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Les décharges formelles et informelles en France, de la montagne de déchets à la colline végétalisée

Publié le 04/11/2024
Auteur(s) : Clément Dillenseger, docteur en géographie, Attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) - École normale supérieure de Lyon, université Jean Moulin – Lyon 3
Héloïse Gaboriaud, masterante en géographie - École normale supérieure de Lyon
Margot Favreau, masterante en géographie - École normale supérieure de Lyon
Aliénor de Viry, masterante en géographie - École normale supérieure de Lyon

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La consommation des entreprises et des ménages produit une quantité importante de déchets chaque année, dont une partie seulement est recyclée ou valorisée. Tout ce qui reste doit être stocké dans des installations dédiées, communément appelées "décharges". Cet article s’intéresse à ces espaces qui enfouissent et cachent ce dont nous ne voulons plus, entre renaturation des installations légales et gestion des décharges sauvages existantes.

Bibliographie | mots-clésciter cet article

D’après l’ADEME (2023), 315 millions de tonnes de déchets sont produites chaque année en France. Parmi ces 315 millions de tonnes, seules 38,9 concernent les déchets domestiques et des petites entreprises (commerces, restaurants). 64 millions de tonnes de déchets sont produites par les industries et 213 par le secteur de la construction (petits artisans et gros œuvre). L’ADEME estime qu’en moyenne, chaque année, en France, 529 kg de déchets sont produits par habitant.

Un déchet se définit classiquement comme étant un objet dont le propriétaire veut se débarrasser en raison de son inutilité. Le statut de déchet est donc toujours relatif à son propriétaire. Ce qui est vu comme un déchet par une personne peut être vu comme un objet utile pour d’autres, voire comme une ressource. Le statut de déchet recoupe des réalités très variées : objets cassés, gravats de déconstruction, eaux usées, canettes et bouteilles en plastique, mégots de cigarettes... Cette diversité d’objets implique une diversité de statuts : certains sont considérés comme dangereux, d’autres comme non dangereux. Certains sont « organiques » : ils vont évoluer, se putréfier, quand d’autres sont dits « inertes ». À ces différents statuts correspondent différents modes de collecte et lieux de traitement. Les « ordures ménagères », entendues comme les déchets produits ((La production des déchets est, pour nous, liée autant aux choix des industriels et aux incitations à la consommation qu'aux actes individuels. Au sens strict, il faudrait écrire que les habitants consomment des déchets, plutôt que « produisent » : ils ne sont qu’une étape dans la surproduction actuelle de déchets. Nous laissons ici l’expression « produire des déchets », relevant du langage courant, par souci de lisibilité.)) par les foyers au quotidien, sont le type de déchet le plus commun et le plus connu. Mais jusqu’où vont ces ordures ménagères une fois qu’elles sont collectées ? Comment sont-elles gérées et stockées ? Ont-elles une utilité ?

Face cachée de la consommation de masse, les décharges sauvages comme les installations officielles de stockage des déchets sont méconnues du grand public. Ce sont pourtant des lieux nécessaires : ils permettent aux humains de ne pas être ensevelis sous les matières consommées au quotidien. Ces « lieux du déchet » assurent le fonctionnement écologique des territoires, aussi appelé métabolisme territorial.

Après la production, la commercialisation et la consommation, les matières détritiques peuvent suivre différents itinéraires. Dans de nombreuses communes françaises, les déchets ménagers et ceux de l’espace public sont incinérés une fois qu’ils sont collectés. L’incinération ne fait pas disparaître totalement ces matières puisqu’environ 10 % du volume injecté dans l’incinérateur en ressort : il s’agit des cendres, du verre ou des matières métalliques qui n’ont pas brûlé, des particules toxiques… Le document 1 montre l’itinéraire des matières à partir de leur collecte par les services municipaux de Lyon. Dans certains autres cas, comme à Saint-Étienne, les déchets sont stockés directement dans des installations, sans passer par l’étape d’incinération. Les déchets engendrent ainsi des paysages spécifiques, à la fois industriels et « naturels ». S'il est difficile de comparer les tonnages incinérés, valorisés (en matière ou en énergie) et stockés en décharge dans les agglomérations françaises, en raison de différences dans les chiffrages, on sait qu'il existe une disparité importante entre elles en matière de gestion des déchets, qui est une compétence des communes et des intercommunalités.

Document 1. L’itinéraire des déchets des habitants du Grand Lyon

Le traitement des déchets dans le Grand Lyon : décharges, recyclage, incinération, stockage, et volumes traités en tonnes

La collecte se répartit entre un gros volume de déchets ménagers non triés et beaucoup d’autres collectes plus petites : tri en déchetterie, tri sélectif des ménages (y compris, depuis 2021, collecte séparée pour les déchets alimentaires destinés au compostage industriel), collecte après les marchés ouverts, poubelles de rue, etc. Une majorité des déchets est incinérée et produit de l’électricité et de la chaleur (valorisation énergétique). Les cendres et les « gâteaux » résultant de l’incinération sont enfouis dans les sites de stockage. Les mâchefers, résidus non dangereux de l’incinération, sont triés sur une plateforme de maturation ; une petite partie est recyclée, le reste rejoint les gravats pour les remblais (pour construire des routes par exemple). Source : Grand Lyon (2022) Rapport annuel 2021 sur le prix et la qualité du service public de prévention et gestion des déchets ménagers et assimilés. Carte de Géoconfluences, 2024, libre de droits pour l’usage pédagogique en classe. Usage commercial ou éditorial : nous contacter.

