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L’Ouest lyonnais et la lutte contre l’étalement urbain. Le « village densifié » comme compromis entre une politique nationale et des intérêts locaux

Publié le 22/10/2019
Auteur(s) : Maryame Amarouche, doctorante en géographie - ENTPE, Université de Lyon, CIRAD
Éric Charmes, Chercheur en études urbaines - ENTPE, Université de Lyon

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La lutte contre l'étalement urbain est une priorité pour les services de l'État. Des dispositions réglementaires en ce sens s'imposent aux documents d'urbanisme à l'échelle locale. Si la contrainte imposée à l'Ouest lyonnais de limiter l'étalement a pu heurter les volontés locales d'expansion résidentielle, elle a fini par être réappropriée comme un moyen de préserver le caractère « villageois » de ces communes. La forme du village densifié est le résultat de ce consensus visant la croissance démographique sans l'étalement.

Bibliographie | citer cet article

Le territoire de l’aire métropolitaine lyonnaise est composé d’espaces très différents. Ces différences se sont pour partie construites dans une approche négociée entre la ville-centre et les communes alentour. La division de l’espace résulte aussi de politiques nationales. Dans ce jeu, la planification occupe une place clé (figure 1), notamment avec la stratégie de développement définie par le SDAU (schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme) de 1969 (Bonneville, 1982). À l’ouest, ont été préservés les espaces naturels et agricoles (arboricoles, viticoles, maraichers) mais aussi les caractéristiques socio-économiques d’une population plus aisée (Authier et al., 2010 ; Charmes et Rousseau, 2014 ; Galimberti et al., 2014). L’est a été désigné, quant à lui, pour accueillir l’industrie et l’urbanisation.

Figure 1. Livre blanc du SDAU de Lyon approuvé en 1969

SDAU Lyonnais 1969

 

Dans cet article, il s’agit de comprendre comment, depuis le début des années 2000, les communes de l’ouest lyonnais ont défendu leur position dans l’espace métropolitain, et notamment leur cadre de vie, face à l’affirmation de politiques nationales de lutte contre l’étalement urbain (encadré 1). Pour ce faire, nous prendrons pour exemple la Communauté de Communes de la Vallée du Garon (CCVG -au contact de la métropole) et la Communauté de Communes du Pays Mornantais (Copamo) – voir la carte de localisation ci-dessous. Cet article s’appuie sur une enquête réalisée dans le cadre d’une thèse de doctorat((Cette thèse est préparée au sein de l’ENTPE en partenariat avec le CIRAD sous la direction d’Éric Charmes (UMR EVS 5600) et Max Rousseau (UMR Art Dev) dans le cadre d’un financement de l’Agence Nationale de la Recherche au sein du projet « Gelule ». La thèse porte sur deux terrains : l’ouest lyonnais, dont il est question dans cet article, et la périphérie de Rabat. La thèse a débuté en novembre 2016, les données traitées dans cet article ont été collectées entre novembre 2017 et juin 2019.)), auprès d’élus, techniciens communaux et intercommunaux de la Copamo et de la CCVG, de représentants de l’État (DDT, Dreal), ainsi que d’acteurs du secteur immobilier (promoteurs et bailleurs). Il s'agit de comprendre comment ces territoires, tout en s’inscrivant dans une dynamique métropolitaine, se préservent de certains effets de la métropolisation (forte densité, artificialisation des terrains agricoles, afflux de nouvelles populations, nouveaux services et équipements) en mobilisant à leurs fins l’arsenal juridico-technique de l’aménagement durable.

M. Amarouche — Carte localisation CC Arbresle Vallons du Lyonnais Pays Mornantais, Vallée du Garon, Métropole Lyon SCOT

Carte de localisation du terrain d’étude

 

Pour gérer leur territoire et y mener à bien leurs projets, les communes disposent d’un outil essentiel, le plan local d’urbanisme (PLU). Pour autant, elles ne maîtrisent pas toutes les cartes. Malgré la décentralisation, l’État garde un droit de regard important sur les territoires et leur aménagement, notamment au travers des lois qu’il édicte et met en œuvre avec le soutien de ses administrations déconcentrées. Tout un arsenal législatif a été mis en place en faveur du développement urbain durable à l’échelle de grands territoires. Les lois (SRU, Grenelle, ALUR) limitent notamment l’étalement urbain et favorisent la densification, ce qui met en cause le mode de développement historique de l’ouest lyonnais.

 
Encadré 1. Petit historique de la lutte contre l’étalement urbain

Les prémices d’une volonté de contrôler l’étalement des villes peuvent se percevoir dans la création de villes nouvelles à partir de 1965 (Bonneville, 1982). Une autre alarme contre l’étalement urbain et ses effets est sonnée en 1977 lorsque le ministère de l’Équipement diffuse une plaquette intitulée « attention mitage ». À la même période, un rapport interministériel piloté par Jacques Mayoux, intitulé « demain l’espace, l’habitat individuel périurbain » (1979), souligne le mitage des terres agricoles associées à la périurbanisation (Ghorra-Gobin, 2014 ; Bonnin-Oliveira, 2012). Ce rapport est appuyé vingt ans plus tard par celui de Gérard Larcher (1998) qui met en exergue les faiblesses des documents d'urbanisme pour maîtriser les extensions des villes (Bonnin-Oliveira, 2012, p. 124). Parallèlement, Jean-Pierre Sueur, mandaté par Martine Aubry alors ministre de l’emploi et de la solidarité, produit un rapport titré « Demain, la ville » qui met en avant l’urbanité et la mixité sociale contre les « zones pavillonnaires sans âme et sans structure ». Ces différents rapports constituent le socle d’une politique d’aménagement du territoire où la lutte contre l’étalement urbain constitue un objectif de plus en plus important.

