de Pombal, transféra donc, en 1763, la capitale de la colonie de Salvador à Rio de Janeiro.
Un autre facteur essentiel de la croissance fut le repli de la cour portugaise au Brésil lors des guerres napoléoniennes. Menacé par l'avancée des troupes de Junot vers Lisbonne, en 1807, le roi du Portugal João VI avait été évacué par la Royal Navy vers la colonie portugaise du Brésil avec toute sa cour, soit au total près de 15 000 personnes. Après un bref séjour à Salvador, le roi fixa sa résidence à Rio, qui comptait alors 60 000 personnes, dont 40 000 esclaves noirs, et la ville dut rapidement s'adapter à la présence de centaines de nobles portugais et de leurs serviteurs. La ville gagna ainsi, lors de ce séjour qui dura de 1808 à 1821, des palais dignes du roi et de sa cour ainsi que bon nombre de bâtiments publics (bibliothèque, imprimerie, banque, fabrique de poudre, etc.) que le Portugal avait jusque là refusés à sa colonie.

La ville impériale (1822-1889)

Après l'Indépendance du Brésil, en 1822, la ville en est devenue la capitale, tandis que la province de Rio de Janeiro s'enrichissait avec la production de canne à sucre dans la région de Campos, et surtout avec les nouvelles plantations de café dans la vallée du Paraíba. Afin de séparer la province de la capitale de celle de l'Empire, la ville est devenue en 1834 une « municipalité neutre », Niterói devenant la capitale de la province de Rio de Janeiro.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la ville a grandi rapidement. En tant que centre politique du pays, elle concentrait la vie politique de l'Empire, depuis la cour impériale jusqu'aux mouvements abolitionnistes et républicains. Il ne reste malheureusement pas grand-chose de ce Rio du XIXe siècle, car la rapide croissance urbaine du XXe siècle et l'étroitesse du site a constamment contraint les bâtisseurs à démolir les bâtiments existants pour les remplacer par des bâtiments neufs.

Le nouveau plan de la ville de 1867

Source : Library of Congress, Geography and Map Division.
Pour voir la carte en meilleure résolution, cliquer ici.

Les derniers témoins de la ville du XIXe siècle

La forte croissance urbaine à partir de la fin du XIXe s.

Après la proclamation de la République, en 1889, la ville a dû faire face à de graves problèmes sociaux découlant d'une croissance rapide et non planifiée. Avec la fin de l'esclavage en 1888, elle a commencé à recevoir un grand nombre d'anciens esclaves, expulsés des plantations, ainsi que des immigrants européens, attirés par l'appel massif au travail salarié. Entre 1872 et 1890, sa population a doublé, passant de 274 000 à 522 000 habitants et Rio a changé de visage. La prospérité relative de l'époque a permis de transformer profondément son urbanisme en ouvrant de larges avenues et en remplaçant la plupart des bâtiments portugais par des édifices de styles importés d'Europe, notamment de France, comme le théâtre municipal très inspiré de l'Opéra de Paris.

Dans le même temps, la croissance de la population a exacerbé la crise du logement, constante dans la vie urbaine de la ville depuis le milieu du XIXe siècle. L'épicentre de la crise se situait au coeur de la ville, là où la surpopulation et la dégradation de l'habitat facilitaient l'éclosion de violentes épidémies de fièvre jaune, de variole et de choléra, qui décimaient souvent les immigrants dès leur arrivée. La fièvre jaune ne fut vaincue que quand Oswaldo Cruz (dont l'équivalent brésilien de l'Institut Pasteur porte aujourd'hui le nom), prouva que sa transmission était due à un moustique, et non à la contagion comme on le croyait à l'époque : une vigoureuse campagne de démoustication permit alors de faire disparaître ce fléau.
Cette campagne, et d'autres campagnes sanitaires lancées par les gouvernements de l'époque, ne furent pourtant pas toujours bien reçues par la population. Plusieurs révoltes populaires se produisirent, en particulier la Révolte des vaccins de 1904 [1], qui avait été attisée par des mesures impopulaires, comme les réformes urbaines du centre, réalisées par l'ingénieur Pereira Passos, surnommé le « Haussmann carioca ». Elles avaient entraîné la démolition de nombreux immeubles et les pauvres avaient été repoussés de la région centrale vers les pentes des mornes, en particulier les Morros da Saúde e da Providência (de la Santé et de la Providence). Ces habitats se sont alors développés de façon très désordonnée, donnant naissance aux premières favelas.

