Le lotissement en France : histoire réglementaire de la construction d’un outil de production de la ville
Bibliographie | citer cet article
« Comment la France est devenue moche ? ». Ainsi titraient en 2010 Xavier de Jarcy et Vincent Remy un article pour Télérama qui, comme beaucoup d’autres avant lui, associait de manière systématique le lotissement aux très critiqués quartiers d’habitat pavillonnaire. Il existe en effet une confusion entre pavillonnaire et lotissement. Elle est issue du fait que dans le langage courant le terme de lotissement désigne un paysage urbain : celui des espaces résidentiels de maisons individuelles le plus souvent situés aux marges des grandes agglomérations urbaines.
Or, d’un point de vue urbanistique, le lotissement renvoie en premier lieu à un mode de production de la ville, et non à un paysage. Il s’agit d’un processus d’urbanisation, encadré par le droit, qui consiste en la division d’une propriété foncière en plusieurs lots dans le but d’y implanter des constructions. Il se différencie par exemple de la promotion qui est caractérisée par l’intervention continue d’un seul opérateur, le promoteur immobilier, qui réalise de façon intégrée toutes les étapes de l’urbanisation. À l’inverse dans le cadre du lotissement, la construction est dissociée de l’aménagement : le processus d’aménagement (viabilisation, assainissement, réalisation des trames viaire et parcellaire) et le processus de construction (trame bâtie) dépendent de deux maîtrises d’ouvrage différentes et de deux procédures d’urbanisme distinctes (permis d’aménager puis permis de construire) (figure 1).
Figure 1. Le lotissement, un mode de production de la ville en deux étapes distinctes : aménagement puis construction
Exemple du Jardin de Rampeaux à Aveize (69). Réalisation : Lou Herrmann, 2017. |
Le lotissement est alors aussi envisagé comme le produit d’une construction réglementaire par le droit national. Son contenu administratif (dossier de demande d’autorisation), les modalités de son contrôle (instruction) ainsi que celles de son montage et de sa réalisation sont en effet en grande partie encadrés par le droit. L’évolution du rapport du législateur à son égard constitue donc un élément important pour la compréhension de sa mise en œuvre, ainsi que pour celle des espaces qu’il produit.
L’association systématique du lotissement aux quartiers d’habitat pavillonnaire n’est cependant pas fortuite. Elle s’explique par le fait que dans sa version contemporaine le lotissement a effectivement généré de manière massive la construction d’espaces résidentiels périphériques dominés par l’habitat pavillonnaire.
Or, on assiste depuis plus de vingt ans maintenant à la montée d’une nouvelle injonction dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme, celle du développement urbain durable. Ce dernier, en promouvant une ville dense des courtes distances, adresse de manière indirecte un procès aux lotissements contemporains en rejetant le modèle de la ville étalée. À partir de la fin des années 1990, le principe du développement durable est intégré de manière très volontariste en France dans une série de nouvelles lois (encadré 1).
L’objet de cet article est de retracer l’histoire réglementaire du lotissement, depuis ses origines jusqu’à nos jours, de façon à en dessiner les contours d’une part et à mesurer l’impact de l’injonction durabiliste sur ce mode opératoire d’autre part.
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1. Origines puis reconnaissance : la naissance du lotissement, un mode opératoire suspect (1919-1959)
Avant 1919, le droit de l’urbanisme ne connaît pas le lotissement. Longtemps en effet l’acte de lotir un terrain est laissé à la libre volonté du propriétaire foncier. Pour autant, s’il n’est pas encore explicitement nommé par le droit, le lotissement existe déjà : de fait, des propriétaires fonciers divisent leur terrain en plusieurs lots et les vendent à des acquéreurs qui viennent ensuite y ériger des constructions. C’est d’ailleurs dans cette préhistoire du lotissement que les racines de ce mode opératoire trouvent leurs origines. (Joly et Campagnac, 1974) Dessiner son histoire exige donc de revenir sur ces fondements originaux avant d’explorer sa naissance réglementaire.
