Dynamisme et réorientation territoriale au Mozambique : un PMA en sortie ?
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Le Mozambique est une république d’Afrique australe s’ouvrant sur le Canal du même nom sur les bords de l’océan Indien. Le pays connaît aujourd’hui une phase de transformation. Référencé en tant qu’État parmi les plus défavorisés d’Afrique et du monde (il fait ainsi partie en 2016 de la liste des 48 Pays les Moins Avancés ou PMA de l’Organisation des Nations Unies – ONU), il se positionne pourtant clairement sur l’échiquier mondial dans certains domaines.
Attenante à la première puissance économique du continent (l’Afrique du Sud, après avoir été dépassée par le Nigéria dans le cadre de l’actualisation du Produit Intérieur Brut de ce dernier en 2014, a retrouvé sa première place en 2016), cette ex-colonie portugaise a embrassé une histoire mouvementée (Figure 1). Au terme d’une ère marquée par le négoce arabe puis une rude colonisation portugaise, le Mozambique a connu, à l’indépendance en 1975, une phase socialiste autocentrée, interrompue par une longue guerre civile (opposant le parti de la libération, le Frelimo aujourd’hui au pouvoir, aux rebelles de la Renamo, actuellement principal parti d’opposition). Il a finalement adhéré de façon très pragmatique à une orthodoxie néolibérale de nos jours des plus affirmées.
Le pays a trois atouts à faire valoir :
- Sa physionomie territoriale et sa façade géographique littorale déterminent depuis longtemps et pour grande part les échanges de l’Afrique australe (soit les États enclavés arrière : Malawi, Zambie, Zimbabwe…). Ces derniers ont besoin de passer par le pays lusophone pour leurs importations et exportations, le tout au sein d’un espace régional en croissance.
- Son statut de « succès africain » auprès des bailleurs de fonds joue par ailleurs en sa faveur ; succédant à des années de crise, la – relative – stabilité politique et surtout le credo libéral adopté inspirent une certaine confiance, dont l’aboutissement est une aide internationale bi- et multilatérale conséquente.
- Enfin, depuis ces dernières années, le pays reçoit des investissements étrangers massifs dans des secteurs principalement extractifs (matières fossiles ou minerais), lesquels réarticulent son espace en valorisant de nouveaux territoires.
La géopolitique du Mozambique a pour caractéristique d’être liée à la fois à des influences – des ingérences pourrait-on dire – extérieures et à une logique d’extraversion indiaocéanique (Folio, 2008). Sur place, on assiste à une réorientation des zones porteuses ou « gagnantes ». Le Mozambique, après avoir durablement été sous l’influence du voisin méridional sud-africain et eu de longue date comme lignes de force quelques pénétrantes, réarticule à présent son territoire autour de nouveaux pôles et corridors stratégiques davantage septentrionaux et parfois intérieurs. Au demeurant, une nouvelle organisation spatiale du pays se dessine. Plus que d’un choix assumé d’aménagement du territoire, cette évolution reste avant tout à relier à des contingences et à des opportunismes extérieurs, régionaux mais aussi internationaux Du fait des dynamiques sous-régionales, en rapport avec les interrelations avec les Etats d’Afrique australe, notamment l’Afrique du Sud, mais aussi mondiales, eu égard à l’appétence de nouveaux acteurs ultramarins, peut-on remettre en question son statut d’État parmi les « moins avancés » du globe ? Cette question peut être précédée d’une autre : quel est le climat social et politique de ce pays à la vitalité à marche forcée, où plus de moitié de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté ? Plus généralement, est-ce que les nouvelles dynamiques du Mozambique sont singulières ou est-ce qu’elles doivent être remises en perspective par rapport à ce qui se passe dans la région Afrique australe voire dans la zone subsaharienne ?
