Archive. Vieille Europe, jeune Europe : une dualité rhétorique ou réelle ?
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2005.
En 2003, alors que les États-Unis préparaient le renversement de Saddam Hussein en Irak, le Secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, suscite une très forte polémique, en évoquant une "vieille Europe" dont la France et l'Allemagne seraient les piliers. Par antiphrase, les médias ont alors parlé de "nouvelle Europe" pour désigner les autres pays, en particulier les "Dix" tout juste entrés dans l'Union européenne (UE) dans le cadre du cinquième élargissement. Mais, pour D. Rumsfeld, la "vieille Europe" n'incluait ni l'Italie, signataire du traité de Rome de 1957, ni le Royaume-Uni, déjà membre de la Communauté européenne depuis 1973, ni l'Espagne, membre depuis 1986. Le géodémographe peut alors se demander si le secrétaire à la Défense a souhaité utiliser la qualification de "vieille" au sens démographique, opposant des populations vieillies de l'Europe à d'autres qui seraient jeunes. Ou le vocable relevait-il davantage d'une rhétorique partisane inspirée par la situation géopolitique du moment ?
Pour répondre à cette question, il convient d'abord d'étudier l'évolution de la structure par âge sur le continent européen et surtout les facteurs qui l'expliquent, mettant en évidence un vieillissement démographique, question majeure puisqu'il s'agit de l'un des quatre principaux processus démographiques contemporains (Dumont, Gérard-François, Les populations du monde, Paris, Editions Armand Colin, 2004). Il convient ensuite de se demander si tous les pays européens s'alignent sur l'évolution générale du continent, en examinant de façon précise les différences géodémographiques selon les États.
L'Europe dans son ensemble connaît un vieillissement démographique
Le vieillissement démographique fait l'objet d'une définition largement acceptée : il s'agit de l'accroissement du rapport du nombre des personnes âgées à la population totale, définition présentée par exemple par Alfred Sauvy en 1959dans sa Théorie générale de la population (Paris, PUF, volume II, deuxième édition, 1959, p. 51). Une formulation, presque équivalente, est proposée plus récemment : "l'expression vieillissement démographique signifie que la composition par âge de la population évolue au fil du temps dans le sens général de l'augmentation de la proportion de personnes âgées" (Calot, Gérard, Sardon, Jean-Paul, "Les facteurs du vieillissement démographique", Population, n° 3, 1999). Ces définitions signifient que, dans la vie des populations, le vieillissement est un processus propre à certaines périodes pendant lesquelles la proportion des personnes âgées augmente. Examinons donc le rythme général du vieillissement en Europe avant de considérer l'influence de ses différents facteurs.
Le rythme général du vieillissementÀ partir des données agrégées publiées par les grands organismes statistiques, il est possible de considérer l'évolution de la proportion des 60 ans ou plus pour l'ensemble de l'Europe (Russie comprise), fournie par la Division de la population des Nations unies, et celle de l'UE, donnée par Eurostat, pour les Quinze d'avant le 1er mai 2004. Cette catégorie limitée à quinze conserve son intérêt compte tenu de l'histoire spécifique de ces pays depuis la Seconde guerre mondiale, avec un contexte socio-économique relativement homogène. Les résultats livrent trois enseignements essentiels. Ils mettent d'abord en évidence, depuis les années 1960, un vieillissement démographique caractérisé par une forte intensité. Les 60 ans ou plus composaient, en 1960, 13% de la population européenne. Ils dépassent 20% à l'orée du XXIe siècle. Néanmoins, deuxième enseignement, le vieillissement a laissé place, entre 1975 et 1980, à un rajeunissement. Ce dernier s'explique par les effets de la guerre de 1914-1918, qui a entraîné un fort déficit des naissances en raison de l'importance du nombre de mobilisés retenus sur les fronts militaires. Aussi, 60 ans plus tard, en 1975, les effectifs des générations fêtant leur soixantième anniversaire se trouvent-ils fort réduits et la proportion des 60 ans ou plus dans la population européenne se met à baisser. Troisième enseignement, le vieillissement de l'Union européenne à quinze est plus intense que celui de l'ensemble de l'Europe pendant toute la période considérée. Déjà, en 1960, la proportion des 60 ans ou plus des Quinze est supérieure de plus de deux points à la moyenne européenne. Puis elle demeure supérieure pendant toute la période, même si l'écart se resserre à 1,5 point en 2000. |
De telles différences justifient l'examen des facteurs du vieillissement qui peuvent aider à comprendre l'ampleur du phénomène et les spécificités des Quinze par rapport à la moyenne européenne. Trois facteurs déterminants du vieillissement sont généralement retenus : la fécondité, l'évolution de la mortalité des personnes âgées et les migrations. Exercent-ils des effets semblables sur le vieillissement démographique européen ?
