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Les mosaïques d’aires protégées au Brésil, entre protection et développement

Publié le 27/11/2018
Auteur(s) : Lucie Morère, Docteure en géographie et aménagement, Attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) - Université de Lille

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Le Brésil fait souvent figure de contre-exemple en matière de protection de l'environnement, ce qui est justifié par l'ampleur des défrichements, en Amazonie mais aussi dans le Cerrado et sur la façade Atlantique. Pourtant, le Brésil est aussi un laboratoire des outils de protection, parmi lesquels les mosaïques d'aires protégées permettent la mise en réseau d'un grand nombre de périmètres de protection. Pour autant, il ne s'agit pas d'une mise sous cloche de la nature puisque les communautés rurales sont impliquées dans ces projets.

Bibliographie | citer cet article

La « nature » brésilienne nourrit de nombreux fantasmes. Nombre d’entre nous se la représente luxuriante et sauvage d’un côté et en perpétuelle destruction anthropique de l’autre. Ces deux réalités existent, cohabitent et sont corrélées. Si le Brésil est connu pour être un champion de la déforestation, il s’est aussi positionné comme un leader incontournable des négociations internationales et met en œuvre des politiques environnementales innovantes et volontaristes. Les espaces protégés constituent une politique centrale de la conservation de la nature. Il en existe plusieurs catégories, promouvant une protection plus ou moins stricte. Se pose alors la question de la conciliation des objectifs de protection de la nature et de développement des communautés qui vivent dans ou à proximité de ces espaces. L’instauration des récentes mosaïques d’aires protégées brésiliennes, conglomérat de différents espaces protégés ayant des enjeux communs, apporte, à l’échelle régionale, une réponse intéressante de gestion partagée de ces territoires fragiles.

Ce texte présente dans une première partie ce que sont les mosaïques d’aires protégées. Un cas d’étude est ensuite abordé pour comprendre concrètement le fonctionnement et les intérêts d’une mosaïque. En troisième partie, nous verrons en quoi le développement territorial, concept toujours en construction, nous semble être une voie intéressante pour concilier conservation et développement du territoire. Enfin, la dernière partie sera l’occasion de prendre de la hauteur sur cet outil de conservation et d’aménagement du territoire en discutant son intégration parmi les autres dispositifs brésiliens de protection de la nature.

1. Les mosaïques d’aires protégées, une invention brésilienne

D’après l’Union Internationale de Conservation de la Nature (UICN), une aire protégée est :

«

« Un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ».

(Dudley, 2008, p. 10).

»

Cette définition présentée comme consensuelle masque la diversité et la vigueur des débats qui animent le milieu de la protection de la nature. L’encadré 1 illustre quelques points de discussion.

 
Encadré 1. Des terminologies qui révèlent des idéologies
 

Dans la littérature francophone, on rencontre indifféremment les termes d’aire protégée, d’espace protégé et d’espace naturel protégé. Nous choisissons ici celui d’espace protégé. L’adjectif naturel a certes le mérite de souligner les motifs de la protection et ainsi, de marquer la différence avec des espaces protégés existant en milieux urbains ou ceux dédiés à la protection de populations humaines, par exemple (Laslaz, 2014). Néanmoins le mot est sujet à discussion. Pour Samuel Depraz, « il n’existe plus à proprement parler d’espaces « naturels » à la surface du globe : tous sont, de près ou de loin, affectés par l’action des hommes. » (Depraz, 2008, p. 3).

Au Brésil, le vocabulaire est autre. On parle plutôt d’unidades de conservação (unités de conservation) pour évoquer les espaces qui sont protégés pour des considérations écologiques. Là-bas, les áreas protegidas (aires protégées) forment une catégorie plus ample d’espaces incluant tant ceux protégés pour des considérations écologiques, que des espaces associés à des motifs ethniques de protection des peuples et de leurs cultures. Cela inclut les terres indigènes et les quilombos, territoires traditionnels des populations auto déclarées quilombolas (descendants des esclaves africains enfuis et organisés en communautés).

Il existe dans le monde une grande diversité d’espaces protégés. L’Union Internationale de Conservation de la Nature propose 6 catégories de classification de ces espaces qui diffèrent selon leur objectif de création, leur degré de protection et leur modalité de gouvernance notamment. La catégorie Ia « réserve naturelle intégrale » correspond à une protection plus stricte de la nature (on parle de préservation) où les visites, l’utilisation directe et les impacts humains sont contrôlés et très limités. À l’inverse, la catégorie VI, celle des « Aires Protégées de ressources naturelles gérées » renvoie à une protection plus souple de la nature (on parle alors de conservation), où un usage modéré des ressources naturelles est permis, voire encouragé. Pour les catégories VI et VII certains experts et chercheurs ne les considèrent pas comme des aires protégées mais plutôt des territoires de développement durable (Bélanger et Guay, 2010).

Pour ma part, ma formation en aménagement du territoire m’amène à concevoir les espaces protégés « stricts » comme étant une intervention urgente et de court terme pour assurer la protection de milieux, espèces, ressources et services sérieusement menacés par le mode de vie humain. Tandis que je conçois les espaces protégés « moins restrictifs » comme des territoires plus vastes d’incitation à l’évolution de nos modes de vies post-industriels en faveur d’un nouveau rapport à la nature, plus frugal et harmonieux. Au final, on peut y voir deux catégories d’outils de lutte contre les rapports prédateurs de nos sociétés à la nature, la première à court terme et plutôt curative et la seconde à long terme et plutôt préventive. Une politique de protection de la nature doit être pensée dans toute sa complexité et combiner les interventions ponctuelles de « sauvetage » aux actions préventives et de transformation des modes de vie et de développement. Si ces menaces disparaissaient, les espaces protégés n’auraient plus lieu d’être. Ils auraient dès lors vocation à être temporaires.

Lucie Morère

>>> Voir aussi : Samuel Depraz, « Protéger, préserver ou conserver la nature ? », notion à la une de Géoconfluences, avril 2013.
 

Au Brésil, la loi du Système National des Unités de Conservation (SNUC) précise que « Quand il existe un ensemble d’unités de conservation de catégories différentes ou non, proches, juxtaposées ou superposées, et d’autres aires protégées publiques ou privées, formant une mosaïque, la gestion de l’ensemble doit être faite de façon intégrée et participative, en prenant en compte les différents objectifs de conservation, de façon à rendre compatible la présence de la biodiversité, la valorisation de la sociodiversité et le développement durable dans un contexte régional. » (Loi du SNUC n°9.985 du 18 juillet 2000, traduit par l’auteure).

Le schéma ci-dessous (figure 1) illustre l’organisation spatiale d’une mosaïque, formée par une association d’espaces protégés.

Figure 1. Schéma théorique d'une mosaïque d'aires protégées
 

Lucie Morère — schéma théorique mosaïque d'aires protégées

Lucie Morère, 2018

 

Les mosaïques d’aires protégées sont une invention brésilienne. On compte à ce jour 22 mosaïques fédérales ou d’État reconnues (les mosaïques sont fédérales si elles sont composées au moins d’une unité de conservation fédérale). Ce souci de gérer des territoires à une échelle méso voire macro((La mosaïque Central Fluminense dans l’État de Rio de Janeiro a une superficie de 295 723 hectares tandis que la mosaïque de l’Ouest de l’Amapa et du Nord du Pará compte 12,4 millions d’hectares.)), mais aussi de mutualiser les ressources publiques, se comprend bien de la part d’un pays-continent.

Figure 2. Les 22 mosaïques d'aires protégées reconnues en 2017
  Lucie Morère — carte des 22 mosaïques d'aires protégées au Brésil  

Avec la carte ci-dessus (figure 2), on constate une concentration plus significative de mosaïques dans le Sudeste et dans la forêt atlantique que dans les autres biomes. C’est dans ce biome, la forêt atlantique, que se concentrent une grande partie de la population et des activités du Brésil. Cette urbanisation étendue et dense du territoire ne laisse la place qu’à de petits espaces protégés, isolés. C’est notamment face à leur difficulté à contrer, individuellement, d’importants projets menaçant l’environnement, qu’est née l’idée des mosaïques d’aires protégées.

1.1. Une mosaïque est le fruit d’un engagement volontaire

Un espace est reconnu mosaïque d’aires protégées par ordonnance du Ministère de l’Environnement. Cette reconnaissance fait suite à la demande officielle et argumentée des structures gestionnaires des unités de conservation souhaitant faire partie de la mosaïque (procédure définie par la Portaria n°482 du 14 décembre 2010). En dépit des textes législatifs qui la définissent, la composition des mosaïques fait toujours débat (voir encadré 2).

 
Encadré 2 : La composition des mosaïques en débat
 

La loi du SNUC (2000) reconnait comme composante d’une mosaïque les unités de conservation mais aussi les autres « aires protégées », comme les terres indigènes et quilombos. Tandis que le décret d’application de cette loi (2002) ne considère lui que les unités de conservation. Mais finalement, en 2006, la Politique Nationale des Aires Protégées reprend la définition plus large inscrite dans le SNUC. Au final, c’est le Ministère de l’Environnement qui, au moment de sa reconnaissance, publie dans le journal officiel une ordonnance listant l’ensemble des composantes de la mosaïque.