1. Essor et attrait d’un pays du Sud : tropisme maputéen et mégaprojets
Le Mozambique se prévaut d’être un modèle de redressement économique après un conflit armé [1]. En septembre 2015, l’annonce de l’achèvement complet du déminage du pays a fait les gros titres de la presse internationale. Sur place, on parle de « stabilité macroéconomique et politique » (OCDE, Banque Africaine de Développement). Dans le sillage d’un certain équilibre politique – les élections démocratiques multipartites ont été organisées en 1994 – des réformes structurelles ont été conduites et le tournant néolibéral adopté : après une politique marxiste-léniniste, l’économie du pays s’est libéralisée à la fin des années 1980 sous la houlette du Fonds Monétaire International. Investisseurs étrangers, organismes de coopération et grandes Organisations Non Gouvernementales (ONG) ont fait de ce pays un vaste théâtre d’opération.
Figure 1. Les grandes phases de l'histoire du Mozambique
Fabrice Folio, Université de la Réunion, avril 2015
Dans ce contexte, le Mozambique est considéré comme un « bon élève » du Sud auprès des acteurs mondiaux. L’aide internationale contribuait pour 51,4 % au budget de l’État en 2010, un taux qui, du fait de la crise économique mondiale, est descendu à 39 % en 2012. Le pays encourage la privatisation et attire les investissements directs étrangers (IDE) tournés vers l’exportation. En 2011, le stock d’IDE a dépassé 1,9 milliard de dollars : il s’agissait à ce moment de la troisième destination d’IDE en Afrique après l’Angola et l’Afrique du Sud. Il a atteint 6 milliards en 2013, en première place devant le Nigéria et l’Afrique du Sud selon une étude du Financial Times sur les investissements de création de capacités ou greenfield (Jeune Afrique, 2013). Le taux de croissance du PIB a été de 7,2 % en moyenne sur la dernière décennie et de 7,1 % en 2013 (Banque Mondiale) en partant, il est vrai, de très bas. Le gouvernement table, lui, sur 8,5 % en 2014-15. Quant aux principaux ports mozambicains, en l’occurrence ceux de Maputo, de Beira ainsi que les ports dits secondaires (Nacala, Pemba), ils réoccupent un rang stratégique dans toute l’Afrique australe, un rôle que la longue guerre civile avait fini par inhiber. Le Mozambique assure de nos jours 70 % du transit des marchandises au sein de la SADC (South African Developement Community, organisation qui promeut le développement économique de la région) et ce par le biais de ses couloirs logistiques en particulier ferroviaires (cf. Figure 2 et 3). Quelles en sont les matérialisations au niveau spatial ?
D’après la Banque Mondiale, la population du pays est évaluée à 23,9 millions d’habitants en 2011, dont près de la moitié vit au sein des districts côtiers. À l’extrémité sud du territoire, la capitale Maputo (1,87 million d’habitants) se hisse au premier rang des villes les plus peuplées. Beira au centre (436 240 habitants) compose la seconde agglomération du pays au débouché du corridor ferroviaire central, dit « de Sofala ». La localité de Nacala (206 500 habitants) en constitue la troisième en importance, au delà du Zambèze dans la région septentrionale de Nampula. Ces trois villes côtières (Maputo, Beira et Nacala) incarnent le tripôle portuaire historique, tout en devenant des hubs régionaux réactivés dans le contexte d’extraversion actuel. Concrètement, ces villes sont l’extrémité des voies ferrées se projetant dans l’hinterland, jusqu’aux pays riverains, dont certains pâtissent d’enclavement (Malawi, Zambie, Zimbabwe). On a longtemps dit que l’organisation spatiale du Mozambique s’articulait autour de couloirs parallèles hérités de l’ère coloniale utilitariste. Ces « pénétrantes latitudinales » demeurent une réalité. A contrario, les liaisons Nord/Sud sont longtemps restées compliquées dans le pays. Il a notamment fallu attendre l’année 2009 pour qu’un pont flambant neuf soit érigé sur le Zambèze.
