Les villes « intelligentes » au Japon
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Depuis le tournant des années 2010, les projets de villes « intelligentes » se multiplient au Japon. En 2014, une étude d’Ernst & Young recensait plus de deux cents projets à travers l’archipel (DeWit, 2014), sous l’appellation de « smart city » ou de « smart community ». Ces concepts renvoient de manière générale à l’introduction de Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) dans l’espace urbain, de manière à avoir une connaissance précise et en temps réel de flux divers – électrique, mobilité, eau, gaz – et d’en améliorer la gestion. Les systèmes sociotechniques introduits divergent selon les expérimentations, mais le développement d’un « réseau électrique intelligent » semble prédominant dans la smart city ou la smart community japonaise, en particulier depuis l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima en mars 2011. Dans certains cas, la smart community se distingue de la smart city par l’adjonction à ce réseau intelligent d’un volet électromobilité et de systèmes de cogénération, c'est-à-dire la production et la réutilisation simultanée d’électricité et de chaleur. (Fukuda, 2015). Si on peut traduire de manière très approximative smart city par ville intelligente et smart community par quartier intelligent, dans les faits les acteurs locaux emploient parfois les deux termes de manière interchangeable. Dans la suite de cet article, nous les traduirons par l'expression « ville intelligente ».
La similarité des systèmes sociotechniques composant les villes intelligentes japonaises invite à réfléchir sur le rôle des acteurs publics et privés dans la production et la diffusion d’un « modèle national » de ville dite « intelligente » (Languillon-Aussel, Leprêtre, Granier, 2016). En effet, le gouvernement japonais, en particulier le Ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI), a lancé à partir de 2009 un ensemble d’initiatives visant à promouvoir le développement et la mise en œuvre de réseaux électriques intelligents. Les entreprises japonaises d’électronique (Toshiba, Panasonic, Hitachi, Sharp), mais aussi d’autres acteurs comme les firmes de l’immobilier à l’instar de Mitsui Fudosan, se sont clairement positionnés en faveur du développement de réseaux électriques intelligents et contribuent à une uniformisation des technologies composant la ville intelligente (Languillon-Aussel, 2015).
Le cas des villes intelligentes est donc révélateur de modes d’action publique caractéristiques de l’État développeur japonais, mais aussi de tendances à venir en matière d’aménagement urbain, autant dans les infrastructures introduites que dans les rapports de force locaux qui président à ces choix technologiques. Nous souhaitons présenter ici les logiques d’aménagement urbain des villes intelligentes japonaises dans un premier temps, avant d’aborder les traits saillants de la politique nationale de ville intelligente dans un second temps.
1. Des infrastructures sociotechniques variées qui soulèvent des questions en termes d’aménagement urbain
Les villes intelligentes japonaises se caractérisent par une approche techno-centrée, reposant sur une variété de dispositifs sociotechniques et par l’expérimentation de systèmes d’incitation à diminuer la consommation d’électricité en période de pointe (1.1). L’introduction de ces technologies, encore à l’état d’expérimentation, reconfigure potentiellement les rapports de force entre acteurs tout en posant des questions en matière d’aménagement urbain (1.2.). Les explications suivantes concernent les quatre premiers démonstrateurs de villes intelligentes mis en place à Kitakyushu, Yokohama, Kyoto Keihanna et Toyota. Ils présentent un grand nombre de technologies et systèmes sociaux mis en place, mais certains constats peuvent être retrouvés dans des projets privés comme à Kashiwa-no-ha (Languillon-Aussel, 2015).
1.1. La gestion de l’énergie, la « mobilité nouvelle génération » et le changement des comportements au cœur des villes intelligentes
La technologie clé des villes intelligentes est un « système de gestion de l’énergie » ou « EMS » (Energy Management System) : cette interface, accessible par un appareil informatique ou un afficheur mural (cf. photographie 1), permet une connaissance précise des évolutions de la consommation d’électricité à l’échelle de la maison (HEMS pour Home), du bâtiment (BEMS pour Building) et de l’usine (FEMS pour Factory).
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Illustration 1 : Schéma du fonctionnement d’une smart community
Conception et réalisation : N. Leprêtre, J.-B. Bouron, Géoconfluences, 2017. |
Photographie 1 : Interface du HEMS dans une expérimentation de la smart community de Kyoto Keihanna.Cliché : Nicolas Leprêtre, Seika, avril 2014.