L'abaissement de la fécondité
Lorsqu'elle baisse, la fécondité peut entraîner, en fonction du nombre et de la composition par âge des femmes en âge de fécondité, ce qu'il est coutume d'appeler un vieillissement "par le bas", donc une minoration du nombre de jeunes.
Or, depuis les années 1960, la diminution de la fécondité est incontestable, en Europe comme au sein de l'UE à quinze. En effet, la fécondité européenne, aux alentours de 2,5 enfants par femme dans les années 1960, entreprend une chute rapide la faisant passer, au milieu des années 1970, en dessous du seuil de 2,1 enfants par femme, niveau nécessaire pour assurer le simple remplacement des générations dans des pays à haut état sanitaire. Ensuite, la fécondité continue à s'abaisser, à un rythme plus rapide chez les Quinze que dans la moyenne européenne jusqu'à la fin des années 1980, avant que ne s'effondre la fécondité dans l'Europe ex-soviétisée. La fécondité se trouve, au début du XXIe siècle, aux environs de 1,4 enfant par femme, soit plus du tiers inférieur au seuil de remplacement. Dans un premier temps, la diminution des naissances a pu être enrayée ou ralentie par une hausse des générations en âge de fécondité résultant de l'histoire démographique spécifique de l'Europe. Mais ensuite, une fécondité aussi abaissée finit par avoir des effets sur le nombre des naissances. Effectivement, l'Europe comptait par an plus de 12 millions de naissances dans les années 1950. De 1965 à 1985, le chiffre est constamment en dessous de 11 millions et devient inférieur à 10 millions après 1985, puis sous 9 millions dans les années 1990 pour approcher sept millions au début du XXIe siècle. |
Au total, le nombre des naissances en Europe est inférieur de plus de 40% à celui des années 1950. Il en résulte des générations de jeunes de moins en moins nombreuses, et, a contrario, une augmentation de la proportion de la population âgée. Cet incontestable vieillissement "par le bas" se trouve complété par un vieillissement "par le haut", conséquence d'un niveau de développement relativement bon : l'augmentation de l'espérance de vie des personnes âgées.
L'augmentation de l'espérance de vie des personnes âgéesEn effet, ce second facteur s'exerce essentiellement dans des sociétés avancées. Car, historiquement, les progrès dans la lutte contre la maladie et la mort bénéficient d'abord aux individus jeunes (baisse de la mortalité des nouveau-nés et des enfants) et aux mères (baisse de la mortalité maternelle), puis aux individus d'âge actif, et ensuite seulement aux personnes âgées. Pour mesurer le vieillissement européen "par le haut", les institutions statistiques internationales ne livrent pas, comme pour la fécondité et la natalité, des renseignements agrégés au niveau européen sur l'augmentation de l'espérance de vie des personnes âgées. Mais l'examen des chiffres des différents pays et les données agrégées de l'UE à quinze souligne l'importance du vieillissement "par le haut". En quarante ans, l'espérance de vie à 60 ans a augmenté dans cette UE à quinze de près de 4 ans pour les hommes, passant de 15,9 ans en 1960 à 19,6 ans à la fin du siècle (+23%), et s'est accrue de 5 ans pour les femmes, passant de 19,0 ans en 1970 à 24,0 ans (+26%). Nombre de personnes âgées restent donc en vie plus longtemps et la proportion des personnes âgées dans la population augmente, concourant justement à un vieillissement "par le haut". Mais il existe un éventuel troisième facteur du vieillissement provenant des échanges migratoires. |
Un système migratoire limitant le vieillissement
Une émigration composée de jeunes adultes accentue le vieillissement, alors qu'une immigration également composée de jeunes l'empêche ou le freine. En l'espèce, le système migratoire européen contribue à limiter le vieillissement de la population puisque la composition par âge des immigrants est plus jeune que celle de la population résidente, tandis que l'influence de l'émigration est négligeable.
