Océan Pacifique, le Pacifique
L’océan Pacifique est le plus vaste du Monde, avec une superficie de plus de 165 millions de kilomètres carrés, presqu’un tiers de la surface de la planète, et davantage que l’ensemble des terres émergées (148 millions de km²). On pourrait évidemment s’interroger sur le sens d’une telle mesure puisque le découpage de l’océan mondial en plusieurs océans s’avère très conventionnel (Grataloup et Capdepuy, 2013). Son nom, également, n’a pas toujours été celui-ci, même dans la tradition européenne. Il s’agit d’une métagéographie à géométrie variable (Agniel et Pimont, 1997). « Le Pacifique » peut désigner simplement l’océan Pacifique, comme on dit « l’Atlantique », mais aussi une région terraquée comprenant à la fois l’océan Pacifique, les îles qui le parsèment, évidemment, et les territoires riverains, dans une sorte de halo qu’on serait bien en peine de délimiter avec précision.
La navigation dans l’océan Pacifique est très ancienne et pour en aborder l’histoire, il est nécessaire de se décentrer. Sans parler des formes de cabotage, ni même des traversées qui ont conduit au peuplement de l’Australie il y a plus de 55 000 ans, les multiples îles de l’océan Pacifique ont été peuplées progressivement par des populations venues d’Asie du Sud-Est, du milieu du IIe millénaire av. n.è. jusqu’à Rapa Nui et la Nouvelle-Zélande au XIIe siècle de n.è., et probablement aussi, dans une moindre mesure, par des gens partis d’Amérique du Sud. En maori, en tahitien, en hawaïen, en tongien, l’océan est désigné par le mot moana, même si l’appellation plus mythologique de moana nui a Kiwa, « la grande mer de Kiwa », connaît une certaine notoriété médiatique (Saura, 2022). Mais dans la géographie européenne, la connaissance de ce vaste espace maritime a été la conséquence de la « découverte » de l’Amérique à la fin du XVe siècle. En 1513, lorsque Balboa traversa l’isthme de Panama, il parvint aux rivages d’une nouvelle étendue marine, qu’il baptisa « mer du Sud » par opposition à l’océan Atlantique sise, en ce point, au nord de l’isthme, et de fait appelée « mer du Nord ». C’est Magellan, en 1520, qui appela cette mer « Pacifique ». Sur une carte réalisée par Abraham Ortelius en 1589, et centrée sur cet océan, on peut lire : Mare Pacificum, quod vulgo nominant Mar del Zur, « la Mer Pacifique, qu’on appelle communément Mer du Sud ». De fait, pendant longtemps, l’appellation « Mer du Sud » fut largement usitée et ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que le nom d’« océan Pacifique » s’imposa.
Sa délimitation résulte de plusieurs discussions internationales, lors de la commission réunie à Londres en 1845, lors de la conférence hydrographique internationale en 1919, puis dans le cadre des activités du Bureau hydrographique international fondé en 1921, et devenu par la suite l’Organisation Hydrographique Internationale (OHI). Le texte de référence, Limites des océans et des mers, a connu trois éditions, entre 1923 et 1953. La dernière est toujours à l’état de brouillon depuis 2002 (OHI, 2002)... Quelles en seraient les limites ? Jusqu’à aujourd’hui, le cap Horn marque un seuil majeur dans les circulations maritimes et s’impose, presque naturellement, comme une limite évidente entre l’océan Pacifique et l’océan Atlantique avec le méridien 67° 16’ Ouest. En revanche, du côté de l’océan Indien, aucun continent, stricto sensu, ne vient s’interposer. Par le passé, l’océan Indien a pu être considéré comme un prolongement de l’océan Pacifique (le « Grand Océan » de Fleurieu et de Reclus), que ne sépare l’un de l’autre qu’une série d’îles et de détroits, une « espèce d’isthme brisé qui rattache l’Australie à la péninsule de l’Indo-Chine » (Reclus, 1869), et la notion d’Indopacifique est venue réactiver cette perception. De façon très conventionnelle, la longitude du cap South West de la Tasmanie, 146° 49’ Est, a été retenue pour marquer la discontinuité entre l’océan Pacifique et l’océan Indien. Au Nord, le détroit de Béring forme un goulet d’étranglement en travers duquel une ligne a été tracée, de la péninsule Tchouktche en Sibérie à la péninsule de Seward en Alaska. Au Sud, c’est plus compliqué. L’existence d’un océan Antarctique a été très discutée. Dans le texte de 2002, l’OHI ferait finalement le choix du 60e parallèle, au lieu du cercle polaire. On perçoit la dimension très arbitraire d’un tel découpage.
Enfin, subsumant l’océan Pacifique lui-même, une vaste région du Monde englobe une partie des pays littoraux, des côtes de l’Asie à celles de l’Amérique : le Pacifique. Il est plus difficile de dire avec précision quand a émergé cette entité géographique, mais il semble que la Seconde Guerre mondiale a été un moment crucial dans la prise de conscience qu’il y avait une unité géopolitique par-delà les distances. Le Pacifique était devenu un théâtre. Depuis, la multiplication des échanges dans une économie de plus en plus globalisée, n’a pas effacé la césure invisible du Monde que les Européens avaient décidé de faire passer à travers ce grand « vide », la ligne de changement de date, mais de décennie en décennie, celle-ci n’a pas cessé d’être modifiée, se décalant toujours un peu plus vers l’est au fur et à mesure de la montée en puissance de la Chine.
Vincent Capdepuy, mai 2024.
Références citées
- Agniel Guy et Pimont Yves, 1997, Le Pacifique, Paris, Presses universitaires de France.
- Grataloup Christian et Capdepuy Vincent, 2013, « Continents et océans : le pavage européen du globe », Monde(s), n° 3), p. 29–51.
- OHI, 2002 (4e éd., brouillon), Limits of Oceans and Seas
- Saura Bruno, 2022, « Une appellation transnationale pour l’Océan Pacifique : Te moana nui a Kiwa (Nouvelle-Zélande) - Te moana nui a Hiva (Tahiti) », Archivio antropologico mediterraneo, vol. XXV, n° 24.
- Reclus Élisée, 1868, La Terre : description des phénomènes de la vie du globe, tome I, Les continents, Paris, L. Hachette et Cie.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Christian Grataloup, « L’invention des océans. Comment l’Europe a découpé et nommé le monde liquide », Géoconfluences, janvier 2015.
- Vaimiti Goin, « L’espace indopacifique, un concept géopolitique à géométrie variable face aux rivalités de puissance », Géoconfluences, octobre 2021.