Chinafrique
Le mot-valise Chinafrique désigne l’ensemble des relations économiques, culturelles et politiques qu’entretient la Chine avec le continent africain. Le terme a été forgé dans les années 1990 en référence à celui de Françafrique. « Chinafrique » suppose donc, comme ce fut le cas pour la France, une domination, voire une mainmise chinoise sur le continent. Les termes de Russafrique et d’Indafrique, créés à la fin des années 2010, répondent aux mêmes logiques sémantiques.
En 2003 eut lieu le premier Forum de coopération Chine-Afrique (FOCAC), qui organise dès lors les échanges commerciaux entre les deux parties. Ses conséquences furent immédiates : dès 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du continent. Entre 2003 et 2022, les échanges chinois avec l’Afrique ont été multipliés par 30, pour atteindre les 282 milliards de dollars. Le succès du terme « Chinafrique » est lié à cet essor fulgurant, relayé par le succès de certains ouvrages (Michel et Beuret 2008), et d’une façon générale par la presse : Xavier Aurégan parle en 2025 d’une « sur-médiatisation des présences chinoises en Afrique ».
Les interventions chinoises en Afrique sont avant tout d’ordre économique. La Chine a consolidé ses positions dans les secteurs des industries extractives, dans l’industrie manufacturière mais aussi et surtout en finançant et en créant des infrastructures ferroviaires, routières et portuaires. Ces projets sont souvent le fruit d’une main d’œuvre chinoise importante : en 2022, on dénombrait la présence de 88 000 travailleurs chinois en Afrique. Parallèlement, la dépendance économique de l’Afrique vis-à-vis du marché chinois s’accroît rapidement.
Les Chinois sont aussi présents dans les opérations de maintien de la paix et la Chine use de son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies pour entraver les possibles ingérences internationales dans les affaires africaines, ce qui lui sert de monnaie d'échange diplomatique et économique. Inversement, Pékin convoite les voix des États africains pour défendre ses propres intérêts dans les instances internationales (dans ses relations avec Taïwan par exemple). Contrairement aux Européens, la Chine n'impose pas de conditions politiques en échange de ses investissements et ne pose pas de questions sur les Droits humains. Les Chinois s'efforcent d'emporter l'adhésion des gouvernants africains et, autant que possible, des populations, en se centrant sur un échange largement fondé sur l’extraction de matières premières contre des infrastructures : construction de ports, de routes, de barrages (par exemple, sur l'Omo en Éthiopie, ou le barrage de Merowe au Soudan), de stades et d'hôpitaux, de zones industrielles (parc industriel sino-éthiopien de Dukem). Ils prennent souvent en charge une large partie, voire la totalité des travaux et s'installent alors parfois durablement, créant des villages ou des quartiers chinois, multipliant les installations d'entreprises ou de commerces.
Cela étant, le terme de Chinafrique pose un certain nombre de problèmes :
- Il sert avant tout à décrire cet ensemble de relations économiques alors que Françafrique désignait également la domination culturelle, linguistique, de la France sur le continent, mais aussi la domination néocoloniale du « Grand frère » français dans les affaires intérieures des différents pays.
- L’expression Chinafrique, qui intègre l'ensemble des États du continent africain, permet mal de saisir des situations économiques pourtant très variées. Or les interventions de la Chine sont très importantes en Angola, en Éthiopie ou encore au Kenya, mais elles sont très faibles voire inexistantes dans certains autres pays. À une autre échelle, les investissements chinois concernent avant tout certains types d’espaces ; Pékin s’est notamment beaucoup engagé dans le développement des ports du continent, notamment dans ceux de la façade indienne (Djibouti, ports Kenyans, Tanzaniens…). Mais toutes ces participations ne sont pas des investissements, et le plus fréquemment, la présence chinoise s’efface après la construction du port (Aurégan, 2025).
- Les interventions chinoises ne concernent pas spécifiquement le continent mais s’insèrent dans une stratégie afro-eurasienne qui est celle des Nouvelles routes de la soie, lancées en 2013. Les investissements chinois en Afrique sont donc à appréhender dans un cadre plus large ; l’Afrique est certes un partenaire majeur pour Pékin, mais il est loin d’être aussi fort que d’autres : les seuls flux commerciaux entre la Chine et l‘Allemagne (2024) sont aussi importants que ceux entre Pékin et l’ensemble du continent africain.
- Le terme de Chinafrique suppose une présence sur le long terme (la Françafrique couvre une cinquantaine d’années au moins). Or, dix ans à peine après la première réunion du FOCAC, on assiste depuis 2015 à un déclin des investissements chinois en Afrique. Les prêts octroyés par la Chine en 2022 sont par exemple les plus bas depuis 2003. De même, les investissements dans les transports ont été divisés par 36 entre 2016 et 2022. Le nombre de travailleurs chinois, qui était de 264 000 chinois en 2015 a été divisé par trois en 2022…
Pour toutes ces raisons, le terme de « Chinafrique » est à utiliser avec précaution, voire à bannir, ce que soutiennent de nombreux auteurs, à l’instar par exemple de Thierry Pairault (2018) ou Xavier Aurégan (2024, 2025). La Chine contribue certainement à la « désoccidentalisation » de l'Afrique. Elle contribue aussi largement à l'actuel décollage économique de plusieurs pays africains comme l'Éthiopie et au transfert de nouvelles technologies adaptées au continent. Mais il n’y a jamais vraiment eu de « ruée chinoise » sur le continent.
(ST), (MCD) 2015, (JBB) 2017, 2018, réécriture partielle (SB et CB) avril 2025.
Références citées
- Aurégan Xavier (2024), Chine, puissance africaine : Géopolitique des relations sino-africaines, Paris, Armand Colin, 2024
- Aurégan Xavier (2025), à paraître dans Géoconfluences.
- Michel Serge et Beuret Michel (2008). La Chinafrique. Pékin à la conquête du continent noir. Grasset. 2008
- Pairault Thierry (2018), « Quelle présence chinoise en Afrique ? », Les cafés géographiques, janvier 2018.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Karine Bennafla et Hala Bayoumi, « Démonstration de puissance ou aveu d’impuissance ? La nouvelle capitale administrative de l’Égypte », Géoconfluences, mars 2023.
- David Bénazéraf, « Les Chinois, faiseurs de villes africaines », Géoconfluences, février 2016.
- Jean-Pierre Cabestan, « Les relations internationales de la Chine après la crise de 2008 », Géoconfluences, février 2016.
- La Chinafrique, mythe ou réalité ?, brève de Géoconfluences, mars 2018, avec le café géographique ci-dessous.
Pour aller plus loin
- Forum sur la coopération sino-africaine (Focac), site développé par le Ministère des Affaires Etrangères de la RPC
- J.-J. Gabas & J.-R. Chaponnière (éd.), 2012, Le temps de la Chine en Afrique : enjeux et réalités au Sud du Sahara. Karthala-GEMDEV, collection « Hommes et sociétés », 216 p.