L’Afrique australe : un ensemble composite, inégalement intégré à la mondialisation
Jeanne Vivet, maître de conférences en géographie - Université Bordeaux Montaigne
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L’Afrique australe constitue un ensemble régional aux frontières labiles : les pays rassemblés sous cette dénomination évoluent au gré des découpages régionaux et des analyses des spécialistes((voir sur ce point l'article de P. Gervais-Lambony (1999))). La seule localisation de ces pays n’est pas suffisante pour appréhender cet ensemble régional qui est souvent amalgamé à l’Afrique du sud. Les investissements réalisés par ce pays dans le reste de l’Afrique expliquent en partie que ses voisins demeurent éclipsés : l’Afrique du Sud est le plus gros émetteur d’IDE (investissements directs à l'étranger) sur le continent en 2012. Considéré aux côtés de l’Algérie et du Nigéria comme un « lion africain », selon la formule consacrée qui fait suite aux dragons asiatiques et aux jaguars sud-américains dans le bestiaire du développement, ce pays émergent bénéficie d’une forte influence politique (liée notamment à l’action de Nelson Mandela), économique (membre des BRICS depuis 2011) et géopolitique (un siège de membre non-permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU obtenu en 2011 et le pays brigue un siège permanent).
Au-delà de la dépendance des pays voisins à ce géant émergent, il existe d’autres éléments de cohésion pour penser cet espace et son inscription dans des logiques de mondialisation : cette « Afrique des mines » (Géographie Universelle, 1994), riche en ressources minières et aurifères a été aussi l’Afrique des régimes ségrégationnistes drastiques. Aujourd’hui, cette région est souvent associée à la pandémie du sida, qui affecte terriblement les pays qui la composent (en 2015 d’après la Banque mondiale, le taux de prévalence atteint 19,2 % de la population âgée de 15 à 49 ans en Afrique du Sud, 22,2 % au Botswana et 28,8% au Swaziland). Toutefois, ces différents éléments se font écho : la séparation raciale trouve son origine dans l’organisation spatiale des mines, tandis que le virus du sida s’est largement répandu par le biais des migrations de travailleurs à l’échelle de la région. L’un des dénominateurs communs aux pays du sud de l’Afrique consiste donc davantage dans les circulations de populations, africaines et européennes, qui l’animent depuis plusieurs siècles et qui ont contribué à en faire un ensemble hybride et inscrit de longue date dans des flux mondialisés. La prise en compte de ces différents éléments conduits à délimiter ici l’Afrique australe autour des pays suivants : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Mozambique, Namibie, Swaziland, Zambie et Zimbabwe.
Si l’Afrique australe forme un ensemble composite, cela tient aussi bien à la diversité des paysages, des types de climat ou encore à la densité des pays, tout comme à leur poids économique, politique et à leur héritage colonial (colonisation anglaise, hollandaise, portugaise, allemande). Elle se révèle également à travers les différenciations socio-économiques et les inégalités socio-spatiales marquées dont résultent des processus de fragmentation. Enfin, la diversité est également liée aux nombreux métissages et aux influences variées qui façonnent les sociétés de l’Afrique australe.
1. Un ensemble régional inscrit dans des flux mondialisés de longue date
Le peuplement de l’Afrique australe résulte de flux migratoires multiples qui ancrent depuis longtemps cet espace dans des logiques mondialisées. Cet ancrage résulte également de la richesse minière de la région, dont l’exploitation a donné lieu à une forte extraversion économique, mais également à des divisions internes fortes qui constituent un trait commun entre les différents États.
1.1. Des dynamiques de peuplement croisées
La diversité du peuplement en Afrique australe tient aussi bien aux déplacements des populations africaines qu’à l’arrivée de colons européens depuis le 16e siècle. Avant la colonisation, les populations san, khoi, tswana, ngoni, swazi, ndebele, lozi ou encore zoulou se partagent l’espace. Une perturbation majeure intervient avec l’avènement du roi zoulou Shaka (1818-1828) : ses ambitions guerrières se manifestent par de violentes razzias auprès des populations voisines, donnant lieu à un mouvement de population sans précédent à l’échelle de la région et jusqu’au nord de la Tanzanie, connu sous le nom de Mfecane. (X. Fauvelle-Aymar, 2006 et B. Freund, 2007).Ces déplacements expliquent en partie le sous-peuplement de l’intérieur de l’Afrique du Sud et la consolidation de nouvelles structures de peuplement sur les marges de ce pays, dont témoigne par exemple l’existence du Lesotho.
L’arrivée des Portugais en Afrique australe à partir du 16e siècle marque le début de la colonisation européenne. Jusqu’alors, seuls des commerçants indiens et arabes avaient sporadiquement exploré les côtes du Mozambique ; mais les façades de l’Atlantique et de l’océan Indien se densifient suite à la création de la colonie de Luanda d’une part (interface stratégique dans le cadre de la Traite), et de Lourenço Marques d’autre part. Au Sud, les Hollandais fondent la colonie du Cap en 1652, prise par les Britanniques en 1806 en raison de sa position stratégique sur la route maritime des Indes. Dans les deux cas, la conquête territoriale repose sur l’exploitation d’une main d’œuvre servile importée depuis d’autres colonies : l’Inde pour les uns, et l’Indonésie pour les autres((Dans ce dernier cas, le métissage de cette population avec les populations Khoi et San locales sont à l’origine d’un groupe de population spécifique et localisé aujourd’hui majoritairement au Cap : les Cape Coloureds.)) donnant lieu à un métissage et à une complexification de la société. Mais les colons boers, réfractaires à l’ordre social et politique imposé par les Britanniques, initient une migration vers l’intérieur du pays connue sous le nom de Grand Trek à partir des années 1830. Les décennies suivantes sont marquées par des affrontements réguliers entre les colons européens entre eux, et avec les différentes populations africaines (Gervais-Lambony, 1997).
La surimposition des dynamiques de peuplement dans le sud de l’Afrique
Source : Questions internationales n°71 - janvier-février 2015. Avec l'aimable autorisation de l'éditeur. |
Les jeux de pouvoirs entre populations africaines et colons européens se répercutent dans la multiplicité des statuts des différents territoires. Au sud, la création de la Nation sud-africaine en 1910 marque l’apaisement des relations entre Boers et Britanniques. La dislocation de la Fédération britannique de Rhodésie et du Nyasaland en 1963 donne lieu à la naissance de la Zambie (Rhodésie du Nord), du Zimbabwe (Rhodésie du Sud) et du Malawi (Nyasaland). Le Lesotho est un protectorat britannique, créé en 1868 pour protéger le peuple sotho des Boers. À l’inverse, le protectorat du Swaziland nait de la volonté des Boers de protéger les Swazi des invasions zouloues. La Namibie, colonie allemande depuis le XIXe siècle, est placée sous la protection de l’Afrique du Sud par la SDN au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Les colonies portugaises obtiennent leur indépendance en 1975. Le Botswana, enfin, trouve ses délimitations dans la consolidation du peuplement tswana sous protection britannique à la fin du XIXe siècle. Le pays, alors appelé Bechuanaland, obtient son indépendance en 1966.
