Union européenne – Russie : des "politiques de voisinage" de l'énergie
NB. Le contenu de cet article donne des informations disponibles au moment de sa publication en 2007.
Le 1er janvier 2006, la Russie, via l'entreprise publique Gazprom, interrompait ses livraisons de gaz à l'Ukraine, après l'échec des discussions portant sur les tarifs gaziers et le stockage de réserves gazières dans le sous-sol ukrainien. Cette décision signifiait l'arrêt des livraisons de plus de 75% du gaz russe exporté vers l'Union européenne (UE) qui transite par le territoire ukrainien. Courant décembre 2006, la Russie annonçait qu'elle interromprait ses livraisons de gaz à la Biélorussie au 1er janvier 2007 si un accord sur les tarifs n'intervenait pas avant cette date. L'accord fut finalement signé le 31 décembre… à 23h58 ! Ce qui permit à Gazprom de doubler les prix de ses livraisons à la Biélorussie et d'acquérir 50% des parts de l'entreprise biélorusse Beltransgaz qui contrôle l'acheminement, via le territoire de la Biélorussie, de près du quart du gaz exporté par la Russie vers l'UE par le gazoduc Yamal-Europe. Le 6 janvier 2007, le flux de pétrole brut dans l'oléoduc Droujba, transitant par la Biélorussie, était interrompu plusieurs heures, touchant l'Allemagne, la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie. Les autorités russes et biélorusses se rejetaient mutuellement la responsabilité de l'interruption, dans un contexte de vives tensions entre les deux pays sur les questions énergétiques.
Ces événements ont sonné comme autant d'avertissements pour les responsables de l'UE qui ont feint de découvrir à quel point les décisions de l'imprévisible voisin russe concernant les livraisons d'énergie pouvaient rapidement se muer en moyens de pression. De leur côté, les autorités russes ont pu vérifier qu'elles disposaient d'un moyen, certes sommaire, mais efficace, de faire taire momentanément les critiques dont elles sont régulièrement l'objet de la part de l'UE à propos de leur interprétation de la démocratie et de l'économie de marché.
Jusqu'à quel point ces craintes et ces postures sont-elles justifiées ? Quel est le degré réel de dépendance énergétique de l'UE vis-à-vis de la Russie ? Quelle est la marge de manœuvre et l'ampleur des moyens de pression dont dispose la Russie vis-à-vis de l'UE ? Quelles sont les mesures prises de part et d'autre pour limiter les risques de conflit autour de l'énergie et pour progresser vers une coopération de long terme mutuellement avantageuse ?
Du court au moyen terme : l'énergie, levier de la dépendance européenne à l'égard de la Russie ?
L'évolution des relations énergétiques UE - Russie
Les premières fournitures d'hydrocarbures soviétiques à l'Europe occidentale datent de 1968. Il s'agissait alors de livrer du gaz, en quantités limitées, à l'entreprise autrichienne OMV. Développées par l'accord germano-soviétique de février 1970 échangeant du gaz russe contre des tuyaux allemands (Nies, 2007) puis étendues à la faveur des chocs pétroliers des années 1973 et 1979, les livraisons énergétiques de l'Union Soviétique aux pays d'Europe occidentale ont poursuivi leur croissance dans le courant des années 1980 dans la mesure où elles correspondaient à l'intérêt bien compris des deux parties. Pour la Communauté européenne, il s'agissait de bénéficier d'une source d'approvisionnement alternative aux fournitures des pays de l'OPEP, dont la logique de cartel faisait peser une menace permanente sur les quantités et les prix. Pour l'Union Soviétique, l'objectif était de bénéficier d'une source stable de devises étrangères susceptibles de satisfaire ses besoins croissants d'importations occidentales (Vercueil, 2002).
Durant les années 1990, le démantèlement de l'Union soviétique et les difficultés économiques de la Russie l'ont conduite à intensifier ses exportations énergétiques vers l'Europe occidentale. La proximité géographique, le pouvoir d'achat et les besoins de l'UE en faisaient le partenaire privilégié du secteur énergétique russe dès lors que les antagonismes de la guerre froide s'estompaient. Au début des années 2000, à l'initiative de Romano Prodi, alors président de la Commission européenne, les premiers accords énergétiques de long terme ont été conclus entre l'UE et la Russie. Le sommet de Paris (30 octobre 2000) a en effet permis de concrétiser le dialogue Russo-Européen par un partenariat énergétique épousant les objectifs stratégiques des deux parties. Le "Plan Prodi" postulait que les risques d'instabilité affectant les zones productrices d'hydrocarbures au Moyen Orient devaient conduire l'UE à réorienter ses approvisionnements vers la Russie. L'objectif était de doubler les volumes importés pour atteindre à terme 40% de la consommation énergétique européenne [2]. Ce partenariat intéressait également la Russie dans la mesure où celle-ci avait besoin des technologies et des capitaux nécessaires pour entretenir, moderniser et développer les infrastructures de prospection, d'exploitation et de distribution d'hydrocarbures tombées en partie en déshérence dans la décennie précédente.
Depuis, l'élargissement de l'Union à dix pays d'Europe centrale et orientale a mécaniquement conforté la prédominance de la Russie dans les livraisons d'hydrocarbures à l'UE (cf. encadré ci-dessous).
La situation énergétique des nouveaux membres de l'UE
Les pays d'Europe centrale et orientale qui ont intégré l'UE en 2004 et en 2007 dépendent toujours des systèmes d'approvisionnement hérités de la période soviétique.
- Gaz : l'URSS a commencé à exporter du gaz au milieu des années 1940 en direction de la Pologne. Par la suite, un deuxième gazoduc a été construit en 1967 à destination de la Tchécoslovaquie. Actuellement les principaux clients d'Europe centrale pour le gaz russe sont la Hongrie, suivie de la République slovaque, la République tchèque et la Pologne. Ces quatre pays absorbent près des trois quarts des exportations de Gazprom vers l'Europe centrale.
- Pétrole : depuis l'accord du 18 décembre 1959 signé par l'URSS, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Pologne et la République Démocratique d'Allemagne, alors membres du Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM), le pétrole est acheminé par le système d'oléoducs Droujba. L'oléoduc Droujba-1, long de 6 000 kilomètres, pour 1020 millimètres de diamètre, est le plus important au monde. Mis en service en 1964, il relie le complexe de Samara à l'Europe centrale via la Biélorussie (raffinerie de Mozyr) où il se divise en deux branches : la branche septentrionale passe par la Pologne (raffinerie de Plotzk) et aboutit en Allemagne de l'Est (raffinerie de Schwedt) ; la branche méridionale traverse successivement l'Ukraine, la République tchèque, la Slovaquie et aboutit en Hongrie. À partir de 1974, un système de tuyaux baptisé Droujba-2, avec des tubes de 1220 millimètres de diamètre, a permis de doubler les capacités d'exportation soviétiques. Autour de cette épine dorsale, le réseau d'oléoducs et de gazoducs secondaires développé dans la région innerve l'ensemble des pays de la région.
Durant les années 1990, les pays d'Europe centrale et orientale ont déployé peu d'efforts pour diversifier leurs approvisionnements, leur priorité dans ce domaine ayant été de maintenir les liens existants. Le résultat est une dépendance envers l'approvisionnement russe qui oscille, suivant les pays, entre 80 et 100% des besoins énergétiques (voir graphiques infra).
Au cours des années 2000, l'évolution du prix des hydrocarbures a fondamentalement changé les données du problème : entre début 1999 et fin 2007, les cours mondiaux du baril de pétrole brut ont été multipliés par près de dix en dollars courants [3]. Pour la Russie, cela s'est traduit par une augmentation sans précédent des rentrées en devises, soit une manne providentielle pour les nouvelles autorités. Elle leur a permis de financer le retour de l'État russe comme acteur de premier plan sur la scène énergétique nationale et internationale. Cette hausse s'est traduite par une ponction accrue sur le PIB de l'UE et par une menace renforcée sur sa dépendance économique extérieure globale à long terme, dans la perspective de l'épuisement des gisements exploités par les pays membres en mer du Nord.
Les paramètres de la relation énergétique UE-Russie
La Russie occupe le deuxième rang mondial des pays producteurs de pétrole, le huitième rang pour les réserves (60 milliards de barils de réserves prouvées, de source occidentale). Elle détient la première place pour la production et les réserves de gaz (27% des réserves totales de la planète, 17% étant détenus par la seule entreprise Gazprom). Elle est, de loin, le principal fournisseur de ressources énergétiques de l'UE : en 2005, elle comptait pour 34% de la valeur des importations de gaz de l'UE et 30% pour le pétrole [4].
