Persistance et diversité des activités de collecte au Brésil
Bibliographie | citer cet article
Dans nos pays, la collecte est généralement considérée comme caractéristique d'un passé lointain, un mode de subsistance de sociétés non industrielles qui ne pratiquaient pas l'agriculture, disparue de nos contrées (à part la sympathique cueillette de champignons en forêt), mais encore utile comme stratégie de survie pour des populations en difficulté (Ndao, 2018). C’est en partie une question de définition, comme l’a montré le récent numéro d’Echogéo consacré à la collecte, avec notamment un article sur la pharmacopée en Guyane française (Tareau et al., 2019) et un autre sur les ferrailleurs informels franciliens (Florin et Garret, 2019). Mais aussi de situations respectives des pays, où la part de la nature peu transformée peut être très différente, ainsi que les ressources que l’on peut en retirer et la vision qu’en ont leur population, ce qui pèse en retour sur les définitions.
C'est bien le cas au Brésil, pays où – bien qu'il soit une des dix premières puissances économiques au monde – la collecte a encore un poids économique et social non négligeable (tableau 1). La collecte y est connue sous le nom d’« extractivisme » (extrativismo). Selon Dicio, Dicionário Online de Português((« Qualquer atividade de retirada ou de coleta de materiais existentes na natureza, para subsistência ou não; geralmente se divide em extrativismo mineral (mineração), animal (caça e pesca) e vegetal (exploração de florestas) », https://www.dicio.com.br/extrativismo/.)) sa définition englobe « toute activité de collecte de matériel existant dans la nature, à des fins de subsistance ou non, généralement il est divisé en activités extractives minière (exploitation minière), animale (chasse et pêche) et végétale (exploitation des forêts) ». Il inclut donc la chasse (interdite aux particuliers sauf aux « communautés traditionnelles »), la pêche (libre, moyennant un permis et le respect des périodes de clôture), l’exploitation des produits non-ligneux (gommes, racines, écorces, huiles, graines) mais aussi du bois collecté en forêt (hors sylviculture) et même une partie de l’exploitation minière comme celle de gisements alluviaux d'or ou de diamants.
On n’abordera toutefois pas ici ces dernières, ni celles de chasse et pêche (répertoriées dans d’autres bases de données), mais uniquement celles qui concernent les espèces végétales. Après les avoir situées dans le contexte de l'utilisation des terres du pays, nous pourrons en analyser le poids, la diversité et la répartition géographique grâce à la base de données publiée annuellement (et accessible gratuitement sur internet) par l'IBGE (Institut Brésilien de Géographie et Statistique), Produção da Extração Vegetal e da Silvicultura – PEVS (« Production de la collecte végétale et de la sylviculture »)((IBGE, cliquer sur “menu do produto” puis « download » pour accéder aux données annuelles, à toutes les échelles depuis celle du pays jusqu’à celle des communes, de 1992 à 2016.)), qui permet d'en détailler les différentes catégories jusqu'à l'échelle communale. On pourra alors distinguer les collectes prédatrices de celles où des filières de valorisation sont – vaille que vaille – mises en place. On s’attachera enfin au cas de l´hévéa (originaire du Brésil comme en témoigne son nom scientifique, hevea brasiliensis), longtemps produit phare de la collecte, mais qui est aujourd'hui produit principalement dans des plantations bien éloignées de sa région d'origine.
1. Ancienneté et omniprésence de la collecte
Le Brésil doit beaucoup aux activités de collecte, à commencer par son nom (encadré 1), mais loin d'être seulement d'intérêt historique, elles continuent à être un trait distinctif du pays, où elles représentent des millions de reais (ou de dollars d’exportations) et des dizaines de milliers d'emplois, tout au long des chaînes de transformation et de commercialisation qui font parvenir leurs produits dans les magasins de tout le pays, voire – pour certains d'entre eux – du monde entier.