Autre point faisant débat : les espaces interstitiels entre les différentes aires protégées. La loi ne les considère pas officiellement dans le territoire de la mosaïque. Cette situation est décriée comme un non-sens par un collectif de chercheurs, experts et acteurs de la conservation (Pinheiro et al., 2010). Ils considèrent ces territoires comme fondamentaux pour le développement régional. Pour eux, ce sont des espaces de liaison entre les unités de conservation. Ils devraient être considérés comme des espaces d’interférence directe de la mosaïque, et donc reconnus comme faisant partie de la mosaïque, de façon à garantir la fonction écosystémique plus englobante et le processus d’aménagement territorial « basé sur la durabilité ». Sur le terrain, les acteurs luttent pour cette reconnaissance plus large du territoire de la mosaïque.

Les mosaïques sont un outil récent (créé par la loi de 2000 et mis en œuvre à partir de 2005). Cette première décennie que l’on pourrait qualifier d’expérimentale est l’occasion de discuter, d’interpréter, voire de faire évoluer ce cadre réglementaire à l’aune des premiers retours d’expérience.

Ce décalage entre théorie et réalité appelle donc à s’attarder sur le fonctionnement empirique des mosaïques à partir d’un cas d’étude évoqué ci-après, la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu, localisée dans le nord de l’État du Minas Gerais.

 

La Loi du SNUC instaure la création d’un Conseil de gestion consultatif de la mosaïque (on parlera plus simplement de Conseil de la mosaïque). Il doit tendre vers une composition paritaire entre, d’une part les membres représentant des pouvoirs publics et d’autre part les membres représentant la société civile. Une mosaïque ne dispose pas d’équipe technique qui lui serait dédiée. C’est une organisation collégiale, basée sur le volontariat des organisations publiques et privées et de la société civile du territoire.

1.2. Participation et développement au cœur des objectifs des mosaïques d’aires protégées

Les mosaïques ne font pas l’objet d’un plan de gestion, contrairement (en théorie), aux unités de conservation qui les composent. Cela paraît logique, puisqu’il ne s’agit pas d’un espace protégé mais d’un conglomérat d’espaces protégés. À cette échelle régionale, et étant donné leur rôle plus ample que la seule protection de la nature, elles sont considérées comme des « instruments de gestion et d’aménagement du territoire » (Pinheiro, 2010, p. 18). Elles relèvent à la fois d’une politique environnementale et d’aménagement du territoire.

La loi du Système National des Unités de Conservation et son décret d’application n’imposent pas l’élaboration d’un document cadre, stratégique qui définirait les orientations à long terme de la conservation et du développement de ce territoire. Le décret fixe leurs missions, mais pas leurs moyens. À ce jour, chaque Conseil de la mosaïque est donc a priori libre d’identifier les outils et la méthodologie à déployer pour atteindre leurs objectifs que sont :

  • la gestion intégrée (rendre compatibles et optimiser les activités de recherche, d’inspection et de gestion des unités de conservation de la mosaïque) et participative ;
  • la conservation de la biodiversité ;
  • la valorisation de la sociodiversité ;
  • et le développement durable dans un contexte régional (Art. 26, loi du SNUC n°9.985 du 18 juillet 2000).
     

Néanmoins une initiative du ministère de l’Environnement de 2005, fortement encouragée par les accords de coopération France-Brésil signés en 2004, incite les gestionnaires des mosaïques à mettre en œuvre un projet de territoire. Par le biais de son Fonds National de l‘Environnement (FNMA), le ministère de l’Environnement brésilien a lancé un appel à projets visant à la formation de mosaïques d’aires protégées dans chaque biome du Brésil ainsi que l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de « Développement Territorial de Base Conservationniste » (PDTBC) (FNMA, 2005a). À mi-chemin entre un programme d’actions et un projet de territoire, ce document stratégique pluriannuel, sans pouvoir normatif ni existence légale, est perçu par ces auteurs comme : « une alliance, un pacte mobilisateur de divers acteurs pour une même fin : développer un territoire, conserver la nature et apporter un bénéfice aux populations locales » (Delelis et Kurihara, 2014).

Le concept de « développement territorial de base conservationniste » a été développé par Ronaldo Weigand Jr., ancien fonctionnaire du ministère de l’Environnement. Il s’agit d’une forme de développement socio-économique qui s’appuie sur des activités de conservation de la nature :

«

« Le défi du DTBC est de promouvoir la génération de revenus à partir d’activités qui stimulent et promeuvent la conservation de la nature, incitant l’usage direct ou indirect de la biodiversité, pour renforcer, diversifier et améliorer les chaines productives/économiques dans le territoire. »

FNMA, 2005a, p. 8, traduit par l'auteure.

»

Ces produits et services issus de la conservation peuvent être, dans le cas d’usages directs : la gestion sylvicole du bois et des ressources non-boisées, la pêche durable, etc. et dans le cas d’usages indirects : l’usage public (tourisme, loisir, éducation), le paiement des services environnementaux (conservation du climat et de l’eau), la recherche et la bioprospection. Notons également que renoncer à utiliser certains espaces pour préserver la nature peut aussi être rémunéré (FNMA, 2005b). En somme, le développement de base conservationniste englobe toutes les actions de conservation ou de préservation de la nature permettant la création de revenus.

Le Fonds national de l’environnement, par son appel à projets, a permis le financement de la réalisation d’un plan de développement territorial de base conservationniste pour cinq mosaïques. La mise en œuvre de ce plan dépend ensuite de la capacité des acteurs à solliciter des partenaires et des financements extérieurs, essentiellement en répondant à des appels à projet. En effet, ni les pouvoirs publics, ni le ministère de l’Environnement n’ont de lignes budgétaires dédiées à l’animation de ces territoires et la mise en œuvre cette politique. Cette situation illustre une certaine ambiguïté voire instabilité politique. L'État fédéral a fait preuve d’innovation et volontarisme en créant législativement les mosaïques et en finançant l’émergence des premières d’entre elles, mais n’investit pas dans leur pérennisation ensuite.

2. La mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu, la première du cerrado

Après un aperçu général, la partie qui suit est consacrée au cas particulier de la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu. Ce territoire de plus de 1,5 millions d’hectares se situe dans le nord de l’État du Minas Gerais et empiète sur le sud de l’État de Bahia. On y trouve principalement le biome du cerrado((Deux graphies sont en concurrence pour écrire « cerrado ». La graphie cerrado, désigne plutôt la formation végétale et le biome, c'est un nom commun (d'où la minuscule initiale) de langue portugaise (d'où les caractères italiques), comme dans le mot vereda. La graphie Cerrado désigne plutôt la région naturelle, c'est un nom propre, d'où la majuscule initiale et les caractères droits (comme dans le mot Amazonie). Toutefois, la région naturelle et le biome recouvrant en grande partie une réalité commune, le choix a été fait dans cet article d'uniformiser avec la graphie cerrado.)) (savane tropicale semi-aride) et quelques zones de caatinga (forêt épineuse semi-aride) à l’est de la mosaïque (figure 2).

2.1. Le cerrado, une richesse menacée

Le biome cerrado est assez peu connu du grand public, notamment en France. Il occupe environ 22 % de la surface du Brésil. On recense une grande diversité de formations végétales (Figure 3) dont le cerrado typique (voir figure 4) ou les veredas (figure 5). Les veredas sont des milieux localisés en fond de vallée humide (sols hydromorphiques) et sont caractérisées par la présence du palmier buriti (Mauritia flexuosa) et d’autres espèces typiques des zones humides dont certaines graminées.

Figure 3. Les diverses formations végétales du cerrado
 

schéma Les diverses formations végétales du cerrado

Figure 4. le cerrado typique, une forêt basse aux arbres tortueux
 
  Lucie Morère — photographie Le Cerrado typique, une savane basse aux arbres tortueux  
 

Le cerrado est un biome complexe formé de différentes phytophysionomies. Cette photo illustre le cerrado typique ou ouvert. Cliché : Lucie Morère, Serra das Araras (Minas Gerais), mars 2013.

Figure 5. Une vereda et ses emblématiques palmiers buriti (Mauritia flexuosa)

Lucie Morère — photographie Une vereda et ses emblématiques palmiers buriti

Une vereda est une formation végétale typique du Cerrado. Cet écosystème se rencontre dans les fonds de vallées humides. Le sol est tourbeux et hydromorphe et propice à une strate herbacée de graminées. Cliché de Lucie Morère, à Serra das Araras (Minas Gerais), mars 2013.

 

Le cerrado accueille 5 % de la biodiversité mondiale et 20 000 sources qui irriguent huit des douze régions hydrographiques du Brésil (Aubertin et Pinton, 2012). Le cerrado est la savane la plus riche au monde. Outre la diversité d’espèces, c’est la nature endémique d’une partie d’entre elles qui les rendent singulières, puisqu’on ne les trouve, par définition, que dans le cerrado (figure 6).