En effet, l'immigration en Europe se compose pour l'essentiel de populations jeunes dans les divers modes d'entrée possible : par exemple, demandeurs d'asile et, plus encore, femmes et enfants concernés par le regroupement familial. En outre, comme l'attestent les régularisations d'immigrés clandestins effectuées en France, en Espagne ou en Italie, la moyenne d'âge des clandestins est également inférieure à la moyenne nationale. La propension à émigrer vers l'Europe pour y trouver du travail ou y chercher une amélioration de ses conditions économiques est inversement proportionnelle à l'âge des actifs. Par exemple, les ressortissants d'Amérique andine, les ivoiriennes ou les ukrainiennes qui viennent respectivement en Espagne, en France et en Italie assurer des services aux particuliers, notamment dans le domaine de la garde d'enfants ou de l'aide aux personnes âgées, font partie des générations de jeunes actifs. Il en est de même des immigrants qui viennent s'embaucher dans les métiers du bâtiment et des travaux publics.
Le système migratoire européen concourt donc à rajeunir la population, mais l'intensité des vieillissements par le haut et par le bas gomme cet effet.
Le facteur migratoire exerce un autre effet limitant le vieillissement dans la mesure où il apporte des populations à la fois en plus forte proportion d'âge à la fécondité et ayant souvent des fécondités plus élevées que la population déjà présente.
Les projections démographiques laissent généralement penser que le vieillissement est appelé à s'accentuer d'autant plus qu'un dernier facteur s'exerce dans ce sens. Il s'agit des effets de l'héritage démographique selon lesquels les générations arrivant à l'âge de la retraite après 2005 seront plus nombreuses que les précédentes qui avaient été minorées en raison des effets des guerres.
Le phénomène du vieillissement se présente donc comme une caractéristique majeure des évolutions démographiques européennes. La terminologie de "vieille Europe" doit-elle en conséquence s'appliquer uniformément sur le continent ? L'examen de la géographie du vieillissement et de ses facteurs permet de répondre à cette question.
Les fortes diversités géographiques du vieillissement et de ses facteurs
L'analyse géodémographique du vieillissement en Europe met en évidence des écarts importants au sein d'un phénomène général. Les raisons susceptibles d'expliquer ces écarts doivent être recherchées.
Différents niveaux de vieillissement
Une méthode pour comparer des niveaux de vieillissement consiste à examiner les indices qui rapportent la population âgée à la population totale.
Dans ce dessein, considérons la nouvelle géographie de l'Europe depuis le cinquième élargissement (Dumont, Gérard-François, "Le cinquième élargissement de l'Union européenne", Population et Avenir, n° 661, janvier-février 2003), soit les pays de l'UE à vingt-cinq, plus les deux pays qui devraient en devenir membres en 2007 à l'occasion du sixième élargissement (Roumanie et Bulgarie), plus deux autres pays européens de l'Est (Russie et Ukraine). L'ensemble considéré représente la quasi-totalité de l'Europe. La part des 60 ans ou plus présente des écarts importants entre l'indice le plus élevé, l'Italie avec 24,2% et la Russie avec 13% (données 2001). Une typologie permet de distinguer trois catégories : des pays à vieillissement très élevé, avec plus de 23% de personnes âgées : l'Italie, l'Allemagne et la Grèce. En dessous se trouvent des pays à vieillissement élevé se situant entre 20 et 23% : il s'agit de pays d'Europe septentrionale (Suède, Lettonie, Estonie, et Royaume-Uni), d'Europe occidentale (Belgique, France, Autriche), d'Europe méridionale (Espagne, Portugal), ou d'Europe orientale (Bulgarie). Une troisième catégorie regroupe des pays à vieillissement moyen entre 18 et 20% de personnes âgées : ils se situent en Europe septentrionale (Finlande, Danemark, Lituanie), occidentale (Luxembourg, Pays-Bas), ou orientale (Hongrie Roumanie, République tchèque), et un seul en Europe méridionale (Slovénie). Enfin, sept pays comptent un vieillissement plus faible : Malte, Pologne, Slovaquie, Chypre, Irlande, Ukraine et Russie. Comment expliquer les écarts conduisant à cette typologie, sinon par les intensités des facteurs du vieillissement ? |
Des écarts et des calendriers différents de la fécondité
En première approche, l'idée consiste à étudier une éventuelle corrélation entre le niveau de vieillissement et la fécondité. Mais cette hypothèse ne donne pas de résultats satisfaisants. En effet, par exemple, la Roumanie compte une fécondité très basse (1,2 enfant par femme en 2004), mais son vieillissement apparaît moyen. Autre exemple, la Suède compte une fécondité supérieure à la moyenne européenne (1,7 en 2004), mais son vieillissement est élevé au regard des dernières données transversales disponibles. Ces résultats paradoxaux s'expliquent par les héritages. Le niveau de vieillissement du début des années 2000 dépend moins de la fécondité atteinte à cette période que du rythme antérieur de la fécondité. Les pays dont la fécondité s'est abaissée précocement ont accumulé des années avec des générations réduites alors que ceux dont la baisse de la fécondité est plus récente n'enregistrent un vieillissement notable "par le bas" que depuis moins longtemps.
