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Le boom des hydrocarbures non conventionnels dans le Bassin permien (Texas et Nouveau-Mexique, États-Unis)

Publié le 28/06/2022
Auteur(s) : Laurent Carroué, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, directeur de Recherche à l’IFG - université Paris VIII

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Le Bassin permien, région géologique située dans l'Est du Nouveau-Mexique et l'Ouest du Texas, est l'un des principaux gisements de gaz et de pétrole de schiste connus au monde. Depuis la mise au point des technologies permettant l'exploitation de ces gisements non conventionnels, la région a été profondément transformée. Déjà marquée par la collusion entre milieux politiques et secteur pétrolier, elle a été entièrement remodelée, sur le plan paysager, économique, et surtout environnemental, avec des conséquences désastreuses pour les milieux et pour le climat.

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Ce texte est publié en même temps qu'un autre article du même auteur consacré à la place des États-Unis et des hydrocarbures non conventionnels dans le marché mondial de l’énergie : « La révolution du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis : enjeux technologiques, territoriaux et géostratégiques »

En vingt ans, les États-Unis ont connu une révolution énergétique avec l’essor du gaz et du pétrole de schiste, des hydrocarbures non-conventionnels ou « unconventional oil and gas » (UOG). Surtout, ils sont devenus le premier producteur mondial devant la Russie et l’Arabie saoudite et sont dorénavant totalement indépendants, en particulier vis-à-vis du Moyen-Orient et de l’OPEP, comme cela a été développé dans l'article connexe. Ce bouleversement dans l’échiquier énergétique et géoéconomique mondial, les États-Unis le doivent en grande partie à un bassin de production : le Bassin permien, du nom de l’étage géologique (299-252 Ma) du paléozoïque dans lequel se trouve la ressource. Pionnier lors du premier cycle pétrolier à l’âge industriel, cette région à cheval sur le Texas et le Nouveau-Mexique est à nouveau à la pointe d’un deuxième cycle de production depuis les années 2010 : celle des gisements non conventionnels. Non seulement les expérimentations y ont été précoces, mais les perspectives sont prometteuses en raison de réserves considérables. La région est aussi le fief d’une dynastie politique dont l’histoire familiale recoupe à la fois celle du pétrole et celle des États-Unis (deux mandats présidentiels et deux aventures militaires au Moyen-Orient) : la famille Bush. Elle est aujourd’hui au cœur d’une réorganisation complète du système productif, le pétrole et le gaz de schiste remplaçant l’agriculture irriguée, au prix de conséquences environnementales désastreuses. Or, les hydrocarbures non conventionnels se caractérisent par une durée d’exploitation courte, obligeant à forer toujours plus loin, quitte à fragiliser le sous-sol de régions entières. L’objet de cet article est de comprendre comment cette région, avec ses spécificités socio-politico-économiques, accepte de payer un prix écologique aussi élevé pour une ressource si peu durable.

Document 1. Localisation du Bassin permien et production comparée aux autres bassins

Carte Bassin permien Etats-Unis

 

1. Le Bassin permien du Texas et du Nouveau-Mexique, région pionnière des hydrocarbures non conventionnels : une « nouvelle Arabie » ?

À cheval sur le Texas et le Nouveau-Mexique, le Bassin permien est en particulier devenu aujourd’hui l'une des plus grandes régions productrices d’hydrocarbures au monde et le 1er des grands gisements étasuniens. En 2021, la production du seul bassin permien (55,1 millions baril) talonne celle du Canada et dépasse de très loin celle de l’Irak, de la Chine ou des Émirats arabes unis. On trouve ensuite aux États-Unis les gisements de Bakken (Nord Dakota), Marcellus (Pennsylvanie, Virginie occidentale), Fayetteville (Arkansas), Haynesville (Louisiane, Texas), Barnett ou Eagle Ford (Texas).

1.1. Une région pionnière des hydrocarbures non conventionnels

Historiquement, le Bassin permien, à cheval sur le Texas et le Nouveau-Mexique, est une des régions pionnières dans la valorisation des hydrocarbures depuis la première découverte de pétrole à Spindletop près de Beaumont en 1901, puis du site de Santa Rita en 1921. À la suite de l’épuisement des gisements conventionnels, les gisements non conventionnels (« unconventional oil and gas » ou UOG) prennent la relève, grâce à la fracturation hydraulique inventée et testée dans le schiste de Barnett (Barnet shale), au nord-ouest de Dallas. Cette exceptionnelle dynamique texane tient à fois à la présence de ressources potentielles considérables et à la cohérence de choix à la fois économiques, techniques et politiques réalisés par des élites locales et régionales entretenant entre elles des liens symbiotiques. 