Figure 6. Le Cerrado est la savane la plus biodiverse au monde
 

Lucie Morère — schéma endémisme au Brésil

Au-delà d’une forte biodiversité spécifique (nombre d’espèces différentes présentes), il s’agit surtout d’espèces endémiques, c’est-à-dire, que l’on ne retrouve que dans cette partie du monde. Cette situation conduit à considérer le Cerrado comme un point chaud de la biodiversité. Extrait de Source : Aguiar & Al., 2015, Cerrado, terra incógnita do século 21 ; traduction : Lucie Morère.

 

Le patrimoine naturel et paysager n’est pas le seul atout de ce territoire. Le patrimoine culturel y est également – voire « proportionnellement » – diversifié, riche et fragile. Ainsi nombreuses pratiques culturelles du nord du Minas s’inspirent, s’appuient, voire dépendent de la nature. Dans le sertão, l’intérieur rural et peu peuplé du Brésil, se trouvent les vastes terres du nord de l’État du Minas Gerais, qui sont appelées les gerais (générales). Différentes communautés rurales traditionnelles peuplent ces gerais. Ensemble, elles forment les geraizeiros. Parmi eux, on peut rencontrer : des quilombolas, des ribeirinhos (des « riverains », personnes vivant aux abords d’un fleuve ou de ses affluents), parmi lesquels se distinguent : les vazanteiros, qui cultivent dans les basses-terres, le lit mineur du cours d’eau (vazantes) ; les veredeiros, qui vivent de culture, de pêche et d’élevage aux abords des veredas ; les gaúchos, qui sont des agriculteurs issus du sud du Brésil ; des agriculteurs familiaux, qui sont des paysans vivant de cultures vivrières, d’élevage et d’extractivisme (au sens de cueillette) ; des chapadeiros, habitants des chapadas (formations géologiques des régions de faible altitude). Les indiens Xacriábas vivent aussi dans le nord du Minas Gerais (voir la localisation des terres indigènes figure 11). Chacun de ces groupes a des modes de vie typiques et dépendant de leurs milieux de vie et de leur environnement proche (Do Espírito Santo, 2014). Cette interrelation entre diversité biologique et diversité des systèmes socio-culturels est à la base du proto-concept de sociobiodiversité (Floriani et Rios, 2013 et Ministère de l'Environnement).

 
Encadré 3. La polysémie de l’extractivisme
 

Dans un article de 2017 sur Géoconfluences, repris dans le glossaire, Marine Duc définit l’extractivisme comme un mode d’accumulation de la richesse reposant sur l’extraction d’importantes ressources naturelles non transformées. Elle s’appuie sur la définition d’Alberto Acosta de 2013, en anglais, qui précise que cette pratique ne concerne pas que les minerais ou les hydrocarbures, mais aussi la pêche ou l’agriculture, en citant l’exemple du café en Colombie. Marine Duc rappelle aussi dans sa définition les origines brésiliennes du terme, appliqué initialement à l’exploitation commerciale du bois.

Dans le présent article, l’auteure se fonde sur une tout autre définition issue des documents législatifs brésiliens pour lesquels l’extractivisme est un « système d’exploration basé sur la collecte et l’extraction durable (ou soutenable) de ressources naturelles renouvelables » (extrativismo: sistema de exploração baseado na coleta e extração, de modo sustentável, de recursos naturais renováveis” – Loi du SNUC ou glossaire du ministère de l’Environnement).

On constate dès lors que le terme d’extractivisme, sans autre précision, peut selon le contexte désigner deux réalités radicalement opposées. Il peut évoquer aussi bien le prélèvement intensif et prédateur dans une logique capitaliste, que la cueillette raisonnée des ressources renouvelables dans une logique durable.

Entre les deux existe une acception beaucoup plus large du terme qui serait la suivante : « un système d’exploitation et de valorisation de ressources naturelles ». Les deux situations présentées ci-avant seraient des cas extrêmes (et opposés) d’extractivisme. Ces ambiguïtés justifient l’usage de l’adjectif « durable » ou « soutenable » lorsqu’on veut désigner un mode d’extraction qui permette le renouvellement de la ressource extraite.

Lucie Morère et Jean-Benoît Bouron, novembre 2018.

 

Depuis 1950, la moitié de la végétation native du cerrado a disparu. Cette déforestation (figure 7) est en partie « artisanale » et paysanne, mais surtout industrielle et due à l’agrobusiness. On y recense de l’arboriculture et des cultures maraîchères irriguées par pivot central (surfaces circulaires visibles sur la figure 8), des champs de soja et de graminées (Brachíária Brizantha) destinées à l’alimentation du bétail((Voir photos sur le site de la coopérative agricole de Chapáda Gaúcha [consulté le 02/03/2018].)), de l’élevage extensif, ou encore des plantations d’eucalyptus (figure 9) dédiées à la fabrication de charbon de bois venant notamment alimenter les sidérurgies du Minas Gerais.

Figure 7. La déforestation du cerrado
  Lucie Morère —  photographie Déforestation du Cerrado dans le município de Chapada Gaúcha  
 

Lucie Morère —  photographie Déforestation du Cerrado dans le município de Chapada Gaúcha

Ci-dessus et à gauche : Dans cette vaste plaine les gaúchos originaires de Rio Grande do Sul déforestent la végétation native pour planter des eucalyptus, des graminées (Capim brachiaria) et du soja. Cliché de Lucie Morère dans le município de Chapada Gaúcha (Minas Gerais), novembre 2013.

Photographie Mais où est passé le Cerrado ?

Ci-dessus à droite : dans le Parque Nacional da Chapada dos Veadeiros (Goias) « Mais où est passé le Cerrado ? ». Cette photo prise dans les abords du Parc national Chapada dos Veadeiros montre l’étendue des champs cultivés par l’agroindustrie. Communautés locales, ONG, scientifiques et artistes, tentent d’interpeler l’opinion publique sur l’état de la situation et des conséquences environnementales et sociales néfastes de ce modèle agricole. Source : Pedro Sangeon (Gurulino) sur Instagram.

 
 

Des projets de maraîchage et de fruiticulture de grande ampleur voient le jour aux abords du deuxième plus grand fleuve brésilien, le São Francisco. C’est le cas du « projet Jaíba » développé depuis les années 1950 dans le nord du Minas Gerais. L’eau du fleuve est déviée et alimente notamment de grands pivots qui arrosent les cultures en forme de cercle (bananes, citron, sorgho fourrager, citrouille, papaye…). Pour en savoir plus : http://www.projetojaiba.com.br/

Localisation : Sud-est du Parc national Cavernas do Peruaçu, (Municípios d’Itacarambi et Jaíba, Minas Gerais) (voir figure 11). Source : Images DigitalGlobe, CNES / Airbus, Google, 2018.

Figure 8. Les cultures par irrigation via un pivot central forment des surfaces circulaires sur la rive droite du fleuve São Francisco

image satellite Les cultures par irrigation via un pivot central forment des surfaces circulaires sur la rive droite du fleuve São Francisco

 
Figure 9. Les plantations d'eucalyptus ont été incitées par l'État fédéral pour la fabrication de charbon végétal qui alimente notamment les usines sidérurgiques du Minas Gerais
 

Lucie Morère — photographie Plantations d’eucalyptus

9a. Plantations d’eucalyptus aux abords du Parc d’État Veredas do Peruaçu (Minas Gerais). Cliché de Lucie Morère, 2013. 

 
  Lucie Morère — photographie Fours artisanaux pour la fabrication de charbon de bois d’eucalyptus Lucie Morère — photographie Fours artisanaux pour la fabrication de charbon de bois d’eucalyptus Lucie Morère — photographie Fours artisanaux pour la fabrication de charbon de bois d’eucalyptus  
  9b. Des fours artisanaux sont construits au pied des plantations d’eucalyptus. Le bois y est entreposé de manière très dense, le four est fermé par une porte de briques et le feu est mis au bois. Le bois est alors carbonisé par pyrolyse pour produire du charbon de bois. Cliché de Lucie Morère, photographie prise aux abords du Parc d’Etat Veredas do Peruaçu (Minas Gerais), 2013.  
 

Lucie Morère — photographie Fours artisanaux pour la fabrication de charbon de bois d’eucalyptus

Four artisanal pour la fabrication de charbon de bois à partir de la végétation native du cerrado aux abords du Parc d’Etat Veredas do Peruaçu (Minas Gerais).

Lucie Morère — photographie Fours artisanaux pour la fabrication de charbon de bois d’eucalyptus

Sacs de charbon de bois issu de la végétation native du cerrado en attente d’être acheminés aux acheteurs. Photographie prise aux abords du Refuge de la vie sylvestre Rio Pandeiros (Minas Gerais).