1.2. « L’Afrique des mines »
Au sein de cet espace composite, la présence de ressources minières diversifiées permet de comprendre, dans un premier temps, la forte extraversion de la région. Aujourd’hui, plus de la moitié de la production mondiale de vanadium, de platine et de diamant se trouvent en Afrique australe, où l’on trouve également 36 % de la production d’or et 20 % de la production de cobalt. Seul le pétrole est plus rare car uniquement présent en Angola, tandis que de nouvelles découvertes d’immenses gisements de gaz offshore ont été faites sur la côté nord du Mozambique (voir l’article de Cristina D’Alessandro : « Géographies accélérées du gaz et du pétrole en Afrique orientale »). Les ressources minières représentaient en 2015 18 % du PIB sud-africain, 12 % du PIB de la Zambie, 11,5 % du PIB de la Namibie et 15 % du PIB zimbabwéen et 5 % du PIB du Mozambique. Cette présence massive de ressources minières a donné lieu à la construction rapide d’infrastructures de transport. Comme dans d’autres colonies africaines, un réseau ferroviaire fait de lignes pénétrantes se développe pour joindre les zones d’extraction aux ports coloniaux, en particulier Le Cap, Durban et Maputo. Toutefois, l’existence de zones minières en de nombreux endroits en Afrique australe, l’industrialisation rapide (en particulier en Afrique du Sud) et les événements géopolitiques sont autant de facteurs qui différencient le réseau ferré d’Afrique australe des autres régions d’Afrique : celui-ci lie tous les pays entre eux, et constitue la majeure partie du réseau ferroviaire africain.
« L'Afrique des mines »
L’importance des gisements miniers entraine également une urbanisation et une industrialisation sans précédent dès le XIXe siècle. La croissance de Johannesburg est exemplaire : cette ville-champignon, fondée en 1886 suite à la découverte d’or dans la région du Witwatersrand, rassemble 22 % de la population du pays en 1911. Encore aujourd’hui, l’Afrique australe se distingue d’autres ensembles africains par son taux d’urbanisation, bien qu’il varie au sein même de cet ensemble (graphique ci-dessous) : l’Afrique du Sud amorce une urbanisation continue dès le XIXe siècle, l’Angola ou le Botswana plus tardivement. Certains pays gardent des taux encore élevés de population rurale, comme le Lesotho, le Malawi ou le Swaziland.
L’urbanisation en Afrique australe
La mise en place du système minier entraine des recompositions socio-spatiales fortes, liées à la création et à la consolidation de flux migratoires et économiques. La mainmise des colons européens sur les richesses minières permet d’accumuler rapidement un capital local ensuite réinvesti dans les activités industrielles((Une figure emblématique de l’économie sud-africaine demeure Cecil Rhodes, homme d’affaire britannique arrivé au Cap en 1870. Il fonde la De Beers Company, encore aujourd’hui l’une des plus grandes entreprises mondiale d’extraction diamantifère. Premier Ministre de la colonie du Cap de 1890 à 1896, il est également à la tête de la British South African Company en raison de son patriotisme et de son rêve de construire une Afrique britannique du Cape au Caire connectée par le réseau ferroviaire. Ses ambitions font de lui un archétype de l’impérialisme et du libéralisme anglais à cette époque.)). Le système financier établi à Johannesburg dès le XIXe siècle donne naissance à cinq conglomérats originaires d’Afrique du Sud qui dominent aujourd'hui des mines, industries et chaînes de distribution présentes dans les autres pays d’Afrique australe. Ces conglomérats sont connus sous le nom de « big five » : Anglo-American Corporation & De Beers, Rembrandt, Sanlam, Old Mutual, Liberty Life. Cette insertion précoce à l’échelle de l’Afrique subsaharienne dans des réseaux de commerce et de finance internationaux se reflète dans la position de la bourse de Johannesburg, première place financière d’Afrique jusqu’en 2016. Les circulations de population constituent l’autre pendant des flux liés à l’économie minière dans la région. Les migrations sont d’abord temporaires et masculines. Comme dans d’autres territoires, une importante main d’œuvre issue des campagnes vient se fixer dans les nouvelles zones minières. Mais l’importance des découvertes minières à la fin du XIXe siècle en Afrique du Sud nécessite d’élargir les bassins de recrutement : les migrants sont acheminés depuis les États voisins, en particulier depuis le sud du Mozambique jusqu’au Malawi. Ce système migratoire instauré autour de l’Afrique du Sud n’atteint que peu le Zimbabwe, la Zambie ou encore l’Angola.
1.3. Un espace divisé
La diversité des espaces et leur inégale intégration dans la mondialisation tiennent ensuite à la mise en place de mesures ségrégationnistes durant le XXème siècle dans plusieurs pays. La ségrégation urbaine n’est pas spécifique à l’Afrique australe, mais la politique qui la sous-tend est unique par sa violence et sa rigueur. Ce qui apparaît propre à l’apartheid tel qu’il est conçu en Afrique australe, incluant la Namibie et le Zimbabwe, réside dans la mise en place d’une ségrégation à l’échelon interurbain et d’un processus « d’urbanisation déplacée » (Gervais-Lambony, 1997). À cet échelon, la ségrégation implique le déplacement des populations non-blanches qui ne bénéficient pas d’un contrat de travail en ville vers des réserves africaines dénommées bantoustans((Les territoires des bantoustans correspondent aux délimitations des réserves africaines coloniales et abritent chacun, pendant l’apartheid, la population africaine divisée en neuf ethnies différentes. Six des bantoustans appartiennent à la catégorie de territoires autonomes (Gazankulu, Lebowa, Qwaqwa, Kanguane, Venda, KwaNdebele) et quatre sont progressivement déclarés indépendants (Transkei, Bophutatswana, Venda et Ciskei). Ces territoires, qu’ils soient autonomes ou indépendants, se gèrent eux-mêmes et reçoivent une allocation gouvernementale.)). La dépendance des populations déplacées aux centres urbains situés à des dizaines ou centaines de kilomètres et l’absence de services et d’infrastructures dans ces territoires a conduit à la destruction de la paysannerie africaine qui, incapable de générer une surproduction, ne pouvait être compétitive face à l’agriculture blanche (Wolpe, 1972), et a abouti à la création de véritables poches de sous-développement au sein de ces territoires (Gervais-Lambony, 1997).
