Le Costa Rica, un modèle pour l'écotourisme ?

Publié le 04/02/2011
Auteur(s) : Rémy Knafou, professeur émérite - université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
Sylviane Tabarly, professeure agrégée de géographie, responsable éditoriale de Géoconfluences de 2002 à 2012 - Dgesco et École normale supérieure de Lyon

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À l’échelle nationale, le Costa Rica est probablement l’exemple le plus célèbre de destination écotouristique. Le pays qui, avec 2,1 millions d’arrivées internationales en 2009, est la première destination touristique d’Amérique centrale, s’est lancé dans le tourisme en général et l’écotourisme en particulier à la suite de la crise de ses ressources traditionnelles (le café et la banane), au cours des années 1980.

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À l'échelle nationale, le Costa Rica est probablement l'exemple le plus célèbre de destination écotouristique. Le pays qui, avec 2,1 millions d'arrivées internationales en 2009, est la première destination touristique d'Amérique centrale s'est lancé dans le tourisme en général et l'écotourisme en particulier à la suite de la crise de ses ressources traditionnelles (le café et la banane), au cours des années 1980. Dans les faits, l'intérêt à l'égard d'une nature riche (la densité faunique et floristique y est bien plus grande que dans les pays connus pour leur biodiversité) et peu modifiée a précédé la mise en tourisme. Ainsi, à la faveur d'initiatives nord-américaines relatives à la conservation comme à l'exploitation des forêts tropicales, émergea l'intérêt pour la nature tropicale, si bien que l'Institut costaricien du tourisme (Instituto costarricense de turismo, ICT) [1] créé en 1995, œuvra en faveur de la création de parcs nationaux, liant organiquement conservation de la nature et fréquentation touristique. Cette politique doit être mise en regard du déboisement (la part du territoire boisé dans la superficie totale du pays est passée de 53% en 1950 à 18,9% en 1984, la déforestation atteignait 100 000 ha par an entre 1985 et 1988, taux le plus élevé d'Amérique Centrale et comparable à celui de l'Amazonie) sous la pression démographique et d'une agriculture tournée vers l'exportation.

Et donc, paradoxalement, c'est dans un pays largement déboisé que se forgea l'image d'un pays modèle du développement de l'écotourisme, à travers des articles de Time Magazine, de l'International Herald Tribune et du Mexico Journal dès 1988 (Boukhris, 2008) [2]. L'État, à travers l'ICT, a fait du tourisme un secteur économique prioritaire et a accentué ses efforts de promotion, notamment vis-à-vis de la clientèle nord-américaine. L'ICT emploie à partir de 1987 le concept, mal défini, de "sofnature". Le tourisme de croisière est également encouragé, un nouveau terminal destiné à recevoir les bateaux est d'ailleurs inauguré à Puerto Caldera en 1988. En phase avec l'engouement mondial croissant pour le tourisme durable, le Costa Rica clame, à partir de 1991, son attachement à la préservation des ressources naturelles et à un tourisme responsable, aux impacts environnementaux limités. Son "plan stratégique pour le développement touristique durable 1993-1998" reçoit un large appui international et le pays est cité comme modèle lors des colloques et congrès internationaux. Sa participation, dès 1996, au programme mondial de Certification pour le tourisme durable consolide cette renommée [3]. Aujourd'hui, avec 22,74% de son territoire terrestre et maritime protégé (20 parcs naturels, 8 réserves biologiques et une série de zones protégées, voir l'encadré ci-dessous), le Costa Rica peut se targuer d'une politique exemplaire en faveur de la conservation de la nature [4]. La surface forestière y progresse, le gouvernement du Costa Rica ayant annoncé en 2007 son intention de compenser l'ensemble des émissions nationales de CO2 et de devenir le premier pays "neutre en carbone" (carbon neutral), en recourant, entre autre, à des plantations.

Des dispositifs pour une politique volontariste

Le Costa Rica, à travers sa législation, a organisé neuf catégories de gestion pour les aires naturelles protégées du pays, placées sous la direction d'un système national de protection (Sistema Nacional de Áreas de Conservación / SNAC), en conformité avec la loi sur l'environnement de 1995 (n° 7 554, article 36). Leur gestion peut, dans certains cas, être confiée au privé. Ces catégories sont les suivantes : parcs nationaux, réserves biologiques, réserves forestières, zones protégées, refuges de la vie sauvage (publics, privés ou mixtes), zones humides (y compris les mangroves), sites du patrimoine naturel, réserves marines, aires marines de protection.

