Urbains (paysages)
La question des paysages urbains renvoie d’une part à la différence de nature (Michel, 2008) qui existe entre les espaces urbains et les espaces ruraux (différences du bâti en termes de densité et de hauteur, moindre présence de la nature…) et d’autre part, comme pour toute étude de paysage, aux questions de la perception de cette différence.
Les paysages urbains ont été étudiés dès les années 1920 par l’École de Chicago qui soulevait la question de la perception de l’environnement urbain (« psychologie de l’environnement ») comme un préalable indispensable au passage « du réel vécu au modèle simplifié » (Bailly, 1974).
La géographie française des années 1960-70 a abondamment pris pour objet les paysages urbains, selon le penchant de la géographie classique pour les analyses paysagères et du fait des grandes mutations des espaces urbains qui motivèrent ce type d’analyses. En effet, en France mais aussi dans la plupart des pays développés, durant la période des « trente glorieuses » (années 1960 et 1970), l'on a vu se multiplier les « grands ensembles » (barres, immeubles) dans le cadre des ZUP par exemple.
Durant les années 1980-90, marquées par un renouvellement disciplinaire, de très nombreux travaux sur la notion de paysage amènent à une réflexion plus poussée sur la notion de « paysage urbain ». Pour Antoine Bailly (1977, p. 24), « la structure du paysage urbain se décompose en cinq éléments : les cheminements, les limites, les nœuds, les repères et les quartiers. »
Parallèlement, à la même époque, les espaces urbains sont en pleine mutation, entraînant de nouvelles perceptions de leurs paysages. Par rapport à la période précédente où ceux-ci étaient perçus positivement dans un contexte de modernité, on observe une inversion du regard qui va engendrer une prise en compte spécifique de certains territoires urbains dans le cadre de l’aménagement et d’une politique de la ville. Les premières démolitions d'immeubles ont suivi les émeutes des Minguettes à Vénissieux en 1981. Entre 1983 et 1989, un Fonds social urbain (FSU) a permis d'améliorer l'image de certaines banlieues en les aménageant (Orly par exemple).
À partir de 1994, les Grands projets urbains (GPU) ont concentré les actions sur des sites particulièrement sensibles (quartiers nord de Marseille, le Val Fourré à Mantes, les friches industrielles de la plaine Saint-Denis, Roubaix-Tourcoing, Dreux, etc.). Le Comité interministériel des villes (CIV) de décembre 1999 lance les Grands projets de ville (GPV) destinés à intervenir sur des secteurs urbains dont le degré de disqualification et de dégradation urbaine, mais aussi sociale et économique, ne peuvent être résolus par les seules « procédures classiques de la politique de la ville ».
À l’échelle mondiale, depuis les années 1970, l’opposition s’accentue entre des paysages métropolitains, marqués par la verticalisation des silhouettes urbaines, et les paysages périurbains, caractérisés par l’étalement urbain voire une métapolisation généralisée. La distinction classique entre paysage urbain et paysage rural s’estompe souvent, comme dans le cas de la città diffusa ou du desakota. Dans les interstices et les « dents creuses » laissés par l’urbanisme de projet, les friches urbaines donnent à voir un paysage de l’abandon, comme celui des vacants nord-américains, voire un paysage d’espaces-déchets. Ces paysages délaissés qui peuvent se généraliser à toute la ville dans les cas les plus prononcés de déclin urbain. Ils peuvent aussi être le support d’un « tourisme de l’abandon » (Le Gallou, 2021).
À partir des années 2000, dans le contexte de développement durable et du mouvement des villes en transition, la question paysagère en ville intègre de plus en plus la dimension environnementale, avec la ville durable, les préoccupations sur la place de la nature et de la biodiversité en ville, et les trames vertes et bleues. On s’intéresse aussi de plus en plus à la ville ordinaire (Clémençon, 2015), comme, dans d’autres domaines, à la biodiversité ordinaire ou au patrimoine ordinaire, pour sortir d’une focalisation jugée excessive sur les seuls paysages iconiques ou remarquables.
(ST) 2003, dernière modification (SB, CB et JBB), janvier 2023.
Références citées
- Bailly, Antoine (1974), « La perception des paysages urbains ». L’espace géographique. 1974, p. 211–217.
- Bailly, Antoine (1977), La perception de l’espace urbain, Paris, Centre de recherche d’urbanisme, 1977.
- Clémençon Anne-Sophie (2015), « Image à la une : La ville ordinaire : le laboratoire lyonnais de la rive gauche du Rhône », Géoconfluences, novembre 2015.
- Le Gallou, Aude (2021), « Explorer les lieux abandonnés à Détroit et à Berlin : tourisme de l’abandon et trajectoires patrimoniales », Géoconfluences, juin 2021.
- Michel, Xavier (2007), « Paysage urbain : prémisses d’un renouvellement dans la géographie française, 1960-1980 », Strates [En ligne], 13 | 2007, mis en ligne le 12 novembre 2008.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Noé Parot, « Regard géographique. Paysages en chantiers de l’urbanisation dans le Sud global », Géoconfluences, mars 2024.
- « Image à la une : le temps suspendu. Regard sur un paysage urbain lyonnais pendant le confinement », Géoconfluences, juin 2020.
- Claire Fonticelli, « La densification sous contrainte : bâtir des immeubles dans le périurbain francilien », Géoconfluences, avril 2020.
- Geoffrey Mollé, « Un changement de regard sur la verticalité urbaine, de nouvelles tours d’habitation dans le paysage de la métropole de Lyon », Géoconfluences, septembre 2019.
- Anne-Sophie Clémençon, « Entrer dans l’agglomération lyonnaise par le train : treize arrêts sur images », Géoconfluences, juillet 2019.
- Emmanuel Boutefeu, « La nature en ville : des enjeux paysagers et sociaux », Géoconfluences, avril 2007.