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L’élevage des camélidés au service du développement

Publié le 20/03/2024
Auteur(s) : Jean-Benoît Bouron, agrégé de géographie, responsable éditorial de Géoconfluences - DGESCO, ENS de Lyon.
2024 est l’année internationale des camélidés, une initiative portée par l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cette brève revient sur l’importance mondiale de cette famille d’animaux.

Bibliographie | citer cette brève

L'année internationale des camélidés

Décidée en 2017 par l’ONU, l’année des camélidés vise à faire connaître ces espèces animales auprès du grand public. Des liens peuvent être tissés avec plusieurs programmes scolaires. Outre leur place dans les programmes d’histoire, où l’importance de cet élevage dans l’histoire globale peut être rappelée, les camélidés offrent des exemples d’adaptation des sociétés à des milieux à fortes contraintes naturelles (programme de sixième). La FAO rappelle aussi que les camélidés sont indispensables à la réalisation des ODD (objectifs de développement durable), notamment à travers leur rôle dans l’alimentation humaine (programme de cinquième).

Qu’est-ce qu’un chameau ?

Les camélidés regroupent deux grandes familles : les camélidés andins (lamas, alpagas, vigognes, et leur cousin sauvage le guanaco), et les chameaux. Ce mot désigne trois espèces ou sous-espèces de grands camélidés : le dromadaire (Camelus dromedarius), ou chameau d’Arabie, à une bosse ; le chameau de Bactriane, à deux bosses (Camelus bactrianus) ; et le chameau féral ou chameau sauvage de Tartarie, cousin du précédent retourné à l’état sauvage (ce qu’on appelle la féralité). Il existe un débat en taxonomie pour établir si ce dernier est une sous-espèce du chameau de Bactriane (Camelus bactrianus ferus) ou une espèce à part entière (Camelus ferus). Sa population, en diminution et en danger critique d’extinction, est inscrite sur la liste rouge de l'UICN.

Tous les camélidés sont les descendants d'une espèce originaire d'Amérique du Nord, qui s'est ensuite divisé en deux groupes, l'un ayant colonisé les Andes et l'autre l'Asie via la Béringie. Le chameau aurait été domestiqué il y a 4 450 ans quelque part entre le nord de l’Iran et le sud du Kazakhstan, plus à l’ouest qu’on l’a longtemps pensé, comme l’indique le toponyme Bactriane, qui correspond plutôt au nord de l’Afghanistan (Faye et Ratto, 2022). La domestication du lama, dans l'actuel Pérou, a aussi eu lieu au Ve millénaire avant notre ère. Le dromadaire, lui, a sans doute été domestiqué plus tardivement dans la Péninsule arabique.

Combien de chameaux dans le monde ?

Document 1. Cheptel mondial de camélidés par État, part des camélidés dans l’élevage total et chameaux féraux

Planisphère cheptels de camélidés par État

D’après les estimations de la FAO pour 2022 et les calculs de Bernard Faye (2020). Géoconfluences 2024.

 

Il est difficile d’évaluer le nombre de chameaux (dromadaires compris) dans le monde. Comme pour bien d’autres statistiques à cette échelle, tout dénombrement repose sur des estimations. L’importance du petit élevage familial, le maintien d’une place importante de cet animal dans des régions où la statistique agricole n’est pas toujours régulière, font qu’il est difficile d’obtenir des données fiables. Dans un article de 2020, le vétérinaire Bernard Faye montre que même les séries statistiques produites par la FAO depuis 1961, réputées les plus fiables, ne sont pas complètement satisfaisantes. Elles se fondent sur les statistiques nationales, lesquelles tendent à prolonger les courbes sans tenir compte des évolutions rapides des cheptels. De plus, certains pays favorisés sont oubliés des statistiques mondiales, comme l’Australie. Cette absence s'explique par le fait que les dromadaires australiens sont retournés à l'état sauvage (phénomène de marronnage) et qu'ils ne sont donc pas comptabilisés dans les recencements agricoles. L’auteur conclut à une population mondiale d’environ 40 millions de chameaux (dromadaires compris), en croissance depuis 1961. Cette croissance est plus forte que pour la plupart des autres cheptels (× 2,75 pour les deux chameaux, × 2,33 pour le buffle, × 1,72 pour les petits camélidés, et × 1,58 pour les bovins). Le même auteur précise que le chiffre de 40 millions est sans doute sous-évalué : à chaque fois qu’un recensement rigoureux a été réalisé localement, le nombre obtenu est supérieur aux estimations antérieures.