 
Encadré 1. Le Texas et le Bassin permien : le bastion historique de la famille Bush

La trajectoire géohistorique au XXe siècle de la famille Bush symbolise le glissement du centre de gravité d’une dynastie d’affaires issue de la côte Est vers le Texas grâce au pétrole, jusqu’à accéder à la magistrature suprême de la première puissance mondiale. Le grand-père de la dynastie, Prescott S. Bush (1895-1972) est un banquier et homme politique de la côte Est (sénateur du Connecticut, 1952-1963). Son fils George H. W. Bush (1924-2018), après avoir – comme toute la famille – étudié à Yale, s’installe dans les années 1950 dans l’ouest du Texas où il fait carrière et fortune dans le pétrole aux États-Unis et dans le golfe Persique, avant de se lancer en politique. De manière emblématique, s’il est né à Milton dans le Massachusetts, il meurt à Houston et surtout, il est enterré à College Station, dans le Comté de Brazos du « Triangle Texan » où il a fondé le George Bush Presidential Library and Museum. Comme son père, le petit-fils George W. Bush (né en 1946) suit la même trajectoire texane : il naît à New Haven dans le Connecticut, il s’installe avec sa femme Laura – née dans une influente famille de Midland, la « capitale du Bassin permien » – à Crawford en 1999 dans le fameux Prairie Chapel Ranch dans lequel il recevra de nombreux chefs d’État et de gouvernement.

Document 2. Un mariage de la politique et de l’énergie au Prairie Chapel Ranch (Crawford, Texas)

mariage Jenna Bush et Henry Hager

Jenna Bush, la fille de George W. Bush, président des États-Unis et industriel du pétrole, épouse en 2008 Henry C. Hager, alors conseiller de la Maison blanche après avoir participé à l'équipe de campagne de George W. Bush et Dick Cheney en 2004. Henry C. Hager est devenu depuis directeur exécutif d’un fonds d’investissement dans les énergies fossiles, le Waterous Energy Fund. Photographie : archives de la Maison blanche, domaine public.

George H. W. Bush fut membre de la Chambre des représentants pour le Texas de 1967 à 1971, directeur de la CIA en 1976-1977, vice-président de Ronald Reagan de 1981 à 1989 puis 41e président des États-Unis de 1989 à 1993. Son fils George W. Bush fut lui-même gouverneur du Texas de 1995 à 2000 puis 43e président des États-Unis de 2001 à 2009, après les deux mandats de Bill Clinton. Sur trois décennies, entre 1981 et 2009, les Bush ont donc occupé les fonctions suprêmes durant vingt ans. Jamais jusqu’alors dans l’histoire des États-Unis une telle imbrication entre une dynastie familiale, un territoire, des intérêts économiques et le pouvoir suprême de la première puissance mondiale n’avait été réalisée. Ce phénomène inédit correspond aussi historiquement à la vague néoconservatrice qui se lance au Proche et Moyen Orient puis en Afghanistan dans de nombreuses aventures militaires dans lesquelles les hydrocarbures ne sont jamais très loin.


 

L’État du Texas et de grandes sociétés pétrolières financèrent ainsi conjointement d’importants programmes de recherches géologiques, dans le cadre en particulier du programme STARR (State of Texas Advanced Ressource Recovery). Ces lourds investissements permirent de disposer progressivement d’une connaissance fine des gisements au Texas : le Barnett shale dans le gaz (2006-2010), l’Eagle Ford shale dans le pétrole (2010-2014) puis enfin les formations du Wolfcamp et Spraberry dans le bassin permien... L’État fédéré du Texas et ses services ont donc joué donc un rôle historique majeur dans le déploiement de cette nouvelle révolution.

Document 3. La mise en valeur du Bassin permien : le rôle des programmes STARR au Texas, les projets d’études géologiques – période 2018-2020

programme starr

Source de l'original : https://www.beg.utexas.edu/research/programs/starr

 

1.2. Un des premiers champs pétroliers et gaziers mondiaux

Le Bassin permien couvre 220 000 km2, soit l’équivalent de 40 % de la surface de la France métropolitaine, à cheval sur le Texas et le Nouveau-Mexique. Il se place au cœur du système énergétique étatsunien : il produit 60 % du pétrole et 22 % du gaz national. Si les premiers puits exploitant des gisements conventionnels apparaissent dès 1926, ceux-ci sont peu à peu épuisés. Mais depuis une dizaine d’années, la région connait une nouvelle véritable ruée vers l’or noir grâce à la révolution introduite par le pétrole et le gaz de schiste, développée précédemment dans un autre article.

Un espace aride et semi-désertique aux fortes contraintes

Cette région de plateaux descendant vers les plaines littorales du golfe du Mexique à l’est appartient à l’écharpe des hautes terres désertiques au climat semi-aride qui court le long de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Face à la pression sur la ressource en eau, le très libéral Texas et son Texas Water Development Board (TWDB), l’institution ayant la charge de la gestion hydrique, ont dû se résoudre en 1997 à créer seize aires de planification hydrologique, dont les études sous-évaluent largement ou ne prennent pas en compte les consommations d’eau de l’industrie pétrolière.

Du fait des fortes contraintes du milieu, la région est sous-peuplée (1,1 million hab.) avec une densité moyenne de 8 hab./km² qui intègre les deux métropoles régionales de Midland et Odessa polarisant la moitié de la population régionale. Certains comtés proches du Mexique voisin sont vides (Culberton : 0,2 hab./km2, Loving : 0,003 hab./km2). Dans ces campagnes presque désertes, les petits bourgs (Kermit, Roswell, Carlbad...) polarisent l’essentiel de la population.

Un bassin géologique composite, une ressource concentrée

Le Bassin permien est l’un des gisements les plus épais de roches permiennes, du nom de la ville russe de Perm (251 à 299 millions d'années), et comporte de nombreuses couches contenant du pétrole ou du gaz. Avec 11,1 milliards de barils de réserves prouvées de pétrole brut, il concentre 25 % des réserves du pays. Entre 2007 et 2021, la production de pétrole du bassin est multipliée par 5,4 et celle de gaz par 3,8.