Grands champs de production et d'exploration d'hydrocarbures, principales infrastructures
(cliquer sur les miniatures pour ouvrir les images)
Panorama général des zones de production et des voies d'acheminement dans les pays de l'ex-URSSDocument déclassifié de la CIA, 2004 (en anglais). Pour une meilleure définition : accès au document en .pdf (620 Ko) |
Les voies de l'approvisionnement en gaz naturel de l'EuropeSource : Cartothèque de La Documentation française, 2006. |
À la faveur de l'envolée des cours du pétrole des années 2000, les acteurs du secteur énergétique russe sont progressivement montés en puissance sur les marchés mondiaux [5]. Désormais, Gazprom est la première entreprise gazière au monde, Lukoil la sixième entreprise pétrolière par la production, deuxième par les réserves. Dans le même temps, la puissance publique a recouvré une partie de son influence passée sur le secteur [6]. Les changements intervenus en Russie ont ainsi participé à un phénomène observé plus généralement dans le monde énergétique : l'élargissement de la fracture entre les National Oil Companies (NOC) et les International Oil Companies (IOC), soit les entreprises énergétiques nationales publiques et les entreprises énergétiques multinationales privées. Aux premières revient désormais la majorité des réserves énergétiques mondiales et/ou le contrôle des capacités de transport à partir des gisements ; aux deuxièmes, qui risquent d'être progressivement privées d'accès aux situations de rente, le devoir de développer les technologies de prospection, d'extraction et de transport du futur, pour conserver la capacité de nouer des partenariats d'exploitation avec les premières [7]. En Russie, Gazprom, Rosneft et Transneft sont des exemples de NOC. Mais Lukoil et feu l'entreprise Yukos, démantelée en 2004 par le gouvernement russe, sont deux entreprises aux caractéristiques davantage proches des IOC [8].
À partir de leurs positions dominantes sur les marchés nationaux, les NOC russes tentent de descendre en aval de la filière pour prendre position dans les circuits de distribution en Europe occidentale, qui demeurent, de loin, les plus profitables. Les tentatives de Gazprom ou Transneft pour prendre des participations dans des sociétés de distribution énergétique ouest-européennes se sont jusqu'ici soldées par des échecs au moins partiels, nourrissant l'amère ironie des autorités russes à l'égard du cadre libéral de la Charte de l'énergie adoptée par la Commission. On peut s'attendre à l'avenir à ce que ce type de pression, venant de Russie ou d'autres pays émergents, s'intensifie. Les autorités européennes auront à l'avenir de plus en plus de difficultés pour s'opposer à l'entrée des géants russes dans les sociétés gazières ou pétrolières, pour la plupart privatisées, de l'Union.
Dans la perspective d'une tension mondiale croissante sur la fourniture d'énergie, l'UE tente de se doter d'une stratégie commune pour réduire la vulnérabilité économique et stratégique de ses États membres. Le Livre vert sur l'énergie, publié par la Commission européenne en mars 2006, présente ainsi les prévisions d'approvisionnement énergétique à moyen terme de l'UE : "À moins d'améliorer la compétitivité de l'énergie autochtone, les importations couvriront d'ici 20 à 30 ans environ 70% des besoins de l'UE en énergie contre 50% aujourd'hui […] la moitié environ du gaz consommé dans l'UE provient de trois pays seulement : Russie, Norvège, Algérie. Si les tendances actuelles se maintenaient, la part du gaz importé passerait à 80% du total au cours des 25 années à venir" [9].
Complément, des extraits du Livre vert de la Commission des communautés européennes
Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable (Bruxelles le 8 mars 2006)
(Bruxelles le 8 mars 2006)
En italique, les éléments relatifs aux approvisionnements énergétiques en provenance de Russie
1 - Une stratégie énergétique pour l'Europe : trouver un équilibre entre développement durable, compétitivité et sécurité d'approvisionnement
L'Europe est entrée dans une nouvelle ère énergétique. Des investissements sont nécessaires d'urgence. Rien qu'en Europe, il faudra investir environ mille milliards d'euros au cours des 20 prochaines années pour répondre à la demande d'énergie attendue et remplacer l'infrastructure vieillissante.
Notre dépendance envers les importations augmente. À moins d'améliorer la compétitivité de l'énergie autochtone, les importations – dont certaines en provenance de régions menacées d'insécurité – couvriront d'ici 20 à 30 ans environ 70% des besoins de l'Union en énergie, contre 50% aujourd'hui. Les réserves sont concentrées dans quelques pays. Actuellement, la moitié environ du gaz consommé dans l'UE provient de trois pays seulement (Russie, Norvège, Algérie). Si les tendances actuelles se maintenaient, la part du gaz importé passerait à 80% du total au cours des 25 années à venir. La demande mondiale d'énergie augmente. On estime que la demande énergétique mondiale – et les émissions de CO2 – augmenteront de quelque 60% d'ici 2030. La consommation mondiale de pétrole a augmenté de 20% depuis 1994, et la demande mondiale de pétrole devrait continuer à croître de 1,6% par an. (…)
(…) Cette situation appelle une action européenne commune. (...) L'UE dispose des moyens adéquats. Avec plus de 450 millions de consommateurs, elle représente le deuxième marché de l'énergie au monde. Son action collective lui confère le poids suffisant pour protéger et faire valoir ses intérêts. L'UE a non seulement la taille requise, mais aussi les moyens politiques de s'intégrer dans le nouveau paysage énergétique. L'UE occupe la première place au monde dans le domaine de la gestion de la demande, de la promotion des formes nouvelles et renouvelables d'énergie, et du développement de technologies à faible intensité en carbone. (...)
L'Europe doit agir d'urgence: il faut de longues années avant que l'innovation soit appliquée dans le secteur de l'énergie. Elle doit également continuer à promouvoir la diversité, en ce qui concerne les types d'énergie, les pays de provenance et ceux de transit. Ce faisant, elle créera les conditions de la croissance, de l'emploi, d'une plus grande sécurité et d'un meilleur environnement. Les travaux ont avancé sur ces questions depuis le Livre vert de 2000 de la Commission sur la sécurité de l'approvisionnement énergétique, mais les développements récents sur les marchés de l'énergie appellent un nouvel élan européen. Le présent Livre vert formule des suggestions et des options qui pourraient former la base d'une nouvelle politique énergétique européenne globale. (...)
Dans ce Livre vert sont identifiés six domaines clés dans lesquels des actions sont nécessaires pour faire relever les défis auxquels nous sommes confrontés. (…) [Ces six domaines sont : ]
- 1) La compétitivité et le marché intérieur de l'énergie. Y a-t-il un accord sur l'importance fondamentale d'un véritable marché unique à l'appui d'une stratégie européenne commune dans le domaine de l'énergie ? Comment les obstacles à la mise en œuvre des mesures existantes peuvent-ils être supprimés ? (...)
- 2) La diversification du bouquet énergétique. Que devrait faire l'UE pour que l'Europe dans son ensemble promeuve la diversification des approvisionnements en énergie, en vue de préserver le climat ?
- 3) La solidarité. Quelles mesures faut-il prendre au niveau communautaire pour empêcher l'apparition de crises d'approvisionnement énergétique et pour les gérer si elles se produisent ?
- 4) Le développement durable. Quelle serait la meilleure approche du changement climatique dans le cadre d'une politique énergétique européenne commune, en assurant l'équilibre entre les objectifs de protection de l'environnement, de compétitivité et de sécurité de l'approvisionnement ? Quelles actions supplémentaires sont nécessaires au niveau communautaire pour atteindre les objectifs existants ? Faut-il définir des objectifs supplémentaires ? (...)
- 5) L'innovation et la technologie. Quelles mesures faut-il prendre au niveau tant communautaire que national pour assurer que l'Europe demeure au premier rang mondial dans le domaine des technologies énergétiques ? Quels sont les instruments les mieux appropriés à cet effet ?
- 6) La politique extérieure. Devrait-il y avoir une politique extérieure commune en matière d'énergie, afin de permettre à l'UE de parler d'une seule voix ? Comment la Communauté et ses États membres peuvent-ils promouvoir la diversité d'approvisionnement, en particulier dans le cas du gaz ? L'UE devrait-elle conclure de nouveaux partenariats avec ses voisins, notamment la Russie, et avec d'autres grands pays producteurs et consommateurs nations dans le monde ?
2 - Six domaines prioritaires
2.1 - L'énergie pour la croissance et l'emploi en Europe : réalisation des marchés intérieurs européens de l'électricité et du gaz.
Un approvisionnement durable, compétitif et sûr en énergie ne sera pas possible en l'absence de marchés énergétiques ouverts et concurrentiels où existe une concurrence entre entreprises désireuses de devenir des concurrents à l'échelle européenne plutôt que des acteurs dominants au plan national. (...) Un marché unique européen de l'électricité et du gaz véritablement concurrentiel se traduirait par une baisse des prix, une amélioration de la sécurité d'approvisionnement1 et un renforcement la compétitivité. Il aurait également un effet bénéfique sur l'environnement dans la mesure où les entreprises réagiraient à la concurrence en fermant les installations à faible rendement énergétique.
(…) Néanmoins, il apparaît déjà clairement que cinq grands points réclameront une attention particulière.