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1.1. Collecte et utilisation des terres
Si les activités de collecte sont encore si présentes au Brésil, c'est en grande partie parce que de vastes zones sont encore couvertes d’une végétation peu anthropisée, forêts, steppes et savanes. La carte d'occupation des sols (figure 2) met clairement en évidence les quatre principaux secteurs qui partagent l'espace rural brésilien : 1) de vastes zones qui sont encore largement couvertes par leur végétation dite primaire (en gris sur la carte), qui sont celles où sont pratiquées les activités de collecte ; (2) des zones agricoles, limitées aux zones d'agriculture familiale du Nordeste et du sud-ouest, et aux zones de production de canne à sucre de São Paulo ou de soja du Centre-Ouest (en brun) ; (3) des zones forestières (forêts naturelles ou plantées, en vert) ; 4) de zones dominées par le l'élevage (orange).
Figure 2. Occupations des sols
Il faut toutefois noter que les zones où persistent les activités de collecte sont aussi celles où avancent les fronts pionniers, l'agriculture continue à y conquérir de nouvelles terres, à mettre en culture des milliers d'hectares de forêts et de savanes. Depuis l’arrivée des Portugais, le mouvement de conquête de terres nouvelles a constamment progressé, et le mouvement actuel ne fait que poursuivre celui des cinq derniers siècles. Il s'est seulement considérablement accéléré après les années 1960 avec l'ouverture des routes vers l'Amazonie comme les Brasília-Belém, Brasília-Acre et Cuiabá-Santarém, qui ont été les principaux vecteurs de l'avancée des fronts pionniers. Entre 1970 et 1980 plus de 750 000 km2 – une fois et demie la France – avaient été incorporés aux exploitations agricoles, la déforestation a ensuite continué à un rythme plus lent mais encore préoccupant (Morère, 2018), notamment au nord, dans le Mato Grosso et le Pará, ainsi que dans le Roraima et l’Amapá, où la progression continue et affecte les régions où se situent les principales activités de collecte.
Figure 3. Babaçu, Urucum et Pequi
À gauche, Babaçu sur l’arbre, cliché Hervé Théry, 2007. À droite, gel douche « plaisir réconfortant » à l'huile de Babaçu, sur un site de commerce en ligne de « cosméto-botanique » en français, capture d’écran, 2019. |
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À gauche, Urucum sur l’arbuste, cliché Hervé Théry, 2005. À droite, comprimés d’Urucum sur un site de commerce en ligne « bio » en français, capture d’écran, 2019. |
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À gauche, fruits du Pequizeiro sur l’arbre, cliché Luiz de Souza, licence CC, 2015 (source). À droite, produits dérivés de « castanha de pequi » sur un site de commerce en ligne brésilien, capture d’écran, 2019. |
1.1. Diversité et inégale répartition des activités de collecte
La liste des produits de collecte au Brésil est longue, même si l'on s'en tient à ceux qui sont recensés annuellement dans la base de données PEVS de l'IBGE : il en existe bien d'autres, dont la collecte et l'usage sont locaux et la commercialisation trop limitée ou trop informelle pour être prise en compte dans cette base nationale.
Pour quelques-uns de ces produits, le marché est mondial et on les trouve dans les supermarchés ou les boutiques de denrées exotiques des pays développés (noix du Brésil, noix de cajou, pignons de pin). Pour d’autres, les débouchés et la réputation sont, au mieux, nationaux, voire régionaux. Le Nordeste produit ainsi des noix de babaçu (qui donne une huile qui sert notamment à l’industrie aéronautique), de la cire de carnaúba (utilisée jadis par l’industrie du disque et aujourd’hui dans le bâtiment), ou des fibres de piaçava. D'Amazonie viennent l'ipecacuanha (d'où l'on tire les médicaments à base d'ipéca), l'urucum (Bixa orellana, en français roucou, disponible dans les boutiques de produits « bio »((Mais il est aussi utilisé comme colorant alimentaire (code européen E160b). Certains fromages tels que la boulette d'Avesnes, la mimolette, le cheddar, l'edam, ou le Red Leicester, lui doivent leur couleur orangée. La croûte de certains livarots et reblochons est également lavée avec du roucou, et il sert aussi à teindre les filets de haddock.))), ainsi que divers caoutchoucs, gommes non élastiques et oléagineux à usage alimentaire, cosmétiques et médicamenteux.