Ce bassin est en fait composé de plusieurs grandes structures tectoniques et géologiques différentes séparées par de puissantes failles, dont le bassin du Delaware (50 % de la production, aucun rapport avec l’État du Delaware dans le Nord-Est du pays), la plate-forme du bassin central et les bassins de Midland et de Val Verde. Selon la structure des formations géologiques, la profondeur des puits peut aller de quelques centaines de mètres à 3 000 m de profondeur. Au Texas comme au Nouveau-Mexique, la production est géographiquement concentrée. Ainsi, au Texas, seulement dix comtés réalisent 80 % de la production d’hydrocarbures : ceux de Midland et Reeves un tiers, plus de la moitié avec ceux de Martin, Loving et Howard.

Document 4. Le bassin permien : gisements, exploitations et polarisation des puits : système technique, système spatial, système temporel

carte puits horizontaux

 

1.3. Le Texas : « energy state » par excellence

Par sa surface de 679 000 km², sa population actuelle de 29 millions d’habitants, son économie et le poids de ses grandes firmes transnationales, le Texas se placerait sans doute sans problème comme un grand acteur énergétique mondial s’il était encore une république indépendante comme il le fut entre 1836 et 1845, date de son rattachement aux États-Unis. Entre 2007 et 2022, sa production de pétrole a été multipliée par 5 et celle de gaz par 4,5. Son dynamisme repose en particulier sur la forte réactivité de ses acteurs à la conjoncture, comme l’illustre le yoyo du nombre de puits en activité ou l’évolution de la production entre 2018 et 2022. Afin d’évaluer les intérêts en jeu, il convient de souligner que le secteur pétrolier texan a versé entre 2000 et 2020 pour 324 milliards de dollars de rémunération cumulée à ses salariés, soit 60 % du total national, et que le PIB du Texas a augmenté de 74 %, sensiblement plus que la moyenne nationale (+ 40 %).

Document 5. La réactivité du Bassin permien et du Texas à la conjoncture
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Nombre de puits et production moyenne par puits dans le Bassin permien, 2007-2022 false janv. 07; févr. 07; mars 07; avr. 07; mai 07; juin 07; juil. 07; août 07; sept. 07; oct. 07; nov. 07; déc. 07; janv. 08; févr. 08; mars 08; avr. 08; mai 08; juin 08; juil. 08; août 08; sept. 08; oct. 08; nov. 08; déc. 08; janv. 09; févr. 09; mars 09; avr. 09; mai 09; juin 09; juil. 09; août 09; sept. 09; oct. 09; nov. 09; déc. 09; janv. 10; févr. 10; mars 10; avr. 10; mai 10; juin 10; juil. 10; août 10; sept. 10; oct. 10; nov. 10; déc. 10; janv. 11; févr. 11; mars 11; avr. 11; mai 11; juin 11; juil. 11; août 11; sept. 11; oct. 11; nov. 11; déc. 11; janv. 12; févr. 12; mars 12; avr. 12; mai 12; juin 12; juil. 12; août 12; sept. 12; oct. 12; nov. 12; déc. 12; janv. 13; févr. 13; mars 13; avr. 13; mai 13; juin 13; juil. 13; août 13; sept. 13; oct. 13; nov. 13; déc. 13; janv. 14; févr. 14; mars 14; avr. 14; mai 14; juin 14; juil. 14; août 14; sept. 14; oct. 14; nov. 14; déc. 14; janv. 15; févr. 15; mars 15; avr. 15; mai 15; juin 15; juil. 15; août 15; sept. 15; oct. 15; nov. 15; déc. 15; janv. 16; févr. 16; mars 16; avr. 16; mai 16; juin 16; juil. 16; août 16; sept. 16; oct. 16; nov. 16; déc. 16; janv. 17; févr. 17; mars 17; avr. 17; mai 17; juin 17; juil. 17; août 17; sept. 17; oct. 17; nov. 17; déc. 17; janv. 18; févr. 18; mars 18; avr. 18; mai 18; juin 18; juil. 18; août 18; sept. 18; oct. 18; nov. 18; déc. 18; janv. 19; févr. 19; mars 19; avr. 19; mai 19; juin 19; juil. 19; août 19; sept. 19; oct. 19; nov. 19; déc. 19; janv. 20; févr. 20; mars 20; avr. 20; mai 20; juin 20; juil. 20; août 20; sept. 20; oct. 20; nov. 20; déc. 20; janv. 21; févr. 21; mars 21; avr. 21; mai 21; juin 21; juil. 21; août 21; sept. 21; oct. 21; nov. 21; déc. 21; janv. 22; févr. 22; mars 22; avr. 22 Valeur;Mois true
  Nombre de puits en activité 248; 253; 242; 243; 243; 244; 244; 248; 247; 242; 240; 253; 249; 250; 257; 259; 261; 285; 287; 285; 285; 276; 253; 234; 194; 162; 129; 93; 92; 99; 113; 125; 136; 149; 170; 177; 193; 192; 188; 209; 227; 240; 244; 256; 269; 277; 293; 312; 378; 365; 382; 397; 426; 432; 438; 451; 457; 472; 474; 475; 472; 481; 486; 500; 510; 525; 517; 512; 501; 496; 484; 468; 463; 467; 472; 467; 466; 468; 462; 463; 451; 446; 462; 473; 474; 485; 509; 532; 545; 550; 556; 556; 559; 559; 565; 548; 490; 375; 306; 263; 234; 232; 241; 254; 251; 234; 227; 210; 202; 171; 152; 139; 137; 145; 162; 187; 199; 206; 222; 252; 276; 300; 310; 337; 356; 366; 373; 377; 380; 381; 388; 398; 409; 432; 438; 448; 465; 475; 477; 484; 485; 488; 490; 485; 485; 475; 461; 462; 455; 442; 441; 438; 419; 418; 408; 402; 402; 407; 405; 299; 180; 135; 125; 123; 124; 133; 155; 170; 185; 203; 215; 225; 231; 235; 239; 246; 256; 266; 273; 287; 292; 302; N; N true #E61570
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Sources : autorités du Bassin permien, service géologique du Texas