Après le transfert de la capitale fédérale à Brasilia en 1960, la ville de Rio de Janeiro est devenue pour un temps un État, sous le nom de d'État de Guanabara, puis le 15 mars 1975 a eu lieu sa fusion avec l'ancien État de Rio de Janeiro, dont elle devint la capitale. À la même époque, le « miracle économique » brésilien a permis de financer (entre autres travaux pharaoniques comme la route Transamazonienne) la construction du pont Rio-Niterói traversant la baie de Guanabara.

Aujourd'hui, même après avoir perdu son statut de capitale, Rio reste la vitrine du pays dans bien des domaines et accueille souvent les grandes manifestations de prestige. En 1992, la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUCED), ou Sommet de Rio, a rassemblé des délégations de 175 pays. 20 ans plus tard, en 2012, un nouveau Sommet de la Terre, aussi appelé « Rio plus 20 » a réuni 188 pays.
Outre ce statut particulier, Rio a gardé quelques secteurs d'excellence pour lesquels elle n'a pas de rivaux, par exemple les chantiers navals. De surcroît, elle a pu garder le siège de quelques très grandes entreprises comme le groupe de médias Globo, la compagnie pétrolière Petrobras ou la Banque nationale de développement économique et social (BNDES). Enfin la découverte du pétrole au large de la ville en 1974 a causé un boom immobilier qui a accéléré sa croissance. Celle-ci se produit en grande partie le long du littoral en direction de l'ouest, en particulier vers l'immense quartier nouveau de Barra da Tijuca.

La croissance urbaine des trois capitales brésiliennes

 
Quand Rio voulait ressembler à Paris

Le théâtre municipal de Rio inauguré en 1909 est très inspiré de l'Opéra de Paris.
 

Le centre et le pont Rio-Niteroi

Le pont Rio-Niterói traverse la baie de Guanabara sur près de 14 km.
 

Barra da Tijuca

Le nouveau quartier de Barra da Tijuca où se déroulera une bonne partie des épreuves olympiques.

Complément : Les symboles de Rio : Le Christ du Corcovado, la plage de Copacabana, le stade Maracanã

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4. Les favelas, entre croissance et « reconquête »

Les favelas représentent une part croissante de la population de la ville. En vingt ans, entre 1991 et 2010, leur population est passée de 882 483 à 1 443 773 habitants, soit une augmentation de plus de 63 %. Au total, elles ont vu leur part dans la population passer de 10 % en 1960 à 22 % en 2010. Elles croissent beaucoup plus vite que celle des quartiers de l’« asphalte », pour reprendre la façon dont les habitants appellent le reste de la ville.

Parmi les nouvelles favelas, un tiers se sont installés dans les régions de Barra da Tijuca et Jacarepaguá. Dans ces secteurs la croissance de la population a été rapide, avec des taux de 7,5 % par an à Jacarepaguá et de près de 10 % à Barra da Tijuca, allant jusqu'à 19 % par an dans la seconde moitié des années 1990. Si la croissance continuait à ce rythme, la majorité de la population de Jacarepaguá vivrait dans les favelas en 2024.

La favela Santa Marta et le quartier de Botafogo

Dans le centre, la division sociale de l'espace est nette.