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Chaque système est connecté à un « CEMS » ou Community Energy Management System qui centralise l’ensemble des données de consommation d’électricité à l’échelle de la ville et prévoit les pointes de demande en électricité en fonction de l’historique des consommations et des prévisions météorologiques (photographie 1). Le CEMS envoie alors une requête de « demande-réponse » (Demand Response) incitant les foyers, les employés de bureaux ou d’usines à réduire leur consommation d’électricité en période de pointe.
Ces requêtes prennent pour l’essentiel la forme d’une tarification dynamique : par exemple, à Kitakyushu, le prix de l’électricité peut varier de 15 à 150 yens par kilowatt-heure (0,11 à 1,15 €/kWh) selon l’heure d’utilisation et la force de la pointe de consommation (Faivre d’Arcier et al., 2016). Dans les démonstrateurs de Yokohama, Kitakyushu, Toyota et Kyoto Keihanna, les foyers sont répartis en groupes pour comparer l’efficacité des différents modes d’incitation : prix de l’électricité, conseils personnalisés de consommation, incitation à sortir de chez soi pendant les heures pleines, etc. (Granier, Kudo, 2015). Ainsi, outre l’expérimentation de systèmes technologiques, la prise en compte des comportements individuels et les changements de ces derniers s’avère être une dimension importante des villes intelligentes japonaises.
Un dernier aspect des villes intelligentes concerne l’introduction de systèmes de mobilité dits « nouvelle génération ». Ce terme renvoie à des systèmes d’autopartage (photographie 2) ; à l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques, hybrides rechargeables voire hydrogènes ; ou encore à l’expérimentation de « V2H » (Vehicle To Home). Ce dernier système consiste à transférer l’électricité du véhicule vers la maison pour alimenter un foyer durant deux à trois jours, une solution qui a acquis une certaine popularité pour pallier les coupures de courant en cas de catastrophe naturelle. Des systèmes d’incitations visant à éviter la recharge des véhicules en période de pointe et à promouvoir une conduite écologique, sont également au cœur des expérimentations.
Photographie 2 : Système d’autopartage dans la ville de Toyota
Cliché : Nicolas Leprêtre, mars 2014 |
Ces systèmes sociotechniques sont pour la plupart portés par des nouveaux entrants dans le secteur de l’électricité. À l’exception du démonstrateur de Kyoto Keihanna, les compagnies générales d’électricité revêtent en effet un rôle marginal dans les expérimentations de villes intelligentes((Cette situation s’explique autant par des raisons conjoncturelles – le quartier où est expérimenté la ville intelligente de Kitakyushu n’est pas alimenté par la compagnie générale d’électricité – que par un certain désintérêt pour les technologies dites intelligentes.)). Les entreprises en charge des projets sont nombreuses au sein des consortiums, entre une vingtaine et une trentaine de firmes selon les démonstrateurs((Il existe aussi des expérimentations menées par les universitaires, par exemple à Kashiwa-no-ha, Kitakyushu et Kyoto Keihanna.)). Les principaux acteurs sont des firmes de l’immobilier – comme Mitsui Fudosan qui mène le projet de Kashiwa-no-ha –, des firmes d’électronique et d’informatique (Toshiba et Panasonic à Yokohama, Hitachi dans plusieurs projets) et des entreprises de mobilité (Nissan Motor à Yokohama, Toyota Motor à Toyota). On retrouve aussi parmi les autres participantes des firmes de l’industrie pétrolière (JX Nippon Oil & Energy), de l’industrie lourde (Mitsubishi Heavy Industry à Keihanna) et de génie électrique (Fuji Electric à Kitakyushu).
1.2. Des infrastructures énergétiques et de mobilité qui ont un impact sur le processus de fabrique urbaine
On le voit, les infrastructures expérimentées au sein des villes intelligentes sont multiples. Les stratégies de planification sont souvent associées à d’autres concepts impulsés par le gouvernement, comme la ville « compacte » du MLIT((Ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme.)) ou la « Ville du Futur » du Cabinet du Premier Ministre (label octroyé en 2011) associant protection de l’environnement et infrastructure de santé (Buhnik, 2015 ; Leprêtre, 2016). Les systèmes de mobilité « nouvelle génération » visent ainsi à proposer à une population vieillissante des moyens de déplacement adaptés à des trajets courts pour leurs déplacements quotidiens.
Une autre aspiration associée à la mise en place d’une ville intelligente est l’autonomie énergétique, une approche qui se retrouve dans d’autres pays en matière de réseaux électriques intelligents (Coutard, Rutherford, 2009). La volonté de rupture avec la forme réticulaire du réseau électrique semble d’autant plus forte chez certains acteurs locaux publics et privés après l’accident de Fukushima et les craintes de devoir subir à nouveau des coupures de courant, ou par militantisme contre une production centralisée, et donc possiblement nucléaire (Leprêtre, 2016).