Ces denrées n'ont toutefois pas le même poids, et prendre en compte leur valeur commerciale (la base de données indique aussi les superficies occupées et les tonnages produits) permet de les comparer. Parmi les principaux (en gras sur le tableau) se détachent les bois (64 % du total, dont 40 % pour le bois d'œuvre en grumes), les denrées alimentaires (25,7 %, dont 12,4 % pour l'açai, 9,2 % pour le maté et 2,5 % pour les noix du Brésil), suivi de loin par les cires (4,9 %), les oléagineux (2,6 %) et les fibres (2,5 %), les autres catégories n'atteignant pas 1 % du total.
Tableau 1. Produits de collecte, valeurs comparées
Source : IBGE, Produção da Extração Vegetal e da Silvicultura – PEVS.
La collecte concerne surtout le Nord du pays, Amazonie et Nordeste intérieur, mais elle est aussi présente dans quelques régions du Sud du pays pour certaines denrées, comme le maté, ainsi que pour le bois à brûler et en grumes (figure 4). Le seul État dont elle est absente est São Paulo, à la fois en raison de sa densité de population (plus de 45 millions d'habitants sur 248 222 km2, soit une densité de 181 habitants par km2, supérieure à celle de la France) et parce que ses bases économiques sont tout autres.
Figure 4. Valeur totale des produits de collecte en 2016
Si l'on entre dans le détail des produits comme sur la figure 4, où les cercles sont tous à la même échelle, déterminée par la valeur commercialisée, les produits tannants, aromatiques et médicinaux sont peu visibles et les caoutchoucs et gommes non élastiques (qui ont eu leur heure de gloire, voir ci-dessous) sont désormais négligeables. Les principaux produits de la collecte actuelle sont le bois (d'œuvre, en grumes ou à brûler) et le charbon de bois, extraits principalement d'Amazonie, les fibres (surtout la piaçava, de Bahia), les cires (notamment la carnaúba du Nordeste) et les oléagineux (essentiellement le babaçu du Maranhão).
Figure 5. Production en valeur par catégorie de produits de collecte
Parmi les produits de collecte alimentaires apparaissent des situations contrastées, qui renvoient à des facteurs naturels ou culturels bien différents. Certaines localisations sont liées aux conditions climatiques et à la végétation dominante de certaines régions, comme les pignons de pin (pinhão) des forêts de pin du Sud, les fruits d'umbu et de mangaba des steppes épineuses du Nordeste semi-aride. Mais certains produits ont en outre valeur de marqueur culturel, comme le pequí, un condiment très apprécié dans le Goiás et le Minas Gerais… et nulle-part ailleurs, car non seulement ses fruits ont une odeur très forte, mais ils cachent sous une mince pulpe des épines très aigüe. L'açai, fruit d’une des très nombreuses espèces de palmiers amazoniens, sert à préparer un jus riche en vitamines, qui est l'une des bases de l’alimentation des populations de l’embouchure de l’Amazone. Récemment découvert par les nutritionnistes, il est devenu la coqueluche des obsédés de forme physique du Sud-Sudeste, où il se vend – très cher – dans les « académies » de gymnastique.
Figure 6. Principaux produits alimentaires de collecte
Le maté((Yerba maté en espagnol, le terme maté étant devenu par extension un équivalent d’infusion, à ne pas confondre avec le maté de coca, utilisé dans les Andes.)), également de plus en plus prisé dans les milieux sportifs, est la feuille d’un arbuste qui, séchée et moulue, sert à faire une infusion amère très appréciée des gaúchos, les habitants du Rio Grande do Sul. Typique de la civilisation pampéenne, cette boisson (que l'on consomme également en Argentine, en Uruguay et au Paraguay) se boit à l’aide d’une pipette dans une demi-calebasse ouvragée, qu'on passe de main en main après avoir versé de l’eau bouillante sur la poudre, un rituel que les gaúchos emportent avec eux où qu’ils aillent, des ministères de Brasília aux plages de Rio et aux fronts pionniers du Centre-Ouest.