La partie sud du pays a très tôt bénéficié du dynamisme d’un hinterland investi dans un premier temps par les intérêts britanniques (en Afrique du Sud, dans la Rhodésie du Sud et du Nord et au Nyassaland [2]), puis par ceux sud-africains postapartheids (Cahen, 1993). Le fossé entre Lourenço Marques (futur Maputo) et le reste du pays s’est creusé lors de la période coloniale. Le déplacement de la capitale à l’extrémité sud du territoire dans la baie de Delagoa (au détriment de Ilha de Moçambique plus au nord) et la construction d’une voie ferrée – la « Transvalienne » – visaient depuis la fin du XIXe siècle à faire de ce lieu une plate-forme portuaire stratégique pour les hautes terres sud-africaines (la zone aurifère du Rand, richement dotée et peu éloignée). Le clivage séculaire entre la première ville (et sa province) et le reste du pays n’a cessé, dès lors, de se renforcer. Après la guerre civile qui a fixé des cohortes de réfugiés – les deslocados (Vivet, 2012) – dans ses écarts, Maputo a tiré profit de sa proximité avec l’émergent voisin régional, une nation arc-en-ciel ayant à cœur de réinvestir son « jardin » africain. La contribution du sud du pays au PIB national est aujourd’hui incontestable (elle s’établit à 29 % pour la seule capitale, Municipalité de Maputo, 2012). Maputo abrite 30 % des industries du pays, les grandes infrastructures et l’essentiel de la fonction tertiaire inhérente à son statut de chef-lieu (Encart 1). Face à cela, les provinces centre et nord, aires de peuplement historique, sont depuis longtemps en retrait.
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L'usine d'aluminium Mozal, ouverte en septembre 2000 en périphérie de Maputo. | Le stade national Maputo (ou stade de Zimpeto) inauguré en 2011. |
L'aéroport international de Maputo rénové en 2012. |
Les entrées d’IDE ont par conséquent beaucoup joué pour Maputo et la région côtière attenante durant la décennie 2000. Mais la situation est à maintenant autrement plus complexe. Nous sommes entrés depuis 2010 dans la deuxième phase de croissance du pays. À ce niveau, le dynamisme s’appuie toujours sur les pôles et corridors exclusifs, en cours et à venir. Il a pour caractéristique de se fonder sur des matières fossiles, minérales ou paysagères, de s’articuler sur des IDE et de présenter des logiques de prés-carrés, desservis par des axes stratégiques (dont l’utilité est de les relier à l’interface portuaire ou au bassin de consommation sud-africain). Toutefois, le profil des investisseurs se diversifie sensiblement. Au plan spatial, ils se manifestent de surcroît dans des contrées lointaines, plus au nord et ne sont plus uniquement en position côtière. Ces investissements étrangers massifs, anciens et nouveaux, sont ce qu’on appelle de manière large les « mégaprojets » (Figure 2). Mozal en fut le tout premier, il convient d’en présenter les nouveaux, en particulier ceux relevant de l’énergie (voir complément 1 ci-dessous).
Complément 1 : Les mégaprojets énergétiques au Mozambique
- L’exploitation des mines houillères à Moatize et à Benga, près de Tete dans l’intérieur des terres, donne actuellement une impulsion à l’exutoire portuaire de Beira (avec la remise en état de la voie ferrée de Sena) mais aussi et surtout de Nacala. Une voie ferrée, construite par le groupe Vale, traverse littéralement le Malawi et dessert ce dernier depuis peu. Un nouveau terminal a été forgé à Nacala-a-Velha et l’extension du port a vu le jour grâce à des fonds japonais. Les exportations de charbon ont débuté en 2011. Elles peuvent être considérées comme un tournant, tant ce secteur pourrait fortement contribuer à l’économie nationale dans les futures années (Almeida-Santos, Roffarello, Filipe, 2014). Le Mozambique entend s’imposer comme un nouvel acteur mondial car il dispose de l’un des bassins houillers au plus haut potentiel au monde (23 milliards de tonnes de réserves soit 10 % des réserves mondiales) ! L’Inde est tout spécialement intéressée par le volume d’exportation potentiel. À ce niveau, les acteurs implantés sont tous leaders dans leur domaine : ainsi se distinguent le groupe brésilien Vale (à Moatize) et la compagnie anglo-australienne Rio Tinto (à Benga).