Ces aires protégées représentent 26,28% de la superficie terrestre du pays, 17,19% de sa superficie maritime (totalité des eaux territoriales) et 22,74% si l'on considère ensemble les deux milieux.

Le pays dans son ensemble a été divisé en onze aires de conservation, dont, par exemple : Pacifique central (ACOPAC), Tempisque (ACT), Osa (ACOSA), Arenal (ACA), Cordillère volcanique centrale (ACCVC) et Amistad Pacifique (ACLAP).

Un processus de labellisation : le Certificat de soutenabilité touristique

L'Institut costaricien du tourisme (ICT) a adopté un label de certification pour la soutenabilité (durabilité) touristique (Certificación para la sostenibilidad turística, CST) conçu pour pouvoir différencier et classer les entreprises touristiques d'après leur utilisation des ressources naturelles, culturelles et sociales. Gratuit, mis en œuvre dès 1997, il fut un des premiers au monde de cette nature et plus de 110 hôtels et voyagistes du pays sont certifiés en 2009.

L'évaluation est réalisée à partir des champs fondamentaux suivants :

- l'environnement, qui apprécie l'interaction entre l'entreprise et le milieu naturel (traitement des eaux usées, protection de la flore et de la faune entre autres),

- les économies d'eau et d'énergie, du traitement des déchets (externalités négatives),

- la prise en compte des éléments exogènes et endogènes pour élaborer un produit touristique répondant aux besoins du marché et aux caracteristiques propres du pays et des sites d'implantation,

- les actions incitant le client à participer aux politiques de soutenabilité de l'entreprise,

- l'intéraction entre l'établissement et son voisinage, en analysant, par exemple, le rôle des  hôtels dans le développement de la région, la façon dont ils contribuent à la création d'emplois et les différents bénéfices qu'ils apportent aux collectivités locales.

Les aires naturelles protégées

Consultation du document d'origine (et toponymes) : Instituto Nacional de Biodiversidad (INBio), www.inbio.ac.cr/.../mapa-ASP.jpg

Répartition de l'offre d'hébergement touristique en 2006

Source : Institut costaricien du tourisme / Instituto Costarricense de Turismo (ICT). www.visitcostarica.com

Unités de planification : Valle Central, Guanacaste Norte, Pacífico Medio, Pacífico Sur, Llanuras del Norte, Puntarenas e Islas del Golfo, Caribe Norte, Caribe Sur, Guanacaste Sur, Monteverde

www.turismo-sostenible.co.cr/intro.html

Ainsi le Costa Rica a vu sa fréquentation touristique s'envoler et le tourisme est devenu le premier poste économique devant l'agriculture (cf. les données statistiques infra) ! Destination de pointe en matière d'écotourisme (selon une enquête de l'Institut costaricien de tourisme, en 2006, 54% des touristes internationaux ont visité des parcs nationaux ou des aires protégées), le Costa Rica doit gérer son succès, c'est-à-dire une fréquentation souvent massive, liée notamment à l'arrivée de navires de croisières, sur quelques portions de littoraux en voie de transformation par l'économie touristique (golfe de Papagayo, "playas del coco", cf. l'encadré ci-dessous), dans une nature protégée. Le Plan national de Développement touristique 2002-2012 est un exemple de réalisme appliqué au "tourisme durable" :

"L'industrie touristique se présentera comme l'une des principales dynamiques économiques du pays, génératrice de bénéfices directs et indirects pour le développement humain. Il s'agira d'une activité de haute qualité, offrant une grande variété de produits compétitifs un grand impact pour le bien être local. Grâce à un processus de planification, cet impact sera réparti géographiquement, permettant un usage efficient des ressources naturelles et culturelles entre les différentes unités du Plan. Les grandes, moyennes et petites entreprises devront coexister au sein des différentes branches du tourisme et agiront de façon professionnelle, toujours selon le principe de durabilité. L'hospitalité offerte au touriste sera de grande qualité afin de l'inviter à revenir dans le pays. Le tourisme sera le moteur par excellence du développement du pays et du bien-être humain. Il promouvra la participation directe des populations locales, donnant ainsi au touriste l'impression d'expérimenter une hospitalité authentique, "tica", et de découvrir un patrimoine naturel bien conservé."

Il est à noter que le Costa Rica s'est récemment doté d'un “Tribunal de l'environnement”, présidé par celui qu'on appelle désormais “le juge vert” et qui, fait assez exceptionnel dans le Monde, a la possibilité d'arrêter sans délai des projets suspectés de porter atteinte à l'environnement, en attendant de statuer sur le fond et de permettre à toutes les parties d'exposer leur point de vue.