Le calendrier de la fécondité des décennies précédentes est donc un premier élément explicatif du niveau différencié de vieillissement en Europe. Après la Seconde guerre mondiale, l'Europe connaît une renaissance démographique générale, même si elle enregistre, selon les pays, des écarts de fécondité qui ne correspondent pas à la coupure politique qui vient d'être imposée. La fécondité la moins élevée se constate dans un large couloir central allant de la Suède à l'Italie, comprenant des pays de l'Ouest - en utilisant le terme Ouest au sens politique habituel des années 1945 à 1989, soit recouvrant l'ensemble des pays européens n'ayant pas eu de régime communiste - (Allemagne de l'Ouest, Autriche, Suisse, Italie, Grèce), comme des pays du bloc soviétique (Allemagne de l'Est, Bulgarie, mais aussi, en URSS, Ukraine et Pays Baltes). Les autres pays européens, jusqu'au milieu des années 1960, supplantent en fécondité les pays de cette zone centrale. Différentes étapes rythment ensuite la baisse de la fécondité et sa généralisation à l'ensemble de l'Europe. La première se situe dans les années 1960. Chaque année, un ou plusieurs pays enregistrent une diminution des naissances par rapport à l'année précédente : la Belgique en 1960, les Pays-Bas, l'Espagne et l'Italie en 1965, le Danemark et la Suède en 1967, la Norvège en 1970, puis la France en 1975. La fécondité commence à s'orienter nettement à la baisse, surtout en Europe du Nord : la Finlande, la Suède et le Danemark passent en dessous de 2,1 enfants par femme en 1969, mais la fécondité moyenne de l'Europe reste à cette période nettement supérieure au remplacement des générations. La Suède, passée dès les années 1960 au-dessous du seuil de remplacement des générations, se trouve logiquement au début du XXIe siècle parmi les populations les plus vieillies. Le début des années 1970 ouvre une seconde étape avec l'augmentation du nombre de pays dont la fécondité passe en dessous de 2,1 : le Luxembourg en 1970, l'Autriche et la Belgique en 1972, le Royaume-Uni en 1973, la France en 1974. À cette époque, les pays européens les plus féconds sont l'Irlande (3,63 enfants par femme), l'Espagne (2,89), le Portugal (2,68), la Grèce (2,38), l'Italie (2,33), et bien peu imaginent que ces pays vont suivre le mouvement. La France et le Royaume-Uni se situent donc dans cette seconde étape, mais leur fécondité baisse moins que dans d'autres pays, ce qui limite les effets du vieillissement par le bas. Puis l'Italie débute la troisième étape, 1977-1982, de baisse de la fécondité européenne pendant laquelle l'Europe méridionale atteint le non-remplacement : l'Espagne et la Grèce en 1981, le Portugal en 1982. Dans ces deux pays, le vieillissement par le bas ne démarre que plus tard, mais il est plus intense, ce qui explique un vieillissement supérieur à celui de la France dans les années 2000. Un seul pays de l'Ouest reste alors dans une situation singulière, l'Irlande, dont la fécondité se situe encore à 2,95 enfants par femme en 1982, avant de tomber en dessous de 2,10 enfants par femme en 1991. |
Pendant ces étapes de la convergence à la baisse de la fécondité en Europe de l'Ouest, la situation des pays du bloc soviétique reste originale. Il s'agit de sociétés fermées aux mouvements migratoires, aux flux touristiques, aux sources d'information occidentale. La majorité de la population ne peut s'approvisionner en outils contraceptifs modernes. Les pouvoirs publics décident d'utiliser l'avortement comme outil de contrôle des naissances. Leur nombre dépasse souvent celui des naissances : le taux d'avortement atteint parfois 3 ou 4 pour une naissance. Les comportements de nuptialité restent semblables à ceux des années 1950 et