Lucie Morère — photographie Fours artisanaux pour la fabrication de charbon de bois d’eucalyptus

Les sacs de charbon végétal sont acheminés au sud du Minas Gerais par camion. Photo prise aux abords du Parc d’Etat Veredas do Peruaçu (Minas Gerais)

 

 
  9c. (ci-dessus) Depuis les années 1950, les habitants pauvres du nord du Minas Gerais (50 reais per capita et par mois) ont recours à la fabrication et vente de charbon de bois à partir de la végétation native du cerrado. Cela leur permet d’assurer un revenu minimal dans une région en manque d’emplois. La déforestation n’ayant eu de cesse d’augmenter (on comptait 900 fours illégaux sur le territoire de l’APA Pandeiros), l’Institut d’État aux Forêts de l’État du Minas Gerais a mené une opération de grande ampleur pour fiscaliser cette activité illégale, détruire les fours et parfois mettre une amende aux responsables. Cette opération soudaine, radicale et brutale a laissé de lourdes séquelles dans la région encore perceptibles à ce jour. Clichés : Lucie Morère, 2013.   
  9d. (ci-contre) Des convois de charbon végétal traversent le fleuve São Francisco. Le charbon quitte le nord du Minas Gerais pour probablement rejoindre les sidérurgies du sud. Cliché : Lucie Morère, 2016, ville de São Francisco, Minas Gerais Lucie Morère — photographie Des convois de charbon végétal traversent le fleuve São Francisco  

Le cerrado et sa diversité naturelle et culturelle sont aujourd’hui menacés par l’avancée du front pionnier agricole par le sud-ouest. La création d’une mosaïque d’aires protégées dans le nord du Minas Gerais vise notamment à contrer cette avancée, à renforcer l’efficacité des espaces protégés déjà en place et tenter d’apporter un autre modèle de développement, plus soutenable pour l’environnement et les sociétés locales.

>>> Sur le cerrado et la déforestation, lire aussi : Marion Daugeard et François-Michel Le Tourneau, « Le Brésil, de la déforestation à la reforestation ? », Géoconfluences, octobre 2018.

2.2. La mosaïque d’aires protégées Sertão Veredas-Peruaçu

Reconnue en 2009, cette mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu de plus de 1,5 millions d’hectares se situe sur la rive gauche du São Francisco, au nord de l’État du Minas Gerais (voir figures 10 et 11). Elle empiète sur le sud-ouest de l’État de Bahia. Officiellement, l’ordonnance du ministère de l’Environnement (n°128 du 24 avril 2009) ne reconnait que 11 unités de conservation. Mais dans la pratique, 18 aires protégées (liste disponible en figure 10) sont concernées, invitées au Conseil consultatif de la mosaïque, impliquées dans la création et la mise en œuvre du plan de développement territorial, ou encore inclues dans les cartes diffusées par les acteurs du territoire (à l’instar de la carte que nous avons reproduite figure 11).

Figure 10. Liste des aires protégées composant la mosaïque Sertão Veredas Peruaçu (SVP)
 
Catégorie Responsabilité Type d’UC ou d’aires protégées Nom
Superficie (ha)
Reconnaissance Gestionnaire Statuts des aires protégées vis-à-vis de la mosaïque SVP
Unité de Conservation de protection intégrale (UCI) Fédérale PN – Parc National Grande Sertão Veredas 230 671 1989 ICMBio* Reconnues par l’ordonnance officielle
(Ordonnance n°128 du 24 avril 2009)
PN – Parc National Cavernas do Peruaçú 56 800 1999 IEF*
Étatique PE – Parc d’État Veredas do Peruaçu 31 552 1994
PE – Parc d’État Serra das Araras 11 146 1998
PE – Parc d’État Da Mata Seca 10 281 2000
RVS – Refuge de la vie sylvestre Do Pandeiros 6 102 2003
Unité de Conservation d’utilisation durable
(UC d)
Fédérale APA – Aire de Protection Environnementale Cavernas do Peruaçu 146 900 1989 ICMBio*
Étatique APA – Aire de Protection Environnementale Do Pandeiros 393 060 1995
IEF*
APA – Aire de Protection Environnementale Cocha-Gibão 284 468 2004
RDS - Réserve de Développement Durable Veredas do Acari 60 975 2003
Privées RPPN – Réserve privée du Patrimoine Naturel Do Porto Cajueiro 8 470 2005 IDESE*
RPPN – Réserve privée du Patrimoine Naturel Veredas do Pacari 347 2004
Le propriétaire privé du site
Non reconnues officiellement mais présents sur les cartes diffusées par le Conseil de la mosaïque
RPPN – Réserve privée du Patrimoine Naturel Da Arara Vermelha 248 2005
RPPN – Réserve privée du Patrimoine Naturel Fazenda Ressaca
4 055
1998
Aire légalement protégée Fédérale Reserva Indígena Dos Xacriabá
56 800
1996 FUNAI*
Reserva Indígena
Dos Xacriabá Rancharia
6 791 2005
Aire protégée Non concernées (étatique) Corridor écologique Do Rio do Ouro 39 642 2003 ICMBio*
Corridor écologique Dos Buracos 79 846
UCI Étatique EE – Station Écologique De Sagarana 2343 2003 IEF* Reconnues par le Conseil en décembre 2014 mais absents des cartes
Municipale PME – Parc municipal écologique et culturel Salustriano 3,28 2013
Municipalité de São João das Missões

*ICMBio : Institut Chico Mendes de la biodiversité, IEF : Institut d’Etat aux Forêts (du Minas Gerais), IDESE : Institut pour le développement social et écologique (d’après le Journal de la Mosaïque, n°1, 1er trimestre 2010, p. 7), FUNAI : Fondation Nationale de l’Indien.
Réalisation : Lucie Morère, 2017 d’après la Portaria (ordonnance) du Ministère de l’Environnement n°128, du 24 avril 2009 et d’après nos échanges par mail avec le Directeur de l’ONG Funatura.

Figure 11. Carte de la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu
 

Lucie Morère — Carte de la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu

Carte : Lucie Morère, 2018, d’après IBGE et Funatura. Voir la carte en très grand.

Le tableau et la carte (figures 10 et 11) illustrent la diversité des espaces protégés qui composent la Mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu. On retrouve aussi bien des unités de conservation de protection intégrale que des unités de conservation à usages durables ; des unités qui relèvent du gouvernement fédéral, de l’État ou des municípios. Des terres indigènes et corridors écologiques sont également présents. Ces espaces sont représentés sur les cartes diffusées par le Conseil de la Mosaïque bien que tous ne soient pas inscrits dans la liste officielle des composantes de la Mosaïque que l’on retrouve dans l’ordonnance du Ministère de l’Environnement.

 

Les difficultés et opportunités communes à ces aires protégées justifient leur organisation en mosaïque. C’est l’ONG Funatura (Fundação Pró-Natureza) qui est à l’origine de la création de cette mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu. Active dans la région depuis la fin des années 1980 (l’ONG est à l’origine de la création de l’emblématique Parc national Grande Sertão Veredas), cette ONG est très reconnue et respectée tant des populations locales que des institutions. L’appel à projet du ministère lancé en 2005 a motivé l’ONG qui y a vu « la possibilité de travailler à la conservation de la région sur un territoire plus ample, de façon intégrée, en impliquant les acteurs locaux et visant le développement durable de la région, en prenant en compte l’existence d’unités de conservation » (Do Espírito Santo, 2014, p. 626, traduit par l’auteure).

Les nombreux rendez-vous techniques et réunions publiques auprès des gestionnaires des unités de conservation, des terres indigènes et des associations environnementales ou culturelles du territoire ont permis à la Funatura de fédérer ces différents acteurs pour créer la mosaïque. Ils se sont volontairement engagés à constituer un Conseil de la mosaïque et à réaliser un Plan de développement territorial de base conservationniste (PDTBC).

Le Conseil consultatif de la mosaïque comprend deux collèges : celui des représentants des acteurs du gouvernement et celui des acteurs de la société civile. Chacun est composé de 22 conseillers, dont le mandat est de deux ans. La loi du SNUC incite à ce qu’une diversité d’acteurs soit représentée, tels que les représentants de la communauté scientifique, des ONG environnementales, des populations résidant aux abords des UC, des populations traditionnelles, propriétaires immobiliers de terres à l’intérieur des UC, des travailleurs du secteur privé… Les conseillers se réunissent tous les trois mois en réunion plénière. Toute personne intéressée est libre d’y assister. Des groupes techniques restreints peuvent être mis en place sur des sujets ou projets ponctuels.

Le Conseil de la mosaïque ne dispose pas de sa propre équipe technique pour proposer ou animer des projets. C’est le secrétaire (élu parmi les représentants de la société civile) et le président (élu parmi les gestionnaires des UC) qui réunissent et animent le Conseil. Les projets du Plan de développement territorial de base conservationniste sont portés par des entités membres du conseil, volontaires, qui se chargent de leur animation et mise en œuvre. La mosaïque n’a pas de financement propre non plus. Il convient au Conseil de la mosaïque et à ses membres de se procurer des fonds pour mettre en œuvre leur projet de territoire.