Plus généralement, la forme de ségrégation mise en scène par le régime d’apartheid correspond à la création de « non-lieux » au sein desquels sont circonscrites les populations africaines (R. Dagorn et P. Guillaume, 2002). Que ce soit à l’échelle des bantoustans, ou dans les villes à l’échelle des townships, ces espaces délimités n’hébergent pas ou peu d’activités économiques et de services, et ne constituent en aucun cas des espaces attractifs pour des investisseurs : les populations sont majoritairement peu solvables et ces territoires distants hébergent bien souvent une criminalité importante. À mesure que s’accroît la population dans ces territoires durant l’apartheid, ceux-ci demeurent peu visibles pour les acteurs de la mondialisation (Turok, 2001). Le commerce informel s’y développe rapidement pour répondre aux besoins premiers des habitants. Ainsi, à l’échelle de l’Afrique australe, les townships et les anciens bantoustans constituent des enclaves situées hors des flux mondialisés.
Par ailleurs, la mise en place d’une séparation raciale dans l’espace résulte de l’application de modèles urbains exogènes. Que ce soit par le biais des compounds (dans ce contexte, logements ou baraquements séparés créés dans les villes minières pour limiter le commerce de diamants imputé à la main d’œuvre africaine), ou des locations (quartiers séparés planifiés pour exclure de la ville les populations touchées par des épidémies) qui constituent les premiers quartiers ségrégés, c’est bien le modèle britannique de la « cité-jardin » qui sous-tend la planification des townships. Ce motif de ségrégation caractérise différemment les pays d’Afrique australe : si les villes d’Afrique du Sud, de Namibie et du Zimbabwe mais aussi de Zambie sont encore marquées par les stigmates de la séparation, il n’en va pas de même pour les autres pays. Philippe Gervais-Lambony (1999) avance plusieurs éléments de réponse : soit que ces pays aient été moins urbanisés, que la population blanche y était numériquement inférieure ou encore qu’il y ait eu une perte de contrôle ancienne de l’urbanisation par les autorités, comme au Mozambique ou en Angola.
2. Des différenciations internes fortes en Afrique australe
Au tournant des années 2000, l’Afrique australe demeure à bien des égards un ensemble au sein duquel les différenciations spatiales, économiques et sociales sont fortes. Ces différenciations découlent autant de modèles économiques et politiques des différents États que d’une inégale intégration à la mondialisation.
2.1. Un développement inégal à l’échelon régional
À l’échelle méso-géographique, plusieurs indicateurs révèlent les fortes inégalités de développement entre les pays. La comparaison de l’IDH, du PIB et du coefficient de Gini fait ressortir certains traits saillants du développement en Afrique australe. Les petits pays (Lesotho et Swaziland) se distinguent par leur faible PIB : ils sont encore largement agricoles, les activités minières présentes au Swaziland et les casinos implantés au Lesotho (héritage de l’apartheid) sont issus de capitaux sud-africains le plus souvent. Il en va de même pour les États agricoles comme le Malawi, le Zimbabwe, ou le Mozambique. La part encore importante du secteur agricole dans ces économies et l’absence de révolution verte en Afrique australe entraînent des situations d’insécurité alimentaire récurrentes, comme en 2005 où seule la surproduction agricole en Afrique du Sud avait permis de dépasser temporairement la crise. En 2016, ce sont l’Angola, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, le Swaziland et le Zimbabwe qui ont été gravement touchés par les sécheresses.
Les indicateurs de développement en Afrique australe
*2014 **2015 ***taux de croissance annuel calculé sur la période 2005-2015 |
L’hégémonie sud-africaine se remarque en termes de PIB, 33ème du classement mondial en 2015. La croissance y est cependant la plus faible à l’échelon régional et le coefficient de Gini élevé traduit bien les fortes inégalités qui caractérisent la société sud-africaine. Celles-ci se répercutent aussi dans l’IDH de ce pays émergent : proche de celui du Botswana, il est comparable à celui d’autres pays en développement comme la Bolivie (0,66), les Philippines ou le Vietnam (0,67) et demeure légèrement inférieur à celui de la Chine et de l’Albanie (0,73) ou encore de l’Algérie (0,74). Il faut toutefois prendre avec recul le taux de croissance extrêmement élevé du PIB mozambicain. Avant 2016, le PIB du Mozambique a augmenté brutalement suite à la découverte d’importants gisements de charbon (gisement de Moatize) et de gaz (peut-être les troisièmes réserves mondiales). Après la découverte des ressources minières s’est produite une vague d’investissements étrangers massifs dans ce qui était appelé « l’eldorado mozambicain ». Celui-ci n’est resté qu’un mirage suite aux scandales financiers qu’a connu le pays en 2016 (scandales Ematum en 2013 et Proindicus en 2016) et à la réaction des bailleurs internationaux après les révélations faites sur les dettes cachées contractées par des membres du gouvernement((Alors que le pays dépend fortement des bailleurs internationaux, le FMI a pour l’instant suspendu son aide budgétaire, ce qui, associé aux troubles politico-militaires entre Frelimo et Renamo, a contribué à un ralentissement de la croissance et une forte dévaluation de la monnaie.)). Lire à ce sujet l’article de Fabrice Folio sur Géoconfluences : « Dynamisme et réorientation territoriale au Mozambique : un PMA en sortie ? ».
Hormis l’Afrique du Sud, les économies d’Afrique australe demeurent peu diversifiées et souvent rentières. En outre, l’Afrique du Sud s’affirme comme l’un des seuls pays d’Afrique dont l’économie est tertiarisée : que ce soit dans le domaine des activités financières et immobilières ou des services aux entreprises, le pays est bien intégré (Vacchiani-Marcuzzo, 2008). La puissance du pays se reflète aussi dans son double statut de principal investisseur sur le continent africain mais également de pays privilégié par les IDE étrangers. La domination régionale du géant demeure donc tout autant politique que financière et économique. La dépendance aux infrastructures de transport persiste, aussi bien pour les pays enclavés (Botswana, Lesotho, Malawi, Zimbabwe) que pour les pays dont les infrastructures ne sont pas performantes ou encore en voie de reconstruction après des guerres civiles (Angola, Mozambique). Néanmoins cette position de tête de pont implique aussi la saturation de certaines infrastructures, comme celles du port de Durban (principal port de fret pour l’Afrique subsaharienne). Cette contrainte nécessite de rediriger une partie du trafic maritime indispensable au maintien de Johannesburg vers le port de Maputo. Le projet de consolidation du corridor Johannesburg-Maputo orienté vers la rénovation du corridor routier et ferroviaire ainsi que la rénovation des infrastructures portuaires répond à cet impératif.