Cet article, en s’intéressant aux lieux qui accueillent les déchets loin du regard des consommateurs, propose une géographie des effets spatiaux et écologiques de la consommation. Les déchets ne disparaissent jamais totalement : au bout de la chaîne, on retrouve les installations de stockage officielles et, parfois, des décharges sauvages. C’est à ces lieux qu’est consacré ce texte dont l’objectif est de décrire les modalités de gestion ainsi que leurs conséquences paysagères, écologiques et sociales à partir de différentes études de cas en France.

1. De la décharge à l’installation de stockage, une géographie des déchets français

Depuis les années 1970 et grâce aux progrès en matière de préservation de l’environnement en France, les décharges sauvages sont devenues minoritaires au profit des installations de stockage officielles (Bertrand, 2003). Cette partie revient sur les enjeux définitionnels et juridiques des « décharges » et des installations de stockage ainsi que sur la répartition de ces décharges en France métropolitaine et dans les territoires ultramarins.

1.1. Décharges illégales versus installations de stockage : quelles différences ?

On trouve en France plusieurs types d’espaces liés à la gestion des déchets : déchetteries, installations de transit, installations de stockage, installations de compostage (document 1)… Pour les seules installations de stockage de déchets, il existe une diversité de dénominations (« centre d’enfouissement technique », « centre de stockage de déchets ultimes »). Ces termes recoupent souvent ce que le grand public a appelé des « décharges ». Le terme même de « décharge » est imprécis : il renvoie simplement à l’acte de se délester d’un poids. La décharge, selon une définition très littérale, répond à un problème : lorsqu’on ne sait plus où envoyer un déchet ou comment le traiter, on s’en décharge… en l’envoyant dans une décharge. La « décharge » est alors entendue comme une destination finale pour les déchets : elle exclut donc les déchetteries ou les autres installations de transit. Par ailleurs, les centres de compostage qui tendent à se développer ne correspondent pas tout à fait à cette dénomination courante car les déchets organiques sont plus facilement valorisables en énergie (via le processus de méthanisation) ou en matière (en compost pour les activités agricoles). Les « décharges » auxquelles nous nous intéressons ici désignent plutôt ce que l’on appelle désormais, officiellement, des « installations de stockage ». L’idée de stockage renvoie à une temporalité longue. On peut distinguer deux grands types de lieux qui « stockent » des déchets en France aujourd’hui :

  • Les décharges légales, dont on peut dresser une typologie par type de déchets acceptés
    • Les installations de stockage de déchets dangereux (éléments radioactifs, éléments chimiques dangereux, déchets pharmaceutiques…), ou ISDD
    • Les installations de stockage de déchets non dangereux (déchets non recyclables ou valorisables des industries), ou ISDND officiellement définies comme des « installations d'élimination de déchets non dangereux par dépôt ou enfouissement sur ou dans la terre »
    • Les installations de stockage de déchets inertes (déchets du secteur du bâtiment et des travaux publics, BTP).
  • Les décharges illégales :
    • Les « dépôts sauvages de déchets » lorsque ceux-ci sont ponctuels et peu étendus.
    • Les « décharges illégales » lorsque les dépôts des déchets sont réguliers mais qu’il n’existe pas d’organisation légale et réglementée qui aménage et valorise les déchets déposés. On retrouve dans ces décharges sauvages une petite part de déchets ménagers et de nombreux déchets issus du BTP, déposés par des artisans qui travaillent souvent illégalement et/ou ne veulent pas payer les frais imposés en déchetterie.

La différence entre installation légale de stockage et décharge illégale est législative. Dans le premier cas, son fonctionnement est réglementé par l’arrêté du 15 février 2016 relatif aux installations de stockage de déchets non dangereux. Elle définit l’installation de stockage comme une ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement), c’est-à-dire un aménagement qui peut présenter un risque pour l’environnement et qui est par conséquent très réglementé. Cet arrêté impose une autorisation préfectorale précisant la délimitation spatiale de la décharge, la capacité de stockage autorisée, la durée et les conditions d’exploitation, la nature des déchets stockés et l’origine géographique des déchets pouvant être admis. La réglementation de l’enfouissement de déchets est récente : la première directive européenne date de 1975. Avant 2016, et a fortiori avant 1975, la frontière entre ISDND et décharge illégale est donc poreuse. En pratique, dans un document officiel comme le PRPGD régional (plan de prévention et de gestion des déchets), le terme « ISDND » est utilisé pour des décharges mises en service dans les années 1970 ou fermées avant 2016 : le terme « ISDND » en vient donc à désigner plus généralement des décharges qui se sont faites en concertation avec les pouvoirs publics. À l’inverse, l’abandon des déchets dans un espace qui n’est pas dédié à leur gestion est interdit par plusieurs articles du code pénal et du code de l’environnement.

1.2. Une pluralité d’acteurs publics et privés qui fabriquent et gèrent ces espaces et paysages du déchet

Document 2. Le rôle des acteurs publics dans la filière stockage des déchets en France

Le rôle des acteurs publics dans la filière stockage des déchets en France

Organigramme réalisé d’après le contenu du présent article. Géoconfluences, 2024.