Les villes intelligentes sont associées aux notions de durabilité, d’intelligence, de compacité, d’autonomie, de santé – mais les technologies introduites soulèvent des questions sur les processus de fabrique urbaine. Ainsi, bien que certains systèmes sociotechniques tels que les HEMS ou le CEMS soient informatiques et ne disposent donc que d’une faible matérialité urbaine hormis l’installation de capteurs((On parle également de gestion par cloud. Cette dématérialisation peut être questionnée, puisque les données sont bien stockées dans des fermes de serveurs quelque part dans le monde, repoussant d’une certaine manière la consommation d’énergie et le bilan écologique de l’entretien de ces serveurs à l’extérieur du territoire de la ville.)), ces systèmes demeurent connectés à un ensemble d’infrastructures coûteuses telles que des panneaux photovoltaïques, des batteries de stockage ou des bornes de recharge pour véhicule. Un exemple significatif est l’introduction d’un pipeline hydrogène et d’autres infrastructures (piles à combustible, station de recharge hydrogène) dans le quartier intelligent de la ville de Kitakyushu (cf. photographie 3). On assiste ici à un paradoxe où le souci de s’autonomiser par rapport au macro-système technique implique des investissements lourds menant à l’introduction de nouvelles technologies dont dépendront les acteurs locaux pour de nombreuses années (Lorrain, 2014).
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Photographie 3 : Batterie hydrogène (Fuji Electric) installée dans un quartier intelligent à Kitakyushu
Cliché : Nicolas Leprêtre, juin 2014 |
Ce type d’infrastructure soulève d’autres questions relatives à l’aménagement urbain. D’une part, les choix technologiques dépendent des rapports de force entre acteurs, ce qui incite pour chaque cas d’étude à regarder de plus près le rôle des acteurs publics et privés. Une analyse du type de technologies introduites et de l’usage qui en est fait s’avère ainsi indispensable pour saisir la pluralité des processus de fabrique de l’urbain en cours au sein des projets de villes intelligentes. D’autre part, ce processus d’introduction n’est pas sans poser des problèmes de réglementation. Par exemple, le stationnement dans la rue n’est pas autorisé au Japon et la location d’un véhicule nécessite en principe de revenir au point de départ. L’implication des ministères a donc été vitale dans ce processus d’expérimentation.
L’analyse des démonstrateurs de villes intelligentes permet enfin de mettre en lumière la tendance vers un recours croissant à l’expérimentation comme support de la fabrique urbaine. Ce constat avait déjà été formulé par des géographes en matière de politiques environnementales (Bulkeley, Castán Broto, 2014). Cette pratique expérimentale peut prendre des formes diverses. Certains démonstrateurs, à l’instar de Kashiwa-no-ha ou Kitakyushu, s’étalent sur un seul quartier, tandis que d’autres projets sont dispersés à travers la ville, sans grande visibilité (Leprêtre, 2016). Le cas de Kashiwa-no-ha, démonstrateur d'origine privée financé par la firme immobilière Mitsui Fudosan, est d’ailleurs significatif d’un projet construit ex nihilo (cf. photographie 4 ; Languillon-Aussel, 2015), pratique qui peut être retrouvée à Fujisawa et ailleurs au Japon.
Photographie 4 : Centre commercial Lalaport construit avec la ville intelligente de Kashiwa-no-ha
Cliché : Nicolas Leprêtre, mai 2014 |
On retrouve ici des logiques contradictoires, parfois même au sein d’un même démonstrateur, entre d’une part l’appropriation d’un territoire comme terrain d’essai visant à tester les technologies in situ pour vérifier leur fonctionnement et évaluer l’opportunité d’un modèle économique, et d’autre part la volonté d’un aménagement à long terme de l’espace urbain. Cette dernière logique se caractérise le plus souvent par la mise en valeur de l’exemplarité du territoire, dans une perspective de laboratoire urbain de « bonnes pratiques ».
2. La ville « intelligente » japonaise, fruit d’initiatives privées impulsées par un État développeur
Le processus d’élaboration d’une politique nationale de réseaux électriques intelligents est révélateur du mode opératoire développementaliste japonaise, tout en soulignant ses contradictions (Leprêtre, 2016). Si les acteurs en charge des politiques énergétiques tendent à vouloir préserver le statu quo, les enjeux de compétitivité internationale (2.1.) et l’accident de Fukushima (2.2.) ont favorisé l’émergence de solutions sociotechniques qui se sont concrétisées sous la forme d’expérimentations de villes intelligentes.
