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Un gouvernement métropolitain de la relégation urbaine ? Politiques intercommunales de transport et banlieue populaire, l’exemple de Vaulx-en-Velin

Publié le 21/06/2019
Auteur(s) : Antoine Lévêque, Doctorant en science politique, ATER - Laboratoire Triangle (UMR 5206), Sciences Po Lyon, Université de Lyon.

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Vaulx-en-Velin, en accueillant une grande ZUP dans les années 1970, est devenue la quatrième commune de l’agglomération lyonnaise par sa population. Dès lors, la question de la desserte par les transports en commun s’est posée. L'article montre comment l'investissement des élus dans les jeux politiques intercommunaux peuvent entretenir un traitement défavorable des classes populaires dans l'élaboration d'un réseau de transport urbain.

Bibliographie | citer cet article

Désignées comme lieux privilégiés de la croissance économique dans un contexte concurrentiel mondialisé (Davezies, 2012), les grandes villes concentrent également les poches de pauvreté les plus importantes en France, notamment dans leurs banlieues populaires. Mettant en cause les effets de « ruissellement » des richesses captées et produites dans ces espaces urbains, l’accroissement des inégalités et des phénomènes de ségrégation spatiale est même le corrélat des performances économiques de ces « métropoles ». Phénomène économique et démographique de concentration de richesses, d’individus et d’activités, la métropolisation désigne aussi des trajectoires de développement encouragées et soutenues par des politiques publiques.

Des réformes institutionnelles ont ainsi fait la promotion d’édifices supracommunaux aux compétences étendues, depuis les communautés urbaines des années 1960 (Brenner, 2003 ; Tomàs, 2012) jusqu’aux toutes récentes métropoles (Parnet, 2016). Fondé sur le renforcement de l’intercommunalité, ces modalités d’organisation du gouvernement urbain seraient les plus à même de répondre aux défis de notre temps. Elles ont en tout cas produit des effets durables sur les politiques urbaines, influençant tant les pratiques et ressources politiques des élus locaux que la façon d'enregistrer ou de formuler des problèmes publics et d'en proposer des solutions.

Avantage concurrentiel dans une compétition entre métropoles (Bardet et Healy, 2015 ; Bué et al., 2004) opérant une sélection des espaces les plus « attractifs », les infrastructures de transport peinent à répondre aux enjeux de mobilité des catégories les plus modestes, pourtant perçue comme un gage de leur intégration sociale et professionnelle (Bacqué et Fol, 2007 ; Féré, 2013). Si les transports urbains ont alimenté la structuration institutionnelle des agglomérations en suscitant des coopérations intercommunales (Offner, 2002 ; Scherrer, 1995), les banlieues populaires figurent parmi les espaces où s’incarne ce paradoxe.

Dans le cas de l’agglomération lyonnaise, l’intercommunalité a accompagné l’urbanisation massive d’une première couronne à la faveur d’une politique nationale de construction de grands quartiers d’habitat social. Leur relégation peut toutefois être envisagée comme le produit des recompositions de l’action publique. Les reformulations successives d’un problème d’enclavement et de transport à Vaulx-en-Velin – commune de l’Est lyonnais (encadré 1) – permettent de saisir cette dimension sociopolitique du processus de métropolisation.

 
Encadré 1 : Vaulx-en-Velin, commune populaire de l’Est lyonnais

Bourg rural au début du XXe siècle, Vaulx-en-Velin s’urbanise avec l’industrialisation de L’Est lyonnais. Alors que la crise du textile manufacturé commence à menacer l’emploi communal au tournant des années 1970, la construction d’une Zone à urbaniser en Priorité (ZUP) de près de 9 000 logements ouvre une seconde phase d’urbanisation. Quatrième commune la plus peuplée de l’agglomération, ses caractéristiques socio-économiques rejoignent bientôt celles de bien d’autres territoires de banlieues populaires ayant accueilli d’importants ensembles d’habitat social. Fuite des classes moyennes et paupérisation des habitants à mesure qu’un chômage de masse marque durablement la commune en sont les principaux marqueurs. Pour ne donner que deux indicateurs, le taux de pauvreté à Vaulx-en-Velin était de 32,6% contre 15,7 % pour l’ensemble de la métropole de Lyon en 2015 et le taux de chômage de 23,5% contre 14,3% (Insee RP et DGFiP-Cnaf-Cnav-Ccmsa, Fichier localisé social et fiscal).

 
Figure 1. Photographies aériennes du centre de la commune de Vaulx-en-Velin, avant 1965 et aujourd'hui
avant apres

Source : Géoportail

Bastion local du communisme municipal dans une agglomération marquée par des forces politiques de centre droit, Vaulx-en-Velin a vu l’arrivée du tramway et du métro succéder à son inclusion progressive à l’agenda politique intercommunal. Gagnée par l’urbanisation, la périphérie lyonnaise a joué un rôle majeur dans l’émergence de problématiques locales d’aménagement (Meillerand, 2010). À Vaulx-en-Velin, les préoccupations intercommunales de la municipalité sont renforcées par la construction massive de logements sociaux. Néanmoins, la mise à l’agenda de la desserte de la commune par les politiques de transport en commun intercommunales s’est faite plus tardivement et au prix d’une relégation des quartiers d’habitat social. Alors que le métro et le tramway s’étendent progressivement au-delà des villes-centres, tout se passe comme s’ils parvenaient à « éviter » les quartiers d’habitat social les plus denses de l’agglomération. Malgré des politiques spécifiques menées dans ces espaces sous l’égide de la politique de la ville, il semble que cette relégation tienne pour large part à l’affirmation des modes de gouvernement intercommunaux et aux modalités politiques de distribution de leurs ressources et équipements (Desage, Guéranger, 2011). 