Pour gérer les installations de stockage ou les décharges sauvages, la puissance publique intervient à tous les échelons (document 2). L’Union européenne donne des directives en matière de gestion des déchets que l’échelon étatique digère dans le droit national. Ensuite, l’échelon régional comme l’échelon local (des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale, EPCI) organisent concrètement et spatialement la gestion des déchets. 

Le premier texte des instances européennes au sujet des déchets est une directive-cadre de 1975. C’est alors la Communauté économique européenne (CEE) qui souhaite harmoniser la gestion des déchets dans les États membres, afin de limiter « les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, Ie traitement, le stockage et le dépôt des déchets » (directive n° 75/442/CEE). Le texte le plus récent lié aux déchets est une directive de 2018 qui impose aux États membres trois orientations principales : 

  • D’un point de vue qualitatif, lié à la nature des déchets, la directive impose la création de collectes (par exemple, pour les biodéchets) et de nouvelles filières pour certains déchets spécifiques (par exemple, les mégots ou les textiles)
  • D’un point de vue quantitatif, une augmentation des ambitions en matière de valorisation matérielle (recyclage, compost) ou énergétique (chaleur, méthanisation), avec comme conséquence logique une baisse des déchets mis en installation de stockage
  • La réduction des déchets à la source, dans la production industrielle 

Avant 2015, la collecte et le traitement des déchets devaient être gérés à l’échelon communal. Le plus souvent, les communes s’associaient dans des syndicats de communes afin de réaliser des économies d’échelle, une seule commune ne pouvant pas assumer seule les coûts importants de ce service public. Depuis la loi NOTRe de 2015, ces compétences relèvent des EPCI, c’est-à-dire de l’échelon intercommunal. Cette même loi oblige les régions à se doter d’un Plan régional de prévention et de gestion des déchets. Ainsi, ce sont les régions qui fixent le tonnage admis de déchets mis en installation de stockage présentes sur le territoire régional. Elles doivent donc intégrer dans leurs politiques publiques une réduction progressive des tonnages admis dans les installations de stockage qui incite les EPCI et les entreprises privées à trouver d’autres solutions de traitement.

L’État joue également un rôle dans la gestion des espaces de traitement des déchets via les préfectures et les Agences Régionales de Santé (ARS). C’est la préfecture qui assure le suivi du bon fonctionnement des installations de stockage tandis que l’ARS contrôle la qualité environnementale et les rejets de ces installations. Le stockage des déchets est généralement administré concrètement par des entreprises privées, sous deux formes : la délégation de service public ou le site propre. Dans le cas de la délégation de service public, les entreprises répondent à un appel d’offre pour gérer les sites de stockage dans une durée variable mais le site appartient aux collectivités locales. Dans d’autres cas (plus rares), les entreprises disposent de la propriété foncière du site de stockage qu’elles peuvent exploiter tant que la préfecture les y autorise. Les EPCI sont donc des clients de ces entreprises du déchet, au même titre que d’autres entreprises qui ne passent pas par la collecte publique mais qui utilisent directement les installations de stockage. Enfin, des acteurs individuels sont également liés à ces infrastructures : les habitants qui produisent les déchets mais aussi les travailleurs et les travailleuses qui, chaque jour, sont présents sur le site.

1.3. Où sont les décharges en France ? L’exemple des déchets non dangereux

Les décharges et installations de stockage, telles que définies précédemment, sont donc des espaces où le déchet est présent à long terme. Les décharges illégales se situent le plus souvent en marge des zones habitées, sur d’anciens terrains désaffectés ou au bord des routes, loin des habitations. Les installations de stockage se situent le plus souvent en périphérie des villes, dans des zones peu denses : il s’agit de pouvoir recueillir les déchets de la ville en minimisant le trajet des déchets (motifs économiques et écologiques) ainsi que les nuisances (un minimum d’habitants touchés).

Cet article se focalise sur la localisation des ISDND (Installation de Stockage de Déchets Non Dangereux) en France. Ces installations abritent des déchets dits « non dangereux » comme le bois, les biodéchets ou les ordures ménagères (à l’inverse de l’amiante ou d’autres matières très toxiques pour les organismes et l’environnement). Le premier élément qui détermine la localisation des infrastructures est l’arrêté du 15 février 2016 relatif aux ISDND. La première contrainte est une contrainte de site : celui-ci doit être géologiquement et hydrologiquement favorable pour éviter la pollution des sols et des eaux souterraines, hors d’une zone à risque naturel (inondation, glissement de terrain), et loin des captages d’eau pour la consommation humaine. Les sols argileux constituent donc généralement la base géologique de ces infrastructures.

Document 3. La répartition des ISDND en France

Carte des décharges en activité en 2019 d'après les documents régionaux

Carte d’Héloïse Gaboriaud et JBB pour Géoconfluences, 2024, à partir de données 2019. Libre de droits pour l’usage pédagogique en classe. Usage commercial ou éditorial : nous contacter.