Un premier projet de territoire a été réalisé sous la coordination de la Funatura. Un diagnostic de territoire réalisé par des experts en consultation des acteurs et populations locales a fait émerger trois axes de travail. Chacun a fait l’objet d’un groupe de travail restreint pour décliner ces axes en projets opérationnels. Les trois axes sont : l’extractivisme végétal durable du cerrado, le tourisme écoculturel communautaire et la gestion intégrée des unités de conservation de la mosaïque.

2.3. L’extractivisme végétal durable du cerrado

L’extractivisme durable est un système d’exploitation basé sur la collecte, l’extraction et la valorisation de manière soutenable de ressources naturelles renouvelables (voir encadré 3). Les ressources végétales du cerrado peuvent être aussi bien valorisées pour l’alimentation, l’industrie cosmétique, la pharmacie, la médecine, la construction d’objets de décoration, d’ustensiles domestiques ou de mobilier, ainsi que pour la production d’énergie « propre ». Mais le projet porte ici essentiellement sur les fruits du cerrado comme le pequi, l’araticum, le jatobá, mangaba, le caj (figure 12) cagaïta ou le butiti (figure 13) qui sont très riches en fibres, protéines, vitamines, minéraux, acides gras saturés et insaturés et constituent une ressource à fort potentiel de valorisation alimentaire et économique. Ce projet, coordonné par la coopérative agroextractiviste Sertão Veredas installée à Chapada Gaúcha et financé par la Caixa (caisse économique fédérale), prévoyait de développer toute la filière extractiviste. Cela comprenait des actions de formation d’agriculteurs familiaux et habitants à la cueillette et à la transformation des ressources végétales, d’éducation à l’environnement, d’organisation communautaire, des visites de structures en activité, de l’accompagnement technique sur le terrain, la fourniture et installation de machines et infrastructures.

En 2014, le WWF Brésil et la coopérative agroextractiviste Sertão Veredas ont mené une enquête sur le potentiel économique de l’extractivisme végétal au sein de la mosaïque. En 2013, les récoltes des 48 communautés interviewées atteignaient environ 494 tonnes comme indiqué dans la figure 14. Cela comprenait 227,05 tonnes de favela (Dimorphandra mollis) et 223,4 tonnes de pequi (Caryocar brasiliense). Au-delà d’améliorer le régime alimentaire, l’activité économique induite apporterait un revenu complémentaire à environ 2 276 familles du territoire de la mosaïque.

Par exemple, aux abords du Parc national Peruaçu où est implantée la récente coopérative COOPERUAÇU (une des trois installées sur le territoire de la mosaïque), 70 familles récoltent, transforment et vendent 400 kg de pequi par saison, pour un revenu de 3 000 reais (soit environ 650 €) (Campos, 2018)((De Carvalho (2008, p. 32), indique qu’en moyenne la coopérative Grande Sertão située à l’ouest de la mosïque achète les fruits livrés bruts 0,46 reais le kilo.)). Ces revenus, certes modestes, n'en sont pas moins salvateurs dans cette région pauvre du Brésil. Le potentiel de développement de ces filières est très important. Les principales difficultés des trois coopératives résident dans l’accès aux marchés et à la distribution des produits. Une part significative des produits (jusqu’à 80 % pour la coopérative « Grande Sertão » pour l'année 2005) est dédiée aux cantines scolaires, crèches et hôpitaux alentours (De Carvalho, 2008), et aux marchés locaux et régionaux. Quelques contrats ont aussi été signés pour des exportations du pequi vers le Japon par exemple (Morère, 2017).

Figure 12. Le cajuí est cueilli, stocké et transformé via la filière extractiviste
12a. Le cajuí, un fruit du cerrado 12b. Les cajuís sont conservés dans des congélateurs en attendant d’être transformés 12c. Les cajuís sont décongelés et cuits pour en faire une compote 12d. Pot de compote de cajuís

Lucie Morère — photographie Le Cajuí, un fruit du cerrado

L’Anacardium nanum et l’Anacardium humile sont des espèces de cajou natives du cerrado qui sont encore peu étudiées. Ce fruit acidulé de couleur orange à rouge à maturité est consommé nature, transformé en jus de fruits ou en desserts sucrés notamment.

Lucie Morère — photographie Les Cajuís sont conservés dans des congélateurs en attendant d’être transformés

Le projet sur l’extractivisme végétal durable du cerrado a permis l’acquisition et la distribution de différents équipements, dont des congélateurs, nécessaires au développement de cette filière.

Lucie Morère — photographie Les Cajuís sont décongelés et cuits pour en faire une compote

Une habitante de Januária membre de la coopérative agroextractiviste de Pandeiros utilise les fruits cueillis collectivement pour faire de la compote.

Lucie Morère — Pot de compote de Cajuís

Les membres de la coopérative agroextractiviste de Pandeiros participent régulièrement à des foires pour faire connaitre et vendre leurs productions.

Clichés : Lucie Morère, 2015 (b et c)  et 2017 (a), sauf 12d : extrait de : Cooperativa dos Pequenos Produtores Agroextrativistas de Pandeiros LTDA, 2015.
Figure 13. La chaire orangée du buriti sert notamment à la confection de pâte de fruit et de confiture
   

13a. Le palmier buriti 

Lucie Morère — photographie Le palmier buriti (Mauritia flexuosa)

13b. Le fruit comestible du buriti

Lucie Morère — photographie Le fruit comestible du buriti

 
   

13a. Ce palmier (Mauritia flexuosa) se rencontre dans divers endroits du nord de l’Amérique du Sud. Dans le cerrado, on le retrouve principalement au niveau des fonds de vallées humides, dans les veredas. Outre ses fruits qui sont comestibles, les branches séchées sont utilisées dans la construction de mobilier, les feuillages servent à réaliser des toitures d’habitations traditionnelles et leurs fibres permettent par exemple la conception de cordes.

13b. Ce fruit de la taille d’une balle de golf a une peau dure en forme d’écaille et une chaire orangée.

Clichés : Lucie Morère, Itacarambi, 2015 (13a) et coopérative agroextractiviste Sertão Veredas, à Chapada Gaúcha, Minas Gerais, 2014 (13b).

 
 

13c. Sacs de pulpe déshydratée de buriti

Lucie Morère — photographie Sacs de pulpe déshydratée de buriti

13d. Pâte de fruits de buriti

Lucie Morère — photographie Pâte de fruit de buriti

 
 

13c. Pour être conservée, la chaire du fruit est extraite, séchée au soleil puis emballée et stockée à l’abri de la lumière et de l’humidité. Dans le cadre du projet sur l’extractivisme végétal durable du cerrado mené sur le territoire de la mosaïque, des formations à ces bonnes pratiques ont été dispensés aux agriculteurs familiaux volontaires.

13d. La coopérative agroextractiviste Sertão Veredas de Chapada Gaúcha est équipée en matériel permettant la fabrication et l’emballage de petites portions de pâte de fruits. Les écoles alentours font partie de leurs clients.

Clichés : Lucie Morère, coopérative agroextractiviste Sertão Veredas, à Chapada Gaúcha, Minas Gerais, 2014.

 

 

Lucie Morère — photographie Confiture de buriti

13e. Confiture de buriti

Cette confiture de buriti a été produite dans la coopérative agroextractiviste du Val du Peruaçu, récemment implantée à l’est de la Mosaïque. Cliché : Lucie Morère, 2016, Communauté d’Areiã, Município de Januária (Minas Gerais).

Lucie Morère — photographie Farine de Buriti

13f. Farine de buriti

La chair du buriti peut aussi être transformée et conservée sous forme de farine, propice à l’élaboration de gâteaux. Cliché : Lucie Morère, 2013, Coopérative agroextractiviste Sertão Veredas, à Chapada Gaúcha (Minas Gerais).

Lucie Morère — photographie Stand de la coopérative extractiviste lors de la fête annuelle

13g. Stand de la coopérative extractiviste Grande Sertão

Les productions de la coopérative agroextractiviste Sertão Veredas sont exposées annuellement lors de la « Rencontre des peuples du Grande Sertão Veredas » qui se tient dans le centre-ville de Chapada Gaúcha pour valoriser la culture sertaneja. Le tableau des prix au premier plan à droite indique les différentes saveurs de glace en bâtonnet (picolé) ou non (sorvetes). Lucie Morère, 2014, Chapada Gaúcha (Minas Gerais).

Figure 14. Production extractiviste dans la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu
 

WWF-Brasil —  graphique Fruits récoltés en 2013 dans 48 communautés de la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu

Ce graphique illustre la diversité des fruits concernés par l’extractivisme dans le nord du Cerrado et la cueillette réalisée en 2013. Une étude complémentaire permettrait d’identifier la quantité exploitable de manière soutenable, afin de souligner le potentiel de cette activité économique. Source : WWF-Brasil, 2014. Voir l'original en portugais.

 

2.4. Le tourisme éco-culturel communautaire

Cette forme de tourisme est dite éco-culturelle car elle s’appuie sur la valorisation durable des patrimoines naturels et culturels, et elle est dite communautaire car ces services sont orchestrés et fournis par les communautés locales directement. Les communautés reçoivent chez elles, présentent leurs modes de vie locaux, cuisinent des recettes traditionnelles, proposent des services de guide pour visiter le patrimoine alentours (figure 15).