Enfin, une question majeure concernant le développement en Afrique australe demeure la propagation du virus du sida, qui marque de façon accrue cet ensemble. (Carte 3). L’explosion du nombre de personnes contaminées à la fin de l’apartheid est liée aux importants déplacements de population qui ont lieu durant les premières années de la démocratie. L’absence de prise de conscience du gouvernement de l’époque a été vivement critiquée et une lutte de grande envergure contre la maladie se met en place sous la présidence de Thabo Mbeki à partir de 2008-2009. Plus récemment, en dépit des propos hautement critiqués et de l’attitude nonchalante du président sud-africain Jacob Zuma, un recul de l’épidémie a été observé. Au début des années 2010, l’Afrique du Sud met en place ses propres ARV (médicaments antirétroviraux) à faibles coût, ce qui n’est pas étranger à la remontée de l’espérance de vie dans le pays et également perçu comme une remise en cause du pouvoir des laboratoires pharmaceutiques d’Europe et d’Amérique du Nord. Ces différents éléments justifient la tenue de la 21e conférence internationale sur le sida en Juillet 2016 à Durban. Si l’Afrique du Sud reste numériquement le pays le plus touché en Afrique australe, des classes creuses se profilent au Botswana, Lesotho et Swaziland.
L'épidémie du sida en Afrique : le sud du continent est le plus touché
Si la carte de gauche montre une Afrique australe très durement marquée par l'épidémie de sida en 2015, la carte de droite montre que la plupart des pays ont atteint le « point de bascule » : la prévalence de la maladie tend à reculer, il y a donc un espoir pour que le pic des contaminations soit passé. |
2.2. Des pays inégalement intégrés à la mondialisation
Ce que révèlent les différents indicateurs déjà mentionnés, c’est la très inégale intégration des différents pays aux logiques de la mondialisation, aussi bien en termes d’intensité que d’emprise spatiale. Le pays le mieux arrimé à la mondialisation s’avère toujours être l’Afrique du Sud, malgré un long isolement diplomatique et économique relatif aux décennies d’apartheid. Cette hégémonie tient autant à l’insertion qui préexistait dans les flux économiques internationaux et aux liens politiques et culturels avec l’Europe notamment, qu’à la realpolitik menée par le gouvernement de l’ANC, le Congrès national africain, parti de Mandela au pouvoir depuis la sortie de l’apartheid en 1994.
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D’un point de vue social, les politiques de discrimination positive (Black Economic Empowerment) favorisent le développement d’une classe moyenne au sein de la population africaine, la plus discriminée durant l’apartheid. Apparaît progressivement une nouvelle catégorie socio-économique, les Black Diamonds, classe moyenne africaine qui s’approprie rapidement les codes sociaux et économiques d’une société de consommation issue des pays du Nord((Voir sur ce point l’article de S. Chevalier (2010) « Les « Black Diamonds » existent-ils ? Médias, consommation et classe moyenne en Afrique du Sud ». Sociologies pratiques, 2010/1 n°20, pp. 75-86.)). Mais la difficulté pour le gouvernement de mener à bien les objectifs de redistribution initialement promis en raison de l’ampleur des investissements à réaliser (plus d’un million de logements ont été construits en 20 ans, sans pour autant satisfaire une demande croissante) et de la difficulté à capter des financements privés pour la réalisation de mesures sociales, perpétue des logiques d’exclusion. Si la discrimination n’est aujourd’hui plus fondée sur le critère racial, l’exclusion socio-économique d’une part importante de la population persiste, ces deux critères tendant souvent à se confondre.
Caricature de Zapiro mettant en scène Desmond Tutu face aux contradictions de l’Afrique du Sud post-apartheid
Le caricaturiste Zapiro met ici en scène Desmond Tutu, héraut du slogan de la transition démocratique « Truth and Reconciliation », face aux élites sud-africaines. Ce dessin fait suite aux propos de l’archevêque qui a suggéré, en 2011, qu’il faudrait imposer une taxe sur la population blanche en raison des bénéfices reçus durant l’apartheid, tandis que les membres du gouvernement devraient vendre leurs couteuses voitures de fonction afin de montrer qu’ils ont conscience du niveau de pauvreté dans lequel vit une grande partie de la population. Source de l'illustration : le site du caricaturiste www.zapiro.com |
Au Mozambique, les récentes découvertes minières expliquent l’attractivité de ce pays auprès des investisseurs internationaux. Les réserves du pays en charbon sont aujourd’hui estimées à 23 milliards de tonnes, ce qui constitue un défi logistique pour acheminer le minerai de la Province de Tete jusqu’aux ports de la côte. Le gouvernement a délivré d’immenses concessions à exploiter à des entreprises étrangères (notamment Anglo-American, entreprise sud-africaine ; Riversdale, entreprise australienne et Vale, entreprise brésilienne) en contrepartie d’une rente et de financements destinés à rénover ou construire les infrastructures de transport. Ainsi, plus de 2 000 kilomètres de voie ferrée ont été financés par le groupe Vale et des capitaux chinois afin de relier le gisement de Moatize à l’océan Indien. Une autre ligne, longue de 1 070 kilomètres et située entre Tete et le port de Nacala est financée par ENRC, un groupe minier kazakh coté à la bourse de Londres. La ligne actuelle reliant Moatize à Beira est rénovée afin d’augmenter la capacité de biens acheminés. Cette ruée vers le charbon n’est pas sans répercussions locales : les populations vivant à proximité des sites d’extraction ont été expulsées, le plus souvent sans négociations préalables et avec peu de compensation. Si dans certains cas des relogements ont eu lieu, l’accès aux terres a bien souvent été perdu pour ces paysans ; tandis que l’accès aux infrastructures de transport n’a pas été conçu pour les passagers mais uniquement pour le fret. Malgré la mise en valeur des ressources mozambicaines, l’absence d’une stratégie de redistribution de la part du gouvernement continue donc de circonscrire les effets de la mondialisation à des espaces spécifiques et n’est pas source de développement inclusif.