S’il définit des contraintes de site, l’arrêté de 2016 n’influence cependant pas la localisation des ISDND à l’échelle nationale. Une autorisation préfectorale doit mentionner un périmètre au-delà duquel les déchets ne peuvent être admis dans cette décharge, mais l’arrêté ne mentionne pas de périmètre maximal. Peut-être est-ce la cause de l’inégale répartition des plus de 200 ISDND françaises que l’on observe sur le document 3. Certains départements ne possèdent aucune ISDND comme la Savoie, la Haute-Savoie ou le Finistère ; au regard du nombre d’habitants, la Bretagne peut enfouir beaucoup moins de tonnes de déchets que les Hauts-de-France. Une logique fonctionnelle voudrait que les ISDND se situent proche des grandes villes : elle s’observe dans le cas des deux ISDND françaises ayant la plus grande capacité, celles de Claye-Souilly (1,1 million de tonnes par an) et Bouqueval (950 000 tonnes). Elles sont suffisamment proches de l’agglomération parisienne pour recueillir ses déchets (une quarantaine de kilomètres du centre de Paris), mais dans des espaces peu peuplés (en bordure d’une route nationale pour Claye-Souilly, en marge d’un village de 300 habitants pour Bouqueval). Cependant, si on observe de nombreuses ISDND proches des métropoles parisienne, marseillaise ou encore lilloise, d’autres ont moins d’installations et des capacités plus faibles, telles que les métropoles lyonnaise, strasbourgeoise ou bordelaises. Cette inégale répartition a pour conséquence des trajets plus longs pour le transport des déchets, avec des émissions de CO2 supplémentaires.

Par ailleurs, chaque collectivité d’outre-mer possède au moins une décharge, et à l’exception de la Martinique, leurs décharges ont des capacités équivalentes aux installations métropolitaines, au regard de leur nombre d’habitants. La spécificité de l’outre-mer se trouve davantage dans la localisation des ISDND, puisque toutes sont proches du littoral, alors que très peu le sont aujourd’hui en métropole. Cela s’explique par des concessions sur le choix du terrain d’une ISDND en outre-mer ménagées par l’arrêté de 2016. Par exemple, sur une île présentant un risque élevé d’inondation, plutôt que de chercher une zone non inondable pour implanter une ISDND, il faut justifier de dispositifs permettant de réduire les risques liés aux inondations.

La carte du document 3 étant réalisée à partir des plans régionaux de gestion de déchets, utilisant eux-mêmes des sources régionales d’années différentes (entre 2015 et 2018), nous devons néanmoins nuancer une comparaison interrégionale fine entre ces chiffres. Cette situation générale des ISDND tend par ailleurs à évoluer puisque les objectifs politiques sont à la réduction de la mise en décharge. La tendance est donc à ralentir la croissance des ISDND existantes et à fermer celles qui ne sont plus tenues pour indispensables.

2. L’insertion territoriale et paysagère des sites de stockage des déchets : quelques études de cas

À partir d’études de cas localisés, cette seconde partie revient sur les enjeux écologiques, paysagers et sociaux de la gestion des ISDND. Le cadre réglementaire évoqué précédemment influence les paysages et le fonctionnement des sites de stockage des déchets. Par ailleurs, ces sites font l’objet de mise en scène et en récit qui visent à rassurer les riverains et, plus largement, le grand public quant aux risques liés à la présence des déchets dans des territoires habités.

2.1. La « décharge » de Borde-Matin : un paysage techno-naturel

Dans le cas de l'installation de stockage Borde-Matin à Roche-la-Molière (Loire), les déchets proviennent des collectivités environnantes (Saint-Étienne Métropole, Loire Forez, Forez Est) et exceptionnellement de plus loin, jusqu'à 70 kilomètres. Les déchets Saint-Étienne, pourtant parmi les vingt premières unités urbaines françaises avec plus de 350 000 habitants, ne sont jamais incinérés : les poubelles domestiques et celles des espaces publics sont toutes transportées jusqu’à Borde-Matin. Sur le tonnage total entrant, la moitié des déchets sont des ordures ménagères, l'autre des déchets industriels. La masse de déchets enfouis y diminue d'année en année : avant 2018, le site de Borde-Matin traitait 500 000 tonnes de déchets par an ; en 2023, un décret préfectoral fixe un maximum de 300 000 tonnes. Faire fonctionner le site de Borde-Matin nécessite l'équivalent de trente emplois à plein temps. Cela comprend des métiers administratifs et logistiques : pour dialoguer avec les collectivités et les riverains, vérifier les acceptations préalables, les protocoles de déchargement. Sur le terrain, plusieurs équipes techniques gèrent l'enfouissement des déchets (document 4) et leur recouvrement, ainsi que la gestion des eaux de pluie et du lixiviat, une sorte de « jus de déchet » qui résulte de leur décomposition, d’autant qu’un ruisseau coule en contre-bas, le Borde-Matin.

Document 4. Un futur casier destiné à être rempli de terre et de déchets, sur l'installation de Borde-Matin

Une décharge en fonctionnement

Au premier plan, la piste temporaire permet l'arrivée des camions à la plaine de déchargement actuellement en service. Elle permet également aux visiteurs d'arriver à un point de vue aménagé. Au deuxième plan, un nouveau casier est en train d'être créé. Les casiers sont légèrement creusés, afin d'installer des couches imperméabilisantes, parmi lesquelles des géotextiles (la bâche blanche visible). Ils seront ensuite recouverts de couches alternatives de déchets et de terre jusqu'à former une colline, à nouveau recouverte d’un géotextile, comme sur la droite de la photographie. Derrière les casiers encore en terre, bien délimités selon des formes géométriques, on trouve un bassin. Il permet de recueillir les lixiviats (jus issu de la putréfaction des déchets) et les eaux de ruissellement qui peuvent être chargées en polluants. La collecte de ces eaux, traitées sur place dans une petite station d'épuration, permet de ne pas contaminer les nappes et rivières alentour. Au dernier plan, la ville de Firminy, appartenant à l’agglomération de Saint-Étienne, est bien visible.