Cycles techniques et paysagers du Bassin permien

Depuis le boom du schiste, la région traverse une complète réorganisation foncière et paysagère qui s’apparente à une logique de front pionner extractiviste, avec la construction de routes ou de pistes sur lesquelles circulent des dizaines de milliers de poids lourds, l’installation de milliers de kilomètres de conduites souterraines, la multiplication des stations spécialisées d’injection, de pompage ou de traitement et, surtout, le creusement de milliers de puits. Sur un terrain nu, l’exploitant doit créer un pad (un « tampon ») qui correspond à la surface dégagée puis aplanie afin d’accueillir les installations. Puis on fore (drilling) le puits à la profondeur voulue et on fracture la roche : ce sont les deux périodes maximales d’occupation du site.

Document 6. Mitage caractéristique des paysages d’exploitation du gaz et du pétrole de schiste

paysage du gaz et du pétrole de schiste

Iraan, dans le Comté de Pecos au Texas, dans le Bassin permien. Cliché de Jan Buchholtz, licence CC ( source ).

 

Ensuite, la phase de production se traduit par une empreinte minimale, limitée à l’installation d’une petite station de pompage reliée à des conduites qui vont emporter les fluides extraits vers la station de traitement. Une grande partie des efforts d’investissements des firmes exploitantes est orientée vers la robotisation et l’automatisation des tâches, avec si possible un pilotage à distance afin d’économiser les salaires de la main d’œuvre. Les salariés du pétrole sont donc au total assez peu nombreux une fois la phase de forage et de fracturation réalisée, habitent en ville et sont peu présents sur les sites matures.

 

2. Une activité désastreuse, localement pour les milieux et pour l’environnement à l’échelle mondiale

Loin d’être neutre ou marginal, le développement du gaz et du pétrole de schiste exerce une très forte pression environnementale sur les milieux. Il bouleverse aussi l’organisation spatiale et les dynamiques territoriales des espaces locaux et régionaux concernés. Le déploiement de ce type d’exploitation très prédatrice est rendu possible aux États-Unis par les très faibles densités démographiques des régions sous-peuplées ou désertiques concernées, la persistance d’une idéologie de la conquête et du front pionnier et du culte du dollar. Le contexte est très différent en Europe et en France. La question de l’acceptabilité sociale de ce type d’activité est donc une question éminemment géographique et géopolitique qui conditionne étroitement ce modèle de production, d’autant plus que, contrairement à d’autres controverses où une incertitude peut demeurer sur les effets directs et indirects, l’exploitation se fait ici en toute connaissance des conséquences environnementales.

Pression sur les milieux et acceptation sociale d’un modèle prédateur : une question éminemment géographique

Il convient de donner quelques chiffres. En moyenne, pour un puits horizontal dans le bassin permien, on compte 30 opérations de fracturation par kilomètre de longueur de tube. Mais plus la roche-mère est mécaniquement dure et imperméable, plus celles-ci doivent être nombreuses. Ceci posé, chaque opération de fracturation consomme en moyenne 300 m3 d’eau, 30 tonnes de sable et 0,5 % d’additifs chimiques, soit en moyenne la mobilisation de 9 000 m3 d’eau et 900 tonnes de sable au kilomètre de conduite. Tous ces fluides – pétrole, gaz, eau, produits chimiques – sont ensuite pompés et remontent à la surface où ils doivent être séparés et traités de manière spécifique.

 
Encadré 2. La question de l’eau dans le bassin permien : épuisement, concurrences et pollutions

Le boom du pétrole et du gaz de schiste dans le bassin permien se traduit par une profonde crise hydrique et l’exacerbation des conflits hydrogéopolitiques entre collectivités territoriales et entre acteurs et secteurs économiques. Ces dernières décennies, l’explosion de la consommation d’eau aboutit ainsi à l’épuisement des eaux souterraines dans certaines régions semi-arides (par exemple le gisement d’Eagle Ford au Texas) et à la surexploitation des eaux de surface (vallée du Pecos entre Nouveau-Mexique et Texas). Du fait de son poids économique, financier et politique local et régional, le secteur pétrolier arrive à imposer ses exigences, au détriment en particulier du secteur agricole comme en témoigne le fort recul des surfaces irriguées. Entre États fédérés, les vieilles rivalités pour le partage des eaux du Pecos entre le Texas et le Nouveau-Mexique sont telles qu’elles doivent être redéfinies par la Cour suprême des États-Unis en 1988 à travers un nouveau « Pecos River Compact ». En mars 2003, le Pecos Settlement Agreement (PSA), un nouvel accord de gestion et de partage, est signé entre l’État fédéral, l’Interstate Stream Commission, le Carlsbad Irrigation District et le Pecos Valley Artesian Conservancy District. Enfin, à l’échelle locale, les Water Rights District doivent administrer les droits concurrents entre les différentes collectivités territoriales (villes, comtés, Artesian Underground Water Basin...) et acteurs économiques et sociaux. Une question qui demeure explosive dans la région semi-aride du bassin permien.