Trois projets d’infrastructure de transport qui ont été envisagés à Vaulx-en-Velin depuis la construction des grands ensembles nous permettent de mettre en exergue ces évolutions. Dans une perspective sociohistorique, les formulations successives de la question des transports en banlieue nous permettent de comprendre comment les modalités du rapprochement entre la municipalité vaudaise et les institutions d’agglomération ont généré finalement une relégation des quartiers d’habitat social (figure 2).

Figure 2. Éloignement progressif des projets d’infrastructure de transport à Vaulx-en-Velin des grands quartiers d’habitat social (1970-2007)

Antoine Lévêque — Éloignement progressif des projets d’infrastructure de transport à Vaulx-en-Velin des grands quartiers d’habitat social (1970-2007)

Reconstitution à partir d’archives. Réalisation Antoine Lévêque, 2019. Voir aussi la carte des quartiers QPV de toute l'agglomération dans l'Atlas du dossier.

 

1. La desserte des ZUP aux mains des villes-centres de l’agglomération (1969-1978)

Le premier projet de transport en commun sur lequel nous revenons est lié à l’opération de la ZUP de Vaulx-en-Velin. Au début des années 1970, la construction de près de 9 000 logements, dont 6 000 « HLM », opère un saut démographique sur la commune qui devient la quatrième plus peuplée de l’agglomération.

Au départ, cette opération représente l’opportunité pour la municipalité de maitriser son développement en réalisant de multiples équipements ne reposant pas uniquement sur son budget (Fourcaut, 2006). Deux éléments concourent en particulier au renforcement des attentes autour des équipements en transport pour la ZUP de Vaulx-en-Velin. D’une part, dans cette période tardive de la construction des grands ensembles, les questions d’enclavement et de desserte, liées à la faible possession de la voiture par leurs habitants, sont largement connues (Huet et al., 1977 ; Legoullon, 2014). D’autre part, si la procédure ZUP relève d’une décision ministérielle, elle suit également des aspirations municipales, liées au renforcement des réseaux et sociabilités communistes que promet la construction d’une ville moyenne populaire (Bellanger, 2017 ; Mischi, 2010).

Aussi, l’organisation urbaine de la ZUP est pensée autour d’un axe destiné à accueillir une infrastructure de transport importante. Mais sa réalisation ne fait pas partie du périmètre d’intervention de la ZUP, limité au bâti. Les transports urbains dépendent de la structuration d’institutions intercommunales. Émanation du département du Rhône et de la récente communauté urbaine de Lyon, c’est effectivement le Syndicat mixte des transports en commun de la région lyonnaise (STCRL que nous appellerons « syndicat des transports ») qui en a la compétence. La création de la communauté urbaine en 1969 a élargi son périmètre d’influence afin de pouvoir étendre le réseau de transport urbain, auparavant essentiellement déployé sur Lyon et Villeurbanne, Lyon et Villeurbanne, qui constituent les deux villes-centres de l'agglomération.

La desserte de la ZUP est donc traitée à l’aune d’enjeux ne se limitant pas aux ambitions de la municipalité ou de l’État autour de cette opération. En l’occurrence, le syndicat des transports est alors principalement tourné vers la réalisation des premières lignes du réseau de métro qui ne concerne que les deux villes-centres. La forte influence des maires de Lyon et de Villeurbanne au sein de cette structure où seuls six conseillers généraux et communautaires siègent, explique largement la définition des priorités en la matière.

La gestion des aspirations de la périphérie qui résulte de l’extension du périmètre de compétence du syndicat des transports découle alors essentiellement d’exigences légales. La mise en place d’une taxe pour les transports sur l’ensemble de la communauté urbaine renforce également la nécessité pour l’institution de prendre en compte ces demandes multiples. Le syndicat peut néanmoins leur opposer une expertise économique des possibilités d’extension du réseau de transport (Mazoyer, 2011).

Alors que les structures d’expertise du syndicat((Celle-ci s’incarne principalement à travers la société exploitante des TCL, les services de l’État local et la SEMALY, créée à l’occasion de la construction du métro.)) élaborent et défendent des projets de liaisons de type tramway pour relier à l’agglomération les ZUP de Vaulx-en-Velin et Vénissieux, en les qualifiant d’ « indispensables » à moyen terme (figure 3), alors que l’État propose de financer une ligne privilégiant une technologie innovante, c’est bien l’organe exécutif du syndicat qui s’oppose à ces projets (Lévêque, 2017). La volonté de concentrer les investissements et toutes subventions pouvant émaner de l’État sur les premières lignes d’un métro particulièrement coûteux à Lyon et Villeurbanne – inauguré en 1978 – motive l’abandon de ces projets par le comité exécutif du syndicat. Eu égard la place prise à l’automobile sur la voirie, le tramway se heurte aux réticences des conseillers syndicaux.