1.1. Les origines bourgeoises et paternalistes d’un mode opératoire
Le lotissement est lié à l’apparition de la bourgeoisie et avec elle à l’avènement de la société capitaliste. La pratique de lotir relève d’un usage spécifique de la propriété foncière, destiné à en accroitre la valeur. La Révolution française et la montée de la bourgeoisie conduisent à une évolution du droit de propriété, avec le passage d’un système féodal, fondé sur des principes de lignage, de vassalité et de servage, où le foncier est un bien inaliénable, à un système capitaliste basé sur le principe d’une propriété privée individuelle, absolue et valorisable. C’est cette évolution du statut et de l’usage du foncier qui va rendre possible l’apparition des premiers lotissements bourgeois au XIXème siècle, issus du morcellement de grandes propriétés, souvent les anciens parcs des châteaux, comme à Billancourt, au Chatou ou encore au Vésinet, en Île-de-France (figure 2).
Figure 2. Le parc du Vésinet
« Plan général indiquant le lotissement du parc du Vésinet » (Seine-et-Oise, auj. Yvelines), année inconnue (XIXème siècle) 57 × 61 cm, domaine public.
La légende montre les lots à vendre, vendus et bâtis, et insiste sur l'accessibilité en train. En vert sont indiquées les « prairies et pelouses réservées pour les promenades et l'agrément en général » |
Le lotissement est donc une invention des classes dominantes entre 1830 et 1850, qui viennent construire dans les forêts périurbaines de l’agglomération parisienne les premiers pavillons bourgeois. Situés à proximité d’une gare, ces lotissements sont initialement destinés à la villégiature temporaire proposant aux acquéreurs un habitat dans la nature pour se protéger des nuisances de la ville, sans s’en détacher pour autant. Ils sont progressivement transformés en quartiers résidentiels permanents.
Le lotissement bourgeois, alors encore strictement réservé aux classes dominantes, s’impose progressivement comme un nouveau modèle d’habitat dans tous les groupes sociaux de l’agglomération parisienne grâce à quelques exemples célèbres. Le développement des congés payés, passés dans une campagne plus ou moins lointaine, accompagne et amplifie cette diffusion jusqu’à donner aux Parisiens le goût de la campagne et bientôt le goût de la banlieue (Fourcaut, 2000).
Parallèlement se constitue un second modèle d’habitat : l’habitat ouvrier. Pensé et prévu par la classe bourgeoise en réaction à l’émergence du prolétariat suite à l’industrialisation, l’habitat pavillonnaire ouvrier trouve en Frédéric Le Play son plus célèbre théoricien et porte-parole. Face au problème du logement d’une classe ouvrière toujours plus nombreuse et de plus en plus pauvre, se développe une théorie paternaliste et patronale qui voit dans le pavillonnaire un moyen de loger cette main d’œuvre, autant que de la stabiliser et ainsi de protéger l’ordre social et moral établi. Cette théorie repose sur quatre arguments principaux : 1) l’accession à la propriété permettrait de déprolétariser la masse ouvrière ; 2) le jardin améliorerait les conditions de vie des ouvriers en faisant office d’apport alimentaire et permettrait en même temps à la femme de rester au foyer ; 3) le développement du pavillonnaire préserverait l’institution familiale en renforçant son patrimoine ; 4) la structuration d’un mode de vie pavillonnaire autour de la famille s’accompagnerait d’un affaiblissement des idées communautaires et socialistes considérées comme dangereuses.
Cette pensée conservatrice et bourgeoise du logement ouvrier viendra nourrir les principes de la politique pavillonnaire mise en place entre 1894 et 1928 qui accompagne et facilite le développement des lotissements.
1.2. Lotissements réglementés, lotissements suspects : le spectre des lotissements défectueux
La reconnaissance du lotissement par le droit débute par une première phase de réglementation répressive (1919-1958). Elle se développe dans l’urgence, en réaction d’un épisode court mais violent qui imprime l’histoire de l’urbanisation des agglomérations françaises au tournant du XXème siècle : le développement de lotissements défectueux et le phénomène des mal-lotis (Fourcaut, 2000).
