L'eau en Australie : de l'exploitation des ressources à la gestion des milieux ? L'exemple du bassin versant du Gordon en Tasmanie
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Le film The Walkabout (1971, réalisé par Nicolas Roeg) débute lorsque deux jeunes citadins blancs sont abandonnés par leur père dans le désert australien. Leur rencontre avec un jeune Aborigène, qui leur apprend à trouver et à boire de l'eau dans le désert, les sauve d'une mort certaine. Entre des gros plans sur la faune et la flore de l'outback australien et des scènes centrées sur le parcours des trois enfants, le réalisateur intercale des images montrant le travail de météorologues dans le désert australien. Ainsi, le film donne à voir l'un des leitmotive australiens : la peur de manquer d'eau. Mais, avec plus de 1 200 m³ d'eau prélevés par personne et par an((Source : OCDE)), l'Australie est l'un des pays à consommer le plus d'eau par habitant au monde après le Canada, les États-Unis et des États d'Asie centrale tels que le Kirghizstan ou l’Ouzbékistan.
Ce corpus documentaire tente d'expliquer ce paradoxe apparent. La première partie offre une rapide vision d'ensemble de la ressource en eau australienne, de son utilisation et des problèmes qu'elle soulève depuis l'époque coloniale – ce détour historique permet de saisir l’ancienneté des questions liées à l’eau en Australie. Elle revient sur l’histoire de la construction de barrages comme outils de gestion de la ressource en l’eau ; en effet, les réservoirs de ces ouvrages peuvent offrir une réponse aux effets des sécheresses. Mais l’Australie stocke aussi sa ressource en eau pour répondre à ses besoins énergétiques. Comment les États, territoires et le gouvernement fédéral australiens essaient-ils de répondre à la demande en eau ? L'aridité est-elle le seul facteur explicatif des tensions, voire des conflits liés à cette ressource ? La seconde partie revient sur une controverse des années 1980 liée à un projet de barrage hydro-électrique prévu dans le Sud-Ouest de la Tasmanie (l’État le plus arrosé d'Australie) qui visait à exploiter les eaux de la rivière Franklin et du fleuve Gordon. La controverse se déroule à un moment de prise de conscience des impacts sociaux (déplacement des populations, ennoiement de sites d’importance culturelle…) et environnementaux (modifications de l’hydrologie, de l’hydromorphologie, des habitats…) des grands barrages à l’échelle internationale. Le projet a été annulé par une décision fédérale en 1983 en lien avec le classement du Sud-Ouest tasmanien au Patrimoine Mondial de l'Unesco. Comment expliquer une forte mobilisation sociale anti-barrage au sein d'un pays hanté par la peur de la sécheresse ? Et dans quelle mesure cet événement constitue-t-il un jalon pour comprendre les représentations actuelles de l’environnement en Australie ?
1. De l'or bleu à la houille blanche sur l'île-continent rouge
En 1992, David Ingle Smith, chercheur en sciences de l'environnement, débute son ouvrage sur l'eau en Australie en soulignant que les Australiens éprouveraient une satisfaction malsaine en décrivant leur pays comme étant le continent le plus sec du monde. Pour Pigram (1986), l'histoire de l'Australie serait caractérisée par une peur de la sécheresse. Ces craintes sont-elles légitimes ?
1.1. « A sunburnt country » ?
(« un pays brûlé par le soleil », Dorothea Mackellar, 1908, "My country")
L'Australie dispose de moins d'1 % des ressources mondiales en eau douce (Pigram 2007), pour 0,33 % de la population mondiale. Sur ses 455 mm de précipitations annuelles, seuls 1 % sont destinés aux eaux souterraines et 12 % (soit 52 mm) aux cours d'eaux, tandis que l'évapotranspiration consomme 87 % des précipitations. Le ruissellement annuel moyen en Australie est presque six fois inférieur à celui de l'Europe (Smith 1998).
Encadré 1. Aridité, sécheresse, pénurie
Le mot « aride » qualifie un manque d'eau ; par extension, aride peut signifier stérile (Dictionnaire de l’Académie, 9e édition). Selon le géographe Jean Demangeot (2009), l’« aridité résulte de la combinaison de la faiblesse des précipitations (moins de 250 mm environ) et de la puissance de l’évaporation (plus de 2 000 mm) ». Les typologies de l’aridité sont nombreuses dans la littérature scientifique. La classification la plus diffuse est celle de W. P. Köppen. Inventée vers 1900 et remaniée tout au long du XXe siècle, elle se fonde sur le type de climat (tropical, sec, tempéré, continental ou polaire), les précipitations et les températures d’un milieu pour proposer plus de vingt classes. (Demangeot 2009) distingue quant à lui quatre degrés d’aridité : la marge subhumide où le sol conserve toute l’année sa nappe phréatique, l’auréole semi-aride avec une nappe phréatique saisonnière, le noyau aride où la nappe dépend uniquement des rares averses, et enfin le désert absolu où la pluviométrie serait égale à 0 mm (cette situation est très rare). Pour déterminer chacune de ces quatre catégories, il leur attribue une fourchette d’indices xérothermiques (nombre de jours secs dans une année pour un espace donné).
Parce que la « sécheresse » est difficile à définir indépendamment d’un contexte spatial, de nombreuses définitions co-existent dans la littérature ; il n’est pas aisé de proposer une définition précise du terme. On retrouve toutefois plusieurs éléments dans l’ensemble des définitions (Pigram 1986) : (1) une sécheresse correspond à une période de manque d’eau, (2) ce manque est lié (au moins en partie) avec un déficit en termes de précipitations, (3) les activités humaines, et notamment l’agriculture, participent de la sécheresse. Par ailleurs, la caractérisation des périodes de retour des sécheresses est souvent chose délicate (Blanchon 2013).