Figure 3. « Schéma du réseau complémentaire en site propre, 1985 »

Antoine Lévêque — Schéma du réseau complémentaire en site propre, 1985

Source : « Plan de Transport 1985 », document provisoire, SEMALY, mars 1972, p. 64. AGL 3057 W 070.

 

La gestion de la desserte de la ZUP de Vaulx-en-Velin incarne donc la monopolisation des décisions en matière de transport par des élus locaux de premier plan, essentiellement les maires des deux villes-centres. Les élus vaudais n’accèdent ni aux arènes de discussions qui réunissent les structures d’expertise autour du syndicat des transports, ni surtout à leurs productions concernant la ZUP. Par ailleurs, lorsque ces derniers parviennent à en discuter avec leurs homologues lyonnais, ils témoignent de rapports de force déséquilibrés et d’univers de sociabilité auquel ils sont étrangers. Ces relations révèlent la distance sociale entre notables lyonnais et élus communistes, encore largement ouvriérisés (Mischi, 2010).

Le jeu politique intercommunal dans lequel entre la municipalité à travers ces projets de desserte de la ZUP épouse alors des clivages partisans. Les transports urbains sont saisis comme terrain de lutte politique et de mobilisation collective. Manifestations, pétitions ou encore délégation d’habitants accompagnant les élus à la communauté urbaine constituent les principales actions entreprises par la municipalité vaudaise pendant les années 1970. Ce sont des catégories proprement politiques qui sont utilisées pour appeler les « travailleurs » à se mobiliser sur ce secteur. Le service de transports, limité en soirée et le week-end, est associé à une gestion utilitariste des classes populaires au service de l’économie lyonnaise. Les transports urbains sont donc appréhendés en termes de rapport de classes. Nous soulignons que, pour la municipalité, la desserte de la commune se confond alors très largement avec celle de la ZUP et des conditions d’accueil des nouvelles populations.

La répartition des investissements en matière d’infrastructure de transport urbain fait montre de rapports déséquilibrés entre les élus de Vaulx-en-Velin et des villes-centres de l’agglomération, qui monopolisent alors non seulement les décisions prises par les institutions intercommunales, mais aussi leurs expertises. Plus largement, les élus d’opposition de gauche de la couronne lyonnaise s’accordent pour critiquer l’accaparation des ressources publiques intercommunales par les deux ville-centres. L’intercommunalité est alors politisée et l’on comprend le rassemblement de cette couronne communiste et socialiste derrière la candidature du maire communiste de Vénissieux à la présidence de la communauté urbaine en 1977.

 

2. Le désenclavement des quartiers comme levier du renouvellement urbain (1978-1997)

À partir du début des années 1980, la question de la desserte des grands ensembles d’habitat social de l’agglomération connaît un regain d’intérêt auprès des institutions qui interviennent dans le gouvernement des transports urbains. Il s’agit non seulement de répondre aux objectifs d’une politique de déplacements urbains entreprise à l’échelle de l’agglomération, mais aussi de soutenir les ambitions d’une politique spécifique pour les quartiers dits « sensibles » qui mène progressivement à la création de la politique de la ville. Ces deux mouvements promus depuis l’échelle nationale contribuent à reformuler le problème de desserte de Vaulx-en-Velin. Inscrit aux priorités du plan de déplacement urbain (PDU) en 1997, le tramway est désormais moins saisi comme un équipement à destination des ménages les plus modestes que comme le levier du renouvellement de la population. Sa mise à l’agenda progressive est le deuxième processus étudié.

Institués par la loi d’orientation sur les transports intérieurs en 1982, les plans de déplacements urbains visent à décloisonner l’action publique participant à la régulation des déplacements en ville (Lassave, 1987). Il s’agit d’abord d’articuler les politiques de transports en commun avec le développement de l’habitat et des zones d’activités. À Lyon, l’élaboration d’un PDU fait suite à un long processus qui débute au tournant des années 1980 par un renouvellement de l’expertise mobilisée sur ce champ d’action. L’agence d’urbanisme, créée au lendemain des élections municipales de 1977, y joue un rôle décisif (Montès, 2003)en diffusant de nouvelles représentations des problèmes urbains propres à la mise en œuvre de la politique de la ville (encadré 2).

 
Encadré 2. L’agence d’urbanisme à l’interface des politiques de transport et d’urbanisme

Composée d’urbanistes-architectes, mais aussi de sociologues et d’économistes, l’agence d’urbanisme est chargée de faire émerger des approches s’écartant de celles des opérateurs ayant eu jusqu’alors en main l’aménagement du territoire, notamment les structures d’expertise gravitant autour du syndicat des transports. Alors que le rôle de ce dernier est renforcé par la procédure des PDU qui consacre l’échelon intercommunal, il est toutefois contraint de mobiliser une expertise sur les politiques urbaines. Il se tourne donc vers l’agence d’urbanisme pour élaborer le diagnostic du PDU. Quelle approche des problèmes urbains réinjecte-t-elle alors dans les politiques de déplacements ?