- Tout au nord, au large du Rovuma Basin, des projets d’extraction de gaz off-shore ont été initiés. Là encore, les concessions ont été accordées à des compagnies étrangères. Se sont positionnés la malaisienne Petronas, la norvégienne Statoil, PetroChina, l’indienne ONGC Videsh, Total (qui s’est en revanche manifesté assez tard…) ainsi que la compagnie mozambicaine des hydrocarbures ENH. Il faut dire qu’en 2011, ont été découvertes d’abondantes réserves de gaz naturel au large des côtes de la part de l’américain Anadarko Petroleum (dans le bloc dit 1) et de l’italien ENI (dans le bloc dit 4). D’autres champs sont à confirmer et pourraient classer le Mozambique au quatrième rang mondial pour les réserves prouvées, en termes de Gaz Naturel Liquéfié (GNL), derrière la Russie, l’Iran et le Qatar... D’ailleurs, un projet commun de création d’une usine de liquéfaction, porté par Anadarko et ENI, est en gestation, de même que celui d’une usine off-shore par ENI. La capacité totale est estimée à 5 000 milliards de mètres cubes de réserves (soit 184 trillions pieds cubes, Augé, 2014) ! Signalons aussi, à la suite d’une synthèse d’études de la société norvégienne TGS-Nopec spécialisée dans la recherche pétrolière au détour des années 2000, la confirmation d’un haut potentiel d’hydrocarbures dans le Canal du Mozambique. Environ 6,5 milliards de barils de pétrole y seraient présents. On parle du Canal du Mozambique comme d’une nouvelle Mer du Nord en puissance… Dans la province d’Inhambane au centre-sud, des exportations de pétrole sont déjà le fait d’acteurs exogènes, en particulier de la société sud-africaine Sasol. Elles ont débuté en 2014 dans le district d’Inhassoro (pour 250 000 barils).
- Toujours dans le domaine de l’énergie, le projet « Dorsal Cesul » (Centre-sud), est un réseau régional de transport d’électricité ancré sur de grandes centrales hydroélectriques de l’hinterland. On pense au vieux barrage de Cahora-bassa datant de 1975, célèbre pour avoir subi maints actes de sabotages durant la guerre civile, dont le Mozambique a arraché l’actionnariat au Portugal en 2012. Mais d’autres barrages voient le jour : citons Mphanda-Nkuwa, Manica ou encore Mapai. Ils dessinent un nouveau chapelet intérieur orienté Nord-Sud. Le tout est appuyé par la Namibie et surtout une Afrique du Sud en butte à des avaries sur son réseau et qui a besoin de cette énergie transfrontalière.
En outre, les mégaprojets relèvent aussi des projets de développement touristique, lesquels se multiplient. Le pays accueille environ 1,5 million de visiteurs étrangers et la contribution de ce secteur à l’économie nationale s’élève à 6 %. Le climat tropical, l’ensoleillement et les fonds récifaux en composent la matière naturelle (en compagnie des réserves faunistiques comme le Parc de Gorongosa), que ce soit sur le littoral (Bilene, Xai Xai) ou dans les grappes d’îles ourlant le trait de côte (Ihnaca, Bazaruto). À cela s’ajoutent des ressources culturelles : culture bantoue, culture swahilie au nord, patrimoine portugais. Le potentiel touristique est avéré, aussi la puissance publique le développe-t-elle en faisant appel au secteur privé, notamment aux capitaux étrangers. Parmi les investisseurs étrangers mobilisés, le groupe portugais Pestana ou la société émirati Rani s’impliquent beaucoup à Inhambane et à Cabo Delgado, et en particulier dans les archipels de Bazaruto (près de Vilanculos) et de Quirimbas (non loin de Pemba). Devenus des enclaves balnéaires pour le moins exclusives liées à des Parcs nationaux (carte ci-contre), ils rassemblent, loin de Maputo, des établissements hôteliers de luxe, adossés à d’ambitieuses et élitistes politiques de conservation écotouristiques. Dans le contexte de politique néo-libérale axée sur les investissements étrangers, ces zones ont été déclarées aires touristiques prioritaires en ciblant un tourisme haut de gamme. Afin de résoudre l'équation, à la fois écologique et économique, le tourisme durable et son créneau écotouristique ont été institués, à la fois par les organisations environnementales (WWF…) et par l'État central, en y associant notamment les communautés de pêcheurs (Folio, 2011).