L’arrivée du groupe Vale au Mozambique
Le caricaturiste Dave Simonds met ici en scène l’arrivée des entreprises brésiliennes sur le territoire mozambicain. Sous couvert du développement de relations Sud-Sud largement encouragées par le Président Lula, certains voient derrière la multiplication de ces nouveaux acteurs une forme de néocolonialisme et de compétition avec la Chine. Extrait de l’article « A new economic alliance », The Economist, 10 novembre 2012. |
Enfin, l’Angola présente un autre type d’ancrage spatial dans la mondialisation : ce pays reçoit des investissements étrangers importants, mais la majorité de la population demeure extrêmement pauvre((Sur ce point, voir l’article de A. Conchiglia « Après-guerre et or noir en Angola » issu du Monde Diplomatique de Mai 2008)). L’économie nationale est faiblement diversifiée : le pétrole représente, en 2012, 45 % du PIB et plus de 90 % des revenus d’exportation. L’or noir est exploité par une compagnie étatique, Sonangol, véritable État dans l’État dont le président constitue l’une des figures les plus puissantes du pays. La découverte de nouvelles ressources pétrolières et gazières devrait permettre au pays de passer du deuxième au premier rang parmi les producteurs et exportateurs du continent, devant le Nigéria (Encadré 2).
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Malgré l’épanouissement du secteur pétrolier, un tiers de la population de l’Angola vit avec moins de 2 dollars par jour en 2012. La mortalité infantile demeure élevée (96 ‰ en 2015, contre 31,7 dans le monde), l’espérance de vie masculine est faible (51 ans en 2014, contre 69 ans dans le monde d’après la Banque mondiale) et l’accès à l’éducation a commencé à s’améliorer seulement après 2002, date des accords de paix. Le chômage atteint encore plus de 26 % malgré la manne pétrolière en raison de l’absence de redistribution des bénéfices et de l’absence de petites et moyennes entreprises dans une économie rentière((Le fort taux de chômage observé en Angola n’est pas une exception au sein de l’Afrique australe. Qu’il soit le fait d’économies peu diversifiées ou une conséquence de l’orientation des politiques économiques, celui-ci atteint 25 % en Afrique du Sud en 2014, 18,2 % au Botswana, plus de 26 % au Lesotho, 22,6 % au Mozambique, 18,6 % en Namibie, plus de 22 % au Swaziland et 13,3 % en Zambie. Le Malawi et le Zimbabwe se détachent en affichant des taux plus proches de la moyenne mondiale (5,93 %) affichant respectivement une part de 7,5 et 5,4 % de chômage (Données de la Banque mondiale, 2015). Bien que ces chiffres témoignent d’une division socio-économique forte au sein des sociétés d’Afrique australe, ils doivent toutefois être nuancés en raison de la part encore forte du secteur informel dans les économies nationales.)). Plus alarmant encore, en 2015 Transparency International classait l’Angola 163e sur 168 pays, derrière la Libye et devant l’Afghanistan. L’indice de perception de la corruption réalisé par cette ONG est un score synthétisant plusieurs sources (3 à 9 sources différentes selon les pays) parmi lesquelles la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement (carte ci-dessous).
La corruption en Afrique d'après Transparency International
2.3. Fragmentation et cosmopolitisme dans les métropoles d’Afrique australe
L’Afrique australe se distingue par son nombre important de métropoles, qui ne sont pas situées exclusivement sur les littoraux. Cette couverture régulière de l’espace austral par les villes tient en partie à la complexité des dynamiques de peuplement et à son histoire. Les plus grandes métropoles actuelles sont aussi bien d’anciens comptoirs coloniaux (Luanda, Le Cap, Durban, Maputo), des pôles industriels (Johannesburg, Harare, Lusaka, Blantyre) que des capitales administratives qui ne sont pas les premières villes du pays en termes de population (Pretoria, Lilongwe). Un trait commun à ces villes réside dans la fragmentation qui les caractérise encore, à des degrés différents (Gervais-Lambony, 1999). Cette fragmentation est particulièrement visible dans le cas des villes sud-africaines en raison de l’héritage de la ségrégation. La séparation physique héritée de l’apartheid tend à se perpétuer en vertu des mécanismes de fragmentation institutionnelle et des faibles interdépendances économiques et sociales. La montée en puissance des acteurs privés au sein de la gouvernance des métropoles sud-africaines participe de ce processus, de même que la multiplication des espaces résidentiels du type gated communities. Ce modèle urbain résidentiel mondialisé s’est développé à partir de l’Afrique du Sud dans tous les pays voisins et notamment à Maputo au Mozambique où les promoteurs étrangers ont largement contribué à sa diffusion. En Afrique du Sud, la prise en main des politiques d’aménagement urbain à l’échelon local par des gouvernements municipaux dotés de moyens financiers et juridiques forts (Dubresson & Jaglin, 2008) répond à la volonté de réparer les effets de la politique d’apartheid, mais également de contrôler l’urbanisation, en particulier spontanée.
Si l’influence des pouvoirs publics dans la (re)construction varie entre les différentes métropoles d’Afrique australe, l’affirmation de dynamiques d’émergence économique semble commune à toutes. La multiplication des shopping malls (centres commerciaux) est révélatrice : ces espaces de consommation constituent encore souvent des enclaves de richesses au sein de métropoles fragmentées et témoignent du rôle grandissant joué par les acteurs privés dans la fabrique urbaine (photographie ci-dessous). Mais ces lieux sont aussi symboliques de l’accession d’une partie de la population à la société de consommation, de l’adoption de normes issues des pays du Nord et de la volonté de fréquenter des espaces d’usages publics dans des villes où les lieux de rencontre et de mixité font souvent défaut. Les investissements chinois sont aussi très importants et visibles dans ces espaces urbains comme en témoigne le cas de Maputo où les nouvelles constructions se multiplient (hôtels, casino, résidences sécurisées, construction de routes et de ponts).
Le shopping mall de Levy à Lusaka (Zambie)
Ce shopping mall (centre commercial) est un lieu de détente et de consommation, où se retrouvent des codes architecturaux internationaux et des enseignes d’Afrique australe comme la chaîne de grande distribution sud-africaine Pick’n Pay. Cliché : S. Lassen, novembre 2016. |
Les villes d’Afrique australe s’affirment en même temps comme des creusets du cosmopolitisme, là encore en vertu d’interconnexions anciennes et réactivées par la mondialisation. Certaines villes sont privilégiées par les migrants peu qualifiés, en particulier mozambicains, zimbabwéens, congolais ou encore rwandais (en particulier dans les années 1990 suite aux conflits en Afrique centrale). L’Afrique du Sud, la Namibie ou le Botswana font figure de pays « tremplins » au sein de parcours migratoires plus complexes ; étapes pour constituer une épargne nécessaire à la poursuite du parcours (mais également en raison de l’existence de réseaux de migrations irrégulières et de fraude documentaire) (Segatti, 2006). S’il paraît exagéré de considérer Johannesburg comme une « nowhereville » (ibid.), qui serait située en Afrique du Sud sans lui appartenir, la multiplication des conflits et émeutes xénophobes dans le pays en 2008 à Johannesburg et Durban envers la population indienne, mozambicaine et zimbabwéenne, de même qu’à Lusaka en 2009 envers la population rwandaise, peut être appréhendée comme le revers dramatique de ce cosmopolitisme.