Les noix de la Berholettia excelsa, connues sur les marchés internationaux comme « noix du Brésil » ou « Brazil nuts» sont connues dans le pays comme « castanha do Pará », (« châtaignes du Pará »), du nom d'un des États amazoniens, ce qui irrite les autres. Ils demandent donc que son nom commercial devienne « castanha da Amazonia » ou « castanha do Brasil », un peu tard, puisque, la collecte brésilienne ayant nettement décliné, elle est désormais concurrencée par les noix venues de Bolivie ou des plantations en Côte d'Ivoire.
1.1.Collectes prédatrices
Vu son poids commercial et son impact sur le déboisement de l'Amazonie, la coupe du bois en forêt (qui fait partie de l’extrativismo) est évidemment un sujet central et très controversé, car la législation environnementale, complète et bien intentionnée, est loin d'être totalement respectée. À titre d'exemple, la photographie 1 associe deux images prises dans le Mato Grosso à quelques jours d'intervalle, l'une d'une collecte raisonnée de bois en forêt – menée en principe dans le cadre d'un projet de gestion forestière – et celle d'un grumier circulant sur une route ne menant qu'à une réserve amérindienne, d'où en principe toute exploitation forestière est exclue…
Photographie 2. Bois d'œuvre
Clichés Hervé Théry, 2009. |
C'est un enjeu crucial, car outre son rôle dans la construction et l'ameublement, le bois est une source d'énergie significative pour le pays, représentant près de 13 % de son approvisionnement énergétique total. Bien que la consommation de bois ait baissé jusqu'au milieu des années 1990, elle a recommencé à augmenter à partir de 1998, stimulée par la production accrue de charbon de bois, pour la production d'acier. Le Brésil est en effet le seul grand pays au monde à faire encore fonctionner une grande partie de sa sidérurgie au charbon de bois((En Grande-Bretagne, le dernier haut-fourneau au bois a été converti au coke en 1922, en France en 1930. Aux États-Unis, où le bois était abondant, ils ont duré plus longtemps, le dernier n'ayant fermé qu'en 1945.)), selon l’ADD (2011) « une part significative de la fonte produite au Brésil dépend encore aujourd’hui du charbon de bois […] Le Brésil est ainsi le seul pays au monde où le secteur sidérurgique utilise encore du charbon de bois à grande échelle. Le secteur sidérurgique et, plus particulièrement, les producteurs de fonte consomment aujourd’hui la majeure partie (86 %) de la production nationale de charbon de bois ».
Le CGEE (2015) a calculé que la sidérurgie brésilienne a produit en moyenne 32,5 millions de tonnes de fonte par an entre 2003 et 2012, dont 9,5 millions de tonnes provenant du charbon de bois, soit une consommation moyenne annuelle de 6,9 millions de tonnes, dont les forêts plantées représentaient 57 % et les forêts naturelles 43 %. Car les plantations à grande échelle (qui par ailleurs sont loin d’être une solution parfaite en termes de biodiversité et de gaz à effet de serre) n'ont commencé qu’en 1949, avec les eucalyptus, de la Companhia Siderúrgica Belgo Mineira, à Santa Bárbara (Minas Gerais), et en 1959 et pour les pins, dans l’État de São Paulo. De plus, selon l'Institut brésilien pour l'environnement et les ressources naturelles renouvelables, le prix du charbon de bois à partir de forêts naturelles, surtout produit illégalement, n'est que de 10 à 12 % de celui du charbon produit à partir de forêts plantées, ce qui le rend évidemment très compétitif l'utilisation du charbon de bois obtenu de cette façon.
Photographie 2. Production du charbon de bois
Clichés Hervé Théry, 2002. Voir d’autres photographies ici. |
En aval de la collecte ont pu se développer ici et là des filières de valorisation, mises en place au bénéfice des collecteurs, qui sont généralement des groupes sociaux pauvres, marginalisés et peu reconnus par les gouvernements. Des organisations ont parfois pu se constituer, afin d’exiger une formalisation de leurs droits, l’accès aux ressources, la définition de leur valeur et le rapport à l’espace de prélèvement. C'est ce qui s'est produit dans le cas des collecteurs de noix du Brésil à Xapuri et de pulpes de fruits à Parauapebas.