Après la première guerre mondiale, le phénomène des lotissements, jusque-là réservé à une clientèle limitée et aisée, change de nature et d’ampleur : de très nombreux lotissements commencent à se développer dans un contexte de crise du logement, absorbant une grande partie de l’importante croissance démographique de la banlieue, jusqu’à devenir l’offre d’habitat dominante en périphérie de la capitale et des autres grandes agglomérations de l’Hexagone. À destination des classes populaires, ces nouveaux lotissements résultent du découpage parcellaire de terrains bon marché par des lotisseurs peu scrupuleux, spéculant en fonction des opportunités foncières. Des terrains à bâtir non-équipés se multiplient aux portes des grandes villes, répondant à une forte demande populaire, faute de solutions sociales à la question du logement (ibid.).
Le succès du lotissement périurbain est porté par l’essor de la mobilité, la démocratisation des prêts bancaires, le changement d’image de la banlieue, l’offre de terrains à bâtir et surtout le vide juridique qui entoure encore sa pratique. Par ailleurs, la politique pavillonnaire mise en place au tournant du XIXème siècle vient également alimenter ce processus. Largement inspirée de la pensée de Le Play et augmentée de l’idée d’une intervention nécessaire de l’État en faveur du logement ouvrier, elle s’incarne entre 1894 et 1928 en une série de lois (Siegfried, 1894 ; Strauss, 1906 ; Ribot, 1908 ; Loucheur, 1928) qui promeuvent l’habitat individuel et l’initiative privée comme solution à la demande de logement.
Au début du XXème siècle, alors que l’essentiel de la croissance des agglomérations urbaines est accueillie dans des zones d’urbanisation pionnières non viabilisées, le lotissement est en passe de devenir un anti-modèle. Le vide juridique qui caractérise la pratique de lotir, doublé d’une politique pavillonnaire leplaysienne non consciente de ses conséquences urbanistiques, laisse s’installer le scandale des mal-lotis, qui marquera durablement l’image du lotissement et le positionnement du législateur à son égard.
L’épisode des lotissements défectueux est ainsi à l’origine de l’apparition d’une législation publique autour du lotissement.
Son baptême réglementaire a lieu à travers la promulgation des lois Cornudet de 1919-1924. Ce dispositif législatif met fin à la liberté illimitée de lotir en instaurant un principe de contrôle et d’autorisation des lotissements par la puissance publique. Il crée notamment au niveau communal le projet d’aménagement, d’embellissement et d’extension (PAEE), ancêtre de l’actuel PLU (Plan Local d’Urbanisme), auquel doivent désormais se conformer les opérations de lotissement. Il crée également le permis de construire et l’autorisation d’aménagement. La législation suit globalement trois grands objectifs : la responsabilisation des lotisseurs, qui doivent prendre à leur charge l’aménagement des opérations ; l’effectivité des contraintes avec la mise en place d’un régime de sanction ; le contrôle public du développement urbain qui n’est plus laissé au seul jugement des simples acquéreurs, mais soumis à instruction des autorités compétentes.
D’autres textes suivent pour renforcer l’encadrement des nouveaux lotissements (loi du 14 mai 1932 ; décret du 8 août 1932) mais aussi pour instaurer des dispositifs d’aide aux mal-lotis existant en les aidant à équiper leur terrain (loi Sarrault en 1928).
La multiplication des textes entre 1919 et 1935 témoigne d’une volonté du législateur, en même temps que de résultats qui peinent à s’affirmer pour cette politique de police du lotissement tout juste naissante.
Il faut attendre les années 1950 et la crise du logement pour que s’affirme la volonté du législateur et se close définitivement le phénomène des mal-lotis. Entre 1958 et 1959((À travers la promulgation des ordonnances de 1958 (n° 58-1447 et 58-1448) et de deux décrets pris en 1958 et 1959 (du 31 décembre 1958 et du 20 juillet 1959).)) est ainsi instauré un nouveau régime juridique pour les lotissements, plus strict encore : l’instruction des projets de lotissement devient plus exigeante, le dossier de demande d’autorisation de lotir s’étoffe, les sanctions en cas d’infraction s’intensifient et les responsabilités du lotisseur en matière d’équipement augmentent.
Ce mouvement de durcissement de la posture du législateur face au lotissement s’opère en cohérence avec la politique du logement engagée au lendemain de la seconde guerre mondiale qui ouvre « la parenthèse des grands ensembles » et met fin à la politique pavillonnaire du début du siècle. Jusqu’au tout début des années 1960, le logement collectif a la faveur des politiques publiques, comme en témoignent le plan Courant en 1953, la loi-cadre du 7 août 1957 qui ouvre la porte aux Zones à Urbaniser en Priorité, et la circulaire du 15 mars 1962. Cette tendance se développe aux dépens de l’habitat individuel associé à la procédure de lotissement.