Un animal indispensable pour atteindre les ODD

Document 2. Dromadaires employés dans le secteur touristique en Jordanie

Dromadaires Wadi Rum Jordanie

Dromadaires destinés à la randonnée touristique dans le désert du Wadi Rum en Jordanie. À l’arrière-plan, un utilitaire « Hilux » Toyota et une tente destinée aux touristes et aux chameliers. Outre la randonnée à dos de chameau, le site est très fréquenté pour ses voies d’escalade. Le tourisme représente une source de revenus complémentaire pour les Bédouins qui trouvent ainsi un débouché nouveau à l’élevage chamelier traditionnel.

Chamelle et chamelon

Une chamelle et son chamelon dans le Wadi Rum, Jordanie.

Les trois clichés sont d’Élise Martin et de Louis Roux, mars 2022. Avec l’aimable autorisation des auteurs. Coordonnées 29,57 N 35,42 E.

Dromadaires Wadi Rum

Dromadaires et abreuvoirs dans le Wadi Rum, Jordanie.

Les camélidés ont joué un rôle majeur dans l’histoire. Les petits camélidés andins ont été les seuls animaux de bât de l’Amérique précoloniale ; le dromadaire a permis la connexion du bassin méditerranéen au Golfe du Guinée à travers les routes sahariennes ; le chameau de Bactriane a permis la connexion des mondes chinois, indien, méditerranéen et européen à travers les routes de la soie.

Du Sahara aux Nouvelles routes de la soie (B.R.I.), le camion a largement remplacé le chameau pour le transport dans les milieux désertiques. Mais même dans les pays où tous les déplacements sont motorisés, comme dans la péninsule Arabique, l’élevage des dromadaires reste culturellement très important, et les cheptels sont encore nombreux (document 1). On continue de le monter dans le cadre des loisirs et du tourisme (document 2). Le chameau est également très important pour l’alimentation humaine, pour sa viande et le lait de chamelle. Si ce dernier n’est sans doute pas un aliment miracle (comme on le lit parfois), ses qualités nutritionnelles sont réelles (Faye et Ratto, 2022). Il présente surtout l’intérêt de pouvoir être produit dans bien des régions où l’élevage bovin n’est pas envisageable.

L’adaptation des camélidés aux milieux arides et semi-arides, aux fortes amplitudes thermiques ainsi qu'aux altitudes élevées font de lui une ressource indispensable pour les sociétés humaines habitant les milieux contraignants, des altiplanos andins aux steppes d’Asie centrale. L’élevage des camélidés est l’une des rares activités nourricières à ne craindre que modérément la désertification et le dérèglement climatique, du moins tant que subsistent des points d’eau (document 2).

Les camélidés présentent donc des caractéristiques qui correspondent aux besoins d’adaptation et de résilience des sociétés futures aux changements climatiques. Le chameau dispose surtout d’une qualité proverbiale, qui peut inspirer les humains et leurs stratégies d'adaptation : la sobriété.


Ressources et bibliographie

2024, année internationale des Camélidés
Sources utilisées pour rédiger cette brève
Pour aller plus loin

 

 

Jean-Benoît Bouron

Agrégé de géographie, responsable éditorial de Géoconfluences

 

 

Pour citer cette brève :

Jean-Benoît Bouron, « L’élevage des camélidés au service du développement », brève de Géoconfluences, mars 2024.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/camelides-2024