Habiter, habitant
Comme concept, « habiter » a été exploré, notamment, par la philosophie d’Heidegger qui en a fait une activité primordiale, constitutive de l'être humain. Il désigne, aux yeux des géographes, le processus de construction des individus et des sociétés par l’espace et de l’espace par l’individu, dans un rapport d’interaction voire un rapport ontologique qui les relie : nous habitons l'espace et c'est pour cela qu'il nous habite.
Henri Lefebvre (1901—1991), annonçant un renouvellement des recherches sur l'habitat, s'interroge : « Que veulent les êtres humains, par essence êtres sociaux, dans l'habiter ? ». Et il répond : « Ils veulent un espace souple, appropriable, aussi bien à l'échelle de la vie privée qu'à celle de la vie publique, de l'agglomération et du paysage. Une telle appropriation fait partie de l'espace social comme du temps social ».
La notion est transversale à plusieurs courants de la géographie et de ses modes de représentation. Par exemple, le concept d’espace vécu et les cartes mentales sont des révélateurs des modes d’habiter. De même, certaines cartes ou photographies sont représentatives de la diversité des modes d’habiter.
Ainsi, on peut distinguer des modes d’habiter différents selon les pratiques des individus et des sociétés dans l’espace dans un contexte d’essor des mobilités et des interconnexions, ce que Mathis Stock (2004) appelle des « sociétés à habitants mobiles ». En effet, l’habiter peut se traduire par beaucoup d'actes, de processus et d'objets différents en impliquant l'ensemble des activités humaines (travail, résidence, loisirs, etc.), l'habitant étant alors un acteur territorial à part entière. Le terme est donc indissociable de la vie en société et de la construction, dans le temps, de ces sociétés, l'Habiter ne peut être restreint à l'espace privé (Lévy et Lussault, 2003, p. 442 ; Lazzarotti, 2013).
L’habiter a aussi une dimension multiscalaire. Il peut concerner la grande échelle : de l’espace privé, – l’habitat, le logement, les mobilités à courtes distance et durée – à l’espace public et collectif – le territoire des habitants, la ville par exemple, l'habiter est au cœur des enjeux de l'action spatiale contemporaine. Et, à petite échelle, il prend appui sur l’espace habitable du globe, l’écoumène (ou œkoumène, du grec oikos, demeure et oikoumené, terre habitée), qui s'est élargi, y compris aux très hautes latitudes, notamment grâce aux progrès techniques et aux effets de la croissance démographique, à tel point que l’on peut considérer qu’il n’y a plus sur la planète d’espaces vierges (notion d’érème). L’humanité, ne serait-ce que par les traces de ses rejets aux hautes latitudes et altitudes et dans les océans, y est partout présente et la Terre, comme demeure de l'espèce humaine dans sa totalité, est écoumène, il n’y a plus d’espaces hors de celui-ci.
>>> Voir aussi : habiter (en didactique de la géographie)
(MCD) 2013. Dernière modification (JBB) septembre 2023.
Références citées
- Lazzarotti Olivier, « Habiter », notion à la une de Géoconfluences, décembre 2013.
- Lévy Jacques et Lussault Michel (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Belin, 2003 (rééd. 2013).
- Stock, Mathis (2004), « L’habiter comme pratique des lieux géographiques ». EspacesTemps.net
Pour compléter avec Géoconfluences
- Olivier Lazzarotti, « Habiter », notion à la une de Géoconfluences, décembre 2013.
- Camille Escudé, « La dernière frontière de l’écoumène, géopolitique de l’Antarctique entre coopération et appropriation », Géoconfluences, avril 2024.
- Sylvie Joublot Ferré, « De la chambre à l’établissement scolaire, pluralité des expériences spatiales adolescentes », Géoconfluences, mars 2022.
- Julie Bidi, « Une histoire à quatre voix, un album jeunesse pour découvrir la notion d’habiter », Géoconfluences, janvier 2021.
- Florian Pons, « Penser la ville de demain en sixième : un exemple de démarche prospective au cycle 3 (quartier Valmy, Lyon) », Géoconfluences, janvier 2021.