Depuis plusieurs années, le terme « pénurie » est de plus en plus diffusé pour désigner une situation « temporaire ou structurelle, [qui] résulte d’une insuffisance quantitative et/ou qualitative de la ressource hydrique disponible par rapport à la demande » (Honegger et Bravard 2006, p. 3). Deux numéros de la revue Géocarrefour publiés en 2006 proposent une riche discussion autour de cette notion « qui est loin de constituer une évidence et encore moins de faire l’unanimité » (Honegger et Bravard 2006, p. 3). Par ailleurs, la pénurie en eau fait l’objet de nombreux discours et représentations, et ce faisant, il peut être intéressant pour les géographes de questionner son usage et sa dimension stratégique comme le rappelle Romain Garcier (2010) : « toute pénurie est susceptible de faire l’objet d’une utilisation politique destinée à reconfigurer les jeux d’acteurs impliqués dans l’exploitation de la ressource » (p. 169).
Pour compléter :
- Blanchon, David. 2013. Atlas mondial de l’eau. Défendre et partager notre bien commun. Paris, Autrement.
- Demangeot, Jean. 2009. Les milieux« naturels » du globe. Paris, Armand Colin.
- Garcier, Romain. 2010. « Du bon usage de la pénurie en eau ». Géocarrefour, 85(2): 169-80.
- Honegger-Rivière, Anne, et Jean-Paul Bravard. 2006. « La pénurie d’eau?: donnée naturelle ou question sociale??». Géocarrefour 81(1): 3-4.
- Pigram, John J. J. (John Joseph James). 1986. Issues in the management of Australia’s water resources. Melbourne: Longman Cheshire.
Par ailleurs, les précipitations connaissent une variation interannuelle très importante qui s'expliquerait notamment par le phénomène El Niño — Oscillation australe. Ce dernier est aussi avancé par les climatologues comme un facteur explicatif des longues périodes de sécheresse, les droughts, qui affectent l'Australie. Les périodes de sécheresse ont façonné l’identité australienne : la grande sécheresse de 1895-1903 a inspiré les poètes et écrivains australiens que sont Banjo Paterson et Henry Lawson((Par exemple "Song of the Artesian Water" de Banjo Paterson ou "The Song of the Darling River" de Henry Lawson)) ou encore certains impressionnistes australiens tels Arthur Streeton avec son tableau The Spirit of the Drought (v. 1896) (figure 1). Ces sécheresses ont des conséquences importantes sur l'agriculture et l'économie australiennes. Celle de 1895-1903 aurait décimé 50 % des troupeaux de moutons. Plus récemment, la sécheresse de 1979-1983 a entraîné une perte de PIB d'environ 3 000 millions de dollars (Pigram 1986). Le changement climatique fait craindre l'allongement des périodes de sécheresses lié notamment à une baisse des précipitations hivernales et printanières en Australie du Sud (BOM et CSIRO, 2016)
Figure 1. The Spirit of the Drought, Arthur Streeton, vers 1896.Légende : Ce tableau, peint par l'un des représentants de l’impressionnisme australien (ou Heidelberg School), a été réalisé au cours d'une des plus célèbres périodes de sécheresse de l'Australie, la grande sécheresse de 1895-1903 aussi appelée « Federation drought ». Source : WikiCommons |
Toutefois, Pigram (1986) qualifie aussi l'Australie de « wet and dry » (humide et sec). Avec 24 millions d’habitants en 2016, l'Australie ne compte que pour 0,3 % de la population mondiale((Source : Australian Bureau of Statistics)) et figure parmi les pays les mieux dotés en eau douce par habitant. De plus, le risque d'inondation touche l'ensemble du pays tout autant que le risque de sécheresse. Le géographe Ian Douglas (1979) remarquait qu'entre 1945 et 1974, chaque année a été marquée par une crue majeure d'un cours d'eau australien. Plus récemment, les inondations de 2010-2011 au Queensland ont entraîné la mort de 35 personnes((Source : Australian Geographic)).
Enfin, les ressources en eau en Australie sont marquées par une importante variabilité spatiale. La figure 2a présente la distribution moyenne et annuelle des précipitations à l'échelle de l'Australie. Le secteur le plus arrosé se situe sur le long des côtes du Nord (caractérisées par un climat tropical) et de l'Est du pays (marquées par un climat océanique). Les deux tiers restants du pays sont considérés comme des espaces désertiques ou semi-arides. Cette situation s'explique par la présence de courants marins froids empêchant l’ascendance des masses d’air traversant l’île d’ouest en est.
Figure 2a. L'Australie, pays de contrastes climatiquesLa carte fait figurer les contrastes importants dans la pluviométrie australienne et les principales agglomérations. Plus de 80 % de la population australienne se situe dans les quatre États les plus arrosés situés à l'Est du pays. À l'intérieur, l'aridité se traduit par l'endoréisme du réseau hydrographique qui débouche dans des lacs salés dépourvus d'exutoire. |
1.2. Une histoire d' « Eaustralie » : de l’aménagement étatique à la gestion fédérale ?
« Aridité et variabilité des ressources en eau permettent d'expliquer, à défaut de la justifier, la passion australienne pour l'édification de barrages et pour la régulation des cours d'eau » (Brizga et Finlayson 1999 : p. 4)((Les traductions des citations sont de l’auteure)).