À ceci s’ajoutent les pollutions des nappes phréatiques et des aquifères lors du creusement de milliers de puits lorsque ceux-ci ne sont pas suffisamment étanches entre les couches géologiques traversées. Dans les années 1970-80, ces pratiques sauvages de forage se traduisaient par des mélanges de fluides parfois spectaculaires, avec apparition de jets de gaz enflammés aux robinets des salles de bain ou des cuisines par exemple. Devant ces scandales et face à la pression de l’opinion publique, les différentes autorités ont fini par imposer de nouvelles techniques moins invasives et plus protectrices (tubage de surface protecteurs, gainage des puits...). Si la Loi énergie de 2005 introduisait sous la pression du lobbying pétrolier une exemption au Safe Drinking Water Act (SDWA), la montée des règlementations fédérales et fédérées pour lutter contre la pollution des eaux introduite par la fracturation hydraulique a été malgré tout plutôt positive. Pour autant, la présence de plus de 20 000 puits dans la région du Bassin permien constitue toujours une menace potentielle pour la qualité de l'eau, en particulier pour les ressources en eaux potables des aquifères peu profonds.


 
Le sable de facturation : le « sand king », un additif irremplaçable

Peu connue en Europe, la mobilisation de nombreux additifs – dont le sable, qui joue un rôle majeur – est considérable : on parle d’ailleurs du « sand king », le « roi sable ». Au total, on estime qu’un forage peut injecter jusqu’à 10 000 à 15 000 tonnes de sable. Le rôle de ce sable de silice de haute pureté est de maintenir les microfractures induites par la fracturation ouverte, autrement dit de combler les trous pour limiter la fragilisation du sous-sol.

Pour l’année 2018, le bassin permien a ainsi consommé 45 à 50 millions de tonnes de sable. Dans les gisements en cours de fracturation, on remarque facilement dans le paysage des sites avec d’immenses châteaux de sable. Ce sable, le fameux « Northern White Sand », sable blanc du nord, vient à l’origine par trains entiers d’États éloignés comme le Wisconsin ou le Minnesota. Il a l’avantage de présenter une plus grande résistance à la compression et à l'écrasement. Mais face à l’explosion des coûts d’extraction et de transport, les exploitants du Bassin permien se rabattent progressivement sur les sables bruns régionaux, le « Brown (Brady) Sand », de moins bonne qualité mécanique mais plus accessible grâce à la multiplication des ouvertures de nouvelles carrières (Black Mountain Sand, Atlas Sand, région de Kermit...). Or on sait que le sable est en effet l’un des matériaux les plus utilisés dans le monde, car il est indispensable dans de nombreuses activités surtout, dans des quantités pharaoniques, dans la construction. Les prélèvements en sable dans les milieux naturels bouleversent profondément ceux-ci alors que cette ressource non renouvelable est de plus en plus convoitée. La Chine aurait ainsi consommé en quatre ans la même quantité de sable que les États-Unis en un siècle (Les Échos, 2016)

La multiplication des microséismes : fracturation et déséquilibres tectoniques

La fracturation hydraulique et l’injection massive de liquides sous pression dans des puits profonds débouchent localement sur la multiplication de microséismes. Ces tremblements de terre sont dus aux déséquilibres tectoniques locaux ou régionaux enclenchés par la modification des champs de pression autour des lignes de failles qui doivent en retour être corrigés par un rééquilibrage des structures. Ceux-ci sont parfois d’une puissance non négligeable : en décembre 2021, l’un d'eux atteint par exemple une magnitude de 4,5 près de Stanton, dans le comté de Martin (Bassin permien). Les systèmes de suivi de l’USGS, le service géologique des États-Unis, enregistrent ainsi près de 200 tremblements de terre pour le seul mois d’avril 2022 dans le Bassin permien, en particulier dans le comté texan de Culberson (0,2 hab./km²) à l’ouest du Pecos. On peut même considérer que le suivi de la géographie des microséismes est dans le Bassin permien ou dans l’Oklahoma un bon indicateur de la dynamique géographique de fracturation. 

Document 7. 200 microséismes en un mois dans le bassin permien

micro-séismes fragmentation

USGS, période cumulée 9-3/8-4 2022, toutes magnitudes. Source de l'original : https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/map/

 
La multiplication des nuisances aux échelles locales et régionales

Revers de la médaille, ce boom des hydrocarbures se traduit par une explosion des nuisances aux échelles locales et régionales dans les territoires concernés. On assiste au plan sanitaire et médical à la multiplication de maladies environnementales, dues à de nombreux facteurs : fuites de gaz comme le méthane, le benzène ou le sulfure d’hydrogène ; rejets massifs d’eaux usées ; pollution de l’air et des eaux ; bruits et poussières... Ainsi, face à la pollution des eaux, la pourtant libérale State Railroad Commission, qui gère l’exploitation pétrolière du Texas, contraint des firmes géantes comme ConocoPhillips ou Pioneer Natural Resources à limiter les rejets, voire à suspendre l’activité, de puits d'élimination dans la zone de Stanton (Texas).