2. Filières de valorisation, deux exemples
Les deux cas de Xapuri ont pu se développer dans le cadre des « réserves de collecte » (« reservas extrativas ») et des « réserves de développement durable » mises en place par l'État fédéral et les États fédérés brésiliens en grande partie grâce aux luttes des saigneurs d'hévéas (seringueiros) et collecteurs de noix du Brésil (castanheiros) d'Amazonie, dans les années 1980 (figure 6).
2.1. Noix du Brésil à Xapuri
S'appuyant les principes de valorisation des produits de collecte défendus par Chico Mendes((Principal leader des seringueiros (saigneurs d'hévéas), assassiné en 1988 à Xapuri.)) dans les années 1980, le gouvernement de l'État d'Acre a rouvert, après agrandissement et modernisation, l'usine de traitement des noix du Brésil Chico Mendes de Xapuri, dirigée par la Cooperacre (coopérative centrale de commercialisation des collecteurs de l'Acre)((Ces informations ont été recueillies lors d'un séjour de terrain, en 2009, mené dans le cadre des programmes de recherche ANR Duramaz et Duramaz 2.)).
Son président a ainsi réalisé un rêve qu'il a porté pendant des années. « Avant nous vendions uniquement la matière première, mais il n’y avait pas d'industrie, et nous perdions du terrain parce que la concurrence était pressante. Maintenant avec l'industrie, nous avons déjà de deux grands clients ». Le directeur de la Cooperacre soulignait quant à lui qu'« ici les collecteurs ont une industrie qui leur garantit l'achat de toute leur production à un prix équitable, une industrie avec des machines de qualité, ce qui garantit un produit final également de qualité. Pour nous, c'est très important ». La fille de Chico Mendes était émue en rappelant ce que disait son père, quand il luttait pour les collecteurs de caoutchouc de Xapuri : « Nous sommes dans une nouvelle période de développement pour la coopérative, pour les collecteurs, montrant qu'il est possible de combiner le développement durable avec le développement économique pour les petits producteurs, les collecteurs et les coopératives. Voilà qui réalise un rêve de mon père, qui était de voir cette communauté bien aidée et capable, par sa sueur et son travail, d'avoir une vie plus digne ».
L'un des administrateurs a souligné que l'usine a mené son processus de restructuration et de modernisation pour respecter un important contrat que la Cooperacre a signé avec Nestlé et Nutrimental. C'est désormais la deuxième plus grande unité d'exportation en Acre, avec 250 emplois directs. En octobre 2017 une directrice de la Banque nationale pour le développement économique et social (BNDES) a indiqué : « Nous avons des projets que nous soutenons à la fois par le biais du Fonds Amazonie et des projets gouvernementaux menés avec les ressources ordinaires de la banque. Et les résultats de ces projets, ici en Acre, ont un impact social, environnemental et positif élevé, car ils ont transformé la vie de nombreuses familles ».
Photographie 3. Noix du Brésil à Xapuri
On notera sur le cartouche de la photo (au milieu à gauche) qu'une bonne partie des « noix du Brésil » viennent de Cobija, dans le tout proche département du Pando, en Bolivie. Clichés Hervé Théry, 2009. |
2.2. Pulpes de fruits à Parauapebas
La coopérative Cooper de Parauapebas (Pará, Amazonie) a été créée en 1997 pour améliorer le sort des petits paysans de la région, dont beaucoup étaient d'ex-orpailleurs de la Serra Pelada (où une ruée sur l'or en avait attiré plus de 40 000) en valorisant la production de fruits – principalement da collecte – de ses 129 associés. En 2007((Ces informations ont été recueillies lors de deux séjours de terrain, en 2007 et 2014, menés dans le cadre des programmes de recherche ANR Duramaz et Duramaz 2 (Mello-Théry, Théry, et al., 2016).)), la Cooper achetait presque tous les fruits collectés dans la région, et avait une forte action sociale. La garantie d'achat stimulait leur valorisation et plus de trente personnes travaillaient dans l'usine pour produire de la pulpe de fruits congelée et des bonbons fourrés aux pulpes de fruits.