Depuis sa création, l’agence d’urbanisme est aussi chargée du pilotage des dispositifs d’action expérimentaux dans les grands quartiers d’habitat social qui mènent peu à peu à la formalisation de la politique de la ville (Belmessous, 2007 ; Tellier, 2015): Habitat vie sociale (HVS) et Développement social des quartiers (DSQ). Malgré les fluctuations de représentations des quartiers relevées à travers leur succession (Estèbe, 2004 ; Epstein, 2012), ils entraînent plus globalement la construction d’un problème singulier des quartiers et une réforme des politiques sociales en France (Tissot, 2007). « Casser les ghettos » devient le mot d’ordre consensuel d’un objectif de mixité sociale (Charmes, 2009, p. 6 ; Bacqué, Fol, 2007). Cette grille de lecture spatialisée des problèmes sociaux tend toutefois à amoindrir l’attention portée sur les mécanismes structurels expliquant la paupérisation de ces quartiers, comme la distribution des équipements pour lesquelles la municipalité vaudaise s’est mobilisée précédemment. Les travaux de l’agence d’urbanisme à Vaulx-en-Velin illustrent la diffusion locale de ces approches.

 

Dès la fin des années 1970, le rapport de l’opération Habitat Vie Social menée à Vaulx-en-Velin, transmis au groupe interministériel, pointe un problème lié à la composition sociale et ethnique du peuplement. Occultant un encouragement politique national à l’accès des classes moyennes à la propriété (Tissot, 2006), c’est la proportion des familles immigrées qui est désignée comme la principale raison du départ des « ménages européens […] acculant l’organisme HLM à garder des logements vacants ou à accroître encore la proportion d’immigrés »((Rapport d’activités 1978 du groupe interministériel HVS, février 1979. Archives nationales de France (ANF) 19840754/46.)). Dans ces dispositifs, l’agence d’urbanisme tient une position stratégique d’intermédiaire entre les municipalités concernées et les institutions d’agglomération (Belmessous, 2007). Elle diffuse cette approche auprès des autres secteurs dans lesquels elle est investie, mais aussi auprès des collectivités concernées. En matière de déplacement, c’est bien également la concentration de populations issues de l’immigration ayant des revenus précaires qui expliquerait une vie enclavée dans les ZUP (Dalmais-Van Straaten, Voisin, 1983).

À Vaulx-en-Velin, c’est surtout l’élaboration d’un plan de référence en 1984 qui incarne une première réception locale de ces approches. Nous soulignons surtout le déplacement de la focale opéré par l’émergence d’objectifs de mixité sociale. Concrètement, de nouveaux atouts pour la ville, sur lesquels déployer l’action publique, sont désignés. En effet, alors que la clôture de l’opération ZUP risque de se traduire par une baisse d’investissement public sur la commune, ce plan de référence est pour la municipalité un moyen de maintenir une programmation urbaine engageant notamment la communauté urbaine qui en a les compétences légales. Pour l’agence d’urbanisme, le plan de référence renforce son expertise territoriale et sa légitimité auprès d’autres institutions comme la communauté urbaine et la Direction départementale de l’Équipement (Montès, 2003). Mais alors que la préoccupation initiale du document concernait le devenir des grands ensembles, il témoigne finalement d’une attention portée sur les autres quartiers, désignés comme les nouveaux atouts de la commune. D’une valeur patrimoniale jugée plus attractive, ces derniers sont le support d’une diversification de l’offre de logements tournée vers les classes moyennes européennes. Les infrastructures de transport évoquées sont censées renforcer cette attractivité.

Dans le diagnostic du PDU élaboré par l’agence d’urbanisme en mai 1986, ces mêmes grilles de lecture sur les quartiers d’habitat social sont introduites : la réalisation à Vaulx-en-Velin d’un tramway est désignée comme « un facteur important pour leur réhabilitation en attirant notamment de nouveaux habitants ou emplois((« Plan de déplacements urbains. Le diagnostic », dossier technique préparatoire, Sytral, mai 1986. p. 101.)) ». Il s’agit déjà moins d’équiper une population que de susciter une autre répartition de celle-ci.

 

3. Autonomisation, coopération intercommunale et nouvelles ressources pour l’élu local (1985-1997)

Cette redéfinition du problème de desserte de la banlieue devient le socle d’une coopération intercommunale en construction. Néanmoins, la mise à l’agenda du tramway requiert aussi des ressources municipales dont se dote son personnel politico administratif en fonction d’opportunités politiques et des dispositifs d’action publique mobilisables.

En matière de politique urbaine, l’administration municipale de Vaulx-en-Velin s’est d’abord construite autour de revendications d’équipements pour la commune. Il s’agissait de mobiliser des données socioéconomiques et fiscales pour objectiver ses faibles dotations comparativement au reste de l’agglomération. Inspiré d’analyses marxistes sur l’orientation des politiques urbaines, ce personnel est d’abord réticent aux entreprises menées avec l’agence d’urbanisme, en particulier vis-à-vis de la différenciation de l’offre de logements en fonction des secteurs de la commune.