Ces évolutions reflètent également la place croissante des préoccupations environnementales. Dans le sillage du rapport Brundtland de 1987 (Nessi, Néchet et Terral, 2016), les politiques environnementales se territorialisent (Emelianoff, 2007) et le modèle de croissance urbaine en vigueur est remis en question pour promouvoir la densification et la compacité urbaine. Le développement durable, d’abord marginal, porté par des cercles d’acteurs plutôt restreints, devient à partir des années 2000 le principal référentiel de l’aménagement et de l’urbanisme (Nessi, Néchet, et Terral 2016). L’objectif de durabilité se décline dès lors à différentes échelles : européenne, nationale et enfin locale (Emelianoff, 2007 ; Nessi, Néchet et Terral 2016). Avec le modèle de la ville durable, la lutte contre l'étalement urbain s’impose progressivement. Des mesures de plus en plus restrictives sont prises avec la Loi d'Orientation pour l'Aménagement et le Développement du Territoire (LOADT dite loi Pasqua en 1995) puis la Loi d'Orientation pour l'Aménagement et le Développement Durable du Territoire (LOADDT dite loi Voynet en 1999), suivie de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) en 2000 (Emelianoff, 2007), puis des lois Grenelle de 2009 et 2010 et enfin de la Loi pour l'Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR) en 2014. Cette dernière loi vise, selon la ministre qui l’a porté, Cécile Duflot, à mettre un coup d’arrêt à l’artificialisation des terres agricoles et naturelles.


 

1. L’État à la manœuvre pour maîtriser la périurbanisation

Dans la région métropolitaine lyonnaise, la Directive Territoriale d’Aménagement (DTA, voir encadré 2) est un outil essentiel de l’action de l’État. La DTA prend place sur un périmètre qui concerne quatre départements (le Rhône, l’Ain, l’Isère et la Loire). Elle couvre 382 communes et est opposable aux 10 SCOTs qui, pour tout ou partie, entrent dans son périmètre (voir figure 2). Initiée par une décision interministérielle du 23 février 1998, la DTA de l’aire métropolitaine lyonnaise est portée par le préfet de la région Rhône-Alpes. Elle a été approuvée par décret en Conseil d’État le 9 janvier 2007((Site internet de la région Auvergne Rhône-Alpes, entrée Directive Territoriale d’Aménagement)). Cette directive est perçue par les élus autant que les techniciens des territoires concernés comme étant la « doctrine » de l’État. Elle est d’ailleurs rappelée par les services de l’État lorsqu’ils ont à émettre un avis sur les SCOTs portés à leur connaissance (figure 3).

 
Encadré 2. La Directive Territoriale d’Aménagement

La Directive Territoriale d’Aménagement (DTA) est un outil de planification à l’échelle de grands territoires porteurs d’enjeux nationaux, qui nécessitent donc une intervention spécifique de l’État. La DTA apparaît dans un projet de loi établi sur la base d’un rapport du conseil d’État, « pour un urbanisme plus efficace » (1992). Cette idée a été reprise (aussi bien le fond que la dénomination) dans la loi LOADT (loi Pasqua) puis dans la loi LOADDT (loi Voynet) en 1999. Cette dernière loi a ajouté la possibilité pour les régions de demander son élaboration (la région Rhône-Alpes a ainsi été à l’origine de la DTA de l’Aire Métropolitaine Lyonnaise). La loi SRU, qui poursuit le tournant vers un aménagement durable des territoires, est venue étendre les missions des DTA. Ce tournant a été affirmé par les lois Grenelle, la DTA devenant la DTADD, soit la directive territoriale d'aménagement et de développement durables.

Élaboré par l’État en collaboration avec les collectivités locales, ce document cadre les orientations de l’État en matière d’aménagement des territoires autour de trois grands axes de réflexion : les grands projets d’infrastructures et de transports de l’État ; la préservation des espaces naturels ; et un développement équilibré des territoires sur son périmètre. La DTA s’impose aux documents de planification et d’urbanisme communaux et intercommunaux (SCOT, PLU, PLH, PDU) (Merlin et Choay, 2010). Il existe sept DTA sur le territoire français : celles des Alpes-Maritimes, des bassins miniers Nord-Lorrains, de l'estuaire de la Seine, de l'estuaire de la Loire, des Bouches-du-Rhône, des Alpes du Nord et de l’aire métropolitaine lyonnaise.


 
Figure 2. Le périmètre de la Directive Territoriale d'Aménagement de l'aire métropolitaine lyonnaise

Périmètre de la DTA

Source : Agence d'urbanisme pour le développement de l'agglomération lyonnaise, 2006.