- Un réseau européen. Les consommateurs ont besoin d'un réseau européen unique pour qu'un véritable marché européen de l'électricité et du gaz puisse se développer. Cet objectif peut être réalisé en mettant en place des règles et des normes communes (...) ce qui se traduirait par des règles communes sur les problèmes de régulation qui ont une incidence sur les échanges transfrontières. (…)
- Un plan d'interconnexion prioritaire. Lors du Conseil européen de Barcelone de 2002, les chefs d'État ou de gouvernement ont décidé d'un commun accord de porter le niveau minimum d'interconnexion entre les États membres à 10%. Les progrès réalisés ne sont pas satisfaisants. (…) une capacité d'interconnexion électrique accrue est nécessaire entre de nombreuses régions, notamment entre la France et l'Espagne pour permettre le développement d'une réelle concurrence entre ces deux pays. D'autre part, il est nécessaire de procéder à de nouveaux investissements dans les infrastructures gazières. Dans de nombreux États membres, des mesures s'imposent pour débloquer des capacités qui sont réservées aux anciens opérateurs historiques en vertu de contrats à long terme pour l'électricité et le gaz. L'interconnexion est un mécanisme essentiel pour assurer la solidarité. (...) Plus l'interconnexion est grande au sein du réseau électrique européen, moins il est nécessaire de constituer des capacités de réserve et, à terme, moins les coûts seront élevés. C'est un élément important à prendre en compte, dans la mesure où les capacités excédentaires dont disposait l'Europe tendent à disparaître. (…)
- Investissement dans les capacités de production. (...) Il faut des réserves suffisantes pour empêcher les ruptures d'approvisionnement en cas de demande élevée et pour disposer de ressources d'appoint en cas d'utilisation de sources d'énergie renouvelables intermittentes. (…)
- Règles du jeu équitables, importance de la séparation des activités. Il subsiste des différences significatives dans le degré de séparation des activités de transport et de distribution, ainsi que dans l'efficacité de cette séparation, par rapport aux activités concurrentielles. Il s'ensuit que, dans la pratique, le degré d'ouverture des marchés nationaux à une concurrence équitable et libre est inégal. (...)
- Renforcer la compétitivité de l'industrie européenne. L'un des objectifs les plus importants du marché intérieur de l'énergie est de promouvoir la compétitivité de l'industrie de l'UE et, partant, de favoriser la croissance et l'emploi. (…)
2.2 - Un marché intérieur de l'énergie qui garantie la sécurité d'approvisionnement, solidarité entre les États membres
Améliorer la sécurité de l'approvisionnement sur le marché intérieur. (…) La sécurité physique des infrastructures de l'énergie en Europe face aux risques de catastrophe naturelle et d'attaque terroriste, ainsi que la sécurité face aux risques politiques, comme l'interruption des approvisionnements, sont des facteurs essentiels de la prévisibilité. Le développement des réseaux électriques "intelligents", la gestion de la demande et la production d'énergie décentralisée sont autant de pistes à explorer pour tenter de résoudre le problème des pénuries soudaines. (…)
Redéfinir la position de l'UE sur les réserves stratégiques de pétrole et de gaz et prévenir les ruptures d'approvisionnement. Le marché du pétrole est un marché mondial, et les ruptures d'approvisionnement importantes, même si elles sont locales ou régionales, demandent une réponse à l'échelle planétaire. Le déblocage des réserves de sécurité organisé par l'AIE après la catastrophe due à l'ouragan Katrina a bien fonctionné. Tout renforcement de l'action communautaire dans ce domaine doit dès lors être compatible avec ce mécanisme mondial. Dans cette optique, une meilleure coordination de la réaction communautaire paraît s'imposer en cas de décision de l'AIE de débloquer des stocks. Il serait notamment utile, à cette fin, d'élaborer une nouvelle proposition législative de la Commission prévoyant la publication, sur une base plus régulière et transparente, de l'état des stocks de pétrole de la Communauté, dans le souci d'améliorer la transparence des marchés du pétrole.
Par ailleurs, il convient de réexaminer les directives actuelles concernant la sécurité de l'approvisionnement en gaz et en électricité en prévision d'éventuelles ruptures d'approvisionnement. Les problèmes récents ont soulevé, entre autres questions importantes, celle de savoir si les stocks de gaz de l'Europe permettraient de faire face à des ruptures d'approvisionnement à brève échéance. (…)
2.3 - Sécurité et compétitivité de l'approvisionnement en énergie: pour un bouquet énergétique plus durable, efficace et diversifié
Chaque État membre et chaque entreprise énergétique choisissent leur propre bouquet énergétique. Toutefois, les choix opérés par un État membre ont inévitablement une incidence sur la sécurité énergétique de ses voisins et de la Communauté dans son ensemble, ainsi que sur la compétitivité et l'environnement. Par exemple:
- la décision d'utiliser en grande partie ou totalement du gaz naturel pour la production d'électricité dans un État membre donné a d'importants effets sur la sécurité d'approvisionnement de ses voisins en cas de pénurie de gaz ;
- les décisions des États membres concernant l'énergie nucléaire peuvent également avoir des conséquences très importantes dans d'autres États membres en termes de dépendance de l'UE à l'égard des combustibles fossiles importés et d'émissions de CO2.
L'analyse stratégique de la politique énergétique de l'UE offrirait un cadre européen clair pour les décisions nationales en matière de bouquet énergétique. Elle devrait analyser tous les avantages et désavantages des différentes sources d'énergie, des sources d'énergie renouvelables indigènes, telles que l'énergie éolienne, la biomasse, les biocarburants, l'hydroélectricité à petite échelle et l'efficacité énergétique, jusqu'au charbon et au nucléaire, et les répercussions que les changements éventuels du bouquet énergétique pourraient avoir sur l'UE dans son ensemble. Cette analyse pourrait être basée sur une méthodologie standard.
Le charbon et le lignite, par exemple, représentent actuellement environ un tiers de la production d'électricité de l'UE : en raison du changement climatique, cette production n'est durable que si elle s'accompagne de l'utilisation à l'échelle commercialise au niveau de l'UE de technologies de séquestration du carbone et de charbon propre.
Cette analyse devrait permettre également de lancer un débat transparent et objectif sur le rôle futur de l'énergie nucléaire dans l'UE, pour les États membres concernés. L'énergie nucléaire contribue actuellement pour environ un tiers à la production d'électricité dans l'UE et, bien qu'il faille accorder une grande attention aux questions que posent les déchets et la sécurité nucléaire, elle représente aujourd'hui la principale source d'énergie de l'UE largement exempte de carbone en Europe. L'UE peut jouer un rôle utile en veillant à ce que tous les coûts, avantages et désavantages de l'énergie nucléaire soient identifiés en vue d'un débat éclairé, objectif et transparent.
(…) un des objectifs pourrait être une proportion minimum de sources d'énergie sûres et à faible teneur en carbone dans le bouquet énergétique global de l'UE. (…) [L'analyse stratégique de la politique énergétique de l'UE] allierait la liberté pour les États membres de choisir entre différentes sources d'énergie à la nécessité pour l'UE dans son ensemble de disposer d'un bouquet énergétique qui, globalement, correspond à ses objectifs énergétiques fondamentaux.
2.4 - Approche intégrée pour lutter contre le changement climatique
Il est urgent de prendre des mesures efficaces pour lutter contre le changement climatique et l'UE doit continuer de montrer l'exemple en favorisant par-dessus tout une extension maximale de l'action internationale. Il faut que l'Europe soit ambitieuse et adopte un mode d'action intégré favorisant la réalisation des objectifs de Lisbonne. L'UE est déjà à l'avant-garde des initiatives visant à dissocier croissance économique et consommation d'énergie. Son action repose sur la combinaison d'initiatives législatives volontaristes et de programmes ambitieux dans le domaine de l'efficacité énergétique avec une politique encourageant la concurrence et l'efficacité des sources d'énergie renouvelables. (…) De ce point de vue, le système communautaire d'échange de quotas d'émission constitue un cadre souple et économiquement tenable pour favoriser une production d'énergie plus respectueuse du climat. Le réexamen complet de ce système offre l'occasion d'étendre et d'améliorer encore son fonctionnement. Ce système constitue par ailleurs l'embryon d'un marché mondial du carbone, qui s'étend progressivement, et sur lequel les entreprises européennes auront dès lors une longueur d'avance.
(…) Bien que l'Europe soit déjà l'une des régions du monde les plus performantes dans le domaine de l'efficacité énergétique, sa marge de progression est importante. Dans son Livre vert de 2005 sur l'efficacité énergétique, la Commission relève que l'UE pourrait encore réduire de 20% sa consommation d'énergie, ce qui représenterait une économie de 60 milliards d'euros ainsi qu'un progrès important pour la sécurité de l'approvisionnement énergétique et une possibilité de créer jusqu'à un million d'emplois nouveaux dans les secteurs directement concernés.
(…) La Commission proposera cette année un plan d'action sur l'efficacité énergétique en vue de concrétiser ce potentiel. Cet objectif demande un soutien et une détermination sans faille au plus haut niveau politique dans toute l'Europe. Les moyens à mettre en œuvre, notamment les subventions et les incitations fiscales, relèvent en grande partie de compétences nationales, et c'est au niveau national qu'il faut sensibiliser les gens aux économies qu'ils peuvent réaliser grâce à l'efficacité énergétique.
Cependant, l'UE peut, elle aussi, jouer un rôle décisif, et le plan d'action proposera des mesures concrètes pour atteindre cet objectif de 20% d'ici 2020. Depuis 1990, l'UE s'est lancée avec succès dans le projet ambitieux de conquérir le premier rang mondial dans le domaine des sources d'énergie renouvelables. Pour ne citer qu'un seul exemple, l'UE dispose à présent d'une capacité installée de production d'énergie éolienne équivalente à celle de 50 centrales au charbon, et dont les coûts ont été réduits de moitié au cours des 15 dernières années. Le marché communautaire des sources d'énergie renouvelables représente un chiffre d'affaires annuel de 15 milliards d'euros (la moitié du marché mondial), emploie environ 300 000 personnes et constitue un important secteur d'exportation. (...)