le calendrier des naissances continue de laisser la place à une natalité précoce. Néanmoins, l'évolution apparaît chaotique, car les politiques autoritaires sont mouvantes et viennent parfois changer brutalement les conditions démographiques. Ainsi, l'avortement, qui avait été légalisé progressivement à partir de 1955, fait l'objet de diverses restrictions sans mise en œuvre d'autres outils de contrôle de la fécondité. La décision la plus spectaculaire intervient en octobre 1966, en Roumanie, avec la suppression sans préavis de l'avortement légalisé, ce qui entraîne un doublement des naissances en 1967 par rapport à l'année précédente. La possibilité d'avorter se trouve également réduite en Bulgarie en 1968 et en Hongrie en 1973, car ces pays s'inquiètent de la diminution de leurs naissances.
Là où la fécondité est la plus faible, comme en Allemagne de l'Est, dont la population a aligné depuis 1945 son comportement sur celui de l'Allemagne de l'Ouest, les gouvernements mettent en œuvre des politiques qui favorisent une reprise de la fécondité (1976 et années suivantes).
La fécondité résiste donc à la baisse dans les pays de l'Est. Mais, avec l'implosion des régimes communistes, elle descend à un rythme record, pendant la période 1989-1992, quatrième étape de la convergence des fécondités européennes. La Pologne franchit le seuil de remplacement vers 1989 : cet abaissement plus tardif explique un vieillissement encore limité.
Les différences de vieillissement en Europe s'expliquent donc d'abord par le calendrier de la baisse de la fécondité et par son intensité variée. Les différences de vieillissement par le haut doivent aussi être prises en compte.
Les intensités variables du vieillissement par le hautLe vieillissement par le haut n'est pas semblable dans l'ensemble de l'Europe parce que l'évolution de l'espérance de vie des personnes âgées et le niveau atteint par celle-ci différent selon les pays. Considérant le sexe féminin, le phénomène constaté présente alors une logique géographique très nette. En effet, sur les 29 pays considérés, les neuf espérances de vie à 65 ans les plus faibles se constatent toutes dans des pays qui se situaient derrière le "rideau de fer". Des huit pays ayant rejoint l'UE lors du cinquième élargissement de mai 2004, le seul qui ne soit pas dans cette queue du peloton est la Slovénie, le plus occidental de tous d'un point de vue géographique. En conséquence, l'espérance de vie à 65 ans est, selon les derniers chiffres disponibles, inférieure à 18 ans dans neuf pays de l'Est alors qu'elle peut dépasser 20 ans dans les trois pays où elle est le plus élevée : Espagne, Italie et France. Ces données mettent en évidence les effets de l'héritage démographique du système soviétique, expliquant un retard dans les conditions sanitaires de vie à l'Est par rapport à l'Ouest, et donc un vieillissement par le haut plus important à l'ouest de l'Europe qu'à l'est. Reste à considérer un troisième facteur du vieillissement, les migrations. |
La composante migratoire rajeunit ou vieillit selon les cas
Compte tenu de la forte correspondance entre âge et migration, les effets de cette dernière peuvent être de trois natures : dans les pays d'immigration, celle-ci ralentit le vieillissement ; dans les pays d'émigration, le vieillissement peut être intensifié. Enfin, dans des pays ou immigration et émigration s'équilibrent, en flux et en composition par âge, les effets peuvent être considérés comme neutres.
Tout en rappelant les insuffisances statistiques concernant les migrations internationales (Dumont, Gérard-François, Les migrations internationales, Paris, Sedes, 1995), les estimations permettent de classer les pays d'Europe en trois catégories.