2.1. De la stratégie de smart grids aux expérimentations de villes intelligentes
L’élaboration d’une politique nationale de réseaux électriques intelligents a fait l’objet d’une concertation entre 2009 et 2010 au sein de groupes de travail rassemblant le METI, des universitaires, les compagnies générales d’électricité (cf. infra) et de nouveaux entrants dans le secteur de l’électricité : firmes de TIC, de la mobilité, de « dotcom », etc. (Leprêtre, 2016). Ces réunions ont permis de poser les jalons d’une stratégie nationale de réseaux électriques intelligents et d’identifier les principales technologies à subventionner en vue d’un déploiement à l’international. L’accent est donc résolument mis sur la compétitivité des firmes japonaises et moins sur l’adaptation du réseau électrique national, qui n’était pas une priorité avant l’accident de Fukushima.
Quatre principales initiatives ont suivi cette phase de concertation : premièrement, le METI a lancé quatre « démonstrateurs d’énergies de nouvelle génération et de systèmes sociaux », également appelés villes intelligentes (smart communities), dans les villes de Yokohama, Toyota, Kitakyushu et dans le département de Kyoto (cité scientifique de Keihanna). Avec un budget d’environ 308 millions d’euros pour cinq ans, ces expérimentations visent à tester les principales technologies composant un réseau électrique intelligent en situation réelle.
Deuxièmement, le METI et le NEDO((Organisation pour le Développement des Énergies Nouvelles et des Technologies Industrielles, institution administrative indépendante liée au METI qui vise à soutenir les acteurs privés dans leurs stratégies d’innovation.)) ont soutenu la mise en place de la Japan Smart Community Alliance (JSCA), une instance de concertation entre firmes japonaises établie en juin 2010 afin de discuter de normes communes à promouvoir sur la scène internationale, par exemple sur les protocoles de communication entre appareils électroniques.
Troisièmement, des villes intelligentes ont été répliquées à travers le monde : le NEDO a lancé six premiers projets en 2011 à Hawaï et au Nouveau-Mexique (États-Unis), à Java (Indonésie), Malaga (Espagne), Manchester (Royaume-Uni) et à Lyon. D’autres accords ont été signés entre 2012 et 2015 en Europe (Lisbonne, Speyer), en Amérique du Nord (Oshawa au Canada, Californie) et en Asie (Haryana en Inde, Putrajaya en Malaisie). Les caractéristiques technologiques diffèrent selon chaque projet, l’objectif principal étant d’ouvrir le marché aux firmes japonaises et de tester les technologies dans un contexte étranger. Toshiba, Mitsubishi et Hitachi sont les groupes les plus impliqués dans les démonstrateurs nationaux et étrangers.
Entre publicité d'entreprise et marketing territorial, présentation du projet démonstrateur en partenariat entre le Grand Lyon et le NEDO. Source : Asyium pour SPL Lyon Confluence, site de Toshiba Voir aussi : Laetitia Van Eeckhout, « À Lyon, Hikari, le premier îlot urbain à énergie positive », Le Monde, 17 septembre 2015. |
Carte 1 : Principaux programmes d’expérimentation de villes intelligentes financés par le METISource : IAO/GiS, Cartographie N. Leprêtre et Géoconfluences, 2017. Quatrièmement, seize autres expérimentations ont été financées entre 2011 et 2012 sous deux programmes différents (carte 1), bien qu’elles disposent de subventions moins élevées (environ 83 millions d’euros au total prévus en 2012). La moitié d’entre elles visent à financer la reconstruction de la région du Tohoku dévastée par le tsunami de 2011, tandis que d’autres expérimentations sont subventionnées pour récompenser des initiatives privées déjà mises en place, comme la ville intelligente de Kashiwa-no-ha. Le gouvernement dispose donc d’un fort rôle dans l’impulsion de projets, qui sont pilotés par les entreprises privées en lien avec les collectivités locales (Mah et al., 2013). Les acteurs privés ne sont pas en reste et plusieurs projets d’origine privée éclosent durant la même période, comme le quartier intelligent de Toshiba dans la ville d’Ibaraki ou la « sustainable smart town » de Panasonic à Fujisawa. Si chaque projet présente des caractéristiques spécifiques au contexte local, les éléments technologiques et les thématiques traités, comme la gestion de l’énergie et plus récemment les services liés à la santé, sont similaires.