La réception de ces approches est en fait perceptible à la faveur du renouvellement du personnel politique. L’arrivée d’un nouveau maire en 1985 enclenche une autonomisation vis-à-vis du parti communiste, permise par un renforcement des ressources propres de l’élu. Celles-ci sont tirées de son administration, mais aussi de nouveaux réseaux qu’il tisse autour de ces politiques urbaines et en dehors des sphères communistes (encadré 3). Issu d’une nouvelle génération d’élus entrés en politique en 1977, le maire souhaite nouer de nouveaux rapports avec les institutions intercommunales. L’un des effets de cette nouvelle configuration politique est la multiplication des équipes d’agents de la mairie et de la communauté urbaine travaillant ensemble sur des dispositifs promus par l’État via la politique la ville. Citons pêle-mêle la convention de développement social des quartiers visant à « faire de Vaulx-en-Velin un nouvel argument pour Lyon((Convention de plan, État, Courly, ville de Vaulx-en-Velin, février 1987. Archives de la DDU, ville de Vaulx-en-Velin. Les citations sont extraites du document, p. 5.)) », le plan Banlieue 89 et ses lotissements pavillonnaires, ou encore les contrats de ville et les grands projets urbains (GPU).

Le déplacement de l’épicentre des projets urbains portés sur la commune au détriment des quartiers d’habitat social est lié à la standardisation des objectifs des projets urbains autour de la mixité sociale et de l’attractivité du territoire. Celle-ci s’affirme avec le renouvellement de l’entourage politico-administratif du maire de Vaulx-en-Velin (Lévêque, 2018).

Le projet du nouveau centre-ville qui bénéficie de la procédure GPU incarne bien la réception de ces approches et leurs effets. Porté par le maire, il est stimulé par le rapprochement qui s’opère avec le nouvel exécutif communautaire issu des élections de 1989 (droite politique). Il s’appuie effectivement sur des réseaux d’expertise internationaux issus de cette coopération politique, mais aussi sur un renouvellement de l’administration municipale. Les premiers permettent d’esquisser un projet de rénovation urbaine en dehors des quartiers d’habitat social répondant à l’agenda intercommunal de développement économique et de rayonnement du territoire. Les seconds assurent la crédibilité technique du projet, condition sine qua non de l’attraction de ressources publiques extraterritoriales dans le cadre de la politique de la ville alors mise à l’agenda national. Le classement de la commune en GPU assure ainsi la mobilisation de 300 millions d’euros via des outils contractuels rassemblant la communauté urbaine, principal financeur, l’État, la ville, la Région, le Département, mais aussi le syndicat des transports qui y fait converger ses lignes de bus.

Diversification de l’habitat, multiplication des voiries et formes urbaines proposant commerces et activités en bas d’immeuble sont les composantes principales du projet. La forte médiatisation des émeutes d’octobre 1990 dans les grands ensembles renforce la préférence pour une concentration des moyens d’action publique en dehors des grands ensembles. Alors qu’une configuration politique très favorable s’esquisse à la suite des élections municipales de 1995, la liaison par tramway s’appuie sur ce projet. Le maire de Vaulx-en-Velin est intégré dans l’exécutif intercommunal mené par Raymond Barre (centre-droit) qui entend faire des transports un marqueur fort de son mandat. La construction d’un réseau de tramway sortant de l’hypercentre en est une expression et le nouveau centre-ville de Vaulx-en-Velin fait partie des priorités du PDU de 1997.

 
Encadré 3. Autonomisation partisane et nouvelles ressources politiques pour un élu de banlieue rouge

La trajectoire du maire de Vaulx-en-Velin incarne bien les changements de pratiques des élus communistes locaux liées à l’évolution des ressources auxquels ils accèdent dans les arènes intercommunales en même temps que leur profil sociologique change. Originaire d’Avignon, Maurice Charrier est issu d’un milieu populaire qu’il qualifie de « classe ouvrière cultivée ». Ses parents militent au PCF et il s’engage lui-même aux jeunesses communistes dès l’âge de 16 ans. Étudiant en biologie, géologie puis en histoire, il enchaine plusieurs emplois liés au parti qui l’amènent à s’installer à Vaulx-en-Velin en 1974. Appelé sur la liste municipale de 1977, il devient adjoint à l’urbanisme. M. Charrier reste marqué par cette élection voyant la fédération du PCF imposer un nouveau maire, Jean Capiévic, conseiller général, secrétaire fédéral et membre du comité central, évinçant ainsi son prédécesseur. On lui reproche notamment le manque d’équipement qui est au cœur des tensions entourant la clôture de l’opération ZUP. La fermeture de l’usine de textile Rhône Poulenc, principal employeur sur la commune marque également ce mandat et participe à redéfinir les prescriptions sur le rôle des élus locaux (Taiclet, 2011).

