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Les BRICS passent de 5 à 10 membres et deviennent les BRICS+

Publié le 09/11/2023
Auteur(s) : Clara Loïzzo, professeure en classes préparatoires aux grandes écoles - lycée Masséna, Nice
Lors du sommet de Johannesbourg, 15e sommet des BRICS, organisé en août 2023, le groupe a annoncé un élargissement inédit. Au 1er janvier 2024, l'Égypte, l'Éthiopie, l'Iran, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont intégré officiellement le groupe. C’est l’occasion de questionner la place de ce rassemblement très hétérogène au sein de la géoéconomie et de la géopolitique mondiale.

Bibliographie | citer cette brève

NB.Cette brève a été mise à jour le 8 janvier 2024 pour retirer les mentions de l'Argentine parmi les nouveaux entrants. Le pays faisait partie des 6 entrants annoncés en août 2023, mais l'élection d'un ultralibéral proche des États-Unis, le 10 décembre 2023, a changé la donné. Le nouveau président, Javier Milei, a annoncé que conformément à son programme électoral, l'Argentine ne rejoindrait finalement pas les BRICS.

>>> Source : France Info, Brics : quel impact pour l'Égypte, nouveau membre de l'alliance, et l'Argentine, qui a préféré décliner l'invitation, 1er janvier 2024.

Document 1. Les BRICS+ face au G7, un nouvel ordre mondial ?

BRICS à 11 membres

 

Depuis la première apparition au sein des milieux financiers, dans un rapport de l’économiste Jim O’Neill pour la banque Goldman Sachs, de l’acronyme « BRIC » pour désigner des pays émergents présentant de fortes possibilités pour les investisseurs en raison de leur croissance économique rapide, l’expression a progressivement pris un sens nouveau. Les BRIC ont d’abord constitué un regroupement informel, élargi en 2011 à l’Afrique du Sud, devenant les BRICS, et tendant vers l’institutionnalisation d’un groupe qui se réunit dès lors régulièrement depuis 2009, malgré une interruption des sommets en « présentiel » lors de la crise sanitaire. Le groupe élargi s’appellera désormais BRICS+.

Ces pays occupent un poids croissant dans le monde. Comptant dans leur rang les deux géants démographiques qui dépassent chacun 1,4 milliard d’habitants, ils totalisent 41 % de la population et 26 % du PIB mondial (source). À dix membres, ils atteignent 45 % de la population et 28 % du PIB mondial (document 2).

 
Document 2. Poids démographique et économique des BRICS en 2003 et en 2022
  Population en millions Part en % PIB nominal en milliards de $ courants Part en %
4 BRICS 2003 2 739 42,86 3 417 8,73
5 BRICS 2022 3 253 40,92 25 913 25,77
10 BRICS+ 2022 3 619 45,52 28 518 28,36
UE 2003 432 6,77 9 932 25,36
UE 2022 448 5,63 16 641 16,55

*BRICS+ en 2022 : BRICS élargis à 10 en 2024 en additionnant leurs données 2022. Source des données : Banque mondiale PIB nominal et population depuis 1960, consulté en 2023.

 

Les niveaux de vie demeurent toutefois très en deçà de ceux des pays développés, bien qu’ils soient marqués par de fortes disparités, entre la Russie (plus de 15 000 dollars par an et par habitant) et l’Inde (moins de 2 500), d’autant que les cinq pays se caractérisent par des niveaux élevés d’inégalités, accrus par le processus d’émergence (document 3).

Document 3. Indice de GINI des BRICS+ et de la France (2022)
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Émirats arabes unis;(France);Égypte;Éthiopie;Inde;Russie;Chine;Iran;Brésil;Afrique du Sud

Pays;Indice de Gini false
  Indice de Gini

26;30.7;31.9;35;35.7;36;38.2;42;52.9;63

  #E31E51


Voir le glossaire : coefficient de Gini. Données Banque Mondiale, 2022. Pour l’Afrique du Sud, la donnée la plus récente date de 2014, pour l’Éthiopie de 2015, pour les Émirats arabes unis de 2018. Pas de donnée pour l’Arabie saoudite. Le chiffre des Émirats arabes unis peut être faussé par un recensement incomplet des catégories les plus pauvres.