Suite à la sécheresse des années 1877-1881, l’État de Victoria établit d'abord un système de fonds locaux (local trusts) destiné à construire et financer des aménagements et notamment des réseaux d'irrigation. Puis, avec l'Irrigation Act de 1886, cet État affirme son droit sur l'eau. Alfred Deakin, qui en est à l'origine, écrit qu' « il est nécessaire que l’État (fédéré) exerce un contrôle suprême sur tous les cours d'eau, lacs, ruisseaux et sources d'eau, à l'exception de sources situées sur des terrains privés, et que l’État en soit le propriétaire »((Irrigation in Western Australia, 1885.)). Les premiers barrages d'irrigation commencent à fleurir, notamment dans le bassin du Murray-Darling à l'exemple du barrage Goulburn inauguré en 1891. Les États fédérés jouent un rôle important dans le développement d’infrastructures et dans la mise en valeur agricole ; c’est ce qui est appelé le « colonial socialism » (Doyle et Kellow 1995).
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Figure 2b. Aridité et pression sur la ressource en eauCertaines réponses à la contrainte de l'aridité, comme l'agriculture intensive irriguée ou les aménagements hydrauliques, peuvent accentuer la pression sur la ressource en eau et l'évaporation de la ressource. Par certains aspects ce schéma, qui simplifie nécessairement une réalité plus complexe, fonctionne comme une boucle de rétroaction. |
La Constitution de la Fédération d'Australie, proclamée le 1er janvier 1901, conforte le projet de Deakin : la gestion des ressources reste entre les mains des États fédérés. La période allant des années 1900 à la Seconde Guerre mondiale est marquée par la construction de nombreux ouvrages de rétention au Victoria et en Nouvelle-Galles du Sud (figure 3), mais aussi par les premiers projets interétatiques dans lesquels s'implique aussi l’État fédéral. Le gouvernement fédéral soutient financièrement le projet d'aménagement du bassin versant du Murray-Darling associant le Victoria, la Nouvelle-Galles du Sud et l'Australie-Méridionale qui vient transformer ce bassin versant réputé aride en « cœur agricole de l'Australie » (Lasserre 2003). Paradoxalement, le développement d'une agriculture irriguée intensive en lien avec la nécessité de gérer la ressource en eau explique que l'Australie figure aujourd'hui parmi les pays les plus consommateurs d'eau au monde (comme d’autres pays ou régions partageant ce modèle agricole : Argentine, Sud-Ouest des États-Unis...). Après la Seconde Guerre mondiale, l’État fédéral s'engage non seulement dans des projets d'irrigation mais aussi dans des grands projets multifonctionnels. L'exemple du Snowy Mountain Scheme, approuvé en 1947 et terminé en 1974, permet à la fois de renforcer le système d'irrigation du Victoria et de la Nouvelle-Galles du Sud et de répondre à une demande croissante en énergie (avec une capacité installée de 7 480 mégawatts) caractéristique de la période des Trente Glorieuses.
Figure 3a. La construction de barrages en Australie entre 1857 et 2012 |
Figure 3b. L’évolution de la taille des réservoirs de barrages entre 1857 et 1992 |
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Les deux cartes animées représentent la construction de barrages en Australie entre 1857 et 1992 (2012 pour la figure 3a). Chaque point correspond à un ouvrage. Sur la figure 3b, la taille des ouvrages exprimée par le volume du réservoir est représentée par un cercle proportionnel (les données sur les volumes des réservoirs construits entre 1992 et 2012 ne sont pas disponibles). Entre 1857 et 1910, de premiers ouvrages, aux volumes modestes, sont construits surtout à proximité des centres urbains et au Nord du Victoria, à proximité du fleuve Murray. Entre 1910 et 1940, de grands réservoirs sont édifiés au Nord du Victoria (à l'exemple d'Eildon dans les Alpes victoriennes sur le Goulburn et d'un volume de plus de 3 milliards de m³ aujourd'hui) et au Sud de la Nouvelle-Galles du Sud (le réservoir Hume, par exemple, construit en 1936 a une capacité de 3 milliards de m³). Les cartes de 1970 et de 1992 montrent quant à elles la multiplication de grand aménagements hydrauliques notamment le long de la côte Est, autour des agglomérations et en Tasmanie où le réservoir Gordon, d'une capacité de 12 milliards de m³, est créé en 1974. Source : “Dams and Water Storages 1990”, Geoscience Australia et “National Major Dam Walls 2012”, Geoscience Australia. Réalisation : S. Flaminio, 2017. |
L'exploitation des ressources en eau et la mise en place de grands aménagements ne va pas sans poser des problèmes aussi bien sociaux qu'environnementaux. L'irrigation intensive a provoqué, dans le bassin Murray-Darling, une salinisation des eaux et des terres agricoles qui modifie le couvert végétal et entraîne une diminution de la biodiversité. La dégradation des sols met aussi en péril l'agriculture. Par ailleurs, au début des années 1990, des groupes environnementalistes, tels la Snowy River Alliance, se sont mobilisés pour demander l'augmentation du débit minimal de la Snowy. Aux échelles régionales, des mesures sont actuellement mises en place pour améliorer la qualité des eaux et des milieux. En concertation avec le gouvernement fédéral, le Victoria, la Nouvelle-Galles du Sud et l'Australie-Méridionale ont pris des mesures pour répondre aux problèmes de pollution et de salinisation du bassin du Murray-Darling. Depuis 2012, le Murray-Darling Basin Authority (MDBA), une organisation indépendante qui dépend du gouvernement australien, tente difficilement de concilier le maintien de l'agriculture irriguée et l'augmentation des débits réservés au sein du bassin versant. Ces initiatives ne font pas consensus, notamment au sein des communautés qui dépendent des revenus agricoles : en février 2016, l'Australian Broadcasting Company médiatisait des images d'autodafé autour du plan de gestion proposé par le MDBA((Source : http://www.abc.net.au/news/2016-02-18/new-mdba-ceo-phillip-glyde/7179034)). Dans le cas de la Snowy, le Victoria, la Nouvelle-Galles du Sud et l’État fédéral sont en train de mettre en place un débit environnemental afin d'améliorer la qualité de l'eau et des milieux et de protéger des espèces endémiques menacées((Source : Office de l'eau de la Nouvelle Galles-du-sud)). Si la gestion de la ressource en eau reste entre les mains des États fédérés, le Commonwealth (au sens australien du terme, l'État fédéral) a pris plusieurs mesures depuis les années 1990 pour encourager une gestion de l'eau plus durable. En 1994, le Conseil des Gouvernements Australiens avance le Water Reform Framework : tous les gouvernements australiens s’engagent à améliorer l’efficience de l’usage de l’eau. Puis en 2004, un accord inter-gouvernemental instaure la National Water Initiative. Avec cet accord, les États s’engagent notamment à élaborer des plans de gestion des eaux et à assurer une gestion durable de l’eau dans les systèmes aquatiques sous pression((Source : ministère australien de l’agriculture et des ressources en eau)).