La rupture menée par Maurice Charrier vis-à-vis de son prédécesseur sur la coopération avec la communauté urbaine s’appuie donc sur ces entreprises déjà engagées qui se multiplient avec les dispositifs partenariaux de la politique de la ville. Elle s’accompagne également d’une autonomisation de l’élu vis-à-vis du PCF à mesure qu’il noue des relations avec ce qu’il nomme « le cénacle […] de ceux qui avaient du temps de Francisque Collomb [maire de Lyon et président de la communauté urbaine de 1976 à 1989 (centre droit)] commencé à secouer le tapis » de la politique intercommunale. Il s’agit notamment du directeur de l’agence d’urbanisme et de certains membres de son conseil d’administration comme son ancien président, Jean Rigaud, député et maire d’écully (UDF), vice-président de la communauté urbaine en charge de l’urbanisme de 1977 à 1995, ou encore Bernard Rivalta, adjoint au maire de Villeurbanne (PS), qui devient président du syndicat des transports de 2001 à 2014. Il faut également souligner le rapprochement avec des réseaux nationaux, voire internationaux, au sein de l’Association des maires villes et banlieue de France, de la Fondation Agir contre l’exclusion (Face) fondée par Martine Aubry – qui joue un rôle majeur pour l’implantation d’une nouvelle enseigne de la grande distribution au centre-ville de Vaulx-en-Velin – ou encore au sein de l’association internationale du développement urbain (INTA), dont il devient président en 2013.

Peu à peu, son cabinet n’est plus dirigé par des membres du PCF. La distance au parti s’incarne également dans des initiatives politiques telles que l’appel des « 49 refondateurs » en 1994, qui invite au rassemblement des mouvements de la « gauche alternative » en s’affranchissant des partis((« Appel lancé par 49 refondateurs », Le Monde, 13 juillet 1994, p. 7.)). La liste qu’il conduit l’année suivante aux élections municipales est identifiée « divers gauche ». 

Les citations de cet encadré sont issues de notre entretien avec M. Charrier, réalisé le 3 septembre 2016.

 

4. La connexion du territoire pour la compétitivité de la métropole (1997-2015)

Si le déplacement géographique des projets de desserte sur la commune est déjà perceptible dans les évolutions énoncées précédemment, il est sans commune mesure avec l’éloignement qui s’opère au cours de la décennie 2000 vis-à-vis des grands quartiers d’habitat social. Pourtant, loin d’incarner une nouvelle rupture, c’est davantage l’exacerbation des logiques d’action précédemment évoquées qui explique cette évolution. En d’autres termes, c’est bien parce que l’attractivité est désormais un objectif municipal en soi, parce que l’expertise et l’entourage politico-administratif du maire contribuent à standardiser les modalités de l’action publique, mais aussi parce que ce dernier est intégré dans l’exécutif communautaire, que les secteurs de la commune réputés les plus compétitifs sont préférés et finissent par capter l’investissement public en matière de transport en commun (Lévêque 2019).

En dehors de la desserte du centre-ville, un autre axe est identifié sur le PDU de 1997. D’ordre secondaire, il suit une voie ferrée utilisée pour le trafic de marchandises avec une très faible activité. Cette dernière partie analyse les modalités de la priorisation de cette ligne qui concurrence finalement le précédent projet évoqué. Celle-ci aboutit en 2007 à la réalisation d’un tramway et plus largement d’un pôle multimodal rejoint par la ligne A du métro, au sud de la commune (figure 2). Ces infrastructures viennent desservir un nouveau projet urbain dénommé Carré de Soie et censé « réinsérer durablement Vaulx-en-Velin dans la dynamique de développement de l’agglomération lyonnaise »((Entretien avec le responsable de la direction du développement urbain de la ville de Vaulx-en-Velin (1993-1999), réalisé le 22 février 2016.)).

Énoncé par le responsable du développement urbain de la municipalité, ce dernier objectif est synonyme de « normalisation » souhaitée des modalités d’urbanisation de la ville. Plus précisément, c’est la dynamique de financement public de l’urbanisation contenu dans les dispositifs de la politique de la ville, qui est perçue comme stigmatisante et donc déviante. Définis comme dérogatoires au droit commun, ces dispositifs ont largement participé à diffuser cette représentation d’un développement urbain « normal » reposant sur l’investissement privé. À Vaulx-en-Velin, celui-ci est enfin envisageable avec le projet urbain du sud de la commune. Il s’appuie à la fois sur la reprise de l’activité immobilière sur l’agglomération et sur la dynamique enclenchée avec le précédent projet de centre-ville, mais aussi sur des opportunités plus spécifiques, liées au territoire et aux relations que s’est constitué le maire de la commune.

Vice-président de la communauté urbaine en charge de l’urbanisme commercial depuis 1995, le maire de Vaulx-en-Velin est aux premières loges des négociations avec certains investisseurs privés. Le groupe Pathé Cinéma est le premier à témoigner un intérêt certain pour installer un multiplexe sur les friches industrielles du sud de la commune. Le réseau d’experts internationaux mobilisé 10 ans plus tôt au nord de la ville est resollicité pour insérer ce cinéma dans un projet urbain beaucoup plus vaste, pensé autour d’un centre commercial. Les atouts du territoire telles que la situation géographique au carrefour de plusieurs axes de communication, la présence de canaux et d’espaces verts, sont mis en avant par ces experts :

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« Ce projet est situé aux portes de Lyon, sur l’axe de liaison rapide reliant l’aéroport de St-Exupéry aux principaux centres d’affaires de la ville-centre […]. Il concourt donc à la stratégie de développement territorial mue par la Communauté urbaine et le Département visant à conforter l’agglomération lyonnaise dans le concert européen des territoires compétitifs »

Lettre de mission du maire au directeur général de l’International New Towns Association (INTA), le 06 novembre 2001, AMV 217 W 18.