Les pays correspondant à l'UE à quinze (période 1995-2004) sont tous des pays d'immigration, avec en conséquence un vieillissement légèrement atténué. De nouveaux membres de l'UE sont également dans cette configuration comme Malte, Chypre, la Croatie, la Slovénie, la République tchèque, ainsi que des pays ayant refusé à devenir membre, comme la Norvège ou la Suisse.
À l'inverse, l'émigration accentue plutôt le vieillissement en raison du départ de jeunes actifs en Lettonie, Lituanie, Bulgarie, Roumanie, comme dans des pays aujourd'hui à l'écart de l'Union, comme la Bosnie, la Serbie, la Macédoine ou la Moldavie. La Pologne est généralement classée dans cette catégorie avec un solde migratoire négatif, mais on peut d'interroger car elle perd, à la fois, de jeunes actifs partant vers l'Ouest et reçoit, souvent sous forme de migrations clandestines, des Russes, des Biélorusses ou des Ukrainiens qui travaillent notamment dans les services à la personne pour les femmes ou dans le bâtiment et les travaux publics pour les hommes. Autre exemple inverse, la Russie a un solde migratoire positif depuis les années 1990, mais ce résultat provient d'un apport de populations russes ayant quitté les ex-républiques soviétiques d'Asie centrale tandis que des migrants jeunes tentent leur chance en Europe ou en Amérique.
Conclusion
Le caractère vieillissant de la population européenne est donc incontestable au regard de l'augmentation de la proportion des personnes âgées. Tout laisse penser que ce vieillissement devrait s'accentuer au XXIe siècle, puisque différents facteurs semblent s'exercer dans ce sens : le maintien d'une fécondité au-dessous du seuil de remplacement, l'amélioration escomptée de l'espérance de vie des personnes âgées et les effets de l'héritage démographique, avec l'arrivée à l'âge de la retraite de générations plus nombreuses que les précédentes, réduites par l'effet des guerres mondiales. Le seul facteur contraire, l'apport migratoire, limite le vieillissement localement, mais ne peut annuler la forte intensité des vieillissements "par le bas" et "par le haut". Contrairement à la formulation de Donald Rumsfeld, il n'existe qu'une vieille Europe et il n'y a pas de jeune Europe. Selon les projections moyennes des Nations unies, la proportion des 65 ans ou plus passerait, pour l'Europe des Quinze, de 16,5% en 2003 à 28,3% en 2050 et, pour les dix nouveaux membres de l'Union de 2004, de 13,3% à 28,9% (Sardon, Jean-Paul, "Evolution démographique récente des pays développés", Population, n° 2, 2004), ce qui signifierait un rattrapage puis un dépassement des Quinze par les nouveaux entrants.
Néanmoins, les intensités et les rythmes du vieillissement sont forts différents selon les territoires, ce qui signifie un éventail de conséquences économiques, sociales ou politiques très large au sein de l'Europe. Tout particulièrement en démographie, ce que j'appelle l'"effet tir à l'arc" s'exerce : un faible écart de fécondité peut, lorsqu'il perdure, donner à terme des niveaux différents de vieillissement par le bas. Selon les tendances du début du XXIe siècle, les plus forts vieillissements européens devraient se constater en Europe orientale qui cumule à la fois des fécondités très basses, des potentialités d'augmenter l'espérance de vie des personnes âgées importantes et rarement d'attractivité migratoire susceptible de minorer le vieillissement.
Dans l'ensemble de l'Europe, le vieillissement impose une remise en cause radicale des équilibres sociétaux. Aussi l'avenir des territoires européens dépend-il notamment de leur capacité à réviser leurs politiques pour répondre à ce défi attendu, actuel et futur, qu'est le changement de la composition par âge des populations.
Références bibliographiques
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- Dumont G.-F. et Wackermann G. - Géographie de la France - Éditions Éllipses - 2002
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- Dumont G.-F. - Les migrations internationales, Les nouvelles logiques migratoires - Éditions Sedes - 1995
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- Zaninetti J.-M. - "Les disparités géographiques du vieillissement en France" - Population et Avenir, n° 662, mars-avril 2003
Gérard-François Dumont, professeur à l'université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
pour Géoconfluences, le 21 mars 2005
Pour citer cet article :
Gérard-François Dumont, « Archive. Vieille Europe, jeune Europe : une dualité rhétorique ou réelle ? », Géoconfluences, mars 2005.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Europe/EurScient4.htm