Cette première phase de l’histoire réglementaire des lotissements dessine un triple renforcement : du contrôle administratif, des règles de procédure et du système de sanctions, face à un lotissement considéré comme suspect. Cette période, dominée par un esprit de réglementation et de contrôle, prend fin avec la résorption du problème des lotissements défectueux qui avaient largement contribué à l’émergence de cette législation.
2. Réglementation et normalisation : le lotissement, outil du développement urbain (1960-2000)
Après la parenthèse des grands ensembles s’amorce au milieu des années 1960 la seconde phase de l’histoire du droit de lotir, désormais favorable au lotissement, dans un contexte d’essor inédit de la maison individuelle (figure 3) et de retour de la politique pavillonnaire. Cette phase se poursuit jusque dans les années 2000, où, malgré la montée de l’injonction au développement durable, le lotissement continue d’être perçu par le législateur comme un outil de maîtrise du développement urbain.
Figure 3. La montée de la maison individuelle comme phénomène de masse dans les années 1960-1970
Source : chiffres du rapport Mayoux, 1979. Réalisation : Lou Herrmann, 2017. |
2.1. Politique pavillonnaire et réforme de 1970 : la reconnaissance
Les années 1960 sont ainsi marquées par le retour des politiques du logement vers le modèle pavillonnaire (Raymond, 1966). Ce tournant repose sur une nouvelle idéologie qui reprend certains fondements leplaysiens, notamment celui de la propriété comme garante de la paix sociale, auxquels elle ajoute une critique sévère des grands ensembles.
L’État favorise le développement de la maison individuelle à travers différents leviers. Il met en place de nouveaux modes de financement du logement. Il cherche désormais à encourager l’épargne privée plutôt qu’à intervenir directement, à travers le développement d’une nouvelle politique du crédit immobilier((Création du marché hypothécaire en 1966, du PEL (Plan Épargne Logement) en 1970, passage des aides à la pierre aux aides à la personne et création du PAP (prêt d’accession à la propriété) en 1977 avec la loi Barre.)) destinée à favoriser l’accès à la propriété. Le législateur accompagne également la progression d’une nouvelle catégorie de professionnels : les constructeurs spécialisés de maisons individuelles (Jaillet, 1982). La loi du 16 juillet 1971 réorganise ainsi les professions de l’immobilier et reconnaît un nouveau statut professionnel via la création du contrat de maison individuelle (CMI). Cette loi rapproche par ailleurs l’appareil de production pavillonnaire du système bancaire en instaurant la garantie extrinsèque((La banque se porte caution pour le constructeur et s’engage à rembourser l’acquéreur en cas de défaillance de ce dernier.)).
Cette politique pavillonnaire est soutenue par des actions symboliques à fort potentiel d’images, à travers l’organisation de concours, tels que l’opération « Villagexpo » en 1966 ou le concours international de la maison individuelle lancé par Albin Chalandon, Ministre de l’équipement, en 1969 (figure 4).
Figure 4. Villagexpo à Saint-Michel-sur-Orge, 1966
Affiche publicitaire de l’opération. Source : www.villagexpo.fr ; voir le guide édité par le Ministère du logement en 1966 [PDF]. |
Source : archive INA, rétrospective Paris-chantiers, ORTF, Journal de Paris, 30 déc. 1966, 8 min |
Les années 1960 et 1970 engagent donc un tournant dans la politique du logement au sein duquel vient s’insérer une nouvelle réforme du droit des lotissements.
Les textes promulgués au cours de ces deux décennies((Décret du 18 juin 1964, décret du 9 décembre 1965, décret du 21 janvier 1971.)) font progressivement du lotissement une procédure opérationnelle à part entière, mais distincte des grandes opérations d’urbanisme (ZUP, ZH – Zone d’Habitation, ZAC, rénovation urbaine) qui se désolidarisent de son régime réglementaire.