Figure 3. La Directive Territoriale d'Aménagement de l'aire métropolitaine lyonnaise dans la hiérarchie des normes des documents d’urbanisme de l’Ouest-lyonnais

DTA dans la hiérarchie des documents d'urbanisme

La DTA de l’aire métropolitaine lyonnaise est le produit d’échanges entre les services de l’État et les acteurs locaux intervenant sur son périmètre. Elle a abouti à l’affirmation de 3 objectifs :

«

« [1.] Reconnaître et soutenir la métropole lyonnaise comme métropole internationale, notamment en contribuant à y développer des fonctions de commandement et de rayonnement ; Garantir le maintien de toutes les potentialités de développement et d’évolution de la plate-forme multimodale de Saint-Exupéry ; Participer à la structuration multipolaire de la métropole, s’appuyant sur Lyon, Saint-Étienne et l’agglomération nord-iséroise ; Reconquérir les territoires en perte d’attractivité

[2.] Lutter contre l’étalement urbain et améliorer le cadre de vie ; Réaliser les contournements autoroutier et ferroviaire dans le cadre d’un système de transport favorisant le report modal et cohérent avec le projet de développement métropolitain et réaliser la ligne ferroviaire transalpine

[3.] Mettre en œuvre une politique permettant de conserver et de valoriser les espaces naturels et agricoles majeurs tout en les reliant mieux ensemble. »

Directive Territoriale d’Aménagement, p. 30.

 
»

La lutte contre l’étalement urbain est donc au cœur de la DTA. Contrôler la croissance démographique et maîtriser l’urbanisation dans les couronnes périurbaines sont les principaux leviers par lesquels la DTA entend atteindre cet objectif. En effet, le manque de contrôle de l’urbanisation et la croissance démographique des territoires périurbains sont, du point de vue de l’État, sources de nombreux problèmes, comme l’artificialisation des terres agricoles, ou la détérioration des espaces naturels et de la qualité paysagère, problèmes auxquels s’ajoute la dispersion de l’urbanisation et de l’offre en logements et services. Dans l’esprit de la DTA en outre, limiter l’urbanisation sur les pourtours de la métropole, c’est favoriser au sein de cette dernière la densification et le renouvellement urbain.

Cette vision de l’État a rencontré de vives oppositions de la part des élus locaux des couronnes périurbaines. Dans ces territoires, de nombreux élus ont plaidé pour un taux de croissance démographique supérieur à celui attendu par l’État, plus en accord avec leur rythme de développement. La longue élaboration du Schéma de cohérence territoriale (SCOT) de l’Ouest lyonnais((Ouest apparaît ici avec une majuscule pour désigner le territoire couvert par le SCOT de l’Ouest lyonnais. Ouest est écrit avec une minuscule quand il désigne les territoires situés à l’ouest de la métropole de Lyon.)), lancé en 2006 et approuvé en 2011, le montre bien (voir ci-dessous). Au sein du périmètre du SCOT, entre 1999 et 2005, la population a connu un taux de croissance moyen de 1,64 % et la DTA remet sévèrement en cause ces dynamiques. Un responsable des services déconcentrés de l’État de ce territoire, résume le rôle de la DTA comme suit :

«

« Dans la logique de la DTA, l’Ouest lyonnais devait être dans une logique de calmer un peu la construction, de temporiser pour permettre de remplir au maximum la Métropole, de dire [que] le maximum se fait bien évidemment dans la Métropole, bien desservie etc. Et que donc il faut aussi calmer les ardeurs de la construction dans les territoires voisins en disant : « il y a un objectif métropolitain ». Donc il faut mettre un objectif de croissance démographique un peu plus faible sur les territoires en frange. » 

Entretien avec les services techniques départementaux de l’État.

»

Les orientations de la DTA sont d’autant moins bien reçues par les élus des territoires périurbains qu’elles leur paraissent alignées sur les intérêts des cœurs métropolitains de Lyon et Saint-Étienne, visant notamment à y reconcentrer la croissance démographique. La DTA renvoie ainsi les couronnes périurbaines à leurs caractéristiques rurales et les inclut dans les dynamiques métropolitaines avant tout en tant qu’espaces nourriciers et que lieux d’accueil des loisirs de nature (figure 4). Au sein de l’Ouest lyonnais, le plateau mornantais se voit ainsi attribuer un rôle de « cœur vert » et d’espace récréatif et les territoires de la communauté de communes de la Vallée du Garon, notamment pour Brignais, le rôle « de tampon entre l’étalement urbain de la métropole et tout l’enjeu [de] ceinture verte et [de] pôle vert sur la partie au-delà : Monts du Lyonnais et autres » (Entretien avec un élu, commune de plus de 10 000 habitants, à 10 km de Lyon).

Figure 4. Réseaux des espaces naturels et agricoles majeurs

Réseaux des espaces naturels et agricoles majeurs (source : DTA)

Source : DTA, p. 48.

Réseaux des espaces naturels et agricoles majeurs (source : DTA)

L’opposition des acteurs locaux à la DTA a également porté sur les différents projets d’infrastructure inscrits dans le document (figure 5), à l’exemple du Contournement Ouest de Lyon (COL). Ce contournement, non encore réalisé à ce jour, est une infrastructure d’intérêt national qui traverserait l’ouest lyonnais du nord au sud. À l’instar du projet d’autoroute A45 pour relier les métropoles de Lyon et Saint-Étienne et qui touche le sud-ouest du territoire, le COL a suscité contre lui une forte mobilisation des acteurs locaux (au travers notamment de l’Association de Sauvegarde des Coteaux du lyonnais et de l’association ALCALY, Alternatives au Contournement Autoroutier de Lyon).