Tous les camions (environ 120 par jour) qui transportent les déchets doivent respecter plusieurs étapes après l’entrée. D'abord, le pont bascule pèse les camions pour calculer le nombre de tonnes de déchets enfouis et pour facturer le tonnage adéquat aux différents clients de la décharge (document 5a). Ensuite, le camion passe un portique de détection de la radioactivité, car les déchets radioactifs doivent faire l’objet d’un traitement adapté. Les très rares fois où des déchets radioactifs sont détectés (généralement issus du secteur médical), le camion est mis en quarantaine et une entreprise spécialisée se charge de son traitement. Si le camion est admis, il décharge son contenu dans la partie du site qui est actuellement en activité. Les déchets ne sont pas déversés n’importe où mais dans des casiers depuis une aire appelée « plaine » de déchargement. Les casiers correspondent aux aires de dépôt (document 5b) qui accueillent alternativement des couches de déchets et des couches de terre. L’ouverture d’un nouveau casier est soumise à une autorisation préfectorale, qui régule notamment sa hauteur.

Document 5. Borde-Matin (Loire), une installation de stockage en fonctionnement

entrée du site

Document 5a. L'entrée de l'ISDND de Borde-Martin et la balance de pesée des camions. On distingue sur la gauche un guichet d'accueil où sont contrôlées les entrées et sorties du site. Sur la route, la partie foncée du revêtement correspond à la balance qui permet de peser les camions et d'assurer un suivi des tonnages entrants. À droite, un panneau s’adresse aux visiteurs du site (riverains, scolaires, étudiants). Remarquer le vert utilisé par Suez pour représenter la totalité du site sur le plan, alors que sa couleur dominante, vue du ciel, est plutôt le gris ou le marron. Les deux clichés sont de Clément Dillenseger, juillet 2023.

casiers en remplissage

Document 5b. Déchargement de déchets. Sur cette photographie, on voit au premier plan une colline enherbée qui correspond à un « casier » qui a été rempli de déchets et de terre. Au second plan, on distingue une aire de déchargement qui reçoit deux camions en train de se vider de leurs contenus. Leur déchargement génère des nuages de poussière. L’engin en jaune dispose de roues crantées : c’est un compacteur qui roule sur les déchets afin de les répartir et les tasser. À gauche, on distingue une piste temporaire qui permet aux camions de venir jusqu’à l’aire de déchargement : cette piste évolue au gré de l’aménagement des casiers sur le site. L’ISDND est entourée de parcelles agricoles insérées dans un paysage de collines boisées, visible à l’arrière-plan. Cliché de Clément Dillenseger, juillet 2023.

L'image satellite ci-dessous (document 6) reprend l’organisation spatiale de la décharge et technique de l’enfouissement des déchets. Le fond de ces casiers est protégé par une couche d’argile de plus d’un mètre pour en assurer l’imperméabilité et ne pas contaminer les sols. Cette couche est recouverte d’une géomembrane synthétique, elle-même recouverte de gravier sur environ 50 centimètres. Ces graviers permettent de laisser passer les lixiviats, qui sont récupérés dans des bassins avant d’être traités sur place. Ensuite sont disposées alternativement des couches d’environ un mètre d’épaisseur de déchets, tassés par des engins roulants avec de grosses roues crantées nommés compacteurs (document 4), et d’environ 50 centimètres de terre. Ces différentes couches sont traversées par des tuyaux qui captent du gaz car la décomposition des déchets génère du méthane pendant quinze à vingt ans après la fermeture du casier. Ce méthane est valorisé en électricité grâce à une centrale présente sur le site de l’installation de stockage. À Borde-Matin, l’énergie produite permet de fournir 12 500 habitants en électricité et 5 000 en chauffage. Une fois que le casier atteint la limite fixée par la préfecture, des travaux de végétalisation sont entrepris. À l’exception des vannes et tuyaux qui sortent de terre, le casier à déchets ressemble alors à une colline en friche, laissant place à une végétation spontanée (document 7). Si, à Borde-Matin, la végétation colonise spontanément les casiers recouverts, de nombreuses autres ISDND en France voient leur casiers recouverts par une végétalisation choisie. C’est le cas, par exemple, à Satolas-et-Bonce en Isère, où des paysagistes ont choisi des végétaux typiques des écosystèmes locaux de prairies sèches.

Document 6. Une ISDND vue du ciel : l’exemple de Borde-Matin dans la Loire

décharge de borde matin

Localisation : 45,40°N, 4,31°E

Document 7. Des tuyaux et des vannes de captage du méthane sur un casier en cours de colonisation végétale à Borde-Matin (Loire)

Tuyau pour le méthane et végétalisation de l'ancien casier

Clichés de Clément Dillenseger, juillet 2023.

