Paysage
Le paysage est l'étendue d'un pays s'offrant à l'observateur. Derrière cette définition qui peut paraître simpliste se cache une notion qui a donné lieu à une abondante bibliographie et à de multiples approches. En France, les géographes ont d'abord étudié le paysage de façon segmentée (paysages urbains, ruraux, industriels, etc.). Trois écoles en ont renouvelé l'approche dans un sens systémique et historique : celle de Toulouse représentée par Georges Bertrand ; celle de Paris illustrée par les publications de Jean-Robert Pitte ; celle de Besançon autour de Jean-Claude Wieber. Une synthèse de ces différents courants et leur mise en perspective internationale (recherches anglophones, allemandes, russes) a été réalisée par Gabriel Rougerie et Nicolas Beroutchachvili (1991).
« Le plus simple et le plus banal des paysages est à la fois social et naturel, subjectif et objectif, spatial et temporel, production matérielle et culturelle, réel et symbolique. Le paysage est un système qui chevauche le naturel et le social. Il est une interprétation sociale de la nature. »
Georges Bertrand
« Le paysage est l'expression observable par les sens à la surface de la Terre de la combinaison entre la nature, les techniques et la culture des hommes. Il est essentiellement changeant et ne peut être appréhendé que dans sa dynamique, c'est-à-dire dans le cadre de l'Histoire qui lui restitue sa quatrième dimension. Le paysage est acte de liberté. »
Jean Robert Pitte
Au sens figuré, le paysage peut désigner l'ensemble des acteurs en présence dans un espace ou une filière, comme le langage courant parle du paysage audiovisuel. Un paysage touristique est un paysage au sens propre, support d'une activité touristique, alors que le paysage touristique désigne au sens figuré l'ensemble des acteurs du secteur.
Depuis sa création au XVIe siècle pour désigner l'arrière-plan des tableaux, la signification du terme paysage a beaucoup évolué, jusqu'à devenir complexe. Aujourd'hui, la notion de paysage prend en compte à la fois des aspects objectifs (d'ordre fonctionnel, technique et scientifique) et des aspects subjectifs (qui relèvent de la sensibilité, de la perception de chacun). Il faut penser le paysage comme un système complexe de relations (approche systémique) articulant au moins trois composantes interdépendantes : le paysage espace-support qui est une portion d'espace soumis à la vue, remplie d'objets, appropriée par différents groupes sociaux ; le paysage espace-visible ; le paysage-représentation ou espace vécu (les individus perçoivent le paysage selon leur propre sensibilité) (Clément, 1997).
L'école de Barbizon : Jean-Baptiste Corot (1796–1875), Forêt de Fontainebleau, 1834. 175,6 cm x 242,6 cm. National Gallery of Art, Washington. Œuvre libre de droit. Source : Wikimedia Commons. |
Le paysage est constitué par l'ensemble des éléments observables à partir d'un lieu précis. Il ne se confond pas avec le milieu géographique, qui comprend des éléments invisibles. C'est l'aspect visible de l'espace géographique. Le paysage est un lieu privilégié d'intégrations, de synthèses des diverses « couches » de l'information géographique : héritages historiques (paysage « palimpseste »), aménagements et diverses formes d'exploitation anthropiques, nature géomorphologique et bio-pédologique, effets climatiques etc... C’est la superposition et l’intégration de ces multiples couches qui façonnent le paysage et en font un construit social. Il renvoie aux cinq usages de l'espace : approprier, exploiter, communiquer, habiter, gérer (d'après Jean Maréchal).
Certaines sociétés, plus que d‘autres, lui confèrent une valeur esthétique, à tel point que, selon Augustin Berque, on peut parler de civilisations paysagères, notamment pour l’Asie orientale dès l’Antiquité et pour l’Europe à partir de la Renaissance. Il s’agirait de civilisations possédant, plus que d’autres, des représentations linguistiques, littéraires orales ou écrites, picturales, et jardinières (traduisant une représentation esthétique de la nature).