Mais les conflits entre exploitation de la ressource en eau et protection des milieux ne se limitent pas aux régions les plus arides de l'Australie. C'est ce dont atteste l'exemple du bassin versant du Gordon, situé dans l’État le plus arrosé d'Australie, la Tasmanie, abordé à travers le récit de la Franklin dam controversy.
2. La Franklin dam controversy ou la fin d'une vision prométhéenne de l'eau ?
La gestion actuelle de l’eau et de l’environnement en Tasmanie ne peut se comprendre sans rappeler quelques aspects de l’histoire de cet État, lequel est fortement marqué par l’exploitation de ses ressources naturelles. La controverse liée à la construction d’un barrage au confluent du fleuve Gordon et de la rivière Franklin constitue une étape importante de la Tasmanie (et même de l’Australie). Si elle ne semble pas avoir endigué complètement la soif de barrages, la controverse continue à façonner le territoire aujourd’hui.
Encadré 2. Les mots de la conflictualité : conflit, tension, controverse…
Dans la littérature anglophone, « controversy » est l’un des termes les plus utilisés pour décrire les débats liés au barrage Franklin-below-Gordon. Plus rarement, certains auteurs emploient le terme « conflict » (Duncan 2004). Quelles distinctions peut-on faire entre ces termes ?
Dans leur ouvrage Géographie des conflits, Amaël Cattaruzza et Pierre Sintès (2011) proposent la définition suivante du mot « conflit » : « situation relationnelle structurée autour d’un antagonisme » (p. 15) ; cette situation serait caractérisée par « la présence de forces opposées, […] un désaccord, […] une rivalité ou à une inimitié » (p. 15). Par ailleurs, ces auteurs rappellent que « les conflits peuvent avoir différentes formes et être considérés selon leur degré de gravité ou selon la profondeur des dissensions entre les différents acteurs » (p. 15).
La notion de « conflit » serait privilégiée par la recherche géographique en France sur les situations conflictuelles (Depraz 2016). Si les définitions et les typologies de conflits sont nombreuses dans la littérature scientifique contemporaine (Lecourt 2003 ; Dziedzicki 2003), l'ensemble des travaux s'inscrit dans la lignée du sociologue Georg Simmel (1995), décrivant les situations conflictuelles comme des formes positives de socialisation et non comme des pathologies sociales (Lascoumes 2001). Amaël Cattaruzza et Pierre Sintès (2011, p. 10) soulignent que « depuis plusieurs années, l’étude des conflits connaît un regain d’intérêt ». D’une part, l’engouement des sciences humaines et sociales pour l’étude des conflits s’expliquerait par des relations géopolitiques de plus en plus complexes à l’échelle mondiale depuis la fin de la guerre froide. D’autre part, il serait lié à l'émergence de nouveaux mouvements sociaux, à des conflits environnementaux (Charlier 1999) ou d'aménagement (Lecourt 2003) capables d'inverser des rapports de force et de bloquer des projets d'aménagement (Darly et Torre 2008).
En amont du conflit, des « tensions » peuvent être analysées (Depraz 2016) : « la tension sociale peut être définie comme la manifestation (verbale, symbolique) de jeux d’opposition n’ayant pas encore produit de démonstrations effectives et collectives de refus ». Plutôt que de s’intéresser à la formation d’un « système d’action » (Melé et al. 2004), les géographes étudiant les tensions sociales chercheraient à « mettre à jour les potentiels conflictuels dans le débat public, sans certitude de leur manifestation effective à terme » (Depraz 2016).
La notion de « controverse », davantage mobilisée en sociologie (Callon 1986) qu'en géographie, est souvent employée pour désigner un type spécifique de conflit, mais les caractéristiques de ce dernier varient en fonction des auteurs. Pour beaucoup, les controverses désigneraient des situations conflictuelles moins manifestes et moins violentes que les conflits. Bruno Charlier (1999) définit les controverses comme des conflits latents, comme des comportements ou des valeurs inconciliables co-existants dans un espace spécifique, mais dans des temporalités différentes. Pour le sociologue Cyril Lemieux (2007), les controverses sont, la majeure partie du temps, caractérisées par l'absence de violences, par la civilité et la maîtrise de soi. L’une des singularités de ce type de conflit serait aussi liée à sa structure : « les conflits qui nous sont présentés comme étant des « controverses » ont toujours une structure triadique : ils renvoient à des situations où un différend entre deux parties est mis en scène devant un public, tiers placé dès lors en position de juge » (Lemieux 2007, p. 195). En outre, les travaux qui recourent à la notion de controverse font une place de choix à la question de l'incertitude – technique ou scientifique – qui entoure l'objet de la controverse. Les controverses vont de pair avec une remise en cause des savoirs scientifiques et techniques, de leur légitimité, mais aussi de leur véracité ; elles brouillent les limites entre savoirs vernaculaires et savoirs scientifiques et peuvent ainsi être considérées comme des « processus d'apprentissage[s] » (Lascoumes 2001). Ainsi, l'étude des controverses accorde une place importante aux discussions, aux arguments et aux connaissances qui se développent au cours de la controverse dans d’un espace partagé par un groupe d’acteurs divers (D’Alessandro-Scarpari et al. 2004 ; Lascoumes 2001) ; cet espace a été formalisé par Callon et Rip (1992) sous l’appellation de « forum hybride ».