Figure 5. Réseaux routiers inscrits dans la DTA (p. 44)
Réseaux routiers inscrits dans la DTA  

Les acteurs locaux opposent de nombreux arguments à ces grands projets routiers. Leurs critiques portent tout d’abord sur la protection des zones agricoles et paysagères, car les tracés ainsi que les externalités de l’usage de ces infrastructures pourraient avoir des répercussions sur la production agricole, imposer des fractures au territoire et dénaturer le paysage vallonné et paisible de l’Ouest lyonnais. Un second argument pointe l’urbano-centrisme de la DTA qui, pour désengorger le cœur métropolitain, prévoit d’envoyer les flux routiers en dehors de la métropole. Enfin, un dernier argument souligne la contradiction entre de tels projets d’infrastructures et la faible croissance démographique prônée par la DTA pour les communes de l’Ouest lyonnais. Les acteurs locaux estiment que ces infrastructures vont perturber les communes limitrophes, notamment autour des échangeurs : 

«

« Les élus sont opposés au COL et l’A45, on va dire qu’il y a quelques élus qui seraient favorables, mais on va dire que 90 % des élus sont contre. […] On a un secteur, par exemple l’A89 au nord qui a clairement boosté les communes de la CCPA. Il y a l’A45 au sud, on nous dit : « non, mais vous aurez aucune sortie sur l’autoroute, donc on ne veut absolument pas que vous vous développiez », moi je me dis : on sait comment ça se passe. Parce que s’il y a une entrée ici, les secteurs alentours vont être impactés forcément. » 

Source : entretien dans un organisme intercommunal.

»

Dans ce cadre, certains acteurs locaux face ont interprété la volonté affirmée par la DTA de lutter contre l’étalement urbain comme une manière détournée de préparer le terrain pour réaliser des infrastructures autoroutières, en évitant notamment qu’une urbanisation trop forte du territoire ne fasse obstacle à leur construction.

 

2. La réponse locale : Le village densifié

Ces tensions entre les services de l’État et les acteurs locaux se sont particulièrement révélées dans l’élaboration du SCOT de l’Ouest lyonnais (dont le périmètre a été fixé par arrêté en 2002). Les schémas de cohérence territoriale sont élaborés sous la responsabilité des collectivités locales, mais sous le contrôle étroit des services déconcentrés de l’État. Selon le syndicat en charge de l’élaboration du SCOT de l’Ouest lyonnais :

«

« L’élaboration du SCOT a été très longue, on a notamment fait deux arrêts de projet qui ont été retoqués par la Préfecture [la première fois] de manière amiable, donc on a retiré la délibération avant qu’il y ait un recours. La deuxième fois, il y a eu un recours de la Préfecture, donc on a retiré la délibération. Donc l’élaboration du SCOT a été très laborieuse, notamment à cause de la Directive Territoriale d’Aménagement, la DTA, qui touche notre territoire et qui nous contraint énormément dans notre développement. [Elle] impose des projets autoroutiers que les élus ne souhaitaient pas. L’État nous disait : « si, il faut prendre en compte la DTA, il faut vous limiter par exemple d’un point de vue d’accroissement démographique, d’un point de vue économique, et il faut intégrer deux gros projets autoroutiers ». Et les élus disaient : « non non, nous on n’est pas d’accord, on n’est pas d’accord ». Donc ils sont allés assez loin, mais bon, à un moment la loi dit qu’il faut intégrer la DTA, donc ils ont intégré la DTA, voilà. »

Entretien, Syndicat de l’Ouest Lyonnais - SOL.

»

Les élus n’ont donc pas eu d’autre choix que d’intégrer les directives de l’État. À tel point que le premier SCOT de l’Ouest lyonnais est présenté par des élus et des techniciens (au sein du territoire comme par les témoins extérieurs) comme ayant été « écrit par l’État ». 

On se tromperait cependant en ne voyant dans le SCOT de l’Ouest lyonnais qu’une déclinaison de la DTA. En réalité, le SCOT de l’Ouest lyonnais est une belle illustration de la manière dont les territoires périurbains peuvent concilier leurs intérêts avec les politiques de lutte contre l’étalement urbain. Pour comprendre comment cette convergence d’intérêt a été possible, il faut d’abord souligner que la critique des restrictions à la croissance porte moins sur le fond que sur la forme. Autrement dit, c’est moins la limitation de la croissance et de l’étalement urbain qui a posé un problème que le fait que ce soit l’État qui l’impose aux communes.

Dans le territoire du SCOT, les communes sont petites : 70 % comptent moins de 3 500 habitants. En outre, si elles sont intégrées fonctionnellement dans le système métropolitain lyonnais, elles sont pour la plupart séparées de l’agglomération lyonnaise par une discontinuité des espaces bâtis (ce qui est une caractéristique essentielle du périurbain). Dans ce cadre, la quasi-totalité des élus défendent une identité villageoise (encadré 3). Cela concerne même les communes les plus importantes du territoire, telles que Brignais, qui compte 11 300 habitants et où la référence au village est très présente :

«

« [L’identité villageoise] reste très forte, ouais, très très forte, mais pas qu’à Brignais. Il y a vraiment ce côté « ce n’est pas la ville ». Il n’y a pas la métropole, on est sur du périurbain. Donc il y a vraiment ce côté où on est sur un village. On est sur un village et il faut maintenir cet équilibre de village, et c’est ça qui fait qu’il y a des crispations » 

Entretien avec un élu, commune de plus de 10 000 habitants, à 10 km de Lyon.