Augustin Berque reprend ainsi les travaux du philosophe japonais Watsuji Tetsurô (1899-1960), pour qui il existe un « milieu humain », le Fûdosei, terme que Berque a traduit par médiance, qui correspond à la relation particulière de l’être au milieu. Cette médiance passe par un processus, la trajection paysagère, qui agit entre le sujet et l’objet, entre la nature et la culture, entre l’individu et le groupe social. Il s’agit d’un processus historique et géographique qui fonctionne de manière réflexive : la société se représente son environnement, mais elle tend également à l’aménager en fonction de ses représentations.
L'étude géographique du « paysage » est toujours délicate à mener : partant du visible, elle recouvre à la fois des faits objectifs et subjectifs. Elle ne doit pas être réservée aux seuls espaces perçus comme « naturels » (montagne, littoraux, espaces ruraux ou espaces extrêmes à faible présence humaine, etc.) car les espaces industriels, urbains offrent aussi des paysages dont l'analyse mérite d'être faite. Elle doit surtout prendre en compte les dynamiques, les évolutions passées mais aussi à venir pour faire du paysage un objet d'étude vivant dont l'approche ne soit pas muséifiée, fossilisée à l'excès. Kenneth Olwig (1996) estime que l'origine du mot, qui ramène à la peinture paysagère, incite dangereusement à créer une distance entre le spectateur et la scène observée, alors que le paysage est, pour parler à la manière d'Anna Tsing (2017, p. 234), un « agencement de patchs », c'est à dire un lieu de rencontres entre non-humains et humains.
(ST) 2003, plusieurs fois remanié. Dernières modifications (JBB) décembre 2021, (SB et CB) avril 2022, (JBB) novembre 2024
Références citées
- Berque Augustin (2016), La pensée paysagère. Éditions Éoliennes.
- Berque Augustin (2000). Médiance, de milieux en paysages. Belin-Reclus (1re éd. 1990).
- Clément, Vincent (1997), Pays et paysages de Vieille Castille, thèse de doctorat, université de Lille.
- Olwig Kenneth (1996), "Recovering the substantive nature of landscapes", Annals of the Association of American Geographers, 86, n° 4, 1996, p. 630—653.
- Rougerie, Gabriel et Beroutchachvili, Nicolas (1991) Géosystème et paysages. Bilans et méthodes. Paris, Armand Colin (coll. « U Géographie »), 305 p.
-
Tsing Anna Lowenhaupt (2017). Le champignon de la fin du monde, Paris, La Découverte, 2017, 416 p. (2015 pour l’éd. originale en anglais).
Pour compléter avec Géoconfluences
- Marylise Cottet, « Notion en débat : paysage », Géoconfluences, octobre 2019.
- La rubrique Image à la une.
- Lina Le Bourgeois, « Image à la une. "El bosque humanizado" (Andalousie), un espace oléicole candidat au patrimoine mondial de l’UNESCO », Géoconfluences, décembre 2023.
- Lionel Laslaz, Johan Milian et Anne Cadoret, « Dans la jungle des espaces protégés. Multitude, imbrication et superposition des dispositifs de protection en France », Géoconfluences, novembre 2023.
- Yannis Nacef, « Trajectoires des villages désertés des vallées de la Guarga et de la Solana (Haut-Aragon, Espagne) : de l’abandon à l’émergence de communautés villageoises alternatives », Géoconfluences, septembre 2023.
- Ninon Blond, « Systèmes agricoles dans le Tigray (Éthiopie), entre héritages et recompositions contemporaines », Géoconfluences, mai 2023.
- Céline Clauzel, « Les réseaux écologiques, une stratégie de conservation pour concilier fonctionnalités écologiques et aménagement du territoire », Géoconfluences, juin 2022.
- Andréa Poiret, « Les passages pour la faune, un moyen d’atténuer les effets de la fragmentation écologique », image à la une de Géoconfluences, novembre 2021.
- Gilles Muller, « Dynamiques, mutations et recompositions paysagères des territoires ruraux alsaciens », Géoconfluences, mai 2021.
- Sur le même thème, voir le glossaire Le paysage dans tous ses états.