Pour compléter :
- Callon, Michel. 1986. « Éléments pour une sociologie de la traduction?: La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc ». L’Année sociologique (1940/1948), Troisième série, 36, p. 169-208.
- Callon, Michel, et Arie Rip. 1992. « Humains, non-humains: morale d’une coexistence ». In La Terre outragée. Les experts sont formels !, dirigé par J Theys et B Kalaora. Paris, Autrement.
- Cattaruzza, Amaël, et Pierre Sintès. 2011. Géographie des conflits. Paris, Bréal.
- Charlier, B. 1999. « La défense de l’environnement: entre espace et territoire. Géographie des conflits environnementaux déclenchés en France depuis 1974 ». Thèse de doctorat. Pau, Université de Pau et des Pays de l’Adour.
- D’Alessandro-Scarpari, Cristina, Élisabeth Rémy, et Valérie November. 2004. « L’«?espace?» d’une controverse ». Espaces-Temps, Revue électronique des sciences humaines et sociales.
- Darly, Ségolène, et André Torre. 2008. « Conflits liés aux espaces agricoles et périmètres de gouvernance en Ile-de-France ». Géocarrefour 83 (4), p. 307-319.
- Depraz, Samuel. 2016. « Introduction générale Pourquoi et comment travailler l’acceptation sociale dans les territoires?? » in : Acceptation sociale et développement des territoires, dirigé par Samuel Depraz, Ute Corenc, et Ulrike Grabski-Kieron. Lyon : ENS Éditions.
- Duncan, R. 2004. « Science Narratives?: The Construction, Mobilisation and Validation of Hydro Tasmania’s Case for Basslink ». Thèse de doctorat. Sandy Bay: University of Tasmania (PDF)
- Dziedzicki, Jean-Marc. 2004. « Au-delà du Nimby: le conflit d’aménagement, expression de multiples revendications ». in : Conflits et territoires, dirigé par Patrice Melé, Corinne Larrue, et Muriel Rosemberg. Tours, Presses Universitaires François Rabelais, p. 34-64.
- Lascoumes, Pierre. 2001. « La productivité sociale des controverses ». Intervention au séminaire « Penser les sciences, les techniques et l’expertise aujourd’hui », Paris.
- Lecourt, Arnaud. 2003. « Les conflits d’aménagement: analyse théorique et pratique à partir du cas breton ». Thèse de doctorat. Rennes, Université Rennes 2.
- Lemieux, Cyril. 2007. « À quoi sert l’analyse des controverses ? » Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle 25 (1), p. 191-212.
- Melé, Patrice, Corinne Larrue, et Muriel Rosemberg. 2004. Conflits et territoires. Tours, Presses Universitaires François Rabelais.
2.1. Une île-prison devenue Éden
La Tasmanie a longtemps été marquée par une image inquiétante qui trouve ses racines dans les débuts difficiles de cette ancienne colonie anglaise fondée en 1803 : la construction d'une société violente et masculine majoritairement composée de bagnards, l'affrontement avec les Aborigènes, la crise et la famine des premières années, la rudesse du climat d'une île située autour des « quarantièmes rugissants », une faune mystérieuse et singulière dont les cris – et notamment ceux du diable de Tasmanie – désarçonnèrent les premiers colons…
Figure 4. La centrale hydro-électrique de Tarraleah en Tasmanie |
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4a. La façade Art Déco de la centrale hydro-électrique de Tarraleah. Cliché S. Flaminio, 2016 |
4b. Les conduites forcées de la centrale hydro-électrique de Tarraleah. Cliché S. Flaminio, 2016 |
4c. Le réseau de tunnels et de canaux qui viennent alimenter la centrale hydro-électrique de Tarraleah. Source : Power in Tasmania, Hydro-Electric Company, 1980. |
Cependant, dès les années 1820, la Tasmanie est appréciée et convoitée pour les richesses qu'elle offre. L'île-prison se révèle un Eldorado : de l’or est découvert, mais aussi d'autres ressources minières. Son climat tempéré permet la mise en place d'une société pastorale, tournée vers l'exportation, fondée sur l'élevage ovin et des cultures spécialisées (la pomme par exemple). Sa forêt luxuriante est au fondement d'une filière sylvicole qui est aujourd’hui le quatrième pilier de son économie. Dès la fin du XIXe siècle, et donc de façon précoce si l’on se réfère aux autres régions australiennes, l'abondante ressource en eau est mise à profit : il s'agit d'industrialiser l'île en proposant l'énergie la moins coûteuse du pays. Cette entreprise, résumée sous l'appellation « hydro-industralisation », est permise par la Hydro-Electric Commission (aujourd'hui HydroTasmania), fondée en 1914 par le gouvernement tasmanien, en charge de la construction et de la gestion des barrages tasmaniens. Certaines de leurs installations hydro-électriques ont nécessité des réseaux de circulation des eaux complexes, comme c'est le cas pour la centrale de Tarraleah (figure 4) avec ses 22 km de tunnels et de canaux.