3. L’Afrique australe, vitrine de l’Afrique ?
Depuis les années 1990, l’Afrique australe s’affirme, dans le sillage de l’Afrique du Sud, comme un ensemble de plus en plus attractif en raison de sa diversité et de ses multiples influences qui font tantôt écho à un héritage européen, tantôt à une solidarité entre pays du Sud. Pourtant, cette diversité agit aussi comme un frein à la montée en puissance d’une aire régionale unie et cohérente.
3.1. Un renouveau africain porté par l’Afrique du Sud
Au sortir de l’apartheid, la réaffirmation du leadership sud-africain se manifeste par la réouverture de cet espace aux flux mondialisés. Mais l’originalité du positionnement sud-africain, et plus largement de l’Afrique australe dans son sillage, tient à la volonté de concilier attractivité économique et revendication d’un discours sur l’africanité symbolisé par le terme d’ « African Renaissance ». De ce point de vue, le leadership de l’Afrique du Sud ne se cantonne pas uniquement à sa position privilégiée dans l’économie internationale mais repose sur un discours destiné à favoriser les relations avec d’autres pays africains, et plus généralement d’autres pays du Sud. Le discours de la Renaissance Africaine porté par le Président Thabo Mbeki (1999-2008) concerne principalement la politique étrangère et économique du pays, mais a également porté sur des questions sociales. La position du chef d’État concernant l’épidémie du sida est particulièrement représentative de ce discours (Encadré 3). À travers ce type de positionnement, l’Afrique du Sud s’est progressivement affirmée comme un leader capable de réorienter le discours depuis le Sud. La visibilité du pays sur la scène internationale a été en outre considérablement augmentée suite à l’organisation de la Coupe du monde de football en 2010, premier événement de ce type sur le continent africain.
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L’intégration du pays au sein des BRIC en 2011 apparaît donc comme une suite logique à la montée en puissance de ce héraut africain. Pour autant, cette entrée a été vivement contestée. Le poids démographique, économique et politique de l’Afrique du Sud est difficilement comparable avec celui des autres pays du groupe (Tableau).
Position de l’Afrique du Sud au sein des BRICS en 2015
Source : Banque Mondiale, 2015 |
L’incorporation du pays a été analysée comme un calcul : l’Afrique du Sud serait le seul représentant du continent africain par défaut en raison de sa position économique et de son influence politique, encore liée à l’héritage de Nelson Mandela (Darbon, 2008). Par ailleurs, S. Sur (2014) rappelle que la cohésion diplomatique des BRICS repose sur des prises de position « en négatif » visant à rejeter la domination occidentale et à défendre une conception intransigeante de la souveraineté et de la non-ingérence. En outre, Inde, Chine et Brésil ont des intérêts en Afrique qui peuvent concurrencer ceux de l’Afrique du Sud. L’obtention du statut de membre du G20 a été aussi perçue comme une validation du statut « d’émergent » ; toutefois, la capacité d’intervention et de décision du pays reste limitée dans ce groupe. Enfin, l’accès à un siège de membre permanent au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU demeure constamment repoussé. Là encore, c’est bien son appartenance continentale qui fait de l’Afrique du Sud un candidat privilégié si le Conseil venait un jour à s’élargir. Si l’African Renaissance a permis au pays de s’affirmer sur la scène internationale en construisant un discours original au-delà de la présidence de N. Mandela, l’enjeu reste désormais d’affirmer son leadership non plus uniquement comme vitrine de l’Afrique.
3.2. L’Afrique australe, un ensemble en manque de puissance
À l’échelle régionale, plusieurs ensembles économiques se recoupent, symboles des juxtapositions et des influences multiples qui existent au sein de l’Afrique australe (Carte 4). Le premier « cercle » de l’Afrique australe, selon la formule de R. Brunet dans la Géographie Universelle de 1994, correspond au périmètre d’influence directe de l’Afrique du Sud. La SACU (South African Customs Union) regroupe en effet autour de ce pays le Lesotho, le Swaziland, le Botswana et la Namibie dont l’économie reste annexée au Rand sud-africain. À l’inverse, se détache également un autre ensemble régional, la Southern African Development Community, fondée en 1980 par les États d’Afrique australe et centrale en opposition avec le gouvernement d’apartheid. Les neuf États fondateurs sont l’Angola, le Botswana, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe, auquel s’adjoignent la Namibie (1990), l’Afrique du Sud (1994), l’île Maurice (1995), la République Démocratique du Congo (1997), Madagascar (2005).
Voir aussi : carte des ensembles régionaux africains à vocation économique, cartothèque de Sciences Po, septembre 2010.
À bien des égards, l’ensemble régional formé par la SADC est particulièrement attractif. Plus de la moitié des États-membres s’affirment comme des économies potentiellement « larges », à savoir l’Angola, la République Démocratique du Congo, le Mozambique, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe. À partir de ces économies dynamiques, l’articulation avec l’Afrique du Sud constitue un enjeu majeur pour voir émerger un marché régional dynamique. Par ailleurs, les infrastructures présentes en Afrique australe, en particulier les réseaux routier et ferroviaire, sont bien mieux développées que dans les autres ensembles régionaux africains. Le potentiel portuaire est fort, alors que Johannesburg constitue déjà le principal hub aérien à l’échelle du continent. Ces différents éléments font de la SADC un ensemble régional particulièrement compétitif((The SADC’s Infrastructure, A regional Perspective (2011). Policy Research Working Paper n° 5898. World bank)).