Car en dépit de quelques points communs (importante population et superficie, ressources naturelles) le groupe des BRICS se caractérise par sa forte hétérogénéité ; il est notamment écrasé par le poids de la Chine (environ les deux tiers du PIB en PPA des BRICS). Il est aussi traversé par des rivalités, ce qu’illustrent les relations sino-indiennes. Mais les États des BRICS ont en commun leur pragmatisme et la volonté de défendre leurs intérêts. La montée en puissance du G20 (dont les cinq BRICS historiques sont tous membres) face au G7 qui domine les relations géoéconomiques, est d’ailleurs révélatrice de ce rééquilibrage progressif. Cette dynamique s'inscrit plus globalement dans la reconfiguration des inégalités de richesse et de développement à l’échelle mondiale, et dans une configuration plus multipolaire du monde que les BRICS revendiquent. Le groupe initial a fréquemment pris une posture de défenseur des pays des Suds, ou aujourd’hui d’un Sud global, et il plaide par exemple pour une entrée de l’Union Africaine au G20. La contestation de l’ordre mondial hérité de la fin de la Guerre froide est également financière : les pays des BRICS créent leur propre institution financière (la Nouvelle Banque de Développement, concurrente des institutions de Bretton Woods comme la Banque Mondiale et le FMI) et contestent l’hégémonie du dollar.

Document 4. Affiches annonçant le sommet d'août 2023 à l'aéroport de Tambo, Johannesbourg 

affiche BRICS Johannesburg

« À travers les BRICS, le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud relient ensemble quatre continents, un tiers de la superficie terrestre mondiale et près de trois milliards et demi de personnes. Notre histoire est celle de gens qui travaillent ensemble pour construire un futur meilleur pour tous dans un esprit de solidarité, de respect mutuel et de bénéfice partagé ». Cliché d'Olivier Godard, aéroport de Tambo, Johannesboug, Afrique du Sud, 9 août 2023.

affiche BRICS Johannesburg

« Ensemble, les BRICS comprennent 42 % de la population mondiale, 30 % du territoire, 27 % du produit intérieur brut global et 20 % du commerce total ». Cliché d'Olivier Godard, aéroport de Tambo, Johannesboug, Afrique du Sud, 9 août 2023.

C’est dans ce contexte que se comprend l’élargissement de 2023. Selon les données citées par la revue Le Grand Continent (source), le groupe des BRICS+ représentera 36 % du PIB mondial et 46 % de la population mondiale, mais il contrôlera également près de la moitié de la production mondiale d’énergies fossiles (source), d’autant que la dynamique pourrait se poursuivre : plus de 20 pays étaient officiellement candidats en 2023 (parmi lesquels le Nigéria, l’Indonésie ou encore l’Algérie), et au total près de 40 États avaient manifesté de l’intérêt pour l’organisation.

Les nouveaux entrants forment eux-mêmes un ensemble disparate. Sur le plan démographique, on retrouve trois géants, l’Iran, l’Égypte et l’Éthiopie (plus de 300 millions d’habitants à eux trois), tandis que les Émirats arabes unis comptent moins de 10 millions d’habitants. Sur le plan économique, trois des dix premiers producteurs mondiaux de pétrole, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran, viennent rejoindre la Russie qui occupe en 2023 le 2e rang mondial (source). À côté de ces puissances pétrolières, on trouve aussi l'Éthiopie, un pays certes en forte croissance mais très pauvre, 175e sur 191 au classement mondial de l’IDH (source ONU) et classé parmi les pays les moins avancés. Il semble de prime abord dépasser les tensions géopolitiques en accueillant simultanément les deux ennemis du golfe Persique, Iran et Arabie Saoudite, ce qui aurait paru impensable il y a peu, mais cela pourrait à terme se révéler problématique.

Ce groupe élargi voit néanmoins pour l’heure son influence encore limitée, malgré le changement d’échelle et de logique que représente l’élargissement. La défense des objectifs risque de se heurter aux rivalités et tensions internes avec une base commune de plus en plus étroite, et l’élargissement de s’opérer au détriment de l’approfondissement de la coopération, même si le groupe gagne incontestablement du poids. L’opération semble ainsi pour l’instant surtout servir les intérêts d’une Chine qui cherche à accroître son influence, et dans une moindre mesure d’une Russie qui cherche à relativiser l’isolement diplomatique consécutif à l’invasion de l’Ukraine.


Pour compléter avec Géoconfluences
Pour aller plus loin dans la presse

 

Clara LOÏZZO

Professeure de chaire supérieure, lycée Masséna de Nice.

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron. Dernière modification : janvier 2024.

Pour citer cette brève :  

Clara Loïzzo, « Les BRICS passent de 5 à 10 membres et deviennent les BRICS+ », brève de Géoconfluences, novembre 2023, janvier 2024.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/elargissement-brics-2024