2.2. « Save Lake Pedder » : les prémisses de la controverse
Figure 5. Flyer pro-barrage et photographies du barrage et des réservoirs
Cette carte de 1981, extraite d'un flyer de l'association pro-barrage appelée Hydro Employee Action Team (HEAT), fait figurer les réservoirs Gordon et Pedder (« Gordon Stage 1 »). La figure 5b laisse voir le barrage Gordon, barrage voûte à double courbure de 140 m de haut. Lorsqu'il est plein, le réservoir (figure 5c) constitue le volume d'eau plus le important d'Australie. Un canal incliné relie le réservoir Pedder (figure 5d) au réservoir Gordon (dont le niveau est plus bas que celui du réservoir Pedder) où se situe la centrale hydro-électrique souterraine dont on peut apercevoir la tour de prise d'eau (qui alimente la conduite) sur la figure 5c. D'une capacité de 432 MW, la centrale Gordon est la plus importante de Tasmanie, et la cinquième plus puissante d'Australie. |
Lorsque l'équipement hydroélectrique de l'Ouest est envisagé par le gouvernement tasmanien dans les années 1960, l'écologie est invoquée pour contester l'aménagement d'une région considérée comme l'espace par excellence de la wilderness australienne. Le projet « Gordon stage 1 » (figure 5) créa deux lacs de retenue : le réservoir Gordon (créé par le barrage Gordon qu’on voit sur l’image) et un second réservoir ennoyant un lac glaciaire, le Lake Pedder, qui présentait des caractéristiques aussi bien géomorphologiques que biologiques uniques à l'échelle mondiale et qui constituait un haut lieu de la randonnée à l'échelle nationale. Si le gouvernement tasmanien ne céda pas à la contestation, les comités de défense du lac Pedder qui se constituèrent à l’époque sont encore actifs aujourd'hui. Ils prônent notamment la restauration du lac originel((https://lakepedder.org/)). Par ailleurs, cette controverse a abouti à la création du United Tasmanian Group, un parti politique parfois présenté comme le premier parti « vert » au monde (Hay et Haward 1988).
2.3. « Not just a river » (James McQueen, 1983)
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Figure 6. Schématisation des principaux porte-paroles impliqués dans la controverse de la FranklinConception : S. Flaminio, réalisation : J.-B. Bouron, Géoconfluences, 2017. |
Peu après la réalisation du « Gordon stage 1 », des rumeurs commencent à courir sur un second projet pour le Sud-Ouest tasmanien, le « Gordon stage 2 ». Le projet, rendu public en 1979, prévoyait la construction du barrage Gordon-below-Franklin, qui aurait affecté non seulement le fleuve Gordon, mais aussi l'un de ses affluents, la rivière Franklin (figure 5). Si la rivière Franklin et la section aval du Gordon étaient moins connus du public et des scientifiques que le Lake Pedder, le projet a divisé l'ensemble de la société tasmanienne, avant de devenir une controverse nationale et internationale. Une multiplicité d'acteurs s'engagèrent pour ou contre le projet (figure 6), et les divisions au sein même du Labor Party tasmanien, au pouvoir presque sans interruption entre 1939 et 1982, entraînèrent la montée au pouvoir du Liberal Party, résolument pro-barrage. Le débat dépassa la question de la protection de la ressource en eau et des cours d'eau, et cela quand bien même de nombreuses expéditions de kayak furent organisées, des chansons composées (à l'exemple de « Let the Franklin flow » du groupe Goanna) et des recueils de photographies constitués pour célébrer la rivière Franklin et le fleuve Gordon((Voir le clip de la chanson et une photographie prise avant la controverse mais très diffusée et utilisée par les militants anti-barrage.)) ; il s'agissait notamment d’une part de s'opposer à la pensée prométhéenne du gouvernement tasmanien et plus encore d'une Hydro-Electric Commission dotée d'un pouvoir bien trop important d'après ses détracteurs, et d’autre part de défendre une nature sauvage pour sa valeur intrinsèque. Par ailleurs, la découverte des sites archéologiques aborigènes dans des grottes le long de la rivière Franklin, qui fit l'objet de débats dans la revue Nature (Kiernan, Jones, et Ranson 1983), contribua à élargir la portée thématique et spatiale de la controverse. La médiatisation culmine avec le blocage des travaux de construction, organisé par l'association environnementaliste The Wilderness Society pendant l'été 1982-1983, qui a abouti à l'arrestation de 1 272 personnes. Environ 500 personnes ont été emprisonnées après avoir décidé de ne pas payer leur caution dans le but d'encombrer le système judiciaire, contribuant encore à attirer l'attention des médias internationaux.
Le classement du Sud-Ouest de la Tasmanie au patrimoine mondial de l'Unesco en novembre 1982 permit au gouvernement fédéral nouvellement élu de Bob Hawke d'intervenir dans la controverse et d’interdire les travaux de construction du barrage au nom du droit international en mai 1983 (figure 6). La Tasmanie fit appel à la Cour suprême australienne pour contester l'intervention de l’État fédéral dans la gestion de ses ressources, mais la Cour suprême donna raison à l’État fédéral et à la suprématie du droit international : la Franklin dam controversy devient ainsi un jalon législatif à l'échelle nationale ; elle symbolise l'affirmation du pouvoir fédéral sur celui des États fédérés.