Tuyau pour le méthane et végétalisation de l'ancien casier

Cette végétalisation ne se fait pas au hasard. Les paysages recréés correspondent aux milieux dans lesquels s’insèrent les décharges. À Borde-Matin, située à moins de dix kilomètres du parc naturel régional du Pilat, ce sont des paysages de prairies et de pelouses qui dominent, faits d’herbes hautes et de fleurs sauvages, qui constituent des refuges pour la biodiversité (insectes, oiseaux ou mammifères, voir document 8). Le site a noué par ailleurs un partenariat avec la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO), en construisant des lieux de repos et de nourrissage pour le milan royal, une espèce protégée et menacée par l’urbanisation du département. Plus généralement, grâce à la valorisation technique, la reconquête spontanée de la végétation (ou la végétalisation volontaire) et la protection de la biodiversité, on peut parler d’un mouvement plus vaste d’écologisation de ces infrastructures des déchets.

Document 8. Une empreinte de mammifère sur un casier en cours de colonisation végétale à Borde-Matin

Empreinte grand ongulé

Il peut s’agir d’un grand ongulé, par exemple un chevreuil. Les herbacées sauvages colonisent progressivement la terre nue. Cliché de Clément Dillenseger, juillet 2023.

2.2. Renaturer les décharges en contexte littoral à Pré-Magnou (Charente-Maritime)

En février 2022, dans un discours à Marseille à l’occasion de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron annonce que s’il est réélu, il mettra fin « à cinquante grandes décharges à ciel ouvert qui aujourd’hui polluent nos paysages, qui se déversent dans les rivières ou dans les mers ». Le choix de Marseille n’est pas du tout anodin : il vise à répondre au scandale, très connu localement, de la décharge d’Entressen. Elle a accueilli pendant cent ans environ les déchets des Marseillais, jusqu’en 2010. Le stockage de milliers de tonnes de déchets a entraîné une très importante pollution, toujours en cours, des nappes phréatiques et des canaux d’irrigation. La question du traitement des déchets après la fermeture des anciennes décharges et le devenir de ces espaces sont ainsi devenus un sujet majeur pour les politiques publiques. Le recyclage, la valorisation énergétique, le compostage sont désormais les méthodes privilégiées de traitement des déchets. De ce fait, on observe en France une baisse du nombre d’installations utilisées : alors qu’on comptait environ 320 installations de stockage en 2004, elles sont aujourd’hui autour de 220. Les installations qui restent en activité connaissent, elles, un suivi beaucoup plus strict de leur qualité écologique et paysagère. Mais qu’advient-il de ces espaces une fois qu’ils n’accueillent plus de nouveaux déchets ?

La décharge de Pré-Magnou se situe sur le littoral atlantique, dans la commune de Fouras-les-Bains en Charente-Maritime. Ouverte dans les années 1960, son activité a cessé en 1990. En trente ans, ce sont 21 000 mètres cubes de déchets qui ont été enfouis sur environ deux hectares. Si lors de son installation le site se trouvait à 50 mètres du littoral, il est désormais directement au contact de l’océan du fait de l’érosion. L’enjeu de préservation de l’environnement n’est donc plus de limiter la diffusion de polluants (plastiques et métaux lourds notamment) dans l’espace proche mais d’éviter leur dissémination dans l’océan lors des grandes marées. Pré-Magnou ne fait pas figure d'exception puisque 55 autres décharges littorales françaises ont été identifiées par le gouvernement en 2022 pour être réhabilitées et renaturées (document 9), dont 13 outre-mer. À Pré-Magnou, l’idée d’un processus de renaturation émerge au cours des années 2010 et celui-ci été cofinancé par la commune, l’agglomération, le département, la région et l’État pour un montant total de six millions d’euros. La renaturation du site a commencé en 2022, après que l’État a fait cet inventaire des décharges littorales, en métropole et dans les territoires d’outre-mer, afin de prioriser les travaux de réhabilitation des sites fermés. Avant cela, si la Loi Littoral de 1986 interdit la construction de nouvelles décharges à proximité des mers et océans, l’État n’avait pas pris en considération les décharges antérieures à la loi de 1986, pourtant très exposées aux risques littoraux tels que l’érosion ou la submersion. Le chantier de Pré-Magnou a une valeur de modèle en cela qu’il s’agit d’une des premières décharges renaturées après le plan national de résorption des décharges littorales.

Document 9. Les 55 décharges littorales à risque

55 décharges littorales à risque en France

Source : ministère de la Transition écologique, Plan national de résorption des décharges littorales présentant des risques de relargage de déchets en mer, dossier de presse, 18 février 2022. Carte de JBB, Géoconfluences, 2024. Domaine public. La décharge de Pré-Magnou à Fouras est la seule de Charente-Maritime.

L’ancienne décharge a donc été totalement renaturée, c’est-à-dire qu’elle a été réaménagée afin de réduire le degré d’anthropisation du site. Concrètement, l’ensemble des déchets ont été évacués sur un autre site, ce qui a permis d’éliminer tout risque de pollution marine. Le lieu est aujourd’hui totalement transformé puisque l’ambition politique pour cet espace est de lui permettre d’intégrer le programme d’extension de la réserve naturelle du Marais d’Yves. Cet espace naturel vise notamment à protéger les paysages locaux auxquels sont associés des activités aquacoles, en particulier la conchyliculture. Cette renaturation se fait petit à petit puisque les acteurs locaux privilégient une colonisation végétale naturelle et non une importation d’espèces végétales choisies. Progressivement, l’estran et le cordon dunaire se recouvrent de roselières et de plantes halophiles typiques des schorres qui constituent des biotopes favorables à la biodiversité.