En 2001, l'UE a décidé que le pourcentage d'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables dans la consommation de l'UE devait atteindre 21 % d'ici 2010. En 2003, elle a décidé qu'au moins 5,75 % de l'ensemble de la consommation d'essence et de gazole devait être constituée de biocarburants d'ici 2010. (…) Si certaines sources d'énergie indigènes à faible teneur en carbone sont déjà viables, d'autres, comme la production d'énergie éolienne en mer et l'énergie des vagues et des marées, doivent encore être encouragées pour percer. (…)
Parallèlement à l'analyse stratégique de la politique énergétique de l'UE, la Commission élaborera une feuille de route pour les sources d'énergie renouvelables. Le piégeage du carbone et son stockage géologique, associés à des techniques de combustion propre des combustibles fossiles, constituent une troisième piste technologique permettant d'obtenir des taux d'émission proches de zéro. Aujourd'hui, leur utilisation est déjà possible et rentable pour assurer une récupération accrue du pétrole ou du gaz. Cette technologie peut être particulièrement importante pour les pays qui choisissent de conserver le charbon comme source d'énergie sûre et abondante. Elle a toutefois besoin d'être encouragée afin de créer les incitations économiques nécessaires, de garantir la sécurité juridique pour le secteur privé et d'assurer l'intégrité environnementale. (...)
2.5 - Encourager l'innovation : un plan européen pour les technologies énergétiques stratégiques
(…) La recherche peut également créer de nouveaux débouchés commerciaux. Les technologies à haut rendement énergétique et à faible taux d'émission de carbone constituent un marché international en pleine croissance, qui représentera des milliards d'euros dans les années à venir. L'Europe doit veiller à ce que ses entreprises s'installent au premier rang mondial dans ce secteur des technologies et des procédés de nouvelle génération. Le 7e programme-cadre, tout en reconnaissant qu'il n'y a pas de solution unique pour résoudre nos problèmes énergétiques, porte sur un large éventail de technologies. (…) L'UE doit mettre en place un plan stratégique pour les technologies énergétiques doté de ressources suffisantes. (…)
2.6 - Vers une politique extérieure cohérente en matière d'énergie
Les défis énergétiques qui se posent à l'Europe exigent une politique extérieure cohérente qui lui donne les moyens de jouer un rôle international plus efficace face aux problèmes qu'elle partage avec ses partenaires énergétiques dans le monde entier. Une politique extérieure cohérente est essentielle pour un approvisionnement énergétique durable, compétitif et sûr. Elle représenterait une rupture avec le passé et montrerait que les États membres sont déterminés à chercher des solutions communes aux problèmes communs. La première étape consiste à se mettre d'accord au niveau communautaire sur les objectifs d'une politique énergétique extérieure et sur les actions requises au niveau tant communautaire que national pour atteindre ces objectifs. L'efficacité et la cohérence de la politique extérieure de l'UE en matière d'énergie dépendent des progrès accomplis dans les politiques intérieures et, en particulier, de la création du marché intérieur de l'énergie. L'analyse stratégique de la politique énergétique de l'UE servirait de base à l'élaboration de cette vision commune. (…) Cette approche aurait des avantages particulièrement importants pour la dimension extérieure. Elle devrait couvrir un certain nombre d'objectifs et d'instruments clés :
- Une politique claire pour la sécurité et la diversification de l'approvisionnement en énergie. Une telle politique est nécessaire tant pour l'UE dans son ensemble que pour les différents États membres ou régions, et plus spécialement dans le cas du gaz. À cet effet, l'analyse mentionnée ci-dessus pourrait proposer des priorités clairement définies pour la modernisation et la construction des nouvelles infrastructures nécessaires pour la sécurité de l'approvisionnement de l'UE en énergie, notamment de nouveaux oléoducs, gazoducs et terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL), ainsi que l'application des dispositions en matière de transit et d'accès des tiers aux oléoducs existants. À titre d'exemple, on peut citer l'approvisionnement par gazoduc indépendant de la région de la mer Caspienne, d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient vers le cœur de l'UE, de nouveaux terminaux GNL desservant des marchés qui se caractérisent actuellement par un manque de concurrence entre fournisseurs de gaz, et les oléoducs d'Europe centrale destinés à faciliter l'approvisionnement de l'UE en pétrole de la mer Caspienne en passant par l'Ukraine, la Roumanie et la Bulgarie. En outre, l'analyse pourrait indiquer les mesures politiques, financières et réglementaires concrètes nécessaires pour soutenir activement l'exécution de tels projets par les entreprises. La nouvelle stratégie UE-Afrique, dans laquelle les interconnexions des systèmes énergétiques sont considérées comme un aspect prioritaire, pourrait également aider l'Europe à diversifier ses sources d'approvisionnement en pétrole et en gaz.
- Partenariats énergétiques avec les producteurs, les pays de transit et d'autres acteurs internationaux. L'UE et ses partenaires dans le domaine de l'énergie sont interdépendants. Cette interdépendance se reflète au niveau bilatéral et régional dans un certain nombre de dialogues spécifiques entre l'UE et une série de pays producteurs et de transit, notamment la Russie, la Norvège, l'Ukraine, le bassin de la mer Caspienne, les pays méditerranéens, l'OPEP et le Conseil de coopération du Golfe.. De même, les questions énergétiques occupent une place de plus en plus importante dans les dialogues politiques de l'UE avec d'autres grands consommateurs d'énergie (tels que les États-Unis, la Chine et l'Inde), notamment au sein d'enceintes multilatérales comme le G8. Ces dialogues devraient s'inscrire dans la vision commune présentée dans l'analyse.
a) Dialogue avec les grands producteurs/fournisseurs d'énergie
Avec les grands fournisseurs internationaux d'énergie, dont l'OPEP et le Conseil de coopération du Golfe, l'UE entretient des relations selon un modèle bien établi. Une nouvelle initiative est particulièrement opportune en ce qui concerne la Russie, le plus important fournisseur d'énergie de l'UE. L'UE, en tant que premier client énergétique de la Russie, est un partenaire essentiel et égal dans cette relation. L'élaboration d'une politique énergétique extérieure commune devrait marquer un réel changement dans ce partenariat au niveau tant communautaire que national. Un véritable partenariat assurerait la sécurité et la prévisibilité pour les deux parties, mettant ainsi en place les conditions pour les investissements à long terme nécessaires pour créer de nouvelles capacités. Il signifierait aussi un accès équitable et réciproque aux marchés et infrastructures, notamment l'accès des tiers aux oléoducs et gazoducs. Il convient d'entamer les travaux pour une initiative énergétique basée sur ces principes. Par la suite, les résultats pourraient être intégrés dans le cadre des relations UE-Russie qui remplaceront l'actuel accord de partenariat et de coopération UE-Russie. En outre, il convient d'intensifier les efforts au sein du G8 pour assurer une ratification rapide de la charte de l'énergie par la Russie et à la conclusion des négociations sur le protocole relatif au transit.
b) Établissement d'une communauté paneuropéenne de l'énergie
Conformément à la Politique européenne de voisinage (PEV) et à ses plans d'action (outre les travaux actuels menés dans le cadre d'accords de partenariat et de coopération ainsi que d'accords d'association), l'UE s'efforce depuis un certain temps d'élargir son marché de l'énergie à ses voisins et de rapprocher ceux-ci progressivement du marché intérieur de l'UE. La mise en place d'un "espace réglementaire commun" en Europe impliquerait l'élaboration progressive de règles communes en matière de commerce, de transit et d'environnement, ainsi que l'harmonisation et l'intégration des marchés. Cela créerait un marché prévisible et transparent capable de stimuler les investissements et la croissance et de favoriser la sécurité de l'approvisionnement pour l'UE et ses pays voisins. Les dialogues politiques, les relations commerciales et les instruments financiers communautaires existants peuvent être développés et, en ce qui concerne d'autres partenaires, il est possible de conclure de nouveaux accords ou de mener d'autres types d'initiatives.
Par exemple, sur la base du traité instituant la communauté de l'énergie avec des partenaires en Europe du Sud-Est, ainsi que du développement du marché de l'électricité UE-Maghreb et du marché du gaz UE-Mashrek, une communauté paneuropéenne de l'énergie pourrait être créée par le biais d'un nouveau traité et d'accords bilatéraux. Certains partenaires stratégiques essentiels, dont la Turquie et l'Ukraine, devraient être encouragés à adhérer au traité instituant la communauté de l'énergie de l'Europe du Sud-Est. Les pays de la mer Caspienne et de la Méditerranée sont d'importants fournisseurs de gaz et pays de transit. L'importance croissante de l'Algérie en tant que fournisseur de gaz de l'UE justifierait un partenariat énergétique spécifique.
En outre, en tant qu'un des partenaires majeurs de l'UE pour l'énergie stratégique, il serait opportun de faciliter les efforts de la Norvège pour un développement durable des ressources dans le grand nord de l'Europe de même que son entrée dans la Communauté énergétique de l'Europe du Sud-Est.