Baie de Coco (sud du golfe de Papagayo) : une mise en tourisme mesurée et encadrée (analyse d'images Google Earth : une application)

Localisation des trois agrandissements : 1) ci-dessous 2) ci-contre en haut 3) ci-contre en bas.

 

Pointeur kmz sur l'image Google Earth ci-dessus : 10°32'54.53"N / 85°41'41.96"O

Cette baie est réputée pour ses plages et ses différents sites de plongée sous-marine. L'image Google Earth ci-dessus fait apparaître, le 10 mars 2010, différents modes d'urbanisation : hôtel et resort dont l'espace est refermé sur un patio intérieur (1) ; villas plus ou moins isolées souvent dotées de piscines privées (2) ; nouveau front loti, aux constructions plus denses et encore en chantier à la date de l'image, en marge de la baie au sud-ouest et masqué par le relief (3, utiliser la simulation 3D de Google Earth).

On remarquera le cadre de verdure prononcé, plus ou moins "naturel", qui contraste avec l'espace environnant de savane arbustive. Le front de mer apparaît préservé, un "rideau vert" s'interposant avec les zones bâties. Ces aménagements traduisent une politique de conciliation entre des logiques d'accueil touristique et de "ménagement" spatial.

La comparaison avec l'image du 4 février 2004 proposée par Google Earth (actionner la fonction "afficher des images anciennes") mais sur un cadrage incomplet à l'ouest, est significative : l'habitat à Coco y est encore modeste, le lotissement en villas (2) est en début d'aménagement, les hôtel et resort (1) ne sont pas encore sortis de terre ! En l'espace de six années, la transformation et l'artificialisation du lieu sont donc assez patentes, mais dans un "écrin de verdure".

Cet exemple traduit le caractère raisonnable du développement du littoral au Costa Rica où on ne trouve pas encore d'exemple d'urbanisation touristique littorale véritablement dense. Cependant, dans certains lieux, les pressions sont fortes et il faudra beaucoup de vertu et de volonté aux autorités costariciennes pour y résister.

L'impact réel de ce tourisme qui se présente officiellement comme un "écotourisme" a été analysé dans une étude du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) au début des années 2000 : un "écotouriste" étranger dépense en moyenne 288 $ par jour pendant son séjour au Costa Rica, qui se répartissent ainsi : 95 $ pour la compagnie aérienne, 65 $ pour l'agence de voyage du pays d'origine, 18 $ à l'opérateur national costaricien et 110 $ à l'entrepreneur local travaillant sur les sites écotouristiques. On constate donc que, si le Costa Rica n'est pas le Belize où 90% du littoral touristique sont possédés par des investisseurs nord-américains, 38% des revenus de l'écotourisme vont à des entreprises costariciennes, ce qui, en chiffres absolus, constitue une source de richesse non négligeable.

Quelques caractéristiques et indicateurs du secteur touristique au Costa Rica

Avec plus de 2 millions de visiteurs étrangers en 2010 (un peu plus d'1 million en 2000), le Costa Rica affichait, en 2008, un taux de touristes étrangers par habitant très élevé, de 0,46 (contre 0,21 pour le Mexique, 0,38 pour la République Dominicaine, 0,03 pour le Brésil par exemple). Les arrivées de touristes internationaux augmentent régulièrement (graphique ci-contre) à un rythme annuel souvent supérieur à 5% sauf pour les périodes de mauvaise conjoncture internationale (années 1995-1997, 2001-2002, 2008).

L'industrie du tourisme a représenté 2,14 milliards de $ et a contribué à 7,2% du PIB en 2008. Les touristes proviennent majoritairement des États-Unis et du Canada (46%), puis de l'Union européenne (16%).

Le Costa Rica était placé au 42e rang mondial, sur 133 pays analysés, par l'Indice de compétitivité du voyage et du tourisme (Travel and Tourism Competitiveness Index, TTCI) en 2009 (document ci-contre). Pour ce qui concerne le sous-indice mesurant les ressources humaines, culturelles et naturelles, il était à la 31e place (6e place pour le seul critère des ressources naturelles), ce qui rend compte de l'importance prise par l'écotourisme. Les principales fragilités du modèle touristique costaricien portaient, d'après le rapport du TTCI, sur les infrastructures de transport terrestre (103e rang) et sur la sûreté et la sécurité (72e rang).