Les producteurs qui vendaient leurs fruits à la coopérative obtenaient entre 50 et 60 % de leurs revenus de cette façon, et avaient nettement amélioré leur situation financière. Les produits de la Cooper étaient de préférence vendus à Parauapebas même, notamment pour le goûter fourni par la mairie dans les écoles, et la direction de la coopérative avait beaucoup travaillé à améliorer l'organisation de la récolte. Elle visait à devenir un pôle structurant de la filière fruitière et d'un réseau de coopératives fruitières en Amazonie orientale, basé sur le commerce solidaire, atteignant toute la région de Parauapebas et la partie sud de celle de Marabá.
En 2014 le contexte régional et local avait profondément changé. L'asphaltage de la route entre Parauapebas et la mine de cuivre de Salobo a changé la vie dans la région de collecte des fruits, la Cooper a cessé son action sociale et se concentre sur la production et la commercialisation des pulpes, menées selon les règles du marché. L'action sociale a été reprise par la mairie, qui fournit – grâce aux redevances des mines de fer de Carajás – une l'assistance technique agricole et sociale (école, repas scolaire et poste de santé). Avec le dynamisme régional et la croissance de Parauapebas (+15,46 % entre 2007 et 2010 selon l'IBGE), elle n'a aucun problème pour la vente de ses produits, et a cessé de garantir leur achat.
En moyenne, 70 tonnes de pulpe de divers fruits, comme l'açaí, le cupuaçu (un cousin sauvage du cacao, originaire d’Amazonie), le fruit de la passion, la goyave, entre autres, sont traitées dans l'usine. Six chambres froides permettent de les stocker jusqu'à ce qu'ils puissent être traités, emballés et vendus. Selon la Cooper, ses produits sont les seuls dont la commercialisation soit autorisée dans le sud du Pará par le ministère de l'Agriculture et elle a été en 2018 la première de la région à fonctionner grâce à sa propre production d'énergie renouvelable (panneaux photovoltaïques).
Photographie 4. Açai à Parauapebas
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Clichés Hervé Théry, 2007. |
3. L’hevea brasiliensis, de la collecte aux plantations
La collecte du caoutchouc a été la base d’un des booms qu’a connu le pays, les propriétés du latex extrait de l’hevea brasiliensis, ayant commencé à paraître intéressantes avec l’essor des pneumatiques et de l’automobile. La demande mondiale enfla très rapidement et le Brésil produisait dans les premières années du XXe siècle plus de 80 % du caoutchouc mondial. Mais le boom fut bref car les plantations anglaises et hollandaises d’Asie du Sud-Est mises en place grâce à des graines amazoniennes((Acquises, selon le botaniste anglais Henry Wickham, volées, disaient les Brésiliens.)) arrivèrent alors à maturité, et leur production, plus régulière et moins coûteuse que la collecte amazonienne, la submergea et la ruina. Des initiatives ont été prises pour la relancer, comme celle de la Natex, mais la région n’est déjà plus celle qui produit le plus de caoutchouc au Brésil.
3.1. Les préservatifs en latex d'hévéa à Xapuri : quand la géographie de la collecte rejoint celle de la santé
Située à Xapuri (Acre), la Natex vise à associer l'utilisation durable des produits de la forêt amazonienne à des technologies de pointe. Créée en 2008 grâce à un accord entre le gouvernement de l'État d'Acre et le ministère de la Santé, cette unité industrielle peut produire par an jusqu'à cent millions de préservatifs masculins en latex. Toute la production devait être absorbée par le ministère de la Santé, pour des programmes de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, le Sida et l'hépatite virale. Par exemple, en octobre 2017, l'usine a expédié une cargaison de préservatifs dans le Minas Gerais, comme convenu dans un contrat de 10 millions de Reais (2,5 Millions d'Euros) signé avec le Ministère de la Santé. Au total, grâce à contrat et à un autre avec le secrétariat d'État à la Santé de l'Acre, 90 millions de préservatifs ont été produits cette année-là.