(…)
- Réagir efficacement aux situations de crise extérieures. Il convient d'accorder une attention particulière à la meilleure façon de réagir aux crises énergétiques extérieures. Les expériences récentes dans le domaine du pétrole et du gaz ont montré la nécessité pour la Communauté de pouvoir réagir rapidement et de manière totalement coordonnée à ces événements. L'UE ne dispose d'aucun instrument formel pour les approvisionnements énergétiques en provenance des pays tiers. (…) Il pourrait s'agir, par exemple, d'un mécanisme de surveillance capable de déclencher une alerte précoce et de renforcer la capacité de réponse en cas de crise énergétique à survenant à l'extérieur de l'UE.
- Intégrer l'énergie dans d'autres politiques à dimension extérieure. Au niveau politique, une politique extérieure européenne commune en matière d'énergie permettra une meilleure intégration des objectifs énergétiques dans des relations élargies avec les pays tiers et dans les politiques qui les soutiennent. Cela implique que, dans les relations avec les partenaires confrontés à des défis énergétiques et environnementaux comparables, comme les États-Unis, le Canada, la Chine, le Japon et l'Inde, l'accent doit être mis davantage sur des questions telles que le changement climatique, l'efficacité énergétique et les sources renouvelables, la recherche et le développement de nouvelles technologies, les tendances en matière d'accès au marché mondial et d'investissements à l'échelle mondiale, avec de meilleurs résultats dans des enceintes multilatérales telles que les Nations unies, l'AIE et le G8. (…) des efforts supplémentaires doivent être faits pour élargir la portée géographique du système communautaire d'échange de quotas d'émission et, dans un premier temps, comme indiqué plus haut, l'UE devrait proposer et militer pour l'adoption d'un accord international sur l'efficacité énergétique. (…)
- L'énergie pour promouvoir le développement. Pour les pays en développement, l'accès à l'énergie est une priorité essentielle. L'Afrique subsaharienne est la région du monde qui a le plus faible accès aux services énergétiques modernes. En même temps, seulement 7% du potentiel hydroélectrique de l'Afrique sont exploités. L'UE devrait promouvoir une approche double faisant appel à l'initiative de l'Union européenne pour l'énergie et mettant un accent plus marqué sur l'efficacité énergétique dans les programmes d'aide au développement. En se concentrant sur des projets dans le domaine des sources d'énergie renouvelables et de la production à très petite échelle, par exemple, beaucoup de pays pourraient réduire leur dépendance à l'égard du pétrole importé et améliorer la vie de millions de personnes. La mise en œuvre du Mécanisme de développement propre (MDD) prévu par le protocole de Kyoto pourrait stimuler les investissements dans de tels projets énergétiques dans les pays en développement.
3 - Conclusions
Le présent Livre vert a exposé les nouvelles réalités énergétiques auxquelles l'Europe est confrontée, les questions à débattre et les actions envisageables au niveau européen. Pour faire avancer le débat, il est essentiel d'agir de manière intégrée. Chaque État membre opérera des choix sur la base de ses propres préférences nationales. Néanmoins, dans un monde d'interdépendance globale, la politique énergétique a nécessairement une dimension européenne.
La nouvelle politique énergétique devrait avoir trois objectifs principaux :
- Durabilité : 1) développer des sources d'énergie renouvelables compétitives ainsi que d'autres sources et vecteurs énergétiques à faible teneur en carbone, en particulier les carburants de substitution 2) freiner la demande énergétique en Europe 3) conduire les efforts planétaires visant à stopper le changement climatique et améliorer la qualité de l'air au niveau local.
- Compétitivité : 1) veiller à ce que l'ouverture du marché de l'énergie apporte des avantages aux consommateurs et à l'économie dans son ensemble tout en stimulant l'investissement dans la production d'énergie propre et l'efficacité énergétique 2) atténuer l'impact de la hausse des prix internationaux de l'énergie sur l'économie et les citoyens de l'UE 3) maintenir l'Europe à la pointe des technologies énergétiques.
- Sécurité d'approvisionnement : faire face à la dépendance accrue de l'UE envers les importations, au moyen 1) d'une approche intégrée consistant à réduire la demande, à rééquilibrer la combinaison énergétique de l'UE en accroissant le recours aux énergies autochtones et renouvelables compétitives, et à diversifier les sources et les voies d'approvisionnement extérieures 2) de la création d'un cadre qui stimulera les investissements appropriés pour satisfaire la demande croissante d'énergie 3) d'un renforcement des moyens dont dispose l'UE pour faire face aux situations d'urgence 4) d'une amélioration des conditions pour les entreprises européennes cherchant un accès aux ressources mondiales 5) de la garantie d'un accès à l'énergie pour tous les citoyens et toutes les entreprises.
(…) Ce Livre vert présente un certain nombre de propositions concrètes en vue d'atteindre ces trois objectifs. (...)
Source : Livre vert de la Commission des communautés européennes. "Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable" (Bruxelles le 8 mars 2006).
Sélection des extraits : Sylviane Tabarly
En dépit des initiatives de la Commission, la viabilité de la situation énergétique de l'UE souffre indéniablement du faible degré de coordination des politiques des pays membres en la matière. L'exemple européen illustre ici un problème classique posé par l'accès commun à des ressources rares, qui est celui du "passager clandestin" [10] : la tentation est grande pour chaque pays de l'UE, en particulier les plus puissants, de s'affranchir des coûts et des contraintes liés à une action collective pour sécuriser sa situation propre, au risque d'affaiblir la crédibilité des engagements communs. Le comportement de passager clandestin est d'autant plus probable que les pays concernés sont loin de se trouver dans la même situation. C'est précisément le cas de l'UE : alors que le Danemark est autosuffisant, la Slovaquie dépend totalement des approvisionnements énergétiques en provenance de la Russie. Les graphiques ci-dessous présentent un panorama des dépendances énergétiques nationales brutes de différents pays de l'UE vis-à-vis de la Russie [11].
Les degrés de dépendance énergétique (gaz naturel et pétrole) des pays de l'Union européenne à l'égard de la Fédération de Russie.
Évolutions (1999, 2002, 2005)
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Certaines décisions prises par la France, l'Allemagne ou l'Italie constituent autant d'exemples de politiques énergétiques nationales s'accommodant de contradictions temporaires avec l'intérêt collectif de l'Union. Ainsi en est-il du projet germano-russe de gazoduc nord-européen (gazoduc de la Baltique ou Nord Stream) décidé par l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder et le Président russe Vladimir Poutine en 2005. Le Consortium établi pour gérer le projet, Nord Stream AG, est détenu à 51% par Gazprom, assurant ainsi pour la première fois à la Russie un accès direct au marché de l'UE, sans passer par un territoire indépendant de la Russie [12]. Les réactions des pays d'Europe centrale et orientale de l'UE ont été presque unanimement négatives [13], mettant en évidence la fragilité des bases d'un accord européen éventuel sur une stratégie énergétique commune. Dans son Livre vert sur la sécurité énergétique de 2006 (voir encadré supra), la Commission prend acte de ces difficultés et exhorte les pays membres à mettre en place les outils d'une prise de décision commune en ce domaine : "Une politique extérieure cohérente est essentielle pour un approvisionnement énergétique durable, compétitif et sûr" [14].
Pour garantir les objectifs de sécurité d'approvisionnement et de solidarité entre les États membres, la Commission préconise, en particulier, d'orienter la législation communautaire en matière de stockage de pétrole et de gaz, de créer un observatoire européen de l'approvisionnement énergétique, d'améliorer la sécurité physique et opérationnelle des réseaux européens, au besoin par un regroupement formel des gestionnaires et par l'établissement de normes communes [15].
Les travaux de Michaël Porter ont montré l'importance du rôle joué par les "coûts de transfert" [16] dans les relations d'un client à son fournisseur. Le coût de transfert est la perte qui serait supportée par l'une des parties relativement à l'autre, dans l'hypothèse où la relation commerciale serait rompue au profit d'une tierce partie. Il est intéressant d'estimer la répartition du coût de transfert entre la Russie et l'UE du point de vue de la relation énergétique. En première analyse, ce coût dépend de plusieurs facteurs :
- pour la Russie, les coûts d'augmentation de la production et des capacités de stockage, les coûts logistiques de réorientation des flux livrés à production constante, les autres coûts envisageables en cas de passage à une logique d'affrontement avec l'UE sur la question énergétique ;
- pour l'UE, les coûts logistiques et commerciaux de réorientation des approvisionnements (à consommation constante), les coûts d'augmentation des capacités de stockage, les coûts de substitution aux hydrocarbures d'autres sources d'énergie, les autres coûts envisageables en cas de passage à une logique d'affrontement avec la Russie sur la question énergétique.