Ce projet, coordonné par l’ONG Instituto Rosa e Sertão et financé par la Caixa également, prévoyait sept objectifs : la réalisation de formations, des visites par les membres des communautés de la mosaïque des lieux où le tourisme éco-culturel est déjà amorcé, la valorisation de la culture traditionnelle, l’organisation communautaire, l’amélioration des infrastructures, l’élaboration de plans directeurs dans les municípios et le développement du marketing territorial.

Une enquête complémentaire serait à mener pour évaluer les retombées de ce projet. Néanmoins, d’après la coordinatrice du projet, plusieurs résultats positifs peuvent être avancés. À l’est de la mosaïque, aux environs du parc national Cavernes du Peruaçu, le collectif de guides s’est renforcé (plus nombreux et plus organisés) et deux opérateurs touristiques ont été formés par les communautés. A l’ouest, la marche annuelle « Caminho do Sertão » qui suit les principes du tourisme de base communautaire fait de plus en plus d’adeptes. Ces marcheurs font une halte dans la communauté quilombola de Buraquinhos, où 5 familles reçoivent dorénavant chez elles. L’idée commence à séduire également quelques membres de la terre indigène Xacriabá.

Figure 15. Les futurs prestataires de tourisme communautaire découvrent les points forts du territoire de la mosaïque et s’hébergent mutuellement

Lucie Morère — Les participants du projet découvrent des chemins de randonnées

15a. Les participants du projet découvrent des chemins de randonnées

Lucie Morère — photographie Les participants du projet visitent la maison de la culture de Serra das Araras

15b. Les participants du projet visitent la maison de la culture de Serra das Araras

Lucie Morère — photographie les futurs prestataires de tourisme communautaire s’hébergent mutuellement

15c. Les futurs prestataires de tourisme communautaire s’hébergent mutuellement

15a et b. Dans le cadre du projet de développement du tourisme communautaire, un groupe de potentiels futurs prestataires issus de tout le territoire de la Mosaïque a été réunis. Des visites ont été organisées pour qu’ils prennent connaissance ou partagent leurs connaissances sur les points d’attraction du territoire. 

Clichés : Lucie Morère, 2015, Corridor écologique des Buracos (15a), Município de Chapada Gaúcha (15b), Village de Sagarana (15c). Minas Gerais, Brésil.

15c. Les futurs prestataires de tourisme s’hébergent mutuellement. Cela permet de tester la qualité de l’accueil et d’identifier des pistes de progression. Des débats collectifs sont menés sur le juste prix à fixer pour les différentes prestations : hébergement, restauration, guide…

2.5. La gestion intégrée des unités de conservation de la mosaïque

Il s’agit ici de promouvoir une gestion collective et collaborative des unités de conservation et plus largement de tout le territoire de la mosaïque. Cela se traduit par l’instauration et l’animation du Conseil de gestion de la mosaïque pour assurer une gouvernance territoriale et porter des actions communes. Ces actions sont par exemple l’organisation de séminaires pour mieux échanger sur les problèmes communs et les solutions à adopter pour la gestion de la ressource en eau, la prévention et la maîtrise des incendies (figure 16), la régularisation de la situation foncière dans les unités de conservation…. Cette gestion intégrée implique également la mutualisation de moyens (voitures de services, brigades anti-incendie, données…) ou le soutien collectif de projets d’envergure, comme la création d’un fonds pérenne pour la mosaïque ou encore la création de la « route des parcs », qui suit en partie le tracé de la route nationale BR 479, toujours non bitumée en 2018.

Figure 16. La gestion des incendies criminels ou involontaires au sein de la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu
 

Lucie Morère — photographie Le cerrado après un incendie

16a. Le cerrado après un incendie

La gestion des incendies criminels ou involontaires est un défi commun des gestionnaires des unités de conservation de la Mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu. Cliché : Lucie Morère, novembre 2016

 
16b. Les moyens de la lutte contre les feux de forêts

 

Lucie Morère — photographie Instruments servant à éteindre les feux de forêt Lucie Morère — photographie Pompier de la brigade de prévention et de combat des feux de forêt  
 

À gauche, du matériel entreposé à la caserne de Januária. Les équipes de pompiers l’utilisent pour intervenir dans différentes unités de conservation du nord du Minas Gerais. À droite, un pompier de la brigade de prévention et de combat des feux de forêt. Les pompiers contractualisés chaque année interviennent dans plusieurs unités de conservation. Le Conseil de la mosaïque incite les gestionnaires du territoire à gérer cette problématique ensemble (des réunions d’information sont organisées, un séminaire sur le thème du feu a eu lieu, des partenariats sont montés pour mutualiser les moyens…)

Clichés : Lucie Morère, 2016, à Januária (Minas Gerais)

 

3. Le développement territorial au service de la conservation

Les intentions et expérimentations à l’œuvre au sein de la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu entrent en résonance avec les postulats du proto-concept de développement territorial (Carrière, Hamdouch et Iatu, 2016 ; Campagne et Pecqueur, 2014). Ce développement se met en œuvre sur et par un territoire construit (et non un territoire administratif donné). Il s’appuie sur la valorisation des atouts du territoire (ressources territoriales) par un réseau d’acteurs surtout locaux, mobilisés autour d’un projet commun qualitatif et soutenable, en articulation avec les autres échelles infra ou supra-territoriales. Le développement territorial – résolument enraciné dans la dynamique d’acteurs pluriels – appelle et nécessite l’instauration d’une gouvernance territoriale. La prédominance des acteurs sociaux locaux et de leurs initiatives questionne et réinvente le rôle des pouvoirs publics et la nature des politiques publiques. L’acteur public planificateur devient un partenaire accompagnateur pouvant jouer un rôle de garant de la bonne articulation des enjeux et intérêts, et de la construction d’un consensus. Autant de caractéristiques propices aux espaces protégés, où les gestionnaires et acteurs cherchent à protéger leurs patrimoines spécifiques (naturels et culturels) tout en les valorisant, en marge du modèle hégémonique de développement capitaliste inadéquat pour ces territoires.

Par conséquent, le développement territorial nous apparait être une voie prometteuse pour concilier protection et développement dans des territoires riches et fragiles que sont les espaces protégés.

Suite à notre analyse (Morère, 2017), plusieurs enjeux à relever par les acteurs publics et sociaux du territoire apparaissent. Ils sont développés dans l’encadré 4. Nous espérons que le nouveau Plan de développement territorial de la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu, actuellement en cours de construction (courant 2018), saura dépasser les écueils pointés ici et créer une nouvelle vague fédératrice et mobilisatrice.

 
Encadré 4. Cinq caractéristiques du développement territorial à approfondir pour la mosaïque Sertão Veredas-Peruaçu
 
Territoire construit :

Favoriser davantage l’appropriation et la co-construction du territoire de la mosaïque, notamment de la part des municípios, des petites structures locales, des acteurs économiques et des habitants de ces territoires.

Gouvernance territoriale :

Permettre une amélioration continue de l’organisation et du fonctionnement du Conseil de la mosaïque de façon à pouvoir donner plus de voix et de pouvoir à la diversité de ses membres. Si de nombreux efforts sont déjà réalisés (composition partiaire entre les deux collèges ; changement du lieu des réunions du Conseil pour favoriser la participation de tous, …) une réelle implication aux discussions et décisions reste difficile (conversations très techniques, peu de culture de la prise de parole en public, jeux de pouvoirs…).

Mobilisation des acteurs locaux :

Les gestionnaires des espaces protégés de la mosaïque, des ONG et des coopératives locales font partie intégrante de la création, de la définition et de la mise en œuvre du projet de territoire de la mosaïque (le PDTBC). Néanmoins, de nombreuses autres forces vives du territoire sont peu ou pas effectivement impliquées de manière déterminante (les associations communautaires par exemple). Elles ne sont pas les auteurs des projets qui sont mis en œuvre. Les propositions initiales sont encore trop souvent le fruit des gestionnaires publics d’espaces protégés ou des ONG nationales et exogènes aux territoires, à l’instar de la Funatura ou du WWF Brésil.

Différenciation qualitative par l’activation de leurs ressources territoriales :

Les projets portant sur l’extractivisme durable des ressources végétales du cerrado et le tourisme éco-culturel communautaire correspondent à un processus de métamorphose de « ressources territoriales ». Autrement dit, une coordination d’acteurs réunie autour d’une vision commune et favorable de ces ressources végétales du cerrado et de leur patrimoine naturel et culturel entreprend de faire valoir leurs spécificités et de les valoriser.

Néanmoins, les productions extractivistes peinent encore à prouver leurs différences et spécificités (que permettrait l’obtention d’un label géographique ou biologique par exemple). Elles sont à ce jour en concurrence avec d’autres produits a priori similaires, que l’on retrouve ailleurs dans le cerrado. Elles restent au stade de produit « générique » et non « spécifique ».