»
 
Encadré 3. Qu’est-ce qu’un « village » ?

Si le terme « village » est d’usage courant, il est difficile d’en donner une définition rigoureuse. Dans ce texte, le terme village désigne avant tout des communes dont la population est relativement limitée. Divers seuils peuvent être mobilisés. Un seuil important est 3 500 habitants, qui est par exemple le maximum de population visé par l’Association des maires ruraux de France (AMRF) pour ses communes membres. Un seuil plus restrictif est celui avec lequel l’INSEE distingue les communes urbaines des communes rurales, seuil fixé à 2 000 habitants pour l’espace aggloméré principal de la commune (hors hameaux et écarts). Le seuil encore un peu plus bas de 2 000 habitants pour l’ensemble du territoire communal est retenu par le comité départemental du tourisme qui décerne le label « village de caractère ». Tous ces seuils doivent être appréciés en fonction du contexte. En effet, dans un département rural, une commune de moins de 2 000 habitants peut être un chef-lieu de canton et dotée d’un nombre significatif de commerces. Avec la même population, une commune périurbaine proche d’une grande ville peut être dépourvue de commerces.

Par ailleurs, les acteurs locaux cités dans ce texte peuvent utiliser le terme village pour désigner des communes dont la population est relativement importante. Il est fréquent que l’appellation village soit revendiquée par des élus de communes périurbaines qui comptent 5 000 voire 10 000 habitants. Il s’agit d’un usage politique du terme qui vise à marquer une différence par rapport à la grande ville, à la densité de la métropole. Hors du périurbain, le terme village peut aussi être utilisé dans des contextes très urbains. On peut l’illustrer avec Jacques Chirac parlant des 100 villages de Paris quand il était maire de la ville.


 
Figure 6. Paysage de bourg périurbain

Maryame Amarouche — paysage de centre-bourg périurbain photographie

Quartier à proximité du centre bourg de la commune de Millery. Cliché de Maryame Amarouche, juin 2019.

Figure 7. Paysage périurbain résidentiel et agricole

Maryame Amarouche — paysage périurbain

Photographié depuis la terrasse d'un enquêté, dans la commune de Taluyers. Cliché de Maryame Amarouche, juin 2019.

L’affirmation de cette identité « villageoise » par des communes qui, dans des départements ruraux, pourraient être considérées comme des villes, est une manière de mettre à distance le cœur de la métropole. Les communes de l’Ouest lyonnais souhaitent affirmer leur différence avec le Grand Lyon dont les formes urbaines sont très différentes (voir photographies ci-dessus), notamment au regard de la densité, comme le montre la figure 8.

 
Figure 8a. Tableau comparatif des densités entre deux communautés de communes de l’Ouest lyonnais et des communes de la frange ouest du Grand Lyon
  CC du Pays Mornantais (Copamo) CC de la Vallée du Garon (CCVG) Saint-Genis-Laval Charly Oullins Francheville
Population 28 922 30 283 21 342 4 471 26 428 14 361
Densité de population (hab./km²) 129 608 1 652 878 6 006 1 756

Source : INSEE, données 2015

Figure 8b. Gradient de densité de quelques communes sur un transect de 25 km vers le sud-ouest à partir de Lyon

Maryame Amarouche — carte densité quelques communes Ouest lyonnais

 

Dans ce contexte, l’articulation des intérêts de l’État et des intérêts locaux a été organisée autour du concept de « village densifié », fil conducteur du SCOT et du projet de territoire. Ce concept établit un trait d’union entre l’État et les acteurs locaux. Il fait en effet consensus entre d’un côté les élus qui revendiquent une identité « villageoise » et d’un autre côté l’État qui souhaite imposer de la « densité ».

Sur le site internet du syndicat de l’ouest lyonnais (le SOL, organisme de coopération intercommunal porteur du SCOT), une vidéo promotionnelle((Pour en savoir plus et visionner la vidéo dans son intégralité : https://www.ouestlyonnais.fr/Le-concept-de-village-densifie_a93.html)) à l’attention des élus et des habitants explique le concept. Il s’agit de concentrer les constructions nouvelles dans le noyau bâti, « le centre du village » ou « le centre bourg » et de préserver les terres agricoles en dehors de l’enveloppe urbaine. La densification est conçue de manière à préserver le caractère villageois. Elle est en effet limitée à la rénovation de corps de ferme et de bâtiments anciens dégradés et à la construction de petits immeubles qui respectent autant que possible la volumétrie des maisons de village, avec deux étages sur rez-de-chaussée (Fonticelli, 2018).

Cette forme de densification sert plusieurs objectifs. D’abord, elle permet de maintenir des perspectives de croissance démographique et notamment l’accueil de nouveaux ménages, ménages dont les enfants peuvent maintenir voire repeupler l’école (d’autant que les logements en immeuble sont moins coûteux et plus accessibles à ces catégories que les pavillons sur de larges parcelles). Cela répond aussi à l’enjeu de vieillissement de la population, en permettant le prolongement du parcours résidentiel des personnes âgées dont les besoins ont évolué, et qui notamment ont des difficultés à entretenir de grandes maisons individuelles, et à être éloignées des cœurs de village. Ensuite, la densification renforce la vie locale dans le centre du village en y favorisant le maintien, voire le développement des petits commerces, des services et des équipements.