Figure 2. Mégaprojets, corridors et parcs nationaux au MozambiqueFabrice Folio, Université de la Réunion, avril 2015 |
Écotourisme de luxe au MozambiqueEcolodge touristique sur l'archipel de Bazaruto, sur l'île barrière de Benguerra ; district de Vilankulo, province d'Inhambane, 2009. |
2. Un pays dual ? Accaparement et tensions sociales de ce « succès africain » mondialisé
Fort de ces nouveaux développements, le PNB du Mozambique pourrait être à même de quadrupler dans les dix prochaines années (Niaufre, 2014). Tout cela a évidemment une incidence sur l’organisation spatiale du pays. S’y relève une double dynamique de consolidation mais aussi de bifurcation spatio-temporelle (Figure 3). Certaines zones sont consolidées tandis que d’autres émergent.
Figure 3. Le développement par les mégaprojets : hier, aujourd'hui, demain
Fabrice Folio, Université de la Réunion, avril 2015
Concernant l’aspect diachronique, on l’a dit, le pays a connu un essor économique en deux phases depuis l’ère de renouveau démocratique et du tournant libéral de la décennie 1990 (ayant succédé aux cycles d’abord coloniaux et précoloniaux, puis socialistes autocentrés et enfin « troublés » durant la guerre civile) : celle d’abord de l’ouverture et du décollage national lors de la décennie 2000 ; celle de la décennie en cours, marquée par l’affermissement et la diversification économique au gré des déploiements, découvertes et/ou des exploitations minières, énergétiques et touristiques. Tous se fondent sur les mégaprojets et restent motivés par des acteurs extérieurs, sur fond d’encouragement et d’accompagnement étatique.
Concernant sa traduction territoriale, il faut tout d’abord rappeler les deux stades historiques plus anciens, l’un articulé sur les pénétrantes transfrontalières et leurs synapses portuaires et l’autre sur la polarisation du sud par la capitale Maputo. Dans la phase de renouveau économique contemporain, on assiste à un double phénomène : en premier lieu, la continuation de la primauté du Grand Maputo (incluant la localité de Matola) ; en second lieu, une réorientation territoriale opportuniste et concentrée s’inscrivant dans les confins septentrionaux, que ce soit sur la côte (gaz, pétrole, écotourisme) ou dans l’intérieur des terres (charbon, hydroélectricité).
Le Mozambique est ainsi devenu une véritable tour de Babel économique, largement ouverte vers l’extérieur. Mais à l’évidence, les défis et finalement les craintes sont au moins aussi importants que les espoirs portés sur le devenir du pays. Car la pauvreté demeure répandue sur une large partie du territoire, celle des interstices, que ce soit dans les zones rurales de l’arrière-pays, dans les vastes étendues sableuses des caniços (aires d’habitat informel) ceinturant l’ensemble des villes comme dans les centres-villes paupérisés (voir photographies ci-dessous). Les inégalités sociales se sont en réalité creusées ces dernières années entre insiders (qu’ils soient locaux ou étrangers) et majorité pauvre [3]. Alors que le marché et plus généralement les prix de l’immobilier explosent à Maputo (de manière concomitante avec le trafic automobile, Hervieu, 2014, (voir photographies ci-dessous), le marché intérieur reste largement orienté vers l’économie informelle et l’agriculture vivrière.
Habitat informel au Mozambique
Habitat spontané semi-dispersé en vue aérienne dans la province d'Inhambane, 2009. |
Commerce informel dans les faubourgs de Maputo, 2006. |
La Baixa, centre-ville dégradé de la capitale, 2006. |
Un pays en croissance rapide
Les nouveaux programmes de construction immobilière sur le littoral nord de la capitale, 2005. |
Le Polana Casino érigé sur la Costa do sol en 2006. |
Les longs embouteillages aux entrées de la capitale témoignent de l'essor du parc automobile, 2009. |
Quant à la croissance nationale, elle est indexée à un panel de mégaprojets prenant appui sur les matières premières (lingots d’aluminium, charbon, gaz mais aussi graphite, crevettes et sucre où l’on retrouve aussi par exemple les intérêts mauriciens…) ainsi que sur la matière paysagère (soit le tourisme international). Le tout demeure largement dépendant du tryptique extérieur : 1. Les investisseurs, 2. Les bailleurs, 3. Les visiteurs étrangers. Or, ce type de modèle économique est à forte intensité capitalistique. Au reste, il interroge quant à sa durabilité et à ses leviers réels sur le développement local (Avila, 2012). Les entreprises nationales, en amont comme en aval, y ont été assez peu associées alors que les exonérations fiscales (via des « zones économiques spéciales » constituées) ne dégagent que peu de subsides (BafD/OCDE, 2006). À cet égard, le cas des mines de Vale à Moatize est édifiant.
