Sauvage
Samuel Depraz, maître de conférences (HDR) en géographie-aménagement - Université Jean Moulin Lyon 3.
Le terme de « sauvage » désigne ce qui relève de la nature non domestiquée, en fonction des représentations de celui ou celle qui l’emploie. Il n'y a de sauvagerie que par méconnaissance, car il n'existe plus aujourd'hui, au plan écologique, de nature vraiment « sauvage », c'est-à-dire totalement en-dehors de l'influence ou du contrôle humain.
Les grandes étendues forestières, d'où provient le mot sauvage (silvaticus, de la forêt, en latin) sont pour l'essentiel des forêts plantées et cultivées, en Europe ; et même en contexte tropical, on parle de forêts « subnaturelles » ou « quasi-primaires ». Ceci n'empêche nullement ces espaces d'être considérés comme « sauvages » dans l'imaginaire occidental des contes et légendes, en tant que lieu méconnu et redouté, aux marges de l'espace de vie des hommes. L'enfrichement, résultant de l'abandon de terres agricoles difficiles, est encore aujourd'hui fortement combattu en tant que marqueur de l'ensauvagement et de la fermeture des paysages.
Si le terme servait autrefois à désigner les populations autochtones extra-européennes, les sciences sociales ont progressivement réduit l'emploi du terme à la description d'une nature indomptée. Pourtant, le débat sur la distinction entre nature et culture a mis au jour l’européocentrisme de telles représentations en vertu desquelles une espèce est soit sauvage soit domestique (Simon, 2007), ainsi que le mettent en scène les parcs zoologiques (Estebanez, 2010). Il existe en fait une grande variété de situations intermédiaires, allant des « nouveaux animaux de compagnie », peu domestiqués, jusqu’aux animaux liminaires et au marronnage : ce terme qui désignait les esclaves fugitifs dans l’histoire coloniale est utilisé aujourd’hui pour une espèce animale ou végétale anciennement domestique qui prospère sans intervention humaine. D'une manière plus générale, on parle de féralité et de nature férale pour désigner tout retour d'un écosystème anthropisé vers un état hybride ou non-domestique.
Si le mot « sauvage » contient ainsi surtout des connotations négatives (ce qui n'est pas maîtrisé, peu sociable voire illégal), et renvoie souvent à un conflit d'acceptation des risques liés aux grands prédateurs (pour l'élevage), à la friche (feux de forêt), il acquiert à l'inverse un sens positif lorsqu'il désigne un espace encore « préservé », comme dans le cas de la wilderness américaine. Pendant longtemps, la prétendue sauvagerie fut surtout un prétexte à l’appropriation des espaces qu’il convenait de civiliser. Aujourd’hui, elle peut être un argument touristique. Dans tous les cas, elle dit surtout la méconnaissance de ce qui est décrit de la part de la personne qui s’exprime. Il est préférable de l'éviter dans une description scientifique et de laisser à la littérature et à la poésie son pouvoir évocateur.
(JBB et SD) novembre 2019. Dernière modification juin 2021.
Sources et références citées
- Roger Brunet, Robert Ferras, Hervé Théry (dir.), Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Reclus, La Documentation française. 1993 (1ère éd. 1992).
- Laurent Simon, « Sauvage, domestique », in Yvette Veyret (dir.), Dictionnaire de l’environnement, Armand Colin, 2007 pour la 1ère éd.
- Jean Estebanez, « Le zoo comme dispositif spatial : mise en scène du monde et de la juste distance entre l’humain et l’animal », L’Espace géographique, Vol. 39, 2010, p. 172-179
Pour compléter avec Géoconfluences
- Arthur Guérin-Turcq, « Les forêts dans le monde, des milieux anthropisés : un état des lieux », Géoconfluences, septembre 2023.
- Farid Benhammou, « Synthèse d’un renouveau prometteur et hétéroclite : vers une géographie humaine et politique de l’animal », Géoconfluences, 2019.
- Stéphane Héritier, « Protéger un animal pour protéger un territoire : l’ours kermode, animal phare de la protection de l’environnement en Colombie britannique », Géoconfluences, 2019.
- Emmanuelle Surmont, « Peur sur les plages. Du "risque requin" à la "crise requin" à La Réunion », Géoconfluences, 2016.
- « Géographes et question animale », veille sur Géoconfluences, 2016.
- « Le zoo, objet géographique », veille sur Géoconfluences, 2014.
- Clément Dodane, « Les nouvelles forêts françaises. L’exemple ardéchois », Géoconfluences, 2010.
- Farid Benhammou, « Territoire des animaux, territoire des hommes : aspects et enjeux du retour des grands prédateurs », Géoconfluences, 2008.
Liens externes
- Harrison Robert, Forêts, essai sur l'imaginaire occidental, 1992.
- Guillaume Marchand, « Les conflits hommes/animaux sauvages sous le regard de la géographie », Carnets de géographes, 2013.
- André Micoud, « Sauvage ou domestique, des catégories obsolètes ? », Sociétés, n° 108, 2010, p. 99-107.
- Sophie Le Floch, Anne-Sophie Devanne, Jean-Pierre Deffontaines, « La "fermeture du paysage" : au-delà du phénomène, petite chronique d'une construction sociale », L’Espace géographique, tome 34, 2005, p. 49-64.