En même temps, la densification préserve l’environnement et les activités agricoles en évitant l'artificialisation. Enfin, et surtout, en empêchant l’étalement du noyau bâti principal de la commune, elle évite la jonction des taches urbaines et la perte d’un trait qui pour beaucoup est constitutif de la dimension campagnarde du périurbain, à savoir la discontinuité des noyaux bâtis, trait qui s’oppose à la continuité des nappes urbaines, caractéristique des banlieues pavillonnaires. L’image de ces dernières est généralement un repoussoir pour les périurbains. Cette opposition structurait d’ailleurs déjà le SDAU de l’Ouest lyonnais((Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme, approuvé en 1982 et révisé en 1986)), qui préfigurait le SCOT actuel en recommandant le maintien des espaces agricoles, boisés, naturels comme coupures entre les noyaux bâtis principaux.

Tel que présenté dans le SCOT de l’Ouest lyonnais, le concept de « village densifié » est presque un tour de force car dans des territoires où la densification est souvent rejetée par les élus et les habitants, elle est ici construite comme une solution à un problème : continuer à accueillir des ménages sans s’étaler. La densification, loin de menacer le caractère villageois des communes, devient le meilleur moyen de le préserver : c’est en se densifiant (certes modérément) que le village peut rester un « village ». En privilégiant la densification sur les extensions pavillonnaires, l’aspect villageois est préservé, avec un noyau bâti central qui reste entouré d’un écrin de verdure constitué de zones agricoles et naturelles.

Le SCOT énonce les orientations nécessaires à la mise en œuvre du village densifié comme suit :

  • « Favoriser une urbanisation en continuité ou à proximité immédiate du noyau urbain central ou du "cœur de village" tout en saisissant prioritairement les opportunités foncières à l'intérieur du tissu déjà investi et en les privilégiant chaque fois que possible.
  • « Préserver la typicité de chaque ville, village et bourg grâce à l'absence de continuité urbaine en particulier le long des axes de communication ; répartir les formes urbaines sur les quatre niveaux de polarités définis [dans d’autres volets du SCOT] et tendre vers un objectif de 50 % d'habitat groupé, intermédiaire ou collectif.
  • « Assurer tous les besoins en logements : sur les 12 500 logements prévus, au minimum 3 000 seront des logements locatifs sociaux, un effort particulier devant être fourni par les communes concernées (ou devant être concernées dans les prochaines années) par l'article 55 de la loi SRU. L'offre en logement locatif ainsi que la diversité de la taille des logements seront gérées selon les niveaux de polarité.
  • « Conserver un niveau de services et d'équipements adapté selon les polarités définies » (p. 21-22 du PADD((Le SCOT est composé de 3 documents : un diagnostic, un Programme Aménagement et de de Développement durable qui représente le projet politique du territoire (PADD) et le Document d’Orientation et d’Objectifs qui énoncent les actions et moyens à mettre en place pour faire aboutir le projet de territoire)) 2006-2022). »

On le voit, le concept de village densifié est aussi associé à la production de logements sociaux, production à laquelle de nombreuses communes de l’Ouest lyonnais ne sont pas contraintes. Le quota de 25 % ne s’applique en effet qu’aux communes de plus de 3 500 habitants appartenant à des agglomérations ou intercommunalités de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants. Les ambitions du SCOT sont loin de ce quota, mais ne sont pas négligeables. Des communes non-soumises à la loi SRU intègrent ainsi dans leur PLU des servitudes de production de logements sociaux. Ces communes sont particulièrement motivées par les difficultés rencontrées par les jeunes ménages (et notamment les enfants des habitants) pour s’installer dans un territoire où les prix sont inaccessibles pour tout un ensemble de populations (Charmes et Rousseau, 2014). Dans l’Ouest lyonnais, les jeunes ménages, les agriculteurs nouvellement installés, les employés du privé comme du public qui travaillent dans le territoire peinent à s’installer.

Bref, si la limitation à 1 % du taux de croissance démographique imposé par la DTA a été âprement débattue au départ, au cours de l’élaboration du SCOT du l’Ouest lyonnais et au fil des échanges, un certain consensus a pu émerger :

«

« D’un point de vue démographique, c’est vrai que la DTA nous a bien ralenti, mais pour le coup, les élus, si au début ils étaient un peu frileux, ils se sont rendu compte que ce frein de l’accroissement de population permettait d’intégrer la nouvelle population qui était arrivée, de moins consommer d’espaces naturels. Au bilan, notre SCOT disait qu’on était à 0,89 % d’accroissement de population sur toutes nos communes, et finalement on est à 1 %, donc on n’est pas si mal. » 

Entretien, Syndicat de l’Ouest Lyonnais - SOL.