Complément 2 : Les mines de charbon intérieures et le « développement » de la province de Tete
Le groupe brésilien Vale s’est implanté dans la province intérieure de Tete, afin d’y exploiter la mine de charbon de Moatize (pour un investissement total de deux milliards de dollars).
En premier niveau de lecture, tout laisse à penser que la ville de Tete (180 000 habitants) a connu un véritable boom durant les années récentes, alimenté par un exode rural – y compris d’étrangers issus notamment du Zimbabwe voisin en crise – et l’apparition de nombreux commerces, hôtels et services (en particulier bancaires). Mais un second niveau de lecture amène plus de prudence sur l’impact véritable de la venue du géant industriel dans cette zone globalement pauvre.
Pour Vale comme d’autres grands groupes, le tapis rouge a été déroulé par le gouvernement (Barroso, 2012). Aussi bénéficie-t-il d’importants avantages, comme une réduction de 15 % sur la taxe sur le chiffre d’affaires (pendant les dix premières années d’exercice), une baisse de la moitié de l’impôt sur les acquisitions de terrain, mais également une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée, de droits de douane et d’impôts sur le revenu à l’endroit de ses salariés étrangers.
Localement, des populations ont été expropriées. La contrepartie en a été des promesses de relogement qui ne furent qu’imparfaitement tenues : les nouvelles habitations à Catame comportent des vices de construction et d’autres résidents attendent toujours sous des tentes. En janvier 2012, la situation a dégénéré en des blocages, diligentés par les habitants mêmes, de la ligne de chemin de fer servant au transport du charbon jusqu’à Beira, au grand dam de l’entreprise minière.
L’entreprise fait en outre relativement assez peu travailler l’économie locale, en construisant elle-même ses routes et infrastructures en cas de besoin urgent. Lorsqu’elle passe des contrats avec des compagnies locales, il s’agit à ce moment de sociétés bien établies comme CETA Engenharia e Construção, dont l’actionnaire principal n’est autre que l’ex-président mozambicain Armanda Guebuza (affublé du sobriquet de « Guebusiness » dans le pays, tant ses relations avec le monde des affaires, ses réseaux et sa présence dans de nombreuses holdings sont intenses). Le clientélisme et les conflits d’intérêts sont donc une autre des tares du Mozambique, même si depuis 2012, le pays a adhéré à l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE) et a adopté une loi sur l’intégrité publique interdisant aux députés de diriger des compagnies d’État.
D’autres cas d’accaparement du foncier en zone rurale existent et sont montrés du doigt (Amigos de Moçambique, 2011) : ainsi, au sein des provinces de Niassa, de Cabo Delgado, de Nampula et de Zambezie, l’État mozambicain a concédé en 2009 l’usage de six millions d’hectares de terres à de grands exploitants agricoles brésiliens. Ces latifundiaires du Cerrado peinent à s’étendre dans leur pays du fait de la législation environnementale. Ils viennent ici cultiver du soja, du coton et du millet en payant une rente annuelle (et en embauchant en principe localement). A terme, il en va de l’essor de la culture industrielle – bien qu’au détriment de la qualité des sols –, dans un pays qui connaît encore des crises alimentaires. Des entreprises chinoises s’illustrent par ailleurs dans les provinces de Tete et de Gaza : contre du matériel et de meilleurs revenus, de nombreux petits agriculteurs mozambicains sont enclins à couper – souvent illégalement – des forêts primaires (Dijkstra, 2015). Pour les négociants, se fournir ici (moyennant pots-de-vin…), leur permet d’éviter les coûts d’obtention d’une licence d’exploitation et l’obligation de replanter les arbres.