L’avènement de la maison individuelle comme phénomène de masse pose la question du lotissement dans des termes nouveaux pour le législateur. Un enjeu inédit est identifié : ce n’est plus la salubrité et l’équipement des opérations qui mobilise, mais le problème du mitage de l’espace. Dans ce contexte, après avoir longtemps fait l’objet d’une forte défiance, le lotissement devient aux yeux de l’administration un outil pour la maîtrise du développement urbain des agglomérations s’il s’inscrit en cohérence d’une planification elle aussi renouvelée((La loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967 opère une révision du système de planification et établit les principaux documents d’urbanisme qui vont encadrer l’aménagement et l’urbanisme des décennies suivantes.)). Ce changement de posture s’incarne dans la mise en place en 1977 d’une réforme d’ensemble du régime du lotissement((Via le décret du 26 juillet 1977 en application de la loi du 31 décembre 1976 portant sur la réforme de l’urbanisme [pdf], puis via la circulaire du 4 novembre 1977.)). Cette dernière poursuit trois grands objectifs : fabriquer du terrain à bâtir, clarifier et assouplir la procédure et améliorer la qualité des opérations, en accélérant la procédure d’instruction, en rendant facultatives certaines pièces du dossier de demande d’autorisation et en favorisant la prise en compte de l’environnement dans les projets.
En cohérence avec la politique pavillonnaire de cette époque, la réforme de 1977 cherche donc à faire du lotissement une opération d’urbanisme capable d’endiguer le mitage des territoires et du lotisseur un collaborateur du service public.
2.2. Montée de l’injonction au développement urbain durable : le lotissement comme outil de lutte contre l’étalement urbain (1990-2007)
À la suite de cette réforme, le régime réglementaire du lotissement ne connaît plus de modifications significatives jusqu’à la fin du XXème siècle. Il sera simplement corrigé par les processus de décentralisation, qui viennent changer de façon générale la répartition des compétences en aménagement et en urbanisme, et assoient ainsi la figure du maire comme acteur principal du contrôle de ces opérations.
Il faut attendre les années 2000 pour voir l’État de nouveau légiférer sur le lotissement. Cependant, les évolutions réglementaires importantes en matière d’urbanisme de la décennie précédente font déjà sentir leurs effets sur ce mode opératoire. Poursuivant la tendance déjà identifiée à partir des années 1960, la période courant du début des années 1990 au milieu des années 2000 prolonge l’imprégnation progressive des préoccupations environnementales dans le droit de lotir sans pour autant stigmatiser le lotissement. Ce dernier – toujours plus contrôlé et encadré – devient un outil au service des nouveaux objectifs du droit de l’urbanisme et notamment celui de la lutte contre l’étalement urbain.
La montée des enjeux environnementaux dans le droit de l’urbanisme s’incarne notamment dans l’instauration d’une réglementation contraignante en matière de gestion de l’eau entre 1992 et 2006((La loi sur l’eau en 1992 renforcée et complétée par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques en 2006.)). Elle vise à contrôler l’impact des opérations d’urbanisme sur l’environnement. Elle touche le lotissement, au même titre que les autres outils d’urbanisme opérationnel, et ce de plusieurs manières. Elle conduit les maîtres d’ouvrage et leurs concepteurs à entrer en dialogue avec les acteurs publics locaux autour de la question du raccordement au réseau d’eaux pluviales (figure 5). Elle modifie également le processus de composition urbaine dans les opérations en poussant les acteurs à s’interroger de manière précise sur les caractéristiques géographiques et topographiques du site de projet, quitte à ouvrir très en amont leur équipe à des professionnels spécialisés.
Figure 5. Une noue centrale comme espace de récupération et de stockage des eaux pluviales
Le Clos des Éparviers, à Solaize (Rhône), dans le sud de l'agglomération lyonnaise. La noue (prairie humide) centrale est utilisée comme espace de récupération et de stockage des eaux pluviales du lotissement. Cliché : Lou Herrmann, juin 2013 |
Cette période est d’autre part marquée par un bouleversement dans le droit de l’urbanisme et de l’aménagement suite à la promulgation le 14 décembre 2000 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU. Les modifications réglementaires qu’elle induit s’inscrivent en continuité de la tendance de facilitation du lotissement et d’environnementalisation de la phase précédente.