Sources des documents ci-contre :

  • en haut, Institut costaricien du tourisme / Instituto Costarricense de Turismo (ICT),
  • en bas, Indice de compétitivité du voyage et du tourisme (TTCI) [5]

Source : UNTWO Tourism Highlights 2010 Edition. Réalisation : S. Tabarly

L'indice de compétitivité du voyage et du tourisme (TTCI) pour le Costa Rica, 2009

On peut se demander si le Costa Rica serait devenu cette référence en écotourisme s'il n'avait pas été de longue date vanté pour sa tranquillité politique, pour ses choix en faveur de l'éducation, pour son système démocratique, en contraste avec ses voisins immédiats en situation de conflits internes, ce qui limite sans doute les possibilités de transpositions, à travers le monde, de ce "modèle" de l'écotourisme constaricien. Par ailleurs, c'est par une habile promotion de son "image" que les succès ont été engrangés. Le Costa Rica illustre donc l'importance que peuvent avoir les facteurs politiques dans la mise en tourisme d'un lieu et illustre en outre le rôle majeur des images dans tout développement touristique (Raymond, 2007).

Le modèle du tourisme international au Costa Rica a ses fragilités : sensibilité à la conjoncture économique dans les pays d'origine des visiteurs, forte dépendance à l'égard de la clientèle nord-américaine, par exemple, illustrées par le retrait sensible de la fréquentation touristique lors de la récente récession de 2008 - 2009. On a par ailleurs pu noter quelques faiblesses des performances costariciennes sur certains points de l'Indice de compétitivité du voyage et du tourisme (cf. supra). Au demeurant, à l'heure actuelle, sur le plan de l'écotourisme et plus largement du "développement durable", la stratégie costaricaine semble avoir été largement payante et cette destination demeure la référence internationale incontournable en matière d'écotourisme et de développement touristique jusqu'à présent à peu près contrôlé.

 

Notes

[1] En 1931, une première loi (loi 91 du 16 juin) régule l'activité touristique au Costa Rica et un Bureau national du tourisme est créé. À partir d'août 1955, il est remplacé par l'Instituto Costarricense de Turismo (loi 1917).

[2] La politique d'écotourisme a été facilitée par l'absence de dépenses militaires, le pays ayant choisi de se priver d'armée (Constitution de 1949) et faisant partie de l'Organisation des États d'Amérique dont les États membres (notamment les États-Unis ou le Brésil) garantissent sa sécurité. Notons aussi que le pays s'était fait connaître par l'attribution, en 1987, du prix Nobel de la Paix à Oscar Sánchez Arias, Président du Costa Rica de 1986-1990.

[3] Le Costa Rica a souscrit à quarante cinq traités environnementaux à une échelle internationale (la plupart ratifiés entre 1990 et 2003). De multiples normes ont aussi été promulguées comme : la loi organique du ministère de l'Environnement et de l'Énergie (MINAE, 1993) ; la loi de l'Environnement (1995) ; la loi Forestière (1996) et la loi sur la Biodiversité (1998). Depuis l'approbation de cette dernière, la conservation et la gestion du développement durable s'effectue d'une façon plus concrète.

Un inventaire des lois et décrets nationaux, des conventions et traités internationaux qui engagent le Costa Rica : www.minae.go.cr/acerca/info_general/marco_juridico.html

[4] Quelques sites naturels du Costa Rica sont inscrits sur la liste du Patrimoine Mondial de l'Unesco, ce sont des sites naturels d'exception: le Parc national de l'île de Coco (1997, 2002) et l'aire de conservation de Guanacaste (1999). www.ambassade-costarica.org/le_costa_rica/Patrimoine/.../20II.html

[5] Pour établir un classement touristique des pays, le Forum économique mondial (World Economic Forum, Forum de Davos) a créé un Indice de compétitivité du voyage et du tourisme (Travel and Tourism Competitiveness Index, TTCI) publié pour la première fois en 2007. En 2009, 133 pays ont été évalué selon certains critères touchant à leurs institutions, leurs environnements économiques, les conditions de l'investissement dans le secteur touristique.

Pour prolonger, voir la page de "savoir faire" : Évaluer et comparer l'activité touristique

 

Quelques sources et ressources

 

 

Rémy KNAFOU

Sylviane TABARLY
 

 

Édition et mise en web : Sylviane Tabarly

Pour citer cet article :

Rémy Knafou et Sylviane Tabarly, « Le Costa Rica, un modèle pour l'écotourisme ? », Géoconfluences, février 2011.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/tourisme/TourDoc.htm

Pour citer cet article :  

Rémy Knafou et Sylviane Tabarly, « Le Costa Rica, un modèle pour l'écotourisme ? », Géoconfluences, février 2011.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/tourisme/TourDoc.htm