Face à l’explosion du trafic de dizaines de milliers de poids-lourds, qui doit encore augmenter de +45 % entre 2019 et 2038 sur certaines portions du réseau, et à la multiplication des accidents de la route, les autorités fédérées et locales sont contraintes de revoir les plans de circulation et l’organisation des voiries d’un côté ; de transformer des axes jusqu’ici secondaires en nouveaux « corridors de fret » avec le passage à des axes à 3 ou 4 voies.

Les rejets de méthane : un problème majeur pour l’effet de serre et le réchauffement climatique

Mais le phénomène sans doute le plus important réside dans l’importance des rejets de méthane, un gaz à effet de serre. D’après certaines estimations, l’exploitation du bassin permien émet un million de tonnes de méthane par an, soit l’équivalent de 22 centrales thermiques à charbon. Si, dans leurs stratégies de communication, toutes les sociétés exploitantes mettent en exergue les efforts techniques réalisés pour réduire ces rejets et aboutir à la prétendue « neutralité carbone » d’ici quelques années, les données fournies par le portail étasunien Carbon Mapper pour l’an dernier témoignent du profond hiatus existant entre les grandes déclarations de principe et les réalités.

Document 8. Usine et brûlage du gaz dans le Bassin permien (Nouveau-Mexique)

Usine à gaz avec torchère et souffre

La photographie date de 2003, avant le boom du gaz et du pétrole de schiste, mais elle montre le principe du brûlage (ou torchage) des gaz non désirés. On voit aussi un tas de soufre (la tache jaune au centre de la photographie), qui un est sous-produit du procédé industriel de la production de gaz naturel. Photographie de SkyTruth, 2003, licence CC (source).

 

Le site DataCarbonMapper met en effet en ligne des informations obtenues grâce à des systèmes de détection par capteurs embarqués sur avion à un niveau territorial très fin (parcelle, puits). On doit en particulier relever les contradictions flagrantes existant entre d’un côté les objectifs climatiques, tant mondiaux que ceux de l'administration Biden, qui supposent une réduction de –40 % sur dix ans de la consommation mondiale d’hydrocarbures, et de l’autre le boom de la production du Bassin permien. Alors que la crise russo-ukrainienne dope la production, rarement les enjeux d’un développement plus durable, via en particulier la décarbonisation de l’économie et de la société nord-américaines, se sont posés avec autant d’acuité.

 

3. Les effets considérables d’un nouveau cycle pétrolier sur l’organisation de l’espace texan

L’irruption d’un nouveau cycle productif fondé sur les hydrocarbures non conventionnels a entraîné de profondes recompositions spatiales, peut-être aussi importantes que le remplacement des grands troupeaux itinérants par l’agriculture sédentaire au cours des XIXe et XXe siècles. Les retombées fiscales et, plus généralement, économiques, sont telles qu’on peut parler d’une manne, à défaut d’une rente, alors que personne ne semble envisager l’épuisement de la ressource pourtant inéluctable.

3.1. Pressions environnementales et mouvements du capital : renforcement des grands groupes texans et désengagement des firmes européennes

Si le mouvement initial fut porté par de nombreuses entreprises moyennes, on assiste ces dernières années à l’arrivée des géants pétroliers, comme ExxonMobil, héritière directe de la John D. Rockefeller’s Standard Oil dont le siège est à Irving (Texas), Chevron, ConocoPhilipps, Pioneer Natural Ressources, Occidental Petroleum, et au renforcement de nombreuses autres sociétés cotées de second rang du fait de nombreuses fusions. Les cinq premières compagnies exploitantes sont toutes aujourd’hui texanes : EOG Resources (Houston, Texas), Pioneer (Irving, Texas), ConocoPhilipps (Houston), Diamondback (Midland, Texas) et XTO Energy/ExxonMobil (Irving, Texas). Plusieurs de ces firmes ont été classées en 2019 par le Guardian parmi les 20 entreprises ayant le plus contribué aux émissions de CO2 depuis 1965 : ExxonMobil (4e), ConocoPhilipps (13e) (source).

Celles-ci profitent de la tendance au départ des grands européens comme Shell ou British Petroleum (BP) qui se désengagent du schiste sous la pression des ONG environnementalistes. Ainsi, en 2021, ConocoPhillips, déjà présent au Nouveau-Mexique, rachète pour 9,5 milliards de dollars les activités de Shell dans le Comté de Loving : ces 910 km² fournissent une production annuelle de 175 000 barils par jour. À côté des majors interviennent des sociétés financières de capital-investissement ou de portefeuille qui investissent à court et à moyen terme dans des sociétés avant de les revendre en en tirant le maximum de profit. Dans tous les cas, le secteur pétrolier constitue un acteur politique et géopolitique majeur au Texas et est toujours en pointe dans la défense de ses intérêts comme en témoigne, par exemple, le lobbying de la TXOGA auprès des sénateurs du Texas.