Les préservatifs sont fabriqués directement avec du latex de caoutchouc naturel et représentent 15 % des préservatifs distribués gratuitement dans le pays. En dix ans de fonctionnement ininterrompu, l'usine a créé 120 emplois directs et a été la cause d'un changement social et économique majeur dans la région. Grâce à la garantie d'un bon prix pour leur production, des centaines de familles ont recommencé à saigner les hévéas en forêt et en tirent de nouveau une grande partie de leurs moyens de subsistance. Parmi les 2 500 familles qui vivent dans la réserve de collecte Chico Mendes, environ 700 se sont inscrites pour vendre du latex et au moins 500 restent actives. Elles le déposent dans des bidons métalliques, à l'un des seize points de ramassage, dont 14 dans la réserve. Une équipe de vingt personnes recueille chaque semaine les bidons pleins et en laissent d'autres, contenant un peu d'ammoniaque pour empêcher la coagulation. Pendant la morte-saison (la saison des pluies, de décembre à avril) les saigneurs de caoutchouc se consacrent à la collecte des noix du Brésil et à une petite agriculture de subsistance.
En 2018, la situation s'est détériorée et la production a été arrêtée en juin, car le prix payé par le ministère de la Santé, 0,14 Reais (5 centimes d'euro) par préservatif, était insuffisant pour couvrir les coûts de l'usine. En juillet, le gouvernement de l'Acre a annoncé la reprise de la production. Selon lui, la Natex avait en stock de 5,5 millions de préservatifs prêts à être livrés et pouvait en fabriquer 48 millions supplémentaires pour répondre à la demande et atteindre 20 % du total distribué par le ministère.
Photographie 5. La Natex et un hévéa saigné pour recueillir le latex
Clichés Hervé Théry, 2009. |
3.2. Les difficultés du secteur de la collecte de latex d’hévéa au Brésil
Une inquiétude demeure pourtant dans la mesure où le latex de collecte est de plus en plus concurrencé par celui qui provient des plantations qui se développent dans le sud du pays. Le caoutchouc était autrefois considéré comme « l'or du Nord », le symbole de son boom étant la construction de l'opéra de Manaus. Mais le caoutchouc amazonien est devenu peu rentable, la collecte qui suppose de parcourir des kilomètres en forêt pour saigner des arbres très dispersés ne peut lutter avec les plantations, où ils sont alignés à quelques mètres les uns des autres. Le Brésil importe donc aujourd'hui 70 % de ses besoins, et sa part dans la production mondiale n'est plus que de 2 %.
Il s'est toutefois remis à produire du caoutchouc, qui celui-ci ne vient désormais plus des forêts d'Amazonie, mais des plantations de l'État de Bahia et surtout du nord-ouest de l'État de São Paulo, de l'ouest du Triângulo Mineiro du Minas Gerais et du nord-est du Mato Grosso do Sul, une région qui combine d'excellentes conditions climatiques, une forte densité de population et un grand marché de consommation (figure 7).
Figure 7. Production de latex d'hévéa en 2014
Source : IBGE, Produção agrícola municipal (PAM) |
Aujourd'hui, l'État de São Paulo est le plus grand producteur national de caoutchouc naturel. Selon les données de la production agricole municipale (PAM) publiées par l'IBGE, pour une production nationale de caoutchouc de 315 513 tonnes, São Paulo en a fourni en 2016 182 981 tonnes, soit 58 %, suivi par les États de Bahia, (13 %), Minas Gerais (8 %), Mato (8 %), Goiás (6 %) et Espírito Santo (6 %). São Paulo est également l'État qui a le plus développé ses plantations d'hévéas, en 2016 il consacrait 60 569 hectares à cette culture, une augmentation de 112 % par rapport à la superficie enregistrée en 2000 et 15 fois la superficie de 1990. L'avance des plantations de caoutchouc dans l'État se fait principalement sur des zones jusque-là consacrées à la production d'oranges et sur des pâturages dégradés.