Pour autant, si les pays d’Afrique d’australe ont connu une croissance économique souvent plus rapide que la moyenne mondiale, leurs échanges sont restés relativement stationnaires. Durant la décennie 1998-2008, la part des exportations intra-régionales dans la SADC est restée à près de 10 % du total des exportations alors que la plupart des pays affichaient des taux de croissance annuelle du PIB supérieure à la moyenne mondiale((La défragmentation de l’Afrique (2012). Rapport n° 68490. Banque mondiale)). De même, les échanges des pays de la SADC entre eux ont plus que triplé en valeur de 2000 à 2008, ce qui demeure largement inférieur à l’augmentation des échanges observée lors de la mise en place d’autres organisations régionales (Union Européenne, Asean, Mercosur). Cela tient d’abord à la nature des biens échangés : seules l’Afrique du Sud et l’Île Maurice exportent des produits manufacturés, les exportations de matières premières et agricoles dominant dans les autres pays. Par ailleurs, malgré les accords tarifaires mis en place, la persistance de nombreux obstacles non-tarifaires (coûts de transport, contrôles frontaliers longs, normes non-harmonisées, etc.) entretient l’épaisseur des frontières. De plus les petits pays, dont l’économie demeure fortement dépendante, peinent à s’intégrer au sein de cet ensemble alors que d’autres, comme la République Démocratique du Congo, s’affichent également « à la traîne » en raison des investissements nécessaires pour s’aligner sur les standards de la région (Graphique 2). En outre, si la SADC n’est pas parvenue à mettre en place une zone de libre circulation (ce qui avait été un temps retenu par les États membres, sur le modèle de Schengen), c’est là encore principalement en raison des fortes disparités sociales et économiques entre les pays. Suite à la proposition en 1996 d’un protocole concernant la libre circulation des personnes, l’Afrique du Sud, le Botswana et la Namibie se sont fermement opposés à sa mise en place arguant des risques de flux migratoires incontrôlés, de xénophobie et du développement de réseaux criminels (Segatti, 2006).
Le PIB par habitant en PPP au sein de la SADC
Si l’intégration régionale sous l’égide de la SADC demeure un enjeu encore d’actualité et l’une des clefs pour voir émerger une Afrique australe attractive et puissante, d’autres initiatives de coopération régionale méritent d’être signalées. Parmi elles, la mise en place de politiques transfrontalières autour des parcs nationaux représente une innovation territoriale. En effet, après 1994, le choix a été fait de placer certaines buffer zones (zones tampons) et no man’s land qui se situaient à l’échelle nationale au cœur d’un projet transfrontalier à l’échelle de l’Afrique australe (Antheaume et Giraut, 2002). Avec le projet Peace Parks, les parcs situés après 1994 de part et d’autre des frontières nationales de l’Afrique du Sud devaient présenter une continuité de gestion, tout en favorisant une extension des aires de protection. Bien que certains pans du projet n’aient pu voir le jour car les communautés locales revendiquaient l’accès aux terres, cet exemple de coopération est révélateur d’une autre forme d’intégration aux dynamiques de mondialisation, et des résistances locales qu’elle peut susciter.
3.3. Les métropoles d’Afrique australe, de nouveaux acteurs en quête de visibilité ?
Alors que l’Afrique australe peine à s’affirmer comme un ensemble intégré et cohérent, ce sont peut-être aujourd’hui davantage ses métropoles qui en constituent les territoires les plus visibles. De ce point de vue, le classement fourni par le groupe de chercheurs du GaWC (Globalization and World Cities, Loughborough University) est riche d’information : il rend compte du pouvoir et de l’insertion économique des villes dans le monde. Pour mesurer cela, les chercheurs comptabilisent les liens existants entre les plus grandes entreprises du secteur tertiaire dans plus de 315 villes dans le monde. Les villes d’Afrique australe les mieux connectées appartiennent à la catégorie alpha : c’est le cas de Johannesburg (alpha -), vient ensuite Cape Town (beta +) puis Durban (gamma +), Gaborone et Lusaka (High sufficiency) et enfin Pretoria, Windhoek, Luanda, Harare et Maputo (sufficiency) en 2012. Hormis Johannesburg, la position de ces villes au sein du classement est en constant progrès, traduisant donc une insertion de mieux en mieux maîtrisée de la part de ces villes dans les réseaux d’échanges internationaux.
Si le classement reste dominé par les métropoles sud-africaines à l’échelle de la région, cela tient aussi bien à la diversification de leur économie qu’à leur poids politique renforcé suite à la création de gouvernements métropolitains en 2000. Johannesburg, Cape Town et Durban figurent parmi les métropoles disposant d’un gouvernement métropolitain, et mettent en place des politiques d’aménagement de grande envergure destinées à faire correspondre ces villes aux standards des métropoles internationales. On peut rappeler les slogans des villes, qui résonnent comme l’agenda de leur marketing urbain : Johannesburg se veut « World Class African City », tandis que Durban prétend être « the most liveable and sustainable city in Africa in 2030 ». Dans le cas du Cap, l’objectif est plus généraliste : « Making progress possible. Together ». Ces villes gagnent également en visibilité par l’accueil de grands événements internationaux : outre la Coupe du monde de football en 2011, le sommet de la Terre a lieu en 2002 à Johannesburg, la Conférence mondiale sur le sida se tient en 2003 et 2016 à Durban, de même que celle sur le changement climatique (2011), tandis qu’en 2014 Le Cap était élue World Design Capital (Vacchiani-Marcuzzo, 2014). Toutefois, la multiplication d’espaces « vitrines » dans les métropoles d’Afrique australe se solde aussi par la multiplication « d’arrière-boutiques » (Bénit & Gervais-Lambony, 2003) où sont reléguées les populations qui ne s’intègrent pas aux normes de métropolisation et de la mondialisation. Ainsi le nombre d’évictions dans les centres-villes augmente à mesure que se diffuse le modèle des City Improvement Districts et des Business Improvement Districts dans l’hémisphère sud (Les CID et BID correspondent à des périmètres ou des associations de résidents dans un cas, ou de commerçants dans l’autre mettent en place un système de taxe pour assurer des services supplémentaires, comme par exemple la sécurité ou l’entretien).
Il faut enfin marquer une dernière inflexion concernant les liens entre les métropoles d’Afrique australe, plus spécifiquement en rapport avec la circulation de modèles urbains. Dans un article récent, É. Peyroux (2016) rappelle la position de Johannesburg comme membre actif de réseaux de villes internationaux. C’est par son action dans différents réseaux et alliances de villes (Cities Alliances, UCLG ou Salga) que la métropole a été sollicitée pour guider l’élaboration de la stratégie de développement de la ville de Lilongwe. Le succès de ce partenariat a été récompensé par un prix, et ce programme d’accompagnement a par la suite été étendu à d’autres villes sud-africaines, au Malawi, au Mozambique et à la Namibie. Cet exemple traduit tout autant l’affirmation du leadership de Johannesburg à l’échelle de l’Afrique australe (mais également à l’échelle continentale, puisque Bamako a aussi demandé assistance dans le domaine de la gestion des déchets, de l’eau et de l’électricité) que l’existence de solidarités, d’enjeux communs et de circuits de connaissance entre les métropoles d’Afrique australe.