Document 9. Le lobbying de la TXOGA, Texas Oil and Gas Association
plaquette lobbying gaz plaquette lobbying pétrole

Ces cartes sont extraites d’une plaquette réalisée afin de rappeler à chaque élu le poids des hydrocarbures dans son territoire. La circonscription représentée ici est celle de Kel Seliger, du 31e district du sénat du Texas, borné à l’ouest par la frontière entre le Texas et le Nouveau-Mexique. Le fascicule donne des statistiques portant sur les quantités de gaz et de pétrole produites, leur valeur économique, les salaires versés et les taxes payées. Le document est accompagné, comme on peut le voir ici, d’une représentation détaillée des infrastructures productives présentes dans la circonscription pour le gaz naturel d’un côté, les liquides (produits pétroliers) de l’autre.
Noter le découpage à la fois géométrique et très curieux de la circonscription électorale qui renvoie à des considérations géopolitique locales et régionales. La partie sud comprend les deux villes de Midland et Odessa, au cœur de la partie texane du Bassin permien.

3.2. Pour le Texas : les « dividendes du permien »

Les « dividendes du permien », les revenus assurés par l’exploitation des gisements non conventionnels, permettent au Texas de rester un État fédéré très libéral et « tax friendly » qui ne prélève ni impôt sur le revenu des personnes physiques, ni impôt sur les sociétés, ni impôt sur les plus-values. La TVA (sale taxe) y est de seulement 6,25 %. Le secteur pétrolier a versé 136 milliards de dollars de taxes, impôts et redevances aux collectivités territoriales ces dix dernières années. Le Bassin permien verse à lui seul 67 % des 13,9 milliards de dollars de taxes et redevances pétrolières et gazières annuelles nationales et locales en 2020. Si la production de pétrole est taxée à 4,6 % de sa valeur, à peu près dans la même fourchette que dans les autres États producteurs clés, le gaz naturel est un peu plus imposé que la moyenne (7,5 %). Au total, les hydrocarbures fournissent 9,4 % des recettes fiscales directes de l'État du Texas. En particulier, ils sont la principale source de revenus du très robuste fonds de stabilisation économique du Texas, ou fonds « Rainy Day ».

 
Encadré 3. Propriété foncière, héritage historique et redevances :  une géographie bien spécifique

Les firmes pétrolières peuvent soit être propriétaires des terrains, soit louer les terres en payant en contrepartie une redevance indexée sur la valeur de la production au propriétaire. Mais le Bassin permien présente deux fortes spécificités historiques. Premièrement, en suivant pour partie la common law anglaise, l’État du Texas conserve les intérêts miniers sur les terres qu’il a vendues. Deuxièmement, il possède d’importants droits fonciers et miniers, dont une grande partie des revenus est destinée à financer l’enseignement public et supérieur. La Constitution de 1876 a par exemple réservé environ 4 200 km², soit la moitié des terres de l’État, pour le financement des écoles publiques via un Fonds scolaire. Aujourd’hui, le Fonds Universitaire Permanent détient des droits sur 8 498 km² de terrain dans 19 comtés. En général, l’État perçoit une redevance d’1/8 de la production.

Dans cette logique de sécurisation des ressources financières et fiscales de l’État fédéré du Texas, un amendement constitutionnel introduit en 1987 crée le FSE (« Fonds de stabilisation économique », ou « Rainy Day Fund »). Dans cette sorte de fonds souverain à la texane sont déposés les surplus budgétaires dégagés les années fastes afin de lisser le choc de la conjoncture et d'épargner aux Texans des coupes budgétaires difficiles ou des impôts plus élevés lorsque la conjoncture se retourne. Les revenus des hydrocarbures financent aussi le State Highway Fund, qui prend en charge la modernisation et l’entretien du réseau routier. 


 

Les effets du boom des hydrocarbures sont considérables pour les territoires concernés par ce front pionnier, au plan démographique, urbain, économique et fiscal. La population passe de 450 000 à 643 000 habitants entre 1980 et 2020 (+43 %), grâce en particulier à une forte attractivité migratoire dans un pays très mobile géographiquement. Ce dynamisme est directement corrélé aux effets locaux du boom pétrolier : Midland et Odessa, les deux capitales régionales, polarisent 70 % de la croissance régionale, devant les comtés d’Andrews, de Gaines, de Martin, de Reeves et de Lea, alors que tout le reste du territoire est en crise ou en stagnation démographique. Dans les espaces dynamiques, on assiste à l’explosion des prix du foncier et de l’immobilier, à la multiplication des créations d’emplois, aux effets d’entraînement (directs et indirects) sur le bâtiment, les transports, l’industrie, l’hôtellerie, les commerces et les services.

L’effet richesse est localement considérable. En dix ans, le revenu par habitant augmente de 35 % dans les comtés de Chaves et d’Ector, de 22 % dans celui de Lea. La ville natale de Laura Bush, Midland, se hisse au 1er rang du Texas, en dépassant de 9 % la moyenne fédérée alors qu’au Nouveau-Mexique, les Comtés d’Eddy et de Lea sont économiquement et fiscalement les deux territoires les plus riches, largement devant Los Alamos et ses grands laboratoires. Les retombées fiscales sont tout aussi importantes pour les collectivités territoriales. Dans le comté de Léa, les revenus des taxes sur les hydrocarbures augmentent de 185 % en dix ans, et l’ensemble des revenus fiscaux de 25 % à 37 % sur la même période. Au Nouveau-Mexique, dont un tiers du budget annuel dépend directement des hydrocarbures, et même 45 % si l’on compte les effets induits sur le système productif, les comtés d’Eddy et de Lea sont devenus les premiers contributeurs au budget de l’État fédéré, largement devant celui de Los Alamos, troisième.