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Les relations nouées et la présentation du territoire au sein des grands salons internationaux de l’immobilier commercial tel que le MAPIC auquel le maire-vice-président assiste, viennent rapidement abonder la liste des intéressés. Ce premier temps du projet puise ainsi largement dans le partenariat public-privé auquel invitent les experts mobilisés, mais aussi le personnel municipal. Le discours du directeur de cabinet du maire témoigne de l’importance prise par ce recours au secteur privé :

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« Donc on commence à penser à une sorte de pôle de loisirs et de commerces qui vient accompagner ou se développer au côté de ce multiplexe, mais surtout on se dit : « mais nom de Dieu, on est en train de promouvoir une politique qui, par l’opportunité privée, s’inscrit dans le droit commun cette fois ! C’est plus la politique de la ville ! » On rencontre des opérateurs immobiliers de grande envergure : APSYS, Altarea, ING, tous dans le privé et tous manifestent un grand intérêt… »

Entretien avec le directeur de cabinet du maire de Vaulx-en-Velin de 1998 à 2004, réalisé le 30 octobre 2017.

»

Finalement c’est bien l’infrastructure de transport qui représente l’essentiel de l’investissement public pour le projet. Sur la commune, la création d’une ligne de tramway concurrence le projet de liaison du centre-ville identifié dans le PDU. En effet, pour un budget d’investissement du syndicat des transports d’environ 1 milliard d’euros sur un mandat, les projets de tramway au nord et au sud de la commune en représentent la moitié (estimés respectivement autour de 300 et 200 millions d’euros((Le franchissement du canal est particulièrement coûteux pour la ligne du nord. Source : Synthèse du projet de trolleybus C3, présenté en atelier de concertation publique le 23 juin 2006. AMV DDU.))). Or, l’intercommunalité en France à fait l’objet de nombreuses études s’accordant à désigner un régime de compromis entre élus permettant de maintenir des consensus et un leadership politique à cette échelle (Desage et Guéranger, 2011). Les infrastructures de transport constituent à cet égard une ressource précieuse. Dans une intercommunalité de 56 communes, il est ainsi peu probable de voir s’engager durant un même mandat deux lignes de tramway et le prolongement d’une ligne de métro sur une commune de première couronne. Dès lors, les projets du Sud s’accordent bien mieux, non seulement avec les priorités communautaires, mais aussi avec ces équilibres intercommunaux.

Contrairement à la liaison du centre-ville de Vaulx-en-Velin envisagée en 1997, la ligne du Sud dessert ensuite deux autres communes de taille moyenne représentant autant de soutien politique pour l’exécutif intercommunal (Décines et Meyzieu). Ajoutons que ce tramway réutilise l’emprise d’une ligne de chemin de fer qui, en dépit d’un faible trafic depuis les années 1970, a été préservée par le département du Rhône. Son réemploi pour une ligne de transport en commun a été longuement défendu par les élus socialistes locaux qui accèdent à la tête des institutions intercommunales à partir de 2001. Le tramway sur cette ancienne ligne de chemin de fer est donc présenté comme une victoire politique par le nouveau président du syndicat des transports.

Pourtant, si la presse relaie largement la réussite du projet Carré de Soie en soulignant la percée du réseau ferré de transport en commun en banlieue((« L’Est lyonnais est maintenant directement connecté à la Presqu’île ». Crouzet F., 2007, « Le métro A file jusqu’à la Soie », 20 Minutes, 2 octobre 2007., il est clair que ce ne sont pas les habitants qui en sont les bénéficiaires, en particulier ceux résidants les grands quartiers d’habitat social de la commune. Le métro et le tramway sont déconnectés de l’ancienne ZUP (figure 2). Ils desservent d’abord un foncier aux mains de promoteurs privés, destinés à accueillir plus de 200 000 m² de bureau, exemple même d’une financiarisation de la ville (Guironnet, 2016). Au-delà, figure un centre de loisirs et de commerce et des logements mixtes qui visent majoritairement au renouvellement de la population à Vaulx-en-Velin.