Tout d’abord, cette loi réforme le cadre planificateur, mettant ainsi en place un nouveau contexte d’action urbaine pour les lotisseurs. Les documents d’urbanisme sont désormais soumis à un nouvel impératif, la gestion économe de l’espace, qui va modifier la manière de concevoir les opérations.
De manière plus directe ensuite, la loi SRU cherche à améliorer la qualité des lotissements en imposant aux opérateurs de joindre à la demande d’autorisation de lotir un projet architectural et paysager, comprenant également des dispositions relatives à l’environnement et à la collecte des déchets.
En parallèle, la loi SRU contribue aussi à assouplir les règles relatives à la commercialisation des opérations. Si le contrôle des projets semble se renforcer, le législateur reste donc favorable au lotissement.
La nouvelle réforme de son régime juridique qui suit((Via une ordonnance en décembre 2005 et son décret d’application en janvier 2007.)) confirme la volonté d’affirmer la légitimité opérationnelle du lotissement et sa capacité, s’il est contrôlé et encadré, à s’élever au rang d’outil de lutte contre l’étalement urbain. L’effet le plus significatif de cette réforme de 2005/2007 est d’instaurer un double régime d’autorisation pour les lotissements, en distinguant le permis d’aménager (PA) de la déclaration préalable (DP). Dans le premier cas, réservé aux opérations de plus de deux lots, la procédure est précisée et renforcée. À l’inverse, dans le second cas destiné aux très petits lotissements, le législateur assouplit ses exigences en créant une procédure plus légère et plus rapide, ainsi qu’en facilitant la commercialisation des opérations. |
Figure 6. Permis d'aménager ou déclaration préalable ?
Situations-types du double régime du lotissement. Lou Herrmann pour Géoconfluences, 2018. |
La montée de l’injonction au développement durable se traduit donc dans un premier temps par la consolidation du système de contraintes, notamment environnementales et paysagères, auxquelles sont soumis les lotissements. Cependant, le renforcement et l’élargissement du champ du contrôle administratif des projets ne se fait pas au détriment des lotissements : ces derniers ne sont pas l’ennemi, et leur commercialisation est facilitée. Au contraire, la volonté du législateur semble être à cette époque d’encadrer plus encore le contenu des opérations pour garantir leur rôle d’outil de maîtrise du développement urbain et de limite de l’étalement, nouvelle problématique de l’aménagement du territoire de ces deux décennies.
3. Le tournant de 2010 : l’institution d’un contexte hostile au lotissement
Face à un constat d’« urgence écologique », le gouvernement de François Fillon lance en 2007 un processus de concertation et de rencontres politiques, appelé Grenelle de l’environnement, visant à prendre des décisions fortes en matière d’environnement et de développement durable. Deux lois sont adoptées à la suite de ce processus : la loi de programmation du 3 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle – dite loi Grenelle 1 – et la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (ENE) – dite loi Grenelle 2. Elles contribuent à affecter de nouveaux défis à l’urbanisme et à en renforcer d’autres, parmi lesquels l’utilisation économe de l’espace, la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), la diminution des obligations de déplacement, la préservation des trames vertes et bleues et la meilleure prise en compte des risques naturels. Plus récemment, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR) promulguée le 24 mars 2014, poursuit à son tour un objectif de transition écologique et de lutte contre l’étalement urbain, dans la continuité des intentions du Grenelle.
Quel est l’impact de ces deux grands gestes législatifs sur le droit de lotir ? Modifient-ils la posture du législateur vis-à-vis du lotissement, ou bien s’inscrivent-ils en continuité de la phase précédente ?
3.1. Modification du régime juridique
Les lois Grenelle et la loi ALUR mettent en place des dispositions législatives et réglementaires qui visent directement le lotissement.
Les premières sont à l’origine d’une nouvelle réforme de son régime juridique en 2011 et 2012((Via l'ordonnance 2011-1916 et le décret 2012-174.)). Cette dernière porte essentiellement sur la correction des éléments d’incertitude vis-à-vis du droit induits par la réforme précédente. Il s’agit de clarifier certains aspects du champ d’application du lotissement et de son contrôle de façon à réduire les risques de contentieux et à faciliter l’exercice du juge. Pour le reste les règles de contenu et de mise en œuvre du lotissement demeurent sensiblement identiques : les deux types d’autorisations (PA/DP) sont maintenues et ni les pièces du dossier d’autorisation, ni les délais d’instruction ne sont modifiés.