Figure 8. Évolution de la production de latex d'hévéa par État de 1990 à 2014
Source : IBGE, Produção agrícola municipal (PAM) |
Alors que la moyenne brésilienne du rendement moyen en caoutchouc sec est d'environ 1 000 kg / ha par an, le rendement dans l'État de São Paulo est de 1 300 kg/ ha/ an et certaines de ses régions, qui emploient de meilleures technologies, peuvent atteindre 1 500 kg, soit plus que les moyennes de l'Indonésie (750), de la Thaïlande (1 100), et de la Malaisie (1 000). Et ce caoutchouc est très rentable, un hectare rapporte, en moyenne, 3 000 Reais de profit par an, ce qui est comparable avec celui de la canne à sucre, la culture qui se développe le plus dans l’État.
Photographie 6. Plantations d'hévéas dans les États de Goiás et São Paulo
Clichés Hervé Théry, 2016. |
L'exemple de l'hévéa peut servir à illustrer ce que l'on a pu appeler la malédiction des plantes collectées en Amazonie, victimes du développement de plantations dans d'autres régions du pays ou du monde. Pour l'hévéa, la part des États amazoniens dans le total national est passée de 8,4 % en 1990 à 1,9 % en 2000 et à 1,3 % en 2016. Pour l'urucum elle est passée aux mêmes dates de 34,2 % à 22,2 % puis – petit rebond – à 26,9 %, et pour le guaraná (qui sert à produire une boisson énergétique) de 66,9 % à 59,7 % et 41,2 %. La tendance, même si elle est bonne pour l'économie agricole du pays, est inquiétante pour la persistance des activités de collecte amazoniennes.
Conclusion
On peut avoir des inquiétudes sur l'avenir de la collecte des produits amazoniens, encore parmi les principaux du pays, car outre cette concurrence des plantations extérieures, elle est menacée par le déboisement de la région, qui réduit les espaces où elle se déploie. Ce n’est toutefois nullement le cas dans d’autres régions, comme on l’a vu, et même en Amazonie des aménagements qui lui laissent des espaces réservés (comme les reservas extrativistas, les réserves de collecte), peuvent servir à la fois comme moyen de protéger l’environnement et le mode de vie de populations traditionnelles qui vivent de ces activités (Morère, 2018).
Bien qu’il ne prétende pas faire un bilan exhaustif de la collecte au Brésil, cet article donne du moins – espérons-le – des éléments pour penser de façon plus large la notion même de collecte, souvent imaginée dans notre inconscient comme quelque chose du passé, d’activités marginales, résiduelles. Au Brésil elle a encore une grande importance, c’est incontestable même si on ne peut pas adopter telle quelle comme équivalent de « collecte » la définition très englobante de l’extrativismo, qui mélange micro-cueillette, orpaillage et récolte massive de produits non cultivés. Peut-être ne s’agit-il que d’une facilité comptable brésilienne, héritée de son histoire, mais dans le cas des ressources végétales il y a manifestement un secteur encore vivace, et sans doute vaudrait-il la peine d’analyser la situation d’autres pays aux situations économiques comparables.
Bibliographie
- Agence Française de Développement (AFD), Document de travail n° 112 de l’Charbon de bois et sidérurgie en Amazonie brésilienne, mai 2011
- CGEE, Modernização da produção de carvão vegetal no Brasil: subsídios para revisão do Plano Siderurgia – Brasília: Centro de Gestão e Estudos Estratégicos, 2015.
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Hervé THÉRY
Directeur de recherche émérite au CNRS, Creda, UMR7227, Professeur à l’Universidade de São Paulo (USP/PPGH)
Mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :Hervé Théry, « Persistance et diversité des activités de collecte au Brésil », Géoconfluences, juin 2019. |
Pour citer cet article :
Hervé Théry, « Persistance et diversité des activités de collecte au Brésil », Géoconfluences, juin 2019.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/amerique-latine/le-bresil-ferme-du-monde/articles-scientifiques/collecte-bresil