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2.2. L’accident de Fukushima : une fenêtre d’opportunité fragilisant un réseau d’acteur en charge des politiques énergétiques
Bien que la stratégie nationale de réseaux électriques intelligents ait précédé l’accident de Fukushima, cet événement fut un catalyseur qui permit la mise en place d’un contexte législatif et l’émergence de solutions technologiques dont bénéficièrent les acteurs de la ville « intelligente ».
Avant cet événement, la structuration du réseau électrique était représentative de l’imprégnation des intérêts corporatistes des « compagnies générales d’électricité » au sein du METI (Samuels, 1983). En effet, dix compagnies exerçaient un contrôle dans la production et la distribution d’électricité sur leur zone géographique respective((Une libéralisation progressive a été engagée avant l’accident de Fukushima pour les gros consommateurs d’électricité, mais celle-ci n’a que peu affecté le monopole des compagnies générales d’électricité (Guerassimoff, Maïzi, 2013).)), avec le soutien du ministère dans ces orientations stratégiques. La centralisation de la production d’électricité, autre trait saillant, conférait une stabilité dans l’approvisionnement en électricité à partir d’une production essentiellement tournée vers le gaz naturel liquéfié, le pétrole et le nucléaire, qui comptaient en 2005 respectivement pour 26 %, 24 % et 30 % du mix électrique (FEPC, 2011). Cette centralisation répondait autant à une rationalité économique, en termes d’économies d’échelle face à une demande rapide de production d’électricité, qu’à la préservation des intérêts des acteurs privés qui s’opposaient à l’introduction d’énergies renouvelables (Moe, 2012). Les pratiques de pantouflage entre le METI et les compagnies générales d’électricité ont été régulièrement pointées avant et après l’accident de la centrale nucléaire (Samuels, 2013).
La fenêtre d’opportunité ouverte après l’accident de Fukushima (Tsuchiya, 2016) a permis la mise à l’agenda de plusieurs mesures favorables au développement de réseaux électriques intelligents. On retrouve par exemple la libéralisation totale du marché de l’électricité votée en 2013 et qui débute en avril 2016, ou encore des tarifs d’achat préférentiel pour la production d’électricité renouvelable votés en août 2011 et mis en œuvre depuis juillet 2012. L’arrêt de la production d’électricité d’origine nucléaire, pour des raisons de sécurité, a suscité des débats bien plus contrastés((Cet arrêt a été compensé par des économies d’énergie et par l’importation de ressources fossiles.)) : après que le Parti Démocrate du Japon a envisagé l’abandon de cette énergie à l’automne 2012, le retour au pouvoir du Parti Libéral Démocrate en décembre 2012 a amené à un redémarrage progressif de centrales nucléaires à partir de 2015. Pour autant, l’arrêt de facto des centrales nucléaires dans la période suivant l’accident nucléaire a amené à la diffusion de solutions alternatives, tantôt pour gérer le réseau en période de pointe, tantôt pour promouvoir une « production locale pour une consommation locale », ou encore pour alimenter la ville en électricité en cas de désastre naturel. Ces préoccupations sont mises en avant par les promoteurs publics et privés des villes intelligentes, qui entendent apporter des solutions sociotechniques variées.
Conclusion
Les villes dites « intelligentes » répondent à des impératifs socio-environnementaux de transition énergétique. À cet égard, le gouvernement japonais promeut activement une approche techno-centrée de la ville « intelligente » qui répond à ses impératifs, notamment celui de la compétitivité des entreprises nippones. La catastrophe de Fukushima montre avec encore plus d’acuité la nécessité d’apporter des réponses aux inquiétudes énergétiques et environnementales. Mais plus largement, l’émergence de la ville intelligente interroge le processus de fabrique urbaine, les acteurs qui y contribuent et les formes d'urbanité qui en résultent.
Bibliographie
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Pour aller plus loin
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Sitographie
- Page officielle du METI sur les smart communities
- Japan for Sustainability, fournissant des informations intéressantes sur les politiques environnementales
- Mitsui Fudosan, sur le projet de Kashiwa-no-ha (en japonais)
- Toshiba et son concept de smart community
- Dossier « Comprendre, orchestrer et vivre la ville intelligente », dossier sur le site de la métropole du Grand Lyon
Nicolas LEPRÊTRE
docteur en sciences politiques, ATER à Sciences Po Lyon, Université de Lyon, Institut d’Asie Orientale (UMR 5062).
Mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Nicolas Leprêtre, « Les villes « intelligentes » au Japon », Géoconfluences, octobre 2017. |
Pour citer cet article :
Nicolas Leprêtre, « Les villes « intelligentes » au Japon », Géoconfluences, septembre 2017.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/japon/corpus-documentaires/villes-intelligentes