Agéographique
Agéographique ou a-géographique désigne ce qui n’est pas géographique. Cela peut être compris dans deux sens : soit ce qui ne relèverait pas de la géographie comme science et discipline, soit ce qui serait dénué de dimension géographique.
1. On peut qualifier d’agéographique ce qui ne ressort pas de la géographie (Milhaud Samarina, 2025). Ceci amène une autre question : qu’est-ce la géographie ? Divers auteurs et autrices l’ont posée (Scheibling, 1994 ; Reghezza-Zitt et Beucher, 2017), mais la réponse – l’étude des espaces dans lesquels s’inscrivent les sociétés humaines – n’est pas définitive dans la mesure où la définition de la géographie n’a cessé d’évoluer, rattachant de plus en plus celle-ci au vaste champ des sciences sociales. Les anathèmes entre écoles géographiques n’ont pas été rares et les tensions peuvent rester vives (Stock, 2008).
2. On peut aussi comprendre le terme « agéographique » sur le modèle d’« anhistorique ». Serait ainsi agéographique ce qui serait pensé en faisant abstraction du contexte géographique. Cela peut s’appliquer aussi bien à un objet, à une pratique, qu’à une connaissance. Le terme désignerait donc ce qui est présenté ou perçu comme indépendant des contingences du lieu comme site et comme situation, de l’espace, du milieu ou du territoire, de l’échelle et des distances, ainsi que des différents acteurs impliqués. Précisons ainsi qu’agéographique n’est pas synonyme d’aspatial, comme anhistorique n’est pas synonyme d’atemporel. Est alors agéographique ce qui présente un défaut de géographicisation, c’est-à-dire ce qu’on ne comprendrait pas bien parce qu’on ne le remettrait pas dans une perspective géographique. Par exemple, le découpage traditionnel de l’histoire en grandes périodes pourrait être qualifié d’agéographique, alors qu’une simple question : « où est l’Antiquité ? », s’avère une critique pertinente en amenant à interroger leur dimension spatiale (Grataloup, 2003). Autre exemple : l’ONU est-elle un objet agéographique ? Il est évident que non. Pourtant, Laurent Beauguitte (2010) faisait le constat de la difficulté des géographes à s’emparer de cet objet d’étude. Troisième exemple : on n’a découvert qu’assez récemment les multiples dimensions géographiques de la danse (Raybaud, 2015 ; Gourland, 2023). Il y en aurait bien d’autres, comme la géographie du cyberespace (Douzet et Desforges, 2018) ou celle des animaux (Bortolamiol et al., 2017 ; Sierra et al., 2024).
On comprend qu’il y a donc un lien entre ces deux acceptions sur terme « agéographique ». L’évolution des objets d’étude des géographes par la prise de conscience de la dimension géographique de certains faits peut conduire à une redéfinition au moins partielle du champ disciplinaire de la géographie elle-même.
Un troisième sens pourrait être ajouter à cela, ou du moins une utilisation plus réflexive, à propos de la géographie elle-même : serait agéographique l’absence de considération à la dimension située de la science géographique. Dans une perspective socio-constructiviste, il n’est plus possible aujourd’hui de feindre une quelconque universalité. De multiples travaux ont mis en évidence la dimension coloniale du savoir géographique (Blais et Deprest, 2008), ont dénoncé les biais genrés (Rose, 1993) ou ont tout simplement rappelé que la pensée géographique ne se disait pas avec les mêmes mots d’une langue à l’autre (Germes et Husseini de Araújo, 2016). Resterait à déterminer, dans l’ensemble de ces critiques, ce qui relève d’une analyse historique ou politique du savoir, et ce qui renvoie plus spécifiquement à un défaut de géographicisation.
Vincent Capdepuy, novembre 2025.
Références citées
- Beauguitte Laurent, « L’ONU, la géographie et la carte », in : Jean-Christophe Foltête (dir.), Actes des Neuvièmes Rencontres de Théo Quant, Besançon, 2010.
- Hélène Blais Florence Deprest, « Savoirs géographies et colonisation », M@ppemonde, n° 91, 2008.
- Bortolamiol Sarah, Raymond Richard et Simon Laurent, « Territoires des humains et territoires des animaux : éléments de réflexions pour une géographie animale », Annales de géographie, n° 716, 2017, p. 387–407.
- Douzet Frédérick et Desforges Alix, « Du cyberespace à la datasphère. Le nouveau front pionnier de la géographie », Netcom, n° 32, 2018, p. 87–108.
- Germes Mélina et Husseini de Araújo Shadia, « Pour une pratique critique de la traduction en géographie », ACME, vol. 15, n° 1, p. 1–14.
- Gourland Natacha, Ballerines de banlieue : géographie critique de la danse classique, du studio à la scène mondiale, thèse de doctorat, Paris Est, 2023.
- Grataloup Christian, « Les périodes de l’espace », Espace Temps, n° 82-83, 2003, p. 80–86.
- Milhaud Samarina Olivier, « Agéographique », in : Collectif GéoXXI, Géographies, un dictionnaire, Paris, CNRS éditions, 2025, p. 20–21.
- Raybaud Yves, « Jalons pour une géographie de la danse », Géographie et cultures, n° 96, 2015, p. 5–24.
- Reghezza-Zitt Magali et Beucher Stéphanie, La géographie : pourquoi ? comment ?, Paris, Hatier, 2017.
- Rose Gillian, Feminism and Geography: The Limits of Geographical Knowledge, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1993.
- Scheibling Jacques, Qu’est-ce que la géographie ?, Paris, Hachette, 1994.
- Sierra Philippe, Benhammou Farid, Gérardot Maie et Marchand Guillaume, Géographie des animaux : de la zoogéographie à la géopolitique, Paris, Armand Colin, 2024.
- Stock Mathis, « Penser géographiquement », Géopoint 2006 : Demain la géographie, Groupe Dupont, Avignon, 2008, p. 23–37.