Part de la Russie dans la consommation énergétique de l'UE
Pétrole : UE
|
Pétrole :
reste Monde |
Gaz : UE
|
Gaz :
reste Monde |
|
UE-15, 2003 |
16%
|
84%
|
19%
|
81%
|
UE-27, 2006 |
20%
|
80%
|
25%
|
75%
|
Part de l'UE dans les exportations énergétiques de la Russie
Pétrole : UE
|
Pétrole :
reste Monde |
Gaz : UE
|
Gaz :
reste Monde |
|
UE-15, 2003 |
58%
|
42%
|
65%
|
35%
|
UE-27, 2006 |
66%
|
34%
|
75%
|
25%
|
Le fichier correspondant à ces données : à télécharger en .xls
Ces coûts sont, bien entendu, fonction également de la part occupée par chaque partenaire dans les relations commerciales de sa contrepartie. De ce point de vue, la position russe n'est pas nécessairement plus favorable que celle de l'UE, comme le montrent les tableaux ci-dessus. L'UE bénéficie actuellement d'un bouquet de fournisseurs énergétiques relativement diversifié, même si, à moyen terme, la Russie devrait augmenter sa part dans les approvisionnements. Tandis que la Russie a davantage concentré ses ventes d'hydrocarbures sur l'UE. La prise en compte de ces paramètres permet de mieux évaluer la pertinence relative des options stratégiques offertes aux parties prenantes.
Annexe : principales composantes des échanges commerciaux UE- Russie (énergie, autres postes, en 2006)
Source : Eurostat, Sommet UE – Russie du 25 octobre 2007, communiqué de presse
Les options stratégiques utilisées par la Russie
Les manœuvres récentes indiquent que les autorités russes se sont concentrées sur quatre priorités : développer les voies d'exportation directes aux marchés occidentaux (via la mer Baltique, la mer Noire, la mer du Japon) ; sécuriser les voies terrestres traditionnelles (notamment en Europe centrale et orientale) ; assurer la position dominante de la Russie comme transitaire des ressources d'Asie centrale vers l'Europe ; explorer les possibilités offertes par le développement de nouvelles relations énergétiques (Asie, Moyen Orient, Afrique).
La voie de la Baltique
C'est dans cette perpective qu'il convient d'analyser la montée en puissance du terminal pétrolier de Primorsk, sur la mer Baltique. Partie intégrante du Baltic Pipeline System (BPS) depuis 2001, il permet d'accéder aux marchés européens directement par voie maritime. Sa capacité est en cours de développement avec la construction d'un deuxième tube en provenance du "hub" de Iaroslavl et avec les projets de développement de nouvelles installations portuaires sur la Baltique (Saint Pétersbourg, baie de Batarejnaya, Vyborg, Porvoo, Butinge). En quelques années, les installations portuaires de Primorsk et de sa région sont devenues l'une des deux voies majeures d'évacuation du pétrole russe, acheminant 30% des quantités exportées, à égalité avec l'oléoduc Droujba. Leur mise en exploitation s'est substituée, dans une certaine mesure, à d'autres voies moins bien contrôlées et générant des frais de transit. Par exemple le volume des exportations transitant par les terminaux de Ventspils, en Lettonie, a diminué de 30%.
Source : EIA > Baltic sea region
La voie de la Baltique est aussi empruntée pour développer les exportations gazières. Le gazoduc Nord Stream, déjà mentionné, est le principal projet d'infrastructure utilisant cette voie. Il permettra de relier le gisement de Chtokman, non loin de la mer de Barents, à l'Allemagne sur un trajet de 3 200 km. D'une capacité de 27,5 milliards de m³, il devrait être achevé à l'horizon 2010 pour un coût variant entre 5 et 10 milliards de dollars suivant les sources.
La voie méridionale : mer Noire, Méditerranée et Turquie
Le terminal portuaire de Novorossisk est le pendant méridional à celui de Primorsk : par cet équipement transitent 24% des exportations de pétrole de la Russie à destination des pays d'Europe méridionale. Pour accroître et diversifier les capacités d'exportation vers cette région et au-delà, des projets de création d'oléoducs ou d'extension d'oléoducs existants sont développés : une route Constantsa – Trieste (sur 1 000 km, Roumanie – Serbie – Croatie – Italie), une route Bourgas – Alexandroupolis (sur 300 km, Bulgarie – Grèce), une route Bourgas – Vlorë (Bulgarie – Macédoine – Albanie) [19], toutes trois destinées à s'affranchir de la contrainte imposée par le passage du Bosphore. Leur mise en exploitation interviendra dans un délai variant entre 1 et 3 ans.
Nous l'avons vu en introduction, l'essentiel des livraisons de gaz russe à l'UE passe par les deux branches du gazoduc Yamal-Europe, l'une via le territoire de la Biélorussie (25%), l'autre par l'Ukraine (75%). Le principal équipement méridional alternatif mis en service à ce jour est le gazoduc Blue Stream, inauguré en novembre 2005 et acheminant du gaz de Russie et d'Asie centrale depuis le terminal de Tuapse, sur la mer Noire à celui de Samsun, en Turquie. Les volumes de livraison prévus sont de 10 milliards de m³ pour 2007, 16 milliards de m³ pour 2010, et des projets de doublement des capacités de ce couloir sont à l'étude [17]. Dans le même temps, la Turquie multiplie les accords de développement d'infrastructures gazières avec les pays d'Europe méridionale, s'imposant comme une plate-forme stratégique d'acheminement du gaz d'Asie centrale et de Sibérie à destination de l'Europe. Le soin pris par la Russie à conforter ses relations énergétiques avec la Turquie doit être mis en relation avec cette nouvelle position.
Les voies européennes traditionnelles
Les voies terrestres traditionnelles passant par l'Ukraine et la Biélorussie restent essentielles à l'exportation des hydrocarbures de la Russie vers l'Europe occidentale. Le système d'oléoducs Droujba achemine ainsi près d'un tiers des flux de pétrole, le système de gazoducs Yamal-Europe la presque totalité des flux de gaz. La Russie n'a pourtant pas hésité à faire pression sur les anciens satellites soviétiques par le jeu de l'augmentation des prix, nous l'avons vu en introduction. Dans un rapport de forces qui lui est favorable, elle justifie le doublement des prix du gaz à ses anciens protégés par le recours aux logiques du marché et elle n'hésite pas à montrer sa capacité de réaction par la suspension de ses livraisons en réponse à toute velléité d'indépendance. Les voies baltiques et méridionales ont été développées pour mettre la Russie à l'abri des mesures de rétorsion des pays de transit, mais aussi pour éviter les effets désastreux d'une suspension des livraisons aux pays européens.
Un autre moyen pour limiter la dépendance de la Russie à l'égard des autorités des pays de transit (en particulier la Biélorussie, les Pays baltes et l'Ukraine) consiste à prendre directement le contrôle des infrastructures sur le sol étranger par le biais des entreprises nationales. Ce fut le cas lors du dénouement de la crise de l'hiver 2006-2007 : elle a permis à Gazprom d'acquérir la majorité absolue dans l'entreprise Beltransgaz qui contrôle les infrastructures gazières sur le territoire biélorusse. Gazprom détient également 50% (moins une voix) des parts dans Wingas (société germano - russe) contrôlant 2 000 kilomètres de gazoducs sur territoire allemand et le plus grand réservoir de gaz d'Europe [18]. Sans compter des participations dans les gaziers estonien (Eesti Gas), letton (Latvijas Gas) et lituanien (Lietuvos Dujos).
Dans le domaine pétrolier, les réseaux hérités de l'Union soviétique et situés en Asie centrale (Kazakhstan, par exemple) sont contrôlés par Transneft. En Europe, le monopole public russe est à l'initiative du projet d'intégration de l'oléoduc Droujba-Adria permettant d'inverser les flux transitant par la partie du tuyau située sur le territoire croate. Cette opération permettra d'utiliser le port en eaux profondes d'Omisalj, sur l'Adriatique, pour évacuer annuellement jusqu'à 5 millions de tonnes de pétrole en provenance de Russie et d'Asie centrale vers les marchés occidentaux. Transneft est également partie prenante du projet Bourgas – Alexandroupolis cité précédemment.
Une position de transitaire des ressources d'Asie centrale vers l'Europe à sécuriser
Si elle est le principal producteur d'hydrocarbures de la région, la Russie n'est pas seule. Avec le démantèlement de l'URSS, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan ont émergé en tant que producteurs de pétrole et de gaz. Les gisements récemment découverts dans le bassin de la mer Caspienne ont renouvelé l'intérêt mondial pour l'Asie centrale et le sud Caucase [ibid. 6]. Le réseau d'oléoducs et de gazoducs hérité de la période soviétique implique toutefois que les hydrocarbures extraits du Kazakhstan et du Turkménistan transitent pendant plusieurs milliers de kilomètres par le territoire russe, sous contrôle de Transneft et de Gazprom, avant d'atteindre les marchés occidentaux.
C'est cette position de transitaire obligé que la Russie entend sécuriser, faisant pièce aux pressions occidentales destinées à ouvrir d'autres voies d'évacuation des hydrocarbures de la région. L'accord intervenu en mai 2007 entre les présidents russe, kazakh et turkmène constitue une avancée pour la Russie dans cet objectif : il confirme la construction d'un "gazoduc caspien" permettant d'accroître les capacités d'acheminement du gaz kazakh et turkmène vers la Russie. Il contribue ainsi à la saturation du potentiel d'exportation de cette région, ce qui pourrait fermer la porte aux projets concurrents.