La priorité donnée à la desserte du sud de la commune permet de mesurer la dimension politique des choix d’implantation du réseau de transport à rebours de certaines explications technicistes. Avant l’alternance politique de 2001, plusieurs études ont confirmé la faisabilité et l’opportunité d’un tramway pour le nord de Vaulx-en-Velin au vu du nombre de personnes (figure 4) et d’emplois immédiatement desservis((Synthèse de l’étude de ligne forte A3, direction du développement du Sytral, 18 juillet 2000. AM DDU.)). La ligne de tramway du sud recoupe d’autres enjeux que ceux d’une desserte des populations résidant sur la commune. En 2015, près d’une décennie après la réalisation de ces infrastructures, une grande enquête menée sur les déplacements dans l’agglomération par le syndicat des transports enregistre un recul exceptionnel de la fréquentation des transports en commun pour ces habitants((Si une baisse globale de l’utilisation de la voiture au profit des transports en commun est enregistrée sur toute l’agglomération par l’enquête ménages-déplacements de 2015, Vaulx-en-Velin fait figure d’exception. Malgré son accroissement démographique et l’arrivée du métro et du tramway en 2007, on note une nette diminution de l’utilisation des transports en commun par rapport à la précédente étude de 2006. Enquête déplacement de l’aire métropolitaine lyonnaise, 2015, Métropole de Lyon, dir. planification et politiques d’agglomération.)). Ces résultats font montre d’une réservation de fait de ces infrastructures aux actifs venant travailler au sud de la commune sans y habiter.

Figure 4. « Réseau métropolitain de transport et répartition de la population »

Antoine Lévêque — Réseau métropolitain de transport et répartition de la population

Délibération du conseil municipal de Vaulx-en-Velin, annexe 1, diagnostic, 30 mars 2017. Établie par la ville dans le cadre des négociations pour le PDU, cette carte ne reprend que le réseau en site propre ferré – métro, tramway, TER – correspondant aux infrastructures urbaines les plus coûteuses en matière de transport.

 

Conclusion

Tout indique que la valorisation sélective des mobilités en fonction des populations concernées (Orfeuil, Ripoll, 2015) se traduit spatialement par la ventilation des investissements publics en matière de transport (Lojkine, 1974). La préférence accordée finalement à la desserte d’un projet de renouvellement urbain au sud de la commune s’appuie sur la reformulation du problème de desserte de celle-ci qui minore les enjeux de mobilité des catégories populaires. S’engageant à la faveur de l’alternance politique à la communauté urbaine qui, en 2001, conforte à nouveau le poids politique du maire de Vaulx-en-Velin dans le jeu intercommunal, on ne peut pourtant la réduire à l’imposition d’un agenda métropolitain sur les communes de banlieue.

Les contre-exemples semblent confirmer les mécanismes mis au jour. Alors que la municipalité de Vénissieux est renvoyée à un mode de gestion « trop marqué », « un peu stal » ou encore « coco ringarde »((Entretien directeur de cabinet du maire de Vaulx-en-Velin de 1998 à 2004, réalisé le 30 octobre 2017.)), son intégration moins évidente au gouvernement de la métropole peut expliquer l’absence de projet urbain tertiarisé concurrençant les rénovations entreprises dans les quartiers. À Vénissieux, la ligne envisagée dès l’élaboration de la ZUP des Minguettes puis mise à l’agenda dans le PDU de 1997 est réalisée, certes après moulte reports. Toutefois, là encore, les principaux quartiers d’habitat social sont desservis en terminus d’une longue ligne sinueuse, levier d’une mixité sociale recherchée.

Si la dépréciation unanime des grands ensembles par les élites politiques locales est désormais connue (Tissot, 2006), les mécanismes par lesquels ces derniers échappent au ciblage des investissements publics le sont moins. Les dispositifs de la politique de la ville et le renouvellement de l’expertise sur les transports sont à la base d’une identification de solutions pour la « banlieue » en termes de mixité sociale, servant de socle à une coopération intercommunale. Renforcée par l’intervention accrue d’experts structurant largement l’espace des solutions pensables, celle-ci génère peu à peu une forte atténuation des clivages partisans sur les politiques urbaines, portées par la communauté urbaine dans notre cas d’étude. À Vaulx-en-Velin, c’est en tant que membre de l’exécutif communautaire que le maire parvient finalement à obtenir un tramway par la mise en place d’un projet urbain qui assure la continuité d’un ordre politique urbain (Payre, 2008). La ligne de tramway réalisée conforte l’exécutif communautaire en maximisant ses soutiens auprès d’élus d’autres communes, tout en s’inscrivant dans des objectifs de rayonnement économique qui s’appuient sur un consensus intercommunal assurant les rétributions d’un capitalisme urbain.

 

Bibliographie

 

Cet article expose synthétiquement des résultats d’une recherche monographique en science politique, publiés dans la revue Métropoles : « Le gouvernement métropolitain de la banlieue lyonnaise à l’aune des politiques de transport urbain : sociohistoire d’une relégation ».

Antoine LÉVÊQUE
Doctorant en science politique au laboratoire Triangle (UMR 5206), ATER à Sciences Po Lyon, Université de Lyon.

 

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Antoine Lévêque, « Un gouvernement métropolitain de la relégation urbaine ? Politiques intercommunales de transport et banlieue populaire, l’exemple de Vaulx-en-Velin », Géoconfluences, juin 2019.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/lyon-metropole/articles-scientifiques/politiques-intercommunales-transport-banlieue-populaire

 

Pour citer cet article :  

Antoine Lévêque, « Un gouvernement métropolitain de la relégation urbaine ? Politiques intercommunales de transport et banlieue populaire, l’exemple de Vaulx-en-Velin », Géoconfluences, juin 2019.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/lyon-metropole/articles-scientifiques/politiques-intercommunales-transport-banlieue-populaire