De son côté, la loi ALUR cible les lotissements existants plus que la fabrique d’opérations nouvelles. Considérant que certains lotissements sont conçus et gérés sur la base de règles d’urbanisme (contenues dans le règlement et dans le cahier des charges) restrictives en termes de droit à construire, la loi cherche à mobiliser le foncier peu dense des lotissements existants pour la densification, via une optimisation des droits à construire (en rendant possible les extensions ou surélévations des constructions existantes par exemple) ou une division des lots pour accueillir de nouvelles constructions. Elle s’en donne les moyens en révisant les règles applicables à la caducité des documents du lotissement et en abaissant les seuils de majorité nécessaires pour modifier les documents qui le régissent.
3.2. Planification grenellisée et changement de rhétorique gouvernementale
De façon plus significative, les lois Grenelle, et dans une moindre mesure loi ALUR, contribuent par ailleurs à la constitution d’un contexte planificateur renforcé qui se révèle plutôt hostile au lotissement (Herrmann, 2017).
La planification « grenellisée » poursuit un triple objectif. Les mesures instaurées visent tout d’abord à renforcer la protection des espaces naturels et agricoles en modifiant le cadre régissant les documents d’urbanisme locaux (SCOT et PLU) et en durcissant le contrôle de l’ouverture à l’urbanisation. D’autre part, lois Grenelle comme loi ALUR cherchent à favoriser la densité urbaine en introduisant la notion de densité minimale, en supprimant le coefficient d’occupation du sol (COS) et la superficie minimale des terrains constructibles dans les PLU et en mettant fin à une fiscalité jusqu’alors favorable au mitage. Elles travaillent enfin à une meilleure prise en compte de l’environnement dans le cadre réglementaire de l’urbanisme et de l’aménagement. La loi Grenelle 2 introduit notamment une dérogation en faveur des travaux d’amélioration de la performance énergétique des constructions, favorisant la retenue des eaux pluviales ou réduisant les émissions de GES. Elle élargit également le champ d’application de l’étude d’impact.
On observe alors un glissement sémantique – léger mais significatif – dans la rhétorique du gouvernement accompagnant ces changements législatifs récents : on est passé de la lutte contre le mitage et l’étalement à la lutte contre l’étalement et l’artificialisation des sols. Cette différence a son importance. Des années 1970 aux années 2000, la motivation du législateur répondait à des préoccupations urbanistiques et environnementales de lutte contre le mitage, et des objectifs financiers de limitation de coûts des équipements d’infrastructure. Aujourd’hui s’ajoutent à ces enjeux ceux de la lutte contre les émissions de GES et de la préservation de la biodiversité, qui prennent pour cible l’urbanisation diffuse (et notamment l’urbanisation sous forme de maisons individuelles, et donc le lotissement). Le législateur lui est désormais défavorable, considérant qu’il contribue indirectement au réchauffement climatique en augmentant les distances de déplacements des habitants d’une part, et en développant une forme d’habitat gourmande en énergie d’autre part, et qu’elle fragilise la biodiversité.
Figure 7. La législation en faveur du développement durable face au lotissement
La mandature de Nicolas Sarkozy porte l’image d’une promotion de la propriété individuelle via la mise en place de dispositifs fiscaux avantageux. Pourtant l’évolution de la législation en matière d’urbanisme sous cette même mandature suit une autre voie pour le moins contradictoire. La promulgation des lois Grenelle, suivies de la loi ALUR, annonce l’entrée dans une troisième phase de l’histoire réglementaire du lotissement au cours de laquelle ce mode opératoire redevient suspect aux yeux du législateur. L’injonction réglementaire au développement durable prend ainsi un autre tournant à partir de 2010 : un virage marqué par la lutte contre l’artificialisation des sols et non plus seulement la lutte contre le mitage des territoires, pour laquelle le lotissement assimilé – non sans raison – à une urbanisation diffuse des territoires, est désormais considéré comme incompatible avec le développement urbain durable.