Complément : Les possibilités de nouvelles relations énergétiques (Asie, Moyen Orient, Afrique)
Les limites à l'exploration de voies extra-européennes d'évacuation des ressources extraites du territoire russe sont essentiellement géographiques et logistiques : "géant aux narines bouchées" selon l'expression de Winston Churchill, la Russie ne bénéficie pas d'un accès aisé aux mers chaudes et à l'Atlantique, ni même, si l'on tient compte de l'occupation de l'espace russe, à l'océan Pacifique. Pour ce qui concerne les hydrocarbures, ses seules possibilités d'exportation à longue distance sont maritimes. Or deux détroits bloquent les accès de la Russie à l'Atlantique et à la Méditerranée : celui d'Öresund au Nord, celui du Bosphore au Sud. Pour s'affranchir de ces contraintes tout en limitant sa dépendance envers son client ouest-européen, la Russie cherche à ouvrir de nouvelles voies de livraison d'hydrocarbures vers le Sud, l'Est et vers les États-Unis.
Au Sud, la Chine, deuxième importateur mondial d'hydrocarbures, est un partenaire potentiel de grande importance : la Russie n'occupe pour l'instant que la quatrième place sur la liste de ses pays fournisseurs. L'essentiel des exportations de pétrole russe vers la Chine, soit 5% des quantités sortant de Russie, est acheminé actuellement par rail. Cette coûteuse solution n'est économiquement viable qu'en raison du niveau élevé actuel des cours mondiaux et n'offre pas de réelles perspectives de développement. Le projet d'oléoduc privé porté par Yukos, à destination du Pacifique et de la Chine, ayant été abandonné lors du démantèlement de l'entreprise, les projets d'infrastructures dans cette région sont désormais pilotés par l'entreprise publique Transneft. C'est le cas du projet East Siberia / Pacific Ocean (ESPO), oléoduc de 4 000 km capable d'acheminer 1,6 millions de barils par jour vers le Japon et la Chine, pour un coût variant entre 7 et 18 milliards d'USD suivant les estimations. Pour le gaz, les projets concernent deux gazoducs dont les tracés restent encore à finaliser.
À l'Est, les gisements et installations de l'île de Sakhaline, sur l'océan Pacifique, offrent de réelles perspectives d'ouverture sur les marchés asiatiques, aussi bien pour le gaz que pour le pétrole [1]. Au Nord, la mer de Barents offre un débouché possible vers le marché américain. Les projets portés par Gazprom, Rosneft et Transneft consistent à réaliser un oléoduc et un gazoduc vers les ports de Mourmansk, Arkhangelsk ou d'Indiga sur la mer Blanche à partir du gisement du bassin Timan-Pechora. L'indisponibilité de certains de ces ports durant l'hiver suscite des interrogations sur les terminaux à privilégier. L'objectif est d'exporter entre 1,6 et 2,5 millions de barils par jour à partir de ces terminaux et de mettre sur pied des infrastructures de liquéfaction du gaz naturel pour exporter le gaz par bateau [24].
En parallèle, la Russie affirme son statut de puissance autonome en poursuivant une politique de rapprochement avec deux autres grands producteurs d'énergie : l'Algérie et l'Iran. Avec l'Algérie, les accords de coopération énergétique ont débouché sur l'exploration et le développement conjoint par Sonatrach (Algérie), Rosneft et Stroytransgaz (Russie) d'un gisement pétrogazier dans le sud Algérien et sur l'échange d'actifs entre Sonatrach et Gazprom. Les négociations avec l'Iran sont moins mises en valeur, du fait de la mise au ban du pays par les États-Unis et l'ONU. Elles se poursuivent toutefois : l'idée d'un "OPEP du gaz" regroupant entre autres l'Algérie, l'Iran et la Russie, a été considérée publiquement par Vladimir Poutine, dans une expression savamment dosée, comme "valant la peine d'y songer" [2]. La Russie a également confirmé son intention de coopérer à la construction d'un gazoduc reliant l'Iran et l'Inde à travers le Pakistan [3], montrant sa volonté de s'inscrire dans les négociations énergétiques entre les grands consommateurs asiatiques (Inde et Chine) et les grands pôles de production (Moyen-Orient et Asie centrale). Le fait que la Russie qui, via l'entreprise Atomstroyexport, assure la construction de centrales nucléaires en Iran, en Chine et en Inde, ait commencé à développer une coopération dans le domaine du nucléaire civil avec l'Algérie, est une indication significative à cet égard. Clairement, la volonté actuelle est d'éviter de se laisser enfermer dans une relation trop exclusive avec l'Union européenne.
Les limites à l'exploration de voies extra-européennes d'évacuation des ressources extraites du territoire russe sont essentiellement géographiques et logistiques : "géant aux narines bouchées" selon l'expression de Winston Churchill, la Russie ne bénéficie pas d'un accès aisé aux mers chaudes et à l'Atlantique, ni même, si l'on tient compte de l'occupation de l'espace russe, à l'océan Pacifique.
Paradoxalement, les récentes tensions énergétiques entre l'UE et la Russie ne doivent pas nécessairement être lues comme le prélude à une véritable montée de la pression exercée par cette dernière sur le destin énergétique de l'Europe occidentale. Plusieurs limites viennent en effet assombrir les perspectives de la Russie en tant que puissance énergétique globale :
- première limite, ses capacités de production
- deuxième limite, son marché intérieur
- troisième limite, la Communauté des États Indépendants (CEI)
- quatrième limite, ses capacités d'exportation hors UE
- cinquième limite, sa cohérence stratégique.
L'Union européenne : au-delà de la dépendance énergétique
Dans son Livre vert sur la sécurité énergétique, la Commission européenne dresse la liste des objectifs qu'une politique énergétique commune devrait pouvoir se fixer : construction des nouvelles infrastructures d'approvisionnement, institution d'une communauté paneuropéenne de l'énergie, conclusion d'un nouveau partenariat énergétique avec la Russie, création d'un mécanisme communautaire de réaction rapide et coordonnée en situation de crise, renforcement des relations avec les grands producteurs et consommateurs d'énergie, conclusion d'un accord international sur l'efficacité énergétique [19]. Cette liste pose deux question : comment faire en sorte que l'UE atteigne ces objectifs ? S'ils sont atteints, quelles peuvent en être les conséquences sur les relations énergétiques avec la Russie ?
Ainsi que nous l'avons montré précédemment, le préalable à la mise en œuvre de toute action commune au sein de l'UE est d'éviter de se laisser entraîner dans des comportement de défection, c'est à nouveau la question du passager clandestin (voir supra). L'UE en tant qu'ensemble bénéficie des atouts d'un client à la capacité d'achat inégalable : elle n'a jamais remis en cause les tarifs du gaz russe, alors qu'ils ont provoqué une crise avec l'Ukraine et la Biélorussie qui bénéficient de tarifs très inférieurs à ceux du marché mondial. L'UE dispose aussi des atouts d'un fournisseur de premier plan de biens manufacturés et de biens de production à la Russie : elle est son premier partenaire commercial, son premier fournisseur de produits et de devises (voir tableaux supra). L'impératif pour ses membres est donc de conserver le bénéfice de ce statut d'incontournable en adoptant une stratégie commune et cohérente.
Deuxième condition à l'efficacité de la stratégie européenne : privilégier les raisonnements économiques dans sa relation avec la Russie. La faiblesse de l'UE réside dans sa capacité politique réduite, surtout si on la compare avec l'organisation politique centralisée dont le Président russe a doté son pays. En concentrant ses efforts sur des engagements économiques réciproques, notamment en ce qui concerne les infrastructures, l'UE restera sur son terrain et évitera les tensions liées aux facteurs personnels et émotionnels qui sont le lot des relations politiques. C'est cette ligne qu'elle a tenu jusqu'ici : l'acceptation par les autorités européennes de régulation de la concurrence, de prolongation des accords de fourniture de long terme, tout comme l'adoption de la Charte de l'énergie, en sont des exemples, même si le partenariat énergétique bute jusqu'à présent sur ce dernier obstacle. Les entreprises de l'UE ont les moyens d'épauler les stratégies de développement d'infrastructures et de prospection énergétique de la Russie : plusieurs majors mondiales sont européennes et elles interviennent dans les projets de modernisation du secteur énergétique en Russie, ou conjointement sur d'autres territoires.
Troisièmement, l'UE doit continuer, tout comme la Russie, à tenter de limiter les coûts de transferts impliqués par une dépendance trop forte envers son partenaire. Deux infrastructures récentes peuvent servir d'exemple en la matière. Soutenu par les États-Unis et mis en œuvre par un consortium international sous la conduite de l'entreprise BP, le projet Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) a été lancé en 2000 pour acheminer le pétrole des bassins sud-caspiens vers les marchés mondiaux sans utiliser les oléoducs russes. Traversant successivement l'Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie sur une longueur de 1 768 kilomètres, l'oléoduc a une capacité de 1 millions de barils par jour. Ses premières huiles ont été chargées à Ceyhan en juin 2006. L'oléoduc Caspian Pipeline Consortium (CPC), premier pipeline privé sur territoire russe, échappe également en partie au gouvernement russe, qui reste toutefois son premier actionnaire [20]. Il permet d'acheminer une partie du pétrole extrait des gisements du Kazakhstan vers les terminaux de Novorossisk, sur la mer Noire.