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3. Perspectives métropolitaines

Dans la Métropole de Lyon((Métropole est écrit avec une majuscule pour désigner l’institution, avec une minuscule pour l’entité géographique.)) (aussi appelée Grand Lyon), comme à l’extérieur, la densification suscite de vives oppositions et beaucoup d’élus préfèrent réduire la croissance de leur commune afin d’en préserver la qualité de vie. Les communes du Grand Lyon limitrophes de celles de l’Ouest lyonnais tendent à promouvoir des politiques similaires. Bien que le « concept » de village densifié ne soit pas mobilisé au sein du Grand Lyon, les positions des élus des périphéries ouest de la Métropole s’en rapprochent grandement :

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« C’est vrai qu’aujourd’hui ce sont des communes, enfin, c’est trois communes qui souhaitent ralentir leur rythme de construction, très fortement. D’autant plus que pour Tassin et Francheville en 2014, le maire a changé et ça faisait partie en fait de leur programme de campagne de dire qu’il fallait arrêter les constructions, le développement. Ça ce n’est pas sans poser la question du lien avec le SCOT, puisque dans le SCOT, la commune de Tassin est une polarité urbaine. Normalement, une commune qui dispose de potentiel de développement encore important et qui dispose aussi d’équipements publics, de services, une structure commerciale assez développée, [devrait] normalement assurer son rôle de polarité urbaine et poursuivre son développement. Donc aujourd’hui, par rapport aux orientations qui sont données dans le SCOT qui disent que chaque polarité […] doit jouer son rôle et entrainer en fait les autres dans son dynamique, on a certaines communes, qui aujourd’hui, ne sont plus en phase avec ces orientations. »

Entretien, services techniques du Grand Lyon.

 
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Au sein des documents de planification du Grand Lyon, comme le PLU intercommunal, toutes les communes sont fondues dans un projet métropolitain. Toutefois, chacune des communes du Grand Lyon peut faire entendre sa voix. La prise en compte d’attentes spécifiques se fait en amont dans le cadre de « conférences des maires ». Ce sont des espaces de discussion à l’échelle des différents bassins de vie qui composent le territoire du Grand Lyon : 

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« Quand on travaille sur la révision du PLU, on est réparti, on a chacun une commune, donc on travaille directement avec les maires, il y a quand même un travail au niveau communal, mais toujours replacé. […] Au départ, le projet de territoire il est réfléchi à l’échelle de l’agglomération, et ensuite du bassin de vie, et ensuite à la commune. Ça fait 40 ans qu’elles ont, entre guillemets, l’habitude de travailler ensemble, de pas être toutes seules dans leur coin. »

Entretien, services techniques du Grand Lyon.

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Au demeurant, à son échelle, la Métropole n’est pas en accord avec la vision défensive portée par les communautés de communes de l’Ouest lyonnais. La croissance limitée de ces communautés ne correspond pas aux enjeux importants qui pèsent sur le territoire métropolitain. Il leur est principalement reproché de profiter des effets positifs de la métropolisation tout en se préservent de ses effets moins désirables :

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« La Métropole a une image… je m’en suis rendu compte à travers des échanges : la députée avait réuni tous les gens qui s’occupent d’agriculture sur le secteur, et il y avait la Métropole, en vue de la future loi sur l’agriculture qui sera débattue en 2019. […] Et je me suis rendu compte […] que l’Ouest lyonnais a une image de territoire un peu privilégié, un peu…qui n’a peut-être pas joué complètement la carte de la solidarité. » 

Entretien avec un élu communautaire de l’Ouest lyonnais.

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Ainsi, les communes de l’Ouest lyonnais se voient reprocher de ne pas participer à l’effort métropolitain, alors même que leur attractivité est le fruit de la proximité de l’agglomération. Les oppositions entre l’Ouest lyonnais et la métropole restent donc vives et les coopérations (hormis entre les communes limitrophes) restent limitées.

Il est tout de même nécessaire de nuancer la critique faite aux territoires de l’Ouest car la construction métropolitaine lyonnaise a historiquement eu pour base un développement différencié entre un Ouest agricole et naturel et un Est industrialisé. Par ailleurs, ce consensus a fait l’objet d’accords politiques locaux et a été soutenu par des politiques nationales. Enfin, la limitation des ouvertures de terrains à l’urbanisation, ce que l’on peut qualifier de « malthusianisme foncier » (Charmes 2007) tend également à se développer à l’est de la métropole. Dans plusieurs communes de l’est, le ralentissement de l’urbanisation a été au cœur des discussions locales voire des élections municipales de 2014 (la commune de Décines en est un exemple). Se pose alors aujourd’hui la question des effets de ces restrictions à la croissance urbaine. Si à l’ouest comme à l’est, les premières couronnes appliquent strictement les politiques de lutte contre l’étalement urbain, vers quels territoires les ménages les plus modestes vont-ils se tourner ? La réponse est l’éloignement croissant des territoires dans lesquels prospectent les jeunes ménages candidats à l’accession à la propriété. À l’est, ces ménages doivent aujourd’hui chercher à 50 voire 60 kilomètres de Lyon, pour trouver des prix abordables (Charmes et Rousseau 2014).