2.3. Les espaces du déchet et leur public entre acceptabilité sociale et contestation

Si la technique et la nature sont dominantes dans ces lieux du déchet, les humains n’en sont pas totalement absents. Quels rapports entretiennent-ils avec les décharges sauvages et les installations de stockage ?

Cacher les déchets et vivre avec la décharge

La renaturation et la végétalisation des ISDND a pour but de pacifier écologiquement les relations de l’infrastructure à ses environnements. De nombreuses recherches en sciences sociales observent que, bien que les bénéfices pour l’environnement soient indéniables, ces aménagements participent aussi à « cacher » les déchets et nourrissent le mythe de leur disparation (Taieb, 2019 ; Liboiron et Lepawsky, 2022). Il en va de même, par exemple, pour les infrastructures de production d’énergie étudiées par Teva Meyer (2017). À Borde-Matin, l’entreprise gestionnaire du site possède plusieurs hectares autour de la décharge qui ne sont pas employés à gérer les déchets mais qui sont loués à des agriculteurs : cela permet de valoriser et d’entretenir une zone tampon entre la population riveraine et l’infrastructure.

Si les déchets sont cachés, voire oubliés, les ISDND sont généralement ouvertes au public, sur demande. 1 900 personnes sont venues visiter le site de Borde-Matin en 2022, essentiellement des publics scolaires de tout niveau (de l’école primaire à l’université) et l’entreprise gestionnaire organise des journées « portes ouvertes » une fois par an. Le site fait d’ailleurs l’objet d’aménagements dédiés aux visiteurs : un parking à l’entrée, de nombreux panneaux explicatifs qui jalonnent la décharge et même une plateforme d’observation (document 10). Le partenariat évoqué plus haut avec la Ligue de Protection des Oiseaux s’inscrit dans la stratégie des acteurs du déchet de se présenter comme des acteurs et des lieux très favorables à l’environnement.

Document 10. Cacher ou montrer, et que montrer ?

Plateforme d’observation et filets anti-envol

Au premier plan, la plateforme d’observation pour les visiteurs de Borde-Matin. Au second plan, des filets anti-envol. Cliché de Clément Dillenseger, juillet 2023.

Il est toutefois difficile de faire totalement disparaître les activités liées à la gestion des déchets qui peuvent créer des nuisances olfactives et visuelles pour les riverains. Les envols de déchets sont fréquents, bien qu’en partie limités par des dispositifs tels que des filets et barrières anti-envol (document 10). De plus, la décomposition des déchets génère de l’hydrogène sulfuré, un gaz à l’odeur d’œuf pourri dont se plaignent régulièrement les riverains. Bien que les rejets ne soient vraisemblablement pas toxiques pour la santé et que le non-dépassement des seuils fasse l’objet d’une vigilance constante de la part des autorités publiques comme des entreprises gestionnaires, les nuisances sont un sujet souvent relayé par la presse quotidienne régionale pour la plupart des ISDND françaises.

La décharge illégale des Hautes-Bruyères à Villejuif (Val-de-Marne) témoigne quant à elle d’une autre logique de dissimulation du déchet. Entre 20 000 et 45 000 tonnes de déchets y sont disposées, parfois sur plusieurs mètres de haut. Nombre d’entre eux sont des déchets dangereux du bâtiment qui ne relèvent pas des ISDND. En marge d’un parc départemental, des grillages et des panneaux dissuadent l’intrusion, avec la mention « propriété de l’État » (document 11). L’objectif n’est pas seulement d’interdire l’accès à la décharge pour des raisons de sécurité, mais d’effacer sa présence. La végétation, abondante autour des grillages, s’est étoffée au cours des dernières années. Des panneaux ont été installés pour dissimuler la décharge là où la végétation ne le permet pas, mais il est parfois possible d’apercevoir entre deux arbres des monticules de déchets (document 11b). Mais pour les promeneurs du parc, la présence de la décharge sauvage n’est perceptible ni par l’odeur, ni dans le paysage, à moins de s’approcher des grilles. Cependant, ces déchets dérangent : les riverains se sont mobilisés plusieurs années, déplorant l’inaction de l’État face à ces montagnes de déchets. Après plusieurs années de contentieux entre les riverains et les pouvoirs publics, le démantèlement de la décharge a débuté fin 2023.

Document 11. Masquer et empêcher l’accès à un site dangereux

Panneau

11a. Un panneau sur le grillage devant la haie qui empêche de voir la décharge illégale de Villejuif : un obstacle physique et visuel. Cliché d’Héloïse Gaboriaud, avril 2023.

Tas de déchets

11b. Entre deux arbres, un monticule de déchets, notamment des gravats et des pneus, est visible. Cliché d’Héloïse Gaboriaud, avril 2023.