3.3. Les transformations des réseaux et hiérarchies urbaines

Dans cet ancien Nouveau Monde où les cycles spéculatifs jouent un rôle considérable, le boom du schiste transforme les réseaux et la hiérarchie urbaine au profit des bourgs et villes déjà les mieux dotés, comme le pôle Roswell-Dexter et Carlsbad dans la vallée du Pecos au Nouveau-Mexique, Hobbs dans le Comté de Lea au Texas. C’est dans ce cadre que le duopôle de Midland-Odessa devient la « petroplex » du bassin permien. Ville du chemin de fer (Texas and Pacific Railroad en 1881), Midland connait une transformation radicale à partir de la découverte de pétrole dans la région en 1923. La population de la municipalité a été multipliée par 65 entre 1920 et 2010, passant de 1 800 habitants à 111 000. Son aire métropolitaine, qui compte aujourd’hui 300 000 habitants, a été celle qui a le plus gagné de population dans tout le pays pour les années 2010, 2011 et 2012. La ville est organisée autour du secteur pétrolier et ses annexes comme la construction d’oléoducs ou de gazoducs, les services d’ingénierie spécialisés, les transports... Il est dominé localement par Pioneer Natural Resources, Halliburton, Keane Group, ou encore Saulsbury Industries. L’Ector County Coliseum accueille tous les ans le Permian Basin International Oil Show qui réunit tous les acteurs de la filière.

 

Conclusion

En deux décennies, le boom des hydrocarbures non conventionnels du Bassin permien a bouleversé la géographie et la géopolitique énergétiques des États-Unis et du monde, le seul bassin permien produisant 60 % du pétrole et 22 % du gaz naturel étasuniens. À l’échelle du Texas, il a remodelé en profondeur l’organisation spatiale et économique de la région. Mais ces « dividendes » du Permien sont pour l’essentiel captés par les grandes firmes texanes de l’énergie comme EOG, Pioneer ou ConocoPhilipps. Surtout, l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste fondée sur la fracturation hydraulique s’avère un modèle prédateur particulièrement désastreux pour les milieux et l’environnement d’un côté, les populations résidentes de l’autre. Dans le Bassin permien, l’acceptation sociale semble permise par les très faibles densités démographiques de régions sous-peuplées ou désertiques et par une culture historique de la mobilité et du front pionnier bien spécifique à cet ancien Nouveau Monde. Mais alors qu’à l’occasion de la crise énergétique induite par l’invasion de l’Ukraine au printemps 2022 certains acteurs cherchent à relancer un tel modèle d’exploitation en Europe, il semble essentiel que les géographes contribuent à éclairer les citoyens et les décideurs sur les enjeux posés.

 


Bibliographie et ressources

>>> Un autre article du même auteur traite le sujet à l'échelle des États-Unis dans le monde : Laurent Carroué, « La révolution du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis : enjeux technologiques, territoriaux et géostratégiques », Géoconfluences, juin 2022.

Ouvrages généraux
  • Gérard Dorel : « Les États-Unis », in volume États-Unis, Canada, Géographie universelle, Hachette Reclus, Montpellier, 1992. Pour comprendre la façon dont était abordée la question énergétique aux États-Unis par les géographes il y a trente ans.
  • Laurent Carroué. Atlas de la mondialisation. Une seule terre, des mondes. Coll. Atlas, Autrement, Paris, 2020.  
  • Laurent Carroué, Géographie de la mondialisation. Crises et basculements du monde, coll. U, Armand Colin. 2019.
  • Jean-Louis Fellous et Catherine Gauthier, 2013. Les gaz de schiste. Nouvel eldorado ou impasse ?, Odile Jacob Éd., 256 p.
  • Bernadette Mérenne-Schoumaker : Atlas mondial des matières premières. Des ressources stratégiques, coll. Atlas, Autrement, 2020.
Enjeux énergétiques aux États-Unis
Conséquences de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels
À l’échelle du Texas et du Bassin permien
Film
  • Josh Fox, Gasland, 2010, version courte 46 minutes.

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : acceptation sociale | brent et autres cours du pétrole | extractivisme | firmes transnationales | fracturation hydrauliquefront pionnier | gaz naturel | hydrocarbures conventionnels et non conventionnels | lobbying | recomposition.

 

 

Laurent CARROUÉ
Inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), directeur de recherche à l’IFG, Université Paris VIII

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :

Laurent Carroué, « Le boom des hydrocarbures non conventionnels dans le Bassin permien (Texas et Nouveau-Mexique, États-Unis) », Géoconfluences, juin 2022.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-critique-des-ressources/articles/bassin-permien-gaz-et-petrole-de-schiste

Pour citer cet article :  

Laurent Carroué, « Le boom des hydrocarbures non conventionnels dans le Bassin permien (Texas et Nouveau-Mexique, États-Unis) », Géoconfluences, juin 2022.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-critique-des-ressources/articles/bassin-permien-gaz-et-petrole-de-schiste