 
Population des favelas par AP (aires de planification) 1991-2010
  1991 2000 2010 % de la population dans les favelas Variation 2000-2010 (en %)
population des favelas population hors favelas
Total 882 483 1 092 476 1 443 773 23 + 19 + 5
AP 1  Centro 85 182 76 787 28 060 27 + 28 + 4
AP 2  Zona Sul 127 104 146 538 58 305 33 + 15 - 1
AP 3  Zona Norte 480 524 544 737 149 014 23 + 11 - 1
AP 4 Barra/Jacarepaguá 72 182 144 394 13 310 6 + 53 + 28
AP 5 - Zona Oeste 117 491 180 020 34 369 13 + 15 + 8

Source : Estimation de l'Instituto Pereira Passos (IPP) à partir du recensement de l'Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IGBE) de 2010

Les dix plus grandes favelas en 2010
Favelas AP* Nombre de domiciles Population
Rocinha 2 23 347 69 156
Maré 3 20 897 64 046
Rio das Pedras 4 22 131 63 453
Alemão 3 18 226 60 555
Fazenda Coqueiro 5 14 266 45 366
Vila Cruzeiro 3 9 791 35 971
Jacarezinho 3 10 167 34 193
Acari 3 6 457 21 986
Vigário Lucas 3 5 494 20 563
Bairro da Pedreira 3 6 020 20 508

Source : Estimation IPP à partir du recensement IBGE de 2010

 

La « reconquête » des favelas

Le mot « reconquête » désigne les événements des derniers jours de novembre 2010, lorsque de véritables scènes de guerre ont opposé les forces de sécurité brésiliennes et des centaines de trafiquants de drogue retranchés dans le complexe de favelas de la Vila Cruzeiro et du Complexo do Alemão, faisant au moins quarante morts. Les forces de sécurtié ont lancé l'assaut dans ce groupe de bidonvilles, avec l’appui d’hélicoptères et de blindés des fusiliers marins. Le journal O Dia du 29 novembre 2010 raconte : « La police brésilienne a hissé le 28 novembre, en signe de victoire, le drapeau national au sommet d’un bastion de narcotrafiquants situé dans le nord de Rio. En l’espace de deux heures, quelque 2 600 hommes, parachutistes et troupes de choc de la police, appuyés par des blindés et des hélicoptères, ont pris le contrôle du Complexo do Alemão, un ensemble de quinze favelas dans lequel vivent 400 000 personnes » et conclut : « Il s’agit d’une journée historique pour les honnêtes citoyens de Rio » [3].
Cette reconquête militaire s'est ensuite poursuivie dans d’autres favelas de Rio, trop longtemps abandonnées par les pouvoirs locaux. Elle était attendue depuis au moins vingt ans par des habitants otages du trafic de drogue qui ne supportaient plus de voir tous les actes de leur vie quotidienne régis par les trafiquants : la distribution du gaz, de l’eau, de l’électricité et l’accès – piraté – à Internet et à la télévision numérique étaient sous le contrôle des gangs, les commerçants étaient souvent sommés de fermer leurs magasins quand un chef de gang était tué dans un règlement de compte.
Au-delà de cette opération spectaculaire – et conçue pour l’être –, la reconquête des favelas par les pouvoirs publics s'est-elle poursuivie ?

Elle s’est prolongée en 2011, et la cible a été la favela de Rocinha, la plus peuplée de Rio. Elle comptait en 2010, selon les données du recensement, 68 530 habitants, et sa population a augmenté de 23 % en dix ans. Sa reconquête a commencé le dimanche 13 novembre 2011, menée par la police militaire de l’État de Rio de Janeiro (l'équivalent local de la gendarmerie) et les fusiliers marins, les policiers progressant par les voies d’accès principales tandis que les chars et véhicules amphibies de la Marine contrôlaient les accès. Un an plus tard, une Unité de police pacificatrice (UPP) permanente y a été inaugurée avec 700 policiers communautaires spécialement formés, la 28ème unité installée dans l’une des 750 favelas de Rio. Comme on ne peut circuler en voiture que dans 20 % de la favela, les policiers patrouillent en moto et à pied dans les quartiers, appuyés par cent caméras de surveillance. « La police est ici et va y rester pour toujours », a promis en 2012 le gouverneur de Rio.
Rocinha, la plus grande favela du pays