Pour l'UE, le principal projet d'infrastructure visant à desservir son territoire sans dépendre de la Russie a pour nom Nabucco. À l'horizon 2030, la consommation de l'UE devrait atteindre 816 milliards de m³, contre 502 en 2005. L'idée directrice du projet est d'accompagner le repli, alors inéluctable, des fournitures de la mer du Nord et des gisements européens par le recours accru aux gisements du Moyen Orient (dont l'Iran) et de l'Asie centrale [21], en créant un gazoduc passant par les territoires de la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l'Autriche pour alimenter les réseaux ouest-européens. Ainsi, quelles que soient les réserves que l'on puisse formuler sur la faisabilité politique du projet Nabucco, il pourrait, sur le papier du moins, permettre de rmaintenir le niveau de dépendance actuel de l'UE envers la Russie tout en augmentant les importations de gaz russe (graphique ci-contre). |
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Enfin, l'UE détient les atouts d'une économie en voie de reconversion technologique. Sous la pression conjointe des prix des hydrocarbures, des inquiétudes de l'opinion publique au sujet du changement climatique et de la volonté des industriels et des gouvernements de développer l'innovation dans ce domaine, les programmes de R&D sur l'efficacité énergétique mais aussi sur la commercialisation des énergies alternatives se multiplient. L'UE doit donc se doter d'objectifs clairs en la matière. Celui proposé par le Livre vert de la Commission européenne sur l'efficacité énergétique, qui consiste à réduire de 20% l'énergie consommée dans l'Union d'ici 2020, peut servir de référence.
Le Livre vert propose un plan stratégique pour les technologies énergétiques afin de tirer parti des ressources technologiques de l'UE en développant des plates-formes européennes et en impulsant des entreprises et des initiatives technologiques communes pour faire émerger des marchés de l'innovation énergétique. Des efforts plus ciblés sont proposés, dont un plan de réduction de la dépendance de l'UE à l'égard des importations de pétrole et des initiatives pour favoriser le développement d'entreprises orientées vers les énergies propres et renouvelables. [22]
Conclusion
Contrairement à ce que certains commentaires ont pu laisser entendre [23], les difficultés récentes dans les relations énergétiques entre l'Union européenne et la Russie ne sont pas alarmantes. Elles sont plutôt le signe de la prise de conscience par chaque partie des conséquences potentielles d'une trop grande dépendance réciproque : leur volonté est de limiter les coûts de transfert qui y seraient associés.
Il n'y a donc pas, à notre sens, de risque d'escalade de la violence économique entre la Russie et l'UE : les deux parties auraient beaucoup trop à y perdre. Il faut au contraire s'attendre à ce que le partenariat énergétique soit renouvelé, dans des formes sans doute différentes de celles du passé. L'UE, par exemple, pourrait échanger une ouverture plus franche de ses réseaux de distribution aux capitaux russes contre la possibilité d'investir davantage dans les gisements et les entreprises de Russie.
À plus long terme, il est de l'intérêt de l'Union européenne et de ses entreprises d'investir le champ de l'amélioration de l'efficacité énergétique de la Russie. Dans certains cas (Russie mais aussi d'autres pays de l'ex-URSS), l'investissement dans les moyens permettant de limiter la consommation d'énergie est aussi efficace économiquement que celui à consentir pour moderniser les moyens de production et de transport des hydrocarbures.
Notes [liens supprimés en 2024]
[1] Julien Vercueil, chef du département Gestion administrative et commerciale (GACO) de l'IUT Jean Moulin, Université de Lyon, Centre d'Étude des modes d'industrialisation (CEMI/EHESS)
[2] La Documentation française, dossier Europe-Russie.
[3] Au premier trimestre 1999, le cours du baril atteignait son point bas à 10,20 USD. En novembre 2007, il atteignait 96 USD.
[4] Calculs de l'auteur d'après Eurostat, 2007.
[5] James Henderson et Slavo Radosevic, "The Influence of Alliances on Corporate Growth in the Post-Soviet Period : Lukoil and Yukos", Working Paper n° 34, University College of London, School of Slavonic and East European Studies, June 2003.
[6] Sur ce point, voir les autres articles de Julien Vercueil, dans le dossier "La Russie, des territoires en recomposition" (en nouvelle fenêtre) :
- Les hydrocarbures en Russie, entre promesses et blocages
- Politique et géopolitique du pétrole russe
[7] Nick Snow, "Big Role Changes seen for Major Oil Companies", Oil and Gas Journal, 3 april 2006.
[8] C'est à tout le moins l'image qu'elles souhaitent donner d'elles-mêmes. En première page du site de Lukoil, il est ainsi souligné qu'elle est la première entreprise russe ayant bénéficié d'un accès complet au London Stock Exchange et la seule, dans le domaine pétrolier, dont le capital est dominé par les actionnaires minoritaires
[9] Commission européenne, Livre vert "une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable", 8 mars 2006, p. 3.
[10] Pour une présentation accessible de ce type de problème économique, voir Nicolas Eber, "Le dilemme du prisonnier". Paris : La Découverte, coll. Repères, 2006
[11] Nous définissons la dépendance énergétique nationale brute à la Russie comme la moyenne non pondérée des parts des importations de gaz et de pétrole en provenance de Russie dans le total des importations de ces produits.
[12] L'accord de principe intervenu à l'automne 2007 entre l'italien ENI et Gazprom concernant la mise en place d'un "South Stream" en Méditerranée est une autre illustration de la difficulté pour l'UEde coordonner les actions de ses membres.
[13] L'accord a même été comparé par un responsable polonais au Pacte germano-soviétique.
[14] Commission européenne, Livre vert : Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable, mars 2006, p. 16.
[15] Commission européenne, Livre vert : Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable, mars 2006, p. 21-22.
[16] Michaël Porter, Competitive Strategy, The Free Press, 1980, trad. fr. Choix stratégiques et concurrence, Economica, 1990, 426 p.
[17] RIA Novosti, 11/05/2006.
[18] Il s'agit du réservoir de Rehden, au sud-ouest de Brême, qui a 2000 mètres de profondeur et une capacité de 4 milliards de m³, soit la plus grosse capacité d'Europe occidentale, de quoi alimenter une ville de deux millions d'habitants pendant un an. En 2007, Wingas a mis en service conjointement avec Gazprom une deuxième reserve à Haidach en Autriche qui est le deuxième plus gros réservoir d'Europe centrale.
[19] Commission européenne, Livre vert : Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable, mars 2006, p. 23.
[20] L'État russe détient 24% des parts du consortium, le Kazakhstan 19%, le sultanat d'Oman 7%, Chevron 15%, Rosneft-Mobil et Shell moins de 8%, Lukarco B.V. (joint venture entre Lukoil et Arco, opérateur basé à Los Angeles) 12,5%.
[21] Les gisements gaziers de la mer du Nord et des Pays-Bas contiendraient 4 420 milliards de m³ de gaz, ceux d'Afrique du Nord 4580, ceux de Russie 47 820, ceux d'Asie centrale, Iran et d'Egypte 83 140.
[22] Commission européenne, Livre vert, pp. 22-23.
[23] L'idée a même été émise qu'on se trouvait au prélude d'une reprise de la course aux armements (Froment-Meurice, 2007).
Références bibliographiques
- Dubien, Arnaud - "Monde Russe : énergie - une arme à double tranchant".. In T. de Montbrial (dir.), Ramses 2008, IFRI - Dunod, pp. 143-146, 2007
- Froment-Meurice, Henri - "Quelle politique avec la Russie ?", in Commentaires, n°118, pp. 383-388, été 2007
- Lynch, Dov - "La Russie face à l'Europe", Cahiers de Chaillot, n°60, mai 2003
- Lynch, Dov (dir) - "Le sud Caucase : un défi pour l'UE", Cahiers de Chaillot, n°65, décembre 2003
- Milov, Vladimir - "The EU-Russia Energy Dialogue : Competition versus monopolies", in Gomart Thomas, Kastueva-Jean Tatiana, Russie.Nei.Visions, Paris : IFRI, pp. 89-99, 2007
- Nies, Suzanne - "La double contrainte qui pèse sur l'Europe de l'énergie", in Actualités Européennes, n°3, IRIS, 23 février 2007
- Porter, Michaël - Competitive Strategy, The Free Press, 1980, trad. fr. Choix stratégiques et concurrence, Economica, 426 p., 1990
- Porter, Michaël - L'Avantage concurrentiel des nations, Dunod, 1986, dernière édition 1999
- Thumann, Michael - "Multiplying sources as the best strategy for EU-Russia energy relations", in Gomart Thomas, Kastueva-Jean Tatiana, Russie.Nei.Visions, Paris : IFRI, pp. 77-88, 2007
- Vercueil, Julien - Transition et ouverture de l'économie russe (1992-2002). Pour une économie institutionnelle du changement, Paris : L'Harmattan, 2002
Julien Vercueil, Université de Lyon,
Centre d'Étude des modes d'industrialisation (CEMI/EHESS),
pour Géoconfluences, le 20 décembre 2007
Compléments documentaires et mise en page web : Hervé Parmentier, Sylviane Tabarly
Mise à jour : 20-12-2007.
Pour citer cet article :
Julien Vercueil, « Union européenne – Russie : des "politiques de voisinage" de l'énergie », Géoconfluences, décembre 2007.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Europe/EurScient7.htm