Pour endiguer quelque peu ces reports et maîtriser l’aménagement à une échelle large, l’aire métropolitaine s’est inscrite dans une démarche de coordination souple des différents SCOTs de son périmètre, démarche dite d’Inter-SCOT. Initiée en 2002 par les élus, et en partenariat avec les agences d’urbanisme de Lyon (UrbaLyon) et de Saint-Étienne (Epures), la démarche est « officialisée en 2004 par la signature d’une convention. [Elle] témoigne de la volonté politique des collectivités territoriales d’articuler leurs démarches de planification. »((Lien vers le site de la démarche https://www.inter-SCOT.fr/)) Cela s’est concrétisé par une harmonisation des SCOTs via un « chapitre commun », rédigé en 2006, actualisé en 2013 et complété par un « cahier de recommandations » en 2015. Ce document regroupe des définitions communes et des éléments cartogra­phiques pouvant être adoptés dans les différents SCOTs. Bien que ce chapitre n’ait « rien de très ébouriffant » (entretien Syndicat SCOT), il s’accorde sur des thématiques importantes communes aux territoires, comme la préservation des territoires agricoles, en abordant la problématique de l’approvisionnement alimentaire de la métropole ; la préservation des espaces naturels et leur valorisation à l’échelle de l’aire métropolitaine via le développement des trames vertes et bleues ; ou encore le maintien de la discontinuité du bâti. On peut le constater, le concept de « village densifié » promu par le SCOT de l’Ouest lyonnais s’accorde parfaitement avec les attentes définies à l’échelle de l’aire métropolitaine dans le « chapitre commun » de l’Inter-SCOT.

 

Conclusion : un compromis qui favorise l’exclusion des ménages modestes

L’exemple de l’Ouest lyonnais met en lumière le fait que l’étalement des métropoles se produit dans un contexte où les municipalités sont souvent d’allure « villageoise ». Le pouvoir conféré à ces municipalités par la décentralisation en matière d’aménagement fait que, malgré la pression foncière, elles parviennent à préserver leur caractère villageois. Mieux, elles peuvent y parvenir avec l’appui des politiques publiques nationales. Cela pose question, car l’urbanisme ainsi produit tend à être exclusif (Charmes 2011 ; Charmes et Rousseau 2014). En effet, dans l’Ouest lyonnais, la mise en application des grandes orientations édictées par la DTA et le SCOT se traduit par des plans locaux d’urbanisme qui déclassent des zones urbanisables et donc restreignent l’offre de maisons individuelles. Celles-ci atteignent alors des prix qui les rendent inaccessibles à beaucoup d’accédants à la propriété (voir cette carte dans Didier-Fèvre, 2019). À l’échelle nationale en effet, la moitié d’entre eux gagne moins de trois fois le SMIC (Observatoire crédit logement/CSA, Du financement des marchés résidentiels, 2018).

L’effet ségrégatif des périmètres de protection naturelle a été mis en évidence dans d’autres cas, dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud. La préservation de l’environnement a comme effet collatéral (voire parfois comme effet voulu) d’évincer les populations les moins aisées, que ce soit à Rio de Janeiro (De Souza 2017), à Londres (Bailoni 2014 ; Charmes 2007), à Stockholm (Kong et Nyström, s. d.) ou à Moscou (Blinnikov et al. 2006). Si l’Ouest lyonnais s’est vu imposer cette protection par les pouvoirs publics à des fins stratégiques de reconcentration du dynamisme sur le cœur métropolitain, les acteurs périurbains ont également su utiliser ces « contraintes » réglementaires à leur avantage. L’Ouest lyonnais se positionne dans un entre-deux, d’un côté en s’inscrivant dans le système métropolitain lyonnais et de l’autre en préservant une identité villageoise, un cadre de vie d’allure rurale, en même temps que les caractéristiques de son peuplement.

Quoi qu’il en soit, les politiques impulsées au niveau national (celles de lutte contre l’étalement urbain comme les autres) ne peuvent pas être comprises sans être analysées au prisme de leur appropriation par les territoires où elles sont mises en œuvre. Ainsi, appropriée localement, la lutte contre l’étalement urbain peut devenir vectrice d’étalement urbain et d’exclusion sociale. Regarder la lutte contre l’étalement urbain au plus près des territoires permet de mieux lire les stratégies de contrôle mises en œuvre. Celles-ci sont les objets d’oppositions vives entre d’un côté les acteurs locaux avec à leur tête les maires des communes (reposant sur un socle d’habitants souvent opposés à la densification), et d’un autre côté l’État qui s’exprime via la production législative, par l’élaboration d’une stratégie nationale de planification territoriale et par le contrôle des documents de planification produits par les collectives locales.

 


Bibliographie

Sources scientifiques
Sources techniques

 

 

Maryame AMAROUCHE
Doctorante en géographie, EVS-RIVES, ENTPE, Université de Lyon - Art-Dev, CIRAD

Éric CHARMES
Chercheur en études urbaines, EVS-RIVES, ENTPE, Université de Lyon

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Maryame Amarouche et Éric Charmes, « L’Ouest lyonnais et la lutte contre l’étalement urbain. Le « village densifié » comme compromis entre une politique nationale et des intérêts locaux », Géoconfluences, octobre 2019.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/lyon-metropole/articles-scientifiques/villages-densifies-lutte-etalement-urbain

 

Pour citer cet article :  

Maryame Amarouche et Éric Charmes, « L’Ouest lyonnais et la lutte contre l’étalement urbain. Le « village densifié » comme compromis entre une politique nationale et des intérêts locaux », Géoconfluences, octobre 2019.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/lyon-metropole/articles-scientifiques/villages-densifies-lutte-etalement-urbain