De nouvelles opérations ont été menées au début du mois d’octobre 2013 dans huit favelas du Complexo do Lins, dans la proche zone nord (près du quartier de Méier). Puis le dimanche 30 mars 2014, la police militaire a occupé, toujours dans la zone nord, les bidonvilles du complexe de Maré, qui compte dans ses quinze favelas un peu moins de 130 000 habitants, pour y installer la 39ème UPP de Rio. La région, une des plus violentes de la capitale, est considérée comme stratégique car située entre la Linha Vermelha, la Linha Amarela et l’Avenida Brasil – les principales artères de la ville – et l’aéroport international Tom Jobim. Il n’y a eu aucun affrontement lors de l’occupation, 102 personnes avaient été arrêtées une semaine avant, quand avaient commencé les préparatifs de l’opération.
Une nouvelle fois, les drapeaux du Brésil et de l’État de Rio de Janeiro ont été déployés, symbolisant la reprise du territoire par l’État. Le Secrétaire à la Sécurité publique, José Mariano Beltrame, a annoncé le 28 avril 2015 que les prochaines favelas occupées seraient Pedreira e Chapadão, Lagartixa et Quitungo, proches du Complexe sportif de Deodoro où auront lieu onze épreuves olympiques des jeux de 2016 et quatre épreuves para-olympiques.

La reconquête des favelas

Source : H. Théry, 2015
Pour voir l'image dans une meilleure résolution, cliquer ici.

La carte permet de comprendre la stratégie territoriale des autorités. Les premières UPP ont été créées dans la zone 1 (AP 1), aux abords du centre, et dans a zone 2, celle qui couvre la zone sud, riche et touristique. Elles ont été disposées de façon à couvrir chacune une ou plusieurs des petites favelas qui se nichent sur les morros, les mornes tropicaux qui hérissent cette région de relief tourmenté. La conquête de la Vila Cruzeiro et du Complexo do Alemão a inauguré une nouvelle phase, celle de la reconquête des grands ensembles de favelas de la zone nord, plus plane et plus pauvre, mais d’où l’on accède facilement au centre et qui menace la route vers l’aéroport. Après quoi, on a repris le contrôle de la Rocinha, aux confins de la zone 4 ; il restera à finir la récupération de celle-ci, où la croissance rapide des favelas fait de l’ombre aux nouveaux quartiers chics de Barra da Tijuca. La zone 5, pauvre et lointaine, pourra attendre…

 

Notes

[1] À l'origine de la révolte des vaccins, on trouve la Loi sur la vaccination obligatoire (31 octobre 1904), votée par le Congrès sur les conseils du Dr Oswaldo Cruz. Cette campagne sanitaire fut doublée d'une politique urbaine hygiéniste qui visait à détruire les vieux quartiers pauvres du centre-ville. La révolte contre les méthodes brutales de vaccination à domicile et d'expulsion des logements insalubres dura du 10 au 16 novembre 1904, et fit 23 morts et des dizaines de blessés. Pour en savoir plus, voir Löwy Ilana. "Les politiques de vaccination au Brésil : entre science, santé publique et contrôle social", Sciences sociales et santé. Volume 27, n°3, 2009. pp. 105-134.

[2] Voir dans le blog d'Hervé Théry, « Un musée du futebol et de son contexte », Braises, 6 août 2015.

[3] O Dia, in « La reconquête de Rio », Courrier International, 29 novembre 2010.
 

Consultez aussi Pascal Gillon, Les Jeux Olympiques de Rio 2016 : un héritage mais au profit de qui ?, juillet 2016
et  notre sélection de ressources classées, juillet 2016

Hervé THÉRY,
Directeur de recherche émérite au CNRSProfesseur invité à l'Universidade de São Paulo (USP),
Co-directeur de la revue Confins, blog de recherche Braises,

conception et réalisation de la page web : Marie-Christine Doceul,

pour Géoconfluences, le 6 juillet 2016

 

 

Pour citer cet article :

Hervé Théry, « Rio de Janeiro, portrait géographique », Géoconfluences, juillet 2016.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/rio-de-janeiro-portrait-geographique

Pour citer cet article :  

Hervé Théry, « Rio de Janeiro, portrait géographique », Géoconfluences, juillet 2016.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/rio-de-janeiro-portrait-geographique