Ce n’est pas le cas du tourisme de base communautaire, dont les ressources (les patrimoines naturels et culturels locaux) sont indéniablement spécifiques. La difficulté ici résulte plutôt dans l’organisation de la coordination d’acteurs, et la montée en puissance de la valorisation (ici marchande) de ces spécificités. En clair, l’activité touristique est encore très timide et rapporte assez peu aux communautés.

L’articulation des initiatives locales comme nouveau rôle de l’acteur public :

Le pouvoir public fédéral a bien eu un rôle d’incitateur de la création de la mosaïque et de son plan de développement territorial de base conservationniste via l’appel à projet publié en 2005, mais moins d’accompagnateur. Il est moins présent sur la mise en œuvre du projet de territoire, mis à part via la participation des gestionnaires des unités de conservation fédérales, rattachés à l’ICMBio (l’Institut Chico Mendes de la Biodiversité) et ceux des unités de conservation de l’État du Minas Gerais, rattachés à l’IEF-MG (l’Institut d’État aux Forêts du Minas Gerais).

Les pouvoirs publics locaux (quelques municípios) tentent tant bien que mal de se positionner comme des partenaires et de contribuer à la mise en œuvre des deux projets que comporte le plan de développement territorial de base conservationniste. Ce soutien reste menu (mobilisation d’un ou deux agents, prêts de locaux et matériels, aide à la communication…)

Quoi qu’il en soit, ces acteurs publics (du local au fédéral) ne sont pas des articulateurs d’initiatives locales comme le suggère la littérature sur le développement territorial. Ils gagneraient à devenir des accompagnateurs d’acquisition de capacités des acteurs sociaux. Ceux-ci pourraient alors être en mesure de porter des initiatives locales ascendantes en faveur du développement et de la conservation de leur territoire, et ainsi, devenir des partenaires de la conservation.

 

 

4. La place des mosaïques dans un arsenal d’outils

Après avoir pris connaissance du fonctionnement des mosaïques d’aires protégées en général et aperçu la situation d’un cas d’étude particulier, la partie qui suit met en perspective et contextualise cet outil spécifique au sein d’un arsenal national.

4.1. Le Brésil, créateur majeur d’espaces protégés

Dans la plupart des pays, les espaces protégés sont au cœur des politiques environnementales. Le Brésil n’est pas en reste. Si ce pays est connu pour être un champion de la production de bovins et de soja, deux activités au cœur de la déforestation brésilienne, il est aussi très impliqué dans la création d’espaces protégés. En témoigne cette carte (figure 17) nous indiquant que ces espaces « protégés » représentent près d'un tiers du territoire brésilien. En effet, le programme pour l’environnement des Nations Unies qui prend aussi en compte les terres indigènes en plus des unités de conservation dénombre en 2016 2 494 506 km² d’espaces protégés terrestres, soit 29,25 % du territoire((Les méthodes de calcul utilisées sont consultables sur : https://protectedplanet.net/country/BR.)).

Concernant les seules unités de conservation terrestres, le ministère de l’Environnement brésilien comptait, en 2017, 1 496 900 de km², soit 17,6 % du territoire terrestre. Cela souligne l’importance des terres indigènes dans la matrice nationale de protection de l’environnement.

Figure 17. Planisphère des espaces protégés dans le monde
 

Jean-Benoît Bouron — Planisphère des espaces protégés dans le monde

Ce planisphère exploite les données de la Banque Mondiale, mais d'autres données peuvent générer des résultats différents (par exemple la World Database on Protected Areas issue du Programme des Nations Unies pour l’Environnement). On voit l’effort conséquent des pays de l’Amérique du Sud dont le Brésil (29 %) pour créer des espaces protégés, bien que rien ne soit dit ici sur leur nature ou leur gestion effective. Le Venezuela, la Nouvelle-Calédonie et la Slovénie sont les trois territoires où la superficie protégée dépasse 50 %. Réalisation : J.-B. Bouron, Géoconfluences, 2018, licence CC BY-NC-SA.

 

Les premiers espaces protégés brésiliens s’inspirent de l’idéologie nord-américaine de préservation de la wilderness, c’est-à-dire d’une protection stricte d’une nature « sauvage » et « vierge » que d’aucuns associent au mythe du paradis. Les premiers parcs nationaux au Brésil sont ceux de Itatiaia en 1937, Iguaçu, Serra dos Orgãos et Sete Quedas en 1939. Mais c’est surtout lors de la décennie 1970 que l’on assiste à une prolifération des parcs et réserves et de l’apparition des ONG de la conservation au Brésil (Mittermeier et al., 2005). Ainsi, le XXe siècle a été celui de la création d’une grande diversité de types d’espaces protégés, parfois redondants (deux catégories renvoyant aux mêmes objectifs et moyens de protection) et administrés par des organisations publiques aux compétences superposées. Tandis que le début du XXIe siècle se caractérise par l’aboutissement d’un effort de clarification et de simplification marqué par l’instauration en 2000 du SNUC (Système Nationale des Unités de Conservation), qui était en gestation depuis 1970. Cette nouvelle législation est innovante à plusieurs titres. Pour Marta Irving, elle « a transformé le pays en une icône de l’innovation en matière de politiques de protection de la nature en Amérique Latine » (Irving, 2014, p. 173).

4.2. Des espaces de préservation et des espaces de développement durable

Le Système National des Unités de Conservation distingue deux catégories d’unités de conservation (figure 18). On retrouve d’un côté les espaces protégés plus restrictifs, les unidades de conservação de proteção integral (unités de conservation de protection intégrale), en bleu dans la figure 18. Seul un usage indirect de la nature y est permis (recherche scientifique, tourisme). Ces unités de conservation (UC) correspondent aux catégories I à III de l’UICN. De l’autre côté on retrouve les espaces protégés favorables aux activités de développement et à l’usage durable des ressources naturelles : les unidades de conservação de uso sustentável (unités de conservation à usage durable), en vert dans la figure 18. Elles correspondent aux catégories IV à VI de l’UICN. Cette catégorisation rappelle la nécessaire complémentarité et articulation de ces outils (revoir l’encadré 1).

Figure 18. Les deux catégories d'unités de conservation au Brésil

 

Catégorie Type d’UC Objectif de l’Unité de Conservation Propriété du foncier
Unité de conservation de protection intégrale (catégories I à III de l’UICN) Station écologique
  • Préservation de la nature
  • Réalisation de recherches scientifiques
Domaine public (expropriation et rachat des terres privées)
Réserve biologique
  • Préservation intégrale de la faune et la flore et autres attributs naturels.
  • Interdire les interférences humaines directes ou modifications environnementales.
  • Seules des mesures de restauration des écosystèmes altérés et des actions de gestion nécessaires pour restaurer ou préserver l’équilibre naturel, la diversité biologique et les processus écologiques naturels sont acceptées.
Domaine public (expropriation et rachat des terres privées)
Parc national, d’État ou
Parc naturel municipal
  • Préservation des écosystèmes naturels de grande pertinence écologique et de beauté scénique.
  • Recherches scientifiques, activités d’éducation, de loisirs et de tourisme écologique permis.
Domaine public (expropriation et rachat des terres privées)
Monument naturel
  • Préservation des sites naturels rares, singuliers ou de grande beauté scénique.
  • Les visites sont soumises aux conditions établies par le gestionnaire de l’espace protégé.
Un terrain classé monument naturel ou refuge de la vie sylvestre peut rester privé si les usages de la terre et des ressources sont compatibles avec les objectifs de conservation. Sinon, il y a expropriation.
Refuge de la vie sylvestre
  • Protection des milieux de vie et de reproduction d’espèces ou de communautés de flore locale ou de faune résidente ou migratrice.
  • Les recherches et visites sont soumises aux conditions établies par le gestionnaire de l’espace protégé.
Unité de conservation à usage durable (catégories IV à VI de l’UICN) Aire de protection environnementale
  • Il s’agit d’une surface généralement grande, avec une occupation humaine variable. Elle est dotée d’attributs abiotiques, biotiques, esthétiques ou culturels particulièrement importants pour la qualité de vie et le bien-être des populations humaines. Son objectif est de protéger la diversité biologique, contrôler le processus d’occupation et garantir la durabilité de l’utilisation des ressources naturelles.
Peuvent être constituées de terres publiques et privées.
Aire d’intérêt écologique
  • C’est un espace généralement de faible étendue, avec peu ou pas d’occupation humaine et des caractéristiques naturelles extraordinaires ou qui abrite des exemplaires rares du biote régional. Son objectif est de maintenir les écosystèmes naturels d’importance régionale ou locale et de réguler l’utilisation de ces espaces, afin de les rendre compatibles avec les objectifs de conservation de la nature.
Forêt nationale, d’État ou municipale
  • C’est un espace couvert de forêt surtout composée d’espèces natives. L’objectif de base est l’utilisation multiple et durable des ressources forestières et des recherches scientifiques, en mettant l’accent sur les méthodes d’exploitation durable des forêts natives.
Domaine public (expropriation et rachat des terres privées). Les populations traditionnelles présentes avant son instauration sont tolérées.
Réserve extractiviste
  • C’est un espace utilisé par les populations traditionnelles qui vivent de l’extractivisme et de manière complémentaire, de l’agriculture de subsistance et de l’élevage de petits animaux. Les objectifs principaux sont la protection des milieux de vie et de la culture de ces populations, et d’assurer l’utilisation durable des ressources naturelles de cette unité de conservation.
Domaine public (expropriation), mais avec l’usufruit concédé aux populations extractivistes traditionnelles.
Réserve de faune
  • C’est un espace naturel peuplé d’animaux terrestres ou marins natifs, résidents ou migratoires.
  • Des études technico-scientifiques sur la gestion économique durable des ressources faunistiques y sont réalisées.
Domaine public (expropriation et rachat des terres privées).
Réserve de développement durable
  • C’est un espace naturel qui abrite des populations traditionnelles, dont l’existence est basée sur des systèmes durables d’exploitation des ressources naturelles développés de génération en génération et adaptés aux conditions écologiques locales, et qui exercent un rôle fondamental dans la protection de la nature et le maintien de la diversité biologique. L’objectif principal est de protéger la nature tout en assurant les conditions et moyens nécessaires pour la reproduction et l’amélioration des modes et qualité de vie, et l’exploitation des ressources naturelles des populations traditionnelles ; ainsi que conserver et approfondir les connaissances et les techniques de gestion de l’environnement, développées par ces populations.
Domaine public (expropriation et rachat des terres privées).
L’usage des terres occupées par les populations traditionnelles sera régulé en accord avec les dispositions de l’art. 23 de cette loi et une règlementation spécifique.
Réserve privée de patrimoine naturel
  • C’est un espace privé, enregistré comme réserve privée à perpétuité. L’objectif est de conserver la diversité biologique. Leur fonctionnement est régi par un décret à part n°5.746, du 5 avril 2006.
Les terres appartiennent obligatoirement à un privé (personne physique ou morale)