Cette tendance se poursuit jusqu’à très récemment avec la promulgation en 2016 de la loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine. Elle prévoit l’obligation du recours à un architecte pour l’aménagement des lotissements soumis à permis d’aménager (P.A., voir le schéma de la figure 7). Suivant un objectif de promotion et de défense de la qualité architecturale, le législateur vise cette fois directement le lotissement : suspecté, voire accusé de médiocrité, son aménagement doit désormais être placé sous la « responsabilité » d’un architecte.
Figure 8. Le lotissement, un paysage familier mais remis en question
Paysage de lotissement à Montanay (Rhône), dans le nord de l'aire urbaine de Lyon. Le cliché est pris en direction du nord-ouest, vers le val de Saône. Cliché : Lou Herrmann, juin 2015.
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En conclusion, l’écriture de cette histoire réglementaire du lotissement permet de comprendre que ce mode opératoire est un outil d’urbanisme opérationnel largement construit par le droit. La reconstruction de l’évolution de la posture du législateur à son égard conduit à dessiner une vision plus nuancée le concernant. S’il semble aujourd’hui, en cohérence avec le large procès qui lui est adressé, stigmatisé par le législateur, cela n’a pas toujours été le cas : longtemps conçu comme un instrument de maîtrise du développement urbain, il a été encouragé et façonné par le droit comme une opération d’urbanisme, une fois l’épisode des mal-lotis terminé. Aujourd’hui considéré comme incompatible avec un développement durable des territoires, il a pourtant dans un premier temps accompagné le processus d’environnementalisation du droit de l’urbanisme et de l’aménagement. Peut-être est-ce parce que le lotissement n’est rien d’autre qu’un outil et que la nature et la qualité des espaces qu’il produit dépendent en premier lieu de la façon dont on l’utilise et de la volonté politique qui encadre sa mise en œuvre ?
Bibliographie
Sur l’histoire réglementaire ancienne du lotissement :
- Joly, R. & Campagnac, E. (1974). Racines historiques du lotissement. Paris : GAA.
- Lacave, M. (1989). Esquisse d’une histoire du droit des lotissements en France. Villes en parallèls, 14, 27-45.
La partie la plus récente de l’histoire réglementaire s’appuie sur la thèse de l'auteure :
- Herrmann, L. (2017). Fabriquer la ville avec les lotissements. Une qualification possible de la production ordinaire des espaces urbains contemporains ? Thèse de doctorat, Université de Lausanne/Université Lumière Lyon 2, Suisse/France.
Sur l’épisode des lotissements défectueux :
- Fourcaut, A. (2000). La banlieue en morceaux. La crise des lotissements défectueux en France dans l’entre deux-guerres. Grâne : Créaphis.
Sur la politique pavillonnaire :
- Raymond, M.-G. (1966). La politique pavillonnaire. Paris : Centre de recherche d’urbanisme/ Institut de Sociologie urbaine.
Sur les constructeurs de maison individuelle :
- Jaillet, M.-C. (1982). Les pavillonneurs. La production de la maison individuelle dans la région toulousaine. Paris : Edition du CNRS.
Sur les politiques du logement en général :
- Driant, J.-C. (2009). Les politiques du logement en France. Paris : La Documentation Française.
Ouvrages généralistes sur le lotissement et la maison individuelle :
- Dufieux, P. & Garaix L. (2007). Le rêve de la maison. Cités-jardins, lotissements et habitat durable dans le Rhône. Lyon : CAUE du Rhône.
- Masboungi, A. (2008). Faire la ville avec les lotissements. Paris : Le Moniteur.
- Vautrin, B. (dir) (2015). Maison individuelle et qualité urbaine : vers des opérations d’aménagement contextualisées. Lyon : CEREMA.
Lou HERRMANN
Docteure en urbanisme, post-doctorante au labex IMU, Université Lumière Lyon 2 (laboratoire EVS), Institut d’Urbanisme de Lyon et Université de Lausanne, Institut de Géographie et Durabilité.
Mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Lou Herrmann, « Le lotissement en France : histoire réglementaire de la construction d’un outil de production de la ville », Géoconfluences, avril 2018. |
Pour citer cet article :
Lou Herrmann, « Le lotissement en France : histoire réglementaire de la construction d’un outil de production de la ville », Géoconfluences, avril 2018.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/articles-scientifiques/histoire-reglementaire-du-lotissement