Soft power (puissance douce)
Le soft power, ou « puissance douce », représente les critères non coercitifs de la puissance, généralement d'un État, et en particulier parmi ces critères l'influence culturelle.
Défini par le géopolitologue américain Joseph Nye en 1990 comme « l'habileté à séduire et à attirer » (Nye, 1990), le concept de soft power met en perspective la notion de puissance dans un cadre non conventionnel. À l'intérieur des relations interétatiques, la tradition géopolitique distingue deux types de relations entre les nations. Les premières reposent sur la puissance traditionnelle, c'est-à-dire sur un rapport symétrique de rivalité et de négociation (hard power ou « puissance dure »). Dans l'économie géopolitique traditionnelle, la guerre mesure les forces, quant à la diplomatie, elle cherche les compromis, les accords. Enfin l'économie et le commerce entre nations supposent à leur tour l'échange. Les secondes relations interétatiques reposent sur l'influence (soft power). Elles relèvent donc d'une relation asymétrique entre un influencé et un influant, lequel, par son prestige, par les liens qu'il a créés hors de ses frontières avec les élites et les populations étrangères, par l'attraction de son modèle culturel ou politique, par les préjugés favorables dont il jouit, a la capacité d'influencer les autres nations, d'obtenir, par la cooptation, des résultats stratégiques en sa faveur, de définir l'agenda politique à l'international. Au sein des relations internationales, obtenir à un premier niveau la neutralité de gouvernements initialement défavorables à sa cause n'est pas négligeable. Désarmer l'hostilité d'autrui, d'autres nations, revêt une importance stratégique. À un stade supérieur, la stratégie d'influence se met en branle afin d'obtenir le contrôle de zones et de réseaux pour susciter des comportements favorables. À ce niveau, le commerce devient possible, ainsi que l'obtention de soutiens politiques dans les organisations internationales. Ce genre de relations privilégiées permet de se créer des alliés et donc un soutien multilatéral aux causes défendues par la nation influente. Au dernier stade, lorsque les méthodes de persuasion et de séduction visent à produire un mimétisme total, une adhésion absolue, les valeurs de la nation influente et sa vision du monde sont partagées par l'Autre, qui en vient à se comporter selon son modèle. Le consentement de « l'influencé » ne s'explique ni par la menace ni par une quelconque récompense explicite. La stratégie est indirecte, bien que pouvant être délibérée.
Cette analyse convenait bien aux cadres de pensée des États-Unis des années 1990, puis au contexte géopolitique du début du XXe siècle. Elle a été abondamment reprise à leur compte par d’autres puissances, au premier rang desquelles la Chine de Hu Jintao (2003-2013) et surtout de Xi Jinping (depuis 2012). Sa solidité conceptuelle ne va pourtant peut-être pas très loin au-delà des apparentes évidences sur lesquelles elle repose. Il y a peu d’exemples de soft power qui ne repose pas, pour s’imposer, sur la puissance dure. La « puissance douce » repose aussi sur des formes de coercition parfois très brutales : imposition de cadres de pensée, de politiques économiques, de « bonnes pratiques », et d’une dépendance économique et politique selon des schémas qui restent ceux d’une domination nord-sud héritée de la colonisation. Comme le suggère Philip Golub (2025) : « Ainsi faudrait-il abandonner la "puissance douce" comme catégorie d’analyse. Certes, le recours à la force brute diffère de la résolution diplomatique des conflits. Mais c’est le droit, non la "douceur", qui s’oppose à la force et aux violences visibles de la puissance. Or, sur ce plan, les États-Unis, comme les autres "grands", subordonnent le plus souvent le droit international à leur souveraineté et à leurs intérêts. »
Nashidil Rouiaï, septembre 2018. Dernières modifications (JBB), avril 2025.
Références citées
- Golub Philip S. (2025), « Les masques du "soft power" », Le Monde diplomatique, avril 2025.
- Nye Joseph (1990), Bound to Lead : The Changing Nature of American Power, New-York, 1990.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Simon Renoir, « Cinéma et production audiovisuelle : la France dans la mondialisation culturelle », Géoconfluences, octobre 2024.
- Jérémy Denieulle, « Géopolitique du blé : une céréale dans la mondialisation », Géoconfluences, novembre 2023.
- Clara Loïzzo, « Sport power : le football comme outil d’image et levier d’influence de l’Arabie Saoudite », brève de Géoconfluences, septembre 2023.
- Olga V. Alexeeva et Frédéric Lasserre, « Le concept de troisième pôle : cartes et représentations polaires de la Chine », Géoconfluences, octobre 2022.
- Nashidil Rouiaï, « Sur les routes de l'influence : forces et faiblesses du soft power chinois », Géoconfluences, septembre 2018.
- La « vague coréenne », géopolitique et soft power sud-coréen dans la mondialisation culturelle, Géoconfluences, brève de juin 2020.