Source :d’après le Système National des Unités de Conservation, loi n° 9.985 du 18 juillet 2000. Traduction : Lucie Morère.

Ces différentes unités de conservation sont présentes dans tout le pays. Néanmoins la carte ci-dessous (figure 19) montre bien leur répartition inégale.

Figure 19. Répartition des unités de conservation par biome
 

Lucie Morère — carte Répartition des unités de conservation dans les biomes brésiliens (2017)

Réalisation : Lucie Morère, 2018. Source : IBGE, CNUC/MMA, 2017

 

Certain biomes (macro-écosystèmes) sont plus concernés que d’autres. En effet, en 2017, 27,3 % de la forêt amazonienne étaient théoriquement protégés par une unité de conservation (toutes catégories confondues) ce qui représente 334 UC pour 1 146 449 km² (dont un tiers sont des unités de protection intégrale). Tandis que seulement 8,3 % du cerrado étaient concernés par une unité de conservation, soit 389 UC pour un total de 169 608 km² (d’après CNUC/MMA, 2017).

Si le Brésil a connu une progression majeure de son nombre d’espaces protégés, des efforts restent encore à faire pour atteindre la quantité et la représentativité des milieux qu’il s’est engagé à protéger en 1992 suite à la signature de la Convention sur la Diversité Biologique des Nations Unies (30 % du biome Amazonien, et 10 % de chaque autre biome).

Le Système National des Unités de Conservation (SNUC) n’a pas seulement permis la clarification et la complémentarité des différents types d’espaces protégés. Il a aussi rendu obligatoire l’élaboration d’un plan de gestion pour chaque unité de conservation et la constitution d’un Conseil de gestion où les pouvoirs publics et la société civile sont égalitairement représentés. Cette législation renforce ainsi la voie empruntée par la Constitution brésilienne de 1988, qui institutionnalisait la participation sociale dans la gestion des politiques publiques, en rendant obligatoire l’implication de la société civile dans les décisions de gestion des unités de conservation.

Là aussi des efforts restent à entreprendre pour instaurer de facto une protection effective dans l’ensemble de ces espaces protégés, à travers la réalisation d’un plan de gestion et sa mise en œuvre, en partenariat avec les différentes parties prenantes du territoire.

4.3. Des outils pour connecter les espaces protégés et raisonner à une échelle régionale

Le caractère novateur du Système National des Unités de Conservation (SNUC) est aussi dû à la création de trois nouveaux outils : les corridors écologiques, les réserves de biosphère et les mosaïques d’aires protégées que nous avons présentées précédemment (figure 20). Ces trois outils permettent notamment une intégration des espaces protégés à l’échelle bio-régionale de planification et de gestion du territoire et évitent l’isolement d’îlots de biodiversité, peu efficaces pour la protection des écosystèmes et de la biodiversité. Ces outils permettent de prendre en compte les territoires adjacents aux espaces protégés.

Dans le droit brésilien, les corridors écologiques sont définis comme des « portions d’écosystèmes naturels ou semi-naturels, reliant des unités de conservation, qui permettent le flux de gènes et le mouvement de la faune et la flore, facilitant la dispersion d’espèces et la recolonisation des aires dégradées, ainsi que le maintien de populations qui nécessitent pour leur survie de superficies plus importantes que les unités individuelles. » (Art 2. XIX, Loi du SNUC, 9.985, du 18 juillet 2000, traduit par l’auteure).

À l'inverse, « la réserve de biosphère est un modèle adopté internationalement, de gestion intégrée, participative et durable des ressources naturelles avec pour objectif de base la préservation de la diversité biologique, le développement d’activités de recherche, le suivi environnemental, l’éducation environnementale, le développement durable et l’amélioration de la qualité de vie des populations. » (Art 41, Loi du SNUC, 9.985, du 18 juillet 2000, traduit par l’auteure).

Pour l’heure, les instruments ont le mérite d’exister. Reste aux acteurs locaux de s’en saisir et aux politiques publiques régionales et fédérales de se donner les moyens de les accompagner. Des initiatives existent déjà ça-et-là, que nous ne pouvons analyser ici.

Figure 20. Principaux cadres nationaux des politiques d’espaces protégés
  Lucie Morère — schéma Principaux cadres nationaux des politiques d’espaces protégés  

4.4. Un plan national qui entérine le lien entre protection et développement

Pour répondre aux enjeux de gestion des espaces protégés brésiliens et aux engagements internationaux pris dans le cadre « l’accord de Durban » issu du 5e Congrès mondial des parcs de 2003 et renforcés par la Convention sur la Diversité Biologique de 2004, un Plan stratégique National pour les Aires Protégées (PNAP) a été établi en 2006 (Gurgel, 2009 ; Delelis et Rehder, 2010 et Irving, 2012).

Ce plan renforce le virage engagé par le Brésil en matière d’idéologie et méthode de protection de la nature. L’accent est mis sur l’importance pour ces territoires de contribuer au développement durable et de participer à la réduction de la pauvreté, encore très présente dans ce pays au développement très inégal.

Et bien que les terres indigènes et les quilombos ne soient pas officiellement reconnues comme des espaces (naturels) protégés au Brésil, le Plan stratégique National pour les Aires Protégées (PNAP) prévoit des actions pour leur conservation et l’usage durable de la biodiversité dans ces terres.

Ainsi, certes, des courants politiques brésiliens soutiennent un développement favorable à la déforestation, à l’agroindustrie, aux méga-infrastructures et autres actions d’aménagement et de développement du territoire fragilisant toujours plus l’environnement et les inégalités sociales. Néanmoins, d’un autre côté, le Brésil est aussi le théâtre d’expression de forces opposées, qui ont obtenu, au prix de longues batailles, des reconnaissances et instruments légaux intéressants et qui en appellent à d’autres modèles de développement, plus en phase avec la fragilité des milieux naturels et des populations locales.

Conclusion

Le marché global a fait du Brésil un géant de l’agriculture et de la déforestation. Son modèle industriel et capitaliste pèse sur les éco-socio-systèmes, tant à l’échelle locale que globale. La politique de création et de gestion des espaces protégés et de soutien à des modèles alternatifs de développement est une des barrières, ou du moins un frein, à l’appétit glouton de l’agrobusiness. Les récentes mosaïques d’aires protégées constituent un potentiel innovant et intéressant en matière de développement territorial. Cette approche du développement permet d’assurer la protection des patrimoines naturels et culturels en passant par leur valorisation par une coordination d’acteurs locaux.

Bibliographie

 

Lucie MORÈRE
Docteure en géographie et aménagement, attachée temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) à l'Université de Lille, laboratoire TVES.

Mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Lucie Morère, « Les mosaïques d’aires protégées au Brésil, entre protection et développement », Géoconfluences, novembre 2018.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/articles-scientifiques/mosaiques-aires-protegees-bresil

Pour citer cet article :  

Lucie Morère, « Les mosaïques d’aires protégées au Brésil, entre protection et développement », Géoconfluences, novembre 2018.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/changement-global/articles-scientifiques/mosaiques-aires-protegees-bresil