Conclusion
Ainsi, les dynamiques qui façonnent le sud de l’Afrique sont multiples et complexes. Cette complexité tient à l’entrelacement de dynamiques de peuplement diverses, à la forte extraversion de la région liée aux ressources minières notamment, et aux différentes influences qui caractérisent l’Afrique australe où se rencontrent des héritages et des métissages européens, asiatiques, sud-américains ou encore d’Afrique centrale. Cette complexité tient également aux différentes dynamiques d’ouverture et de fermeture de la région ; colonies tournées vers l’Europe, certains pays ont aussi connu un long isolement diplomatique et se sont parfois construits en opposition les uns des autres, souvent en lien avec les jeux de domination entre puissances coloniales, et plus tard entre les deux blocs. Il en résulte une très inégale intégration à la mondialisation, aussi bien cause que conséquence des fortes différenciations sociales, économiques et spatiales qui existent à différentes échelles en Afrique australe.
Alors que les pays de cet ensemble présentent un fort potentiel économique, une importante population jeune et une classe moyenne croissante, l’Afrique australe continue de se définir autour de l’Afrique du Sud, seul pays « émergent » du continent. Le principal enjeu pour l’Afrique australe réside donc désormais dans la capacité des différents États à mettre en place des processus de développement afin de résorber les disparités socio-économiques à l’échelon national, mais également dans la mise au point de politiques à l’échelon régional afin de participer de dynamiques d’émergence communes. Sur ce point, la consolidation d’un réseau de villes et d’une coopération entre les métropoles d’Afrique australe est encourageante. Mais l’enjeu consiste à élargir la mise en place de mesures communes à d’autres questions dont dépend plus urgemment l’avenir de la région, comme celle du sida.
Bibliographie
Ressources de référence
- Bénit C., Gervais-Lambony P., 2003. « La mondialisation comme instrument politique local dans les métropoles sud-africaines (Johannesburg et Ekhuruleni) : les ‟pauvres” face aux ‟vitrines” ». Annales de Géographie, n° 634, pp. 628–645.
- Dagorn R., Guillaume P., 2002. « Howard et les pervers. Une utopie sud-africaine ». Historiens et géographes, n° 379, pp. 21-30. Accéder au PDF
- Darbon D., 2008. « L’Afrique du Sud : une puissance au seul regard des autres ? » in Jaffrelot C. L’Enjeu Mondial. Presses de Sciences Po, coll. Annuels, pp. 137-145.
- Dubresson A., Marchal J-Y., Raison J-P., 1994. Les Afriques au sud du Sahara. Géographie Universelle. Reclus-Belin : Paris. 480 p.
- Gervais-Lambony P., 2013 (1997), L'Afrique du Sud et les États voisins. » Armand Colin, collection U : Géographie, 254 p.
- Gervais-Lambony P., 1999. « L’Afrique australe au singulier et au pluriel : éléments de réflexion sur une sous-région continentale ». L’Information géographique, vol. 63, n°5, pp. 195-206.
- Sur S., 2014. L’Afrique du Sud, entre métamorphose et banalisation. Question Internationales, n° 71. Page de l'éditeur.
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Vacchiani-Marcuzzo C., 2014. Le Cap, Durban, Johannesburg : trois métropoles face au défi de la mondialisation. Questions Internationales, n° 71 pp. 52-55. Page de l'éditeur.
Pour aller plus loin
- Antheaume B., Giraut F., 2002. « Les marges au cœur de l’innovation territoriale ? Regards croisés sur les confins administratifs (Afrique du Sud, France, Maroc, Niger, Togo…) ». Historiens et géographes, n° 379, pp. 39-58. Accéder au PDF
- Dubresson A., Jaglin S., 2008. Le Cap après l'apartheid, gouvernance métropolitaine et changement urbain. Paris : Karthala, 282 p.
- Fauvelle-Aymar F.-X., 2006. Histoire de l’Afrique du Sud. Paris : Seuil, coll. « L’univers historique », 431 p.
- Freund B., 2007. The African city : a history. New York : Cambridge University Press, 214 p.
- Peyroux É., 2016. « Circulation des politiques urbaines et internationalisation des villes : la stratégie des relations internationales de Johannesburg ». Échogéo, n°36.
- Segatti A., 2006. « Migrations en Afrique australe. Levier de la Renaissance ou facteur d’inégalités ? ». Transcontinentales, vol. 2.
- Turok I., 2001. "Persistant polarization Post-apartheid ? Progress towards urban integration in Cape Town". Urban Studies, vol. 38, n° 13, pp. 2349-2377.
- Vacchiani-Marcuzzo C., 2008. « Quelle place pour le Cap dans la mondialisation ? Stratégie spatiale des IDE et dynamique urbaine ». in Dubresson A, Jaglin S. Le Cap après l’apartheid, gouvernance métropolitaine et changement urbain. Karthala : Paris, pp. 157-182.
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Wolpe H., 1972. "Capitalism and cheap labour-power in South Africa : from segregation to apartheid". Economy and Society, vol. n°4, pp. 425-456.
Rapports en ligne
- Ranganathan R., Foster V., 2011. The SADC’s Infrastructure, a regional Perspective. World bank, Policy Research Working Paper n°5898, 67 p. Accéder au PDF
- Breton P., Isik G., 2012. La défragmentation de l’Afrique. Approfondissement de l’intégration du commerce régional des biens et services. Banque mondiale, rapport n°68 490, 196 p. Accéder au PDF.
- Ernst & Young’s attractiveness survey, 2013. Africa 2013. Getting down to business. Growing Beyond. 71 p. Accéder au PDF.
Conférences filmées en ligne
- L'Afrique australe : un modèle centre-périphérie remis en cause, 2ème partie d'une conférence d'Alain Dubresson adaptée aux nouveaux programmes du collège, filmée par l'Académie de Paris, avec diaporamas, 2016 (43 min)
- L’Afrique du Sud : un État émergent ? captation d'une conférence d'Alain Dubresson, 2012 (61 min)
Solène BAFFI,
Docteure en géographie, University of Stellenbosch, membre associée, laboratoire Géographie-Cités UMR 8504,
détachement au SCAC de Maputo comme attachée de coopération scientifique et universitaire.
Jeanne VIVET,
Maîtresse de conférences en Géographie, Université Bordeaux Montaigne, laboratoire LAM, UMR 5115.
Mise en web et cartographie : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet article :
Solène Baffi et Jeanne Vivet, « L’Afrique australe : un ensemble composite, inégalement intégré à la mondialisation », Géoconfluences, janvier 2017.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/afrique-dynamiques-regionales/articles-scientifiques/afrique-australe-cadrage