Document 12. Vue aérienne de la décharge sauvage de la redoute des Hautes-Bruyères à Villejuif

Décharge des hautes bruyères

On voit l’insertion du site dans un interstice au sein du bâti pavillonnaire, engendré par la présence de grandes infrastructures, notamment l’autoroute du soleil et le chantier du Grand Paris Express. Au milieu du parc dont on voit les aménagements, l’ancienne redoute (un fortin militaire) est bien visible au centre, recouverte d’amoncellements de déchets et ceinte par plusieurs rangées d’arbres. Localisation : 48,79°N ; 2,34°E.

Contester les décharges

La présence d’une décharge sauvage ou d’une ISDND sur un territoire peut donc créer de l’inconfort pour les habitants. Dans le cas des ISDND, les envols et les odeurs constituent un premier contact forcé des riverains avec leurs déchets (et ceux de leurs voisins) et constituent, d’après le responsable de site à Borde-Matin, le principal contingent de la vingtaine de plaintes reçues par mail ou par téléphone par an. Le trafic des 120 camions par jour en moyenne est également critiqué. L’association « Stop aux déchets » a été créée par quelques habitants et a déposé une plainte auprès du procureur de la République en 2020. Cette association est guidée par une logique NINA (« Ni Ici, Ni Ailleurs », par opposition à NIMBY), puisqu’elle relaie sur sa page Facebook, outre des informations liées au site de Borde-Matin, plus largement, des informations sur l’importance de diminuer la production de déchets.

Il en va de même entre Carrières-sous-Poissy et Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) où se trouvait jusqu’en 2020 la plus grande décharge sauvage de France métropolitaine : 26 000 tonnes de déchets (surtout issus du BTP) sur environ 330 hectares, un peu moins que la superficie du 11e arrondissement de Paris. Un premier collectif appelé « Déchargeons la Plaine » visait à sensibiliser les habitants du secteur et s’est mué en une association officielle « Stop Décharges Sauvages », dont l’ambition est de dépasser le cadre géographique original. L’association a notamment mis en place une application mobile pour signaler et cartographier les lieux abritant des déchets sauvages. En 2023, une consultation publique a été lancée dans les communes concernées par la décharge pour discuter collectivement de douze scénarios possibles de reconversion du site, parmi lesquels la création d’un espace naturel, d’un espace dédié à la construction en terre crue ou d’un espace de culture hors-sol.

D’autres protestations citoyennes ont porté leurs fruits comme à Nonant-le-Pin (Orne). En 2006, un projet prévoyait l’ouverture du plus grand centre d’enfouissement de déchets automobiles d’Europe. Ce projet a très rapidement suscité de vives réactions sur fond d’arguments écologiques et économiques puisque l’installation représentait un risque de pollution des nappes phréatiques et des sols alentours ainsi qu’une possible perturbation de l’élevage de chevaux dans la région (la commune compte huit hippodromes et plusieurs haras, pour 400 habitants). De ce fait, une longue lutte s’est installée entre les porteurs du projet et les riverains. Malgré les contestations, le site a ouvert en 2013. Cependant, les oppositions ne sont pas arrêtées et une fermeture définitive du site a été actée en décembre 2016.

Conclusion

Les décharges, sauvages ou légales, sont des lieux où se lit l’importance de la matérialité des modes de vie passés et contemporains. Cette matérialité est pleine de contradictions. Nécessaires pour nous décharger du poids des déchets et nous permettre de vivre dans des environnements immédiats propres, elles sont des lieux qui protègent mais qui peuvent aussi nuire à l’environnement et à la santé. Les sites de décharge sont des lieux particulièrement artificiels mais on y observe aussi une écologisation progressive des modes de gestion, croisant maîtrise technique et contrôle de la nature. Cette écologisation est à double tranchant : si elle apporte des bénéfices en termes de biodiversité et de paysage et qu’elle diminue les risques, elle participe également à faire oublier ou accepter les déchets sans parvenir à la chimère du « risque zéro ». Ces espaces sont amenés à connaître de fortes évolutions en raison de décisions politiques qui engagent à renaturer les anciens sites de décharges et à diminuer de façon relativement importante le tonnage entrant de déchets dans les ISDND. Tantôt appropriées, tantôt rejetées, les décharges sont surtout des lieux oubliés, méconnus voire cachés.


Bibliographie

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : compétence | déchet | EPCI | intercommunalité | littoral | métabolisme territorial | ressource.

Remerciements

Les autrices et l’auteur remercient la Fondation Palladio pour la bourse attribuée à Clément Dillenseger dans le cadre de sa recherche doctorale et qui a permis de financer la visite de l’ISDND de Borde-Matin. Ils remercient également le groupe Suez pour la visite du site de Borde-Matin.

 

Clément DILLENSEGER

Doctorant, attaché temporaire de recherche et d’enseignement en géographie, École normale supérieure de Lyon, université Jean Moulin – Lyon 3, laboratoire Environnement, Ville, Société (EVS, UMR 5600)

Héloïse GABORIAUD

Masterante en géographie, ENS de Lyon

Margot FAVREAU

Masterante en géographie, ENS de Lyon

Aliénor DE VIRY

Masterante en géographie, ENS de Lyon

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Clément Dillenseger, Héloïse Gaboriaud, Margot Favreau et Aliénor de Viry, « Les décharges formelles et informelles en France, de la montagne de déchets à la colline végétalisée », Géoconfluences, novembre 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-critique-des-ressources/articles/decharges-isdnd-en-france