2.4. Implications et postérité de la Franklin dam controversy
Au lendemain de la controverse, Pigram (1986) écrit dans son chapitre consacré à la mise en valeur de la ressource en eau en Australie que « l'issue de la controverse a des implications profondes sur la gestion des ressources du pays » (p. 82). Dans la réédition de 2007 de son ouvrage, la partie qu'il consacre à la controverse est bien plus réduite et l'auteur ne s'attarde pas sur ses implications. L'abandon du projet de barrage a certes affecté l'orientation générale de la Hydro-Electric Commission qui s'est consacrée à la réalisation de quelques ouvrages plus modestes. Toutefois, l'événement n'est pas reconnu de manière unilatérale comme ayant affecté la gestion de l'eau ou l'aménagement des cours d'eau en Australie. Quelques-uns soulignent que la controverse a fortement affecté la capacité des gouvernements australiens à construire des barrages, comme le laisse entendre le journaliste Bernard Salt dans The Australian le 25 août 2005 :
« À la suite de la mobilisation d'un parti Vert alors en construction, le projet visant à ennoyer la rivière tasmanienne Franklin fut annulé. Cette mobilisation ne sauva pas seulement la Franklin ; elle eut pour effet de définir le programme politique pour les deux, et possiblement cinq, décennies qui suivirent. Depuis, aucun dirigeant politique n'a proposé la construction d'un grand barrage qui répondrait aux besoins métropolitains australiens. Les politiciens des États fédérés croient encore que suggérer la construction d'un barrage est le meilleur moyen de perdre une élection ; en conséquence, ils évitent complètement le sujet. Pour les chefs des gouvernements fédérés, le mot débutant par « b » est devenu un gros mot ».
Mais plus souvent, l'abandon du projet de barrage est avant tout avancé comme une victoire des défenseurs de la wilderness contre des gouvernements aménagistes, sans référence particulière à la gestion de la ressource en eau ou à la gestion des cours d'eau australiens.
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Figure 7. L'évolution du nombre de barrages construits par État et Territoire entre 1900 et 2011Source : Register of Large Dams in Australia, ANCOLD, 2011. |
La figure 7 permet de relativiser le rôle de la controverse dans l'aménagement des cours d'eau australiens et plus spécifiquement dans l'aménagement des cours d'eau tasmaniens. Après 1983, la construction de barrages semble se poursuivre presque au même rythme qu'auparavant en Queensland et en Tasmanie. Alors que dans le Queensland la construction d'ouvrages semble ralentir après 2000, elle continue en Tasmanie pour la période 2000-2011. La grande majorité des ouvrages construits en Tasmanie depuis les années 1990 est liée à l’irrigation. Plus modestes en taille, les barrages d’irrigation sont peut-être moins susceptibles de déclencher la controverse que les grands ouvrages hydroélectriques.
Par ailleurs, ce n'est qu'à partir des années 2000 qu'est envisagée la mise en place d'un débit environnemental (c’est-à-dire un débit permettant de limiter les effets des barrages sur l’écosystème) pour le fleuve Gordon et ce débit est fortement contraint par la vente d'électricité tasmanienne à d'autres États australiens (Duncan et Hay 2007).
Pourtant, les cours d'eau sont bel et bien promus comme des arguments d'attractivité touristique pour la Tasmanie. Plusieurs compagnies proposent des descentes organisées de la Franklin en raft allant de 7 à 14 jours et devant respecter la réglementation liée au World Heritage Area, par exemple « la récupération des déjections humaines »((Tasmanian Wilderness World Heritage Area Management Plan, 2016.)). La ville de Strahan, située à l'embouchure du fleuve Gordon, est devenue un petit centre touristique qui repose sur l'image des cours d'eau Franklin et Gordon (figure 8). La mémoire de la controverse est encore vive dans l'État de Tasmanie – qu'elle continue de façonner – si ce n'est dans toute l’Australie, même s'il reste difficile de dire si on assiste à l'émergence d'un écotourisme mémoriel qui serait une source de développement territorial.
Figure 8. La mise en valeur des cours d'eau et de la controverse à Strahan en Tasmanie
Gauche : Figure 8.a. La boutique de souvenirs « Wild Rivers » à Strahan. Cette boutique propose à la fois vêtements, souvenirs et produits tasmaniens. On peut aussi y acheter des tickets pour une croisière de quelques heures sur le fleuve Gordon, ou les tickets pour un trajet en train touristique – le train traverse la wilderness du Sud-Ouest donnant un aperçu de la forêt tempérée pluviale et des célèbres cours d'eau tasmaniens. Cliché : S. Flaminio, 2016. Centre : Figure 8.b. Photographie d'une partie de l'exposition permanente de l'office de tourisme de Strahan, présentant l'histoire du Sud-Ouest de la Tasmanie. Ici, des citations d'époque de divers acteurs sont inscrites sur des petits encarts jaunes et noirs. Elles semblent se faire emporter par la lame d'un bulldozer. Cliché : S. Flaminio, 2016. Droite : Figure 8.c. Photographie de la même exposition. Une statue de kayakiste vient rappeler les descentes sportives des cours d'eau de l'Ouest tasmanien. Cliché : S. Flaminio, 2016. |
Conclusion
Du début de la colonisation de l'Australie aux années 1980, le paradigme prométhéen semble avoir dominé dans la gestion de sa ressource en eau. Cette exploitation des ressources en eau a été dommageable pour les milieux aquatiques, et pour l'environnement de manière plus générale. Elle pourrait s'expliquer par la volonté des premiers colons de mettre en place une société pastorale tout en méconnaissant le fonctionnement des milieux et du climat de l'île-continent, puis par les impératifs du développement économique après la Seconde Guerre mondiale. Si les connaissances sur l'environnement en Australie se sont affinées au cours du XXe siècle, l'exemple de la Franklin, et la découverte de grottes karstiques et de sites archéologiques le long du cours d'eau pendant la controverse, montrent que certains espaces étaient encore très peu connus ou étudiés pendant les années 1980. Aujourd'hui, et malgré un certain nombre de difficultés, l'Australie à bien des égards semble à la pointe en termes de gestion de l'environnement, ce dont atteste le caractère holiste du plan de gestion du World Heritage Area du Sud-Ouest de la Tasmanie.
L'analyse de la controverse liée au barrage Gordon-below-Franklin semble montrer que celle-ci n'a pas constitué un jalon important dans la gestion de la ressource en eau et des milieux aquatiques, dans leur aménagement, en Australie. Néanmoins cet événement à portée internationale, qui donne raison à la protection plutôt qu'au développement économique, a fortement modifié les représentations de la Tasmanie, mais aussi de l'environnement australien, et plus particulièrement de la wilderness. Il rappelle enfin que les controverses liées à l'eau ne soulèvent pas uniquement des questions relatives aux réseaux hydrographiques, aux usages de l'eau et des milieux aquatiques, mais s'inscrivent aussi dans des débats plus généraux et se rapportent notamment à la question fondamentale posée par C. Lévêque (2003) « quelles natures voulons-nous ? ».
Bibliographie
Bibliographie de référence
- BOM (Bureau of Meterology) et CSIRO, 2016. State of the Climate 2016
- Brizga, Sandra, Finlayson, Brian L., éd. 1999. River Management: The Australasian Experience. Chichester, UK: John Wiley Ltd.
- Douglas, I. 1979. “Flooding in Australia: a review.”, Natural Hazards in Australia, Australian Academy of Science, p. 143-63.
- Doyle, T., Kellow, A. J. 1995. Environmental politics and policy making in Australia. Macmillan Education AU.
- Duncan, Ronlyn, Hay, Pete. 2007. “A question of balance in integrated impact assessment: negotiating away the environmental interest in australia’s basslink project”. Journal of Environmental Assessment Policy and Management 09 (03), p. 273-97. doi:10.1142/S1464333207002792.
- Hay, P. R., Haward, M. G. 1988. “Comparative Green Politics: Beyond the European Context?” Political Studies 36 (3), p. 433-48. doi:10.1111/j.1467-9248.1988.tb00240.x.
- Kiernan, Kevin, Jones, Rhys, Ranson, Don. 1983. “New Evidence from Fraser Cave for Glacial Age Man in South-West Tasmania”. Nature 301 (5895), p. 28-32. doi:10.1038/301028a0.
- Lasserre, Frédéric. 2003. « L’Australie?: le poison du sel ». in Luc Descroix et Frédéric Lasserre, L’eau dans tous ses états?: Chine, Australie, Sénégal, États-Unis, Mexique, Moyen Orient..., L’Harmattan, 350 p.
- Lévêque, Christian. 2003. « Quelles natures voulons-nous???Quelles natures aurons-nous?? » in Christian Lévêque, S. Van der Leeuw, I. Reynier (éd.), Quelles natures voulons-nous???Pour une approche socio-écologique du champ de l’environnement, édité par, p. 13-21. Elsevier.
- Pigram, John J. J. (John Joseph James). 1986. Issues in the management of Australia’s water resources. Melbourne: Longman Cheshire.Collectif, 2007 Australia’s water resources?: from use to management. Collingwood, Vic: CSIRO Publishing.
- Smith, David Ingle. 1998. Water in Australia: resources and management. Melbourne: Oxford University Press.
Ressources complémentaires
- Buckman, Greg. 2008. Tasmania’s Wilderness Battles: A History. Crows Nest, NSW: Allen & Unwin.
- Crase, Lin, éd. 2008. Water Policy in Australia: The Impact of Change and Uncertainty. Washington, D.C.: Resources for the future.
- Flaminio, Silvia. 2015. « La Tasmanie?: imaginaires d’une île controversée ». Poster scientifique pour le Festival International de Géographie de 2015, Saint-Dié des Vosges
- Hay, P. R. 1994. “The politics of Tasmania’s world heritage area: Contesting the democratic subject”. Environmental Politics 3 (1), p. 1-21. doi:10.1080/09644019408414122.
- Hussey, Karen, Dovers, Stephen, éd. 2007. Managing Water for Australia: The Social and Institutional Challenges. Collingwood, Vic: CSIRO Publishing.
- Hutton, Drew, Connors, Libby. 1999. History of the Australian Environment Movement. Melbourne: Cambridge University Press.
- Law, Geoff. 2008. The river runs free: exploring and defending Tasmania’s wilderness. Camberwell, Vic: Penguin Group Australia.
Sitographie
- Ministère australien de l'agriculture et des ressources en eau (en anglais)
- CSIO (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation) : water
- La compagnie électrique Hydro Tasmania (en anglais)
- Hydro Tasmania : la page du centenaire de l'entreprise (en anglais)
- The Wilderness society : our successes
- The Wilderness society : saving the Franklin
Silvia FLAMINIO,
Agrégée de géographie, doctorante à l'ENS de Lyon, UMR 5600 EVS, page academia
mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :Silvia Flaminio, « L'eau en Australie : de l'exploitation des ressources à la gestion des milieux ? L'exemple du bassin versant du Gordon en Tasmanie », Géoconfluences, février 2017. |
Pour citer cet article :
Silvia Flaminio, « L'eau en Australie : de l'exploitation des ressources à la gestion des milieux ? L'exemple du bassin versant du Gordon en Tasmanie », Géoconfluences, février 2017.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-critique-des-ressources/articles/eau-australie-tasmanie