D’une manière générale, le Mozambique reste critiqué pour sa corruption larvée : aussi se classe-t-il au 116ème rang sur 178 pays en 2010, selon Transparency International [4]. Gérer équitablement les ressources du pays est devenu un impératif et pas uniquement d’un point de vue économique. Car des réminiscences de tensions, voire de conflits, sont de nouveau d’actualité ces derniers temps. Nous pouvons mettre en exergue trois exemples :
- Au centre et au nord, les vétérans de la Renamo et son leader Afonso Dhlakama font encore et plus que jamais parler d’eux au travers de déclarations enflammées et de vives piqûres de violence sur le terrain. On peut pêle-mêle évoquer, entre 2012 et 2016, les attaques d’un commissariat et de divers convois, la remise en cause du processus de paix, les boycotts et même des velléités de sécession…
- Y compris dans les régions du sud a priori plus avantagées, une économie souterraine et une criminalité se nourrissent des fortes inégalités ambiantes : des cas d’enlèvements crapuleux d’entrepreneurs locaux (souvent d’origine pakistanaise), mais aussi, depuis peu, de parents proches d’étrangers expatriés existent. Ainsi, rien qu’entre 2011 et 2012, ce sont 14 personnes qui ont été enlevées et on a pu dénombrer un total de 40 personnes en 2013, ce qui a mené le gouvernement à constituer une force d’interposition spécialisée (devant aussi les pressions des groupes étrangers…).
- Enfin, il convient de rappeler les révoltes urbaines contre la vie chère, qui ont pu éclater de façon sporadique (Pioerron, 2010). Contre l’augmentation des prix des matières premières et ceux des transports publics, les rassemblements de Maputo en 2010 ont dégénéré. Les tirs à balles réelles de la police ont fait un total de 7 morts et 288 blessés.
Complément 3 : Renamo/Frelimo : un climat politique toujours très tendu
On aurait pu penser que la Renamo était un parti politique en déclin, car vieillissant et avec assez peu de représentativité politique et intellectuelle. De même, il était concurrencé depuis peu par un nouveau parti, le MDM, « Mouvement Démocratique du Mozambique », mené par Daviz Simango, le maire de Beira depuis 2003 (le MDM a notamment conquis la deuxième ville du pays, mais aussi Quelimane et Nampula lors des élections intermédiaires de 2011). Il a ainsi été dit que le MDM était en train de « siphonner » l’électorat de la Renamo et que ce dernier jouait sa survie…
Or, les élections générales d’octobre 2014 ont repositionné la Renamo sur l’échiquier politique car le parti est arrivé second avec un solide score de 36 % (derrière le Frelimo et ses 57 % mais devant le MDM et ses 6,5 %) [a]. La matérialisation spatiale de ce score est éminemment révélatrice des enjeux territoriaux car elle concerne les provinces intérieures et septentrionales, assez loin de l’orbite de Maputo.
Les discours critiques voire belliqueux de la Renamo restent très populaires dans cette partie du pays. Ils évoquent les forts différentiels de développement existants (Sautreuil, 2013) et portent des revendications sur une meilleure représentativité politique (le Frelimo étant perçu comme corrompu, autoritaire et gangréné par l’affairisme), un partage des fruits de la croissance et un véritable rééquilibrage territorial.
Le blocage politique est toujours d’actualité, car après avoir accepté de participer aux élections – et négocié une série de postes dans la police et l’armée –, la Renamo a tout d’abord refusé de reconnaitre les suffrages sortis des urnes (évalués comme modérément démocratiques par les observateurs déployés sur place…). Son leader réclame maintenant rien moins que la création d’une république autonome séparatiste dans les contrées centre et nord du Mozambique (on le rappelle riches en gaz).
L’assassinat de l’universitaire et avocat Gilles Cistac en mars 2015 n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. De nombreux observateurs le « relient » au fait que celui-ci était très critiqué par le gouvernement Frelimo – il avait qui plus est reçu des menaces de mort – en défendant notamment le caractère constitutionnel du projet de décentralisation porté par la Renamo.
3. Le Mozambique : PMA en sortie ou « Pays Mal Avancé » ?
Le Mozambique demeure l’un des pays les plus pauvres d’Afrique. Certaines données sont implacables. Son PIB par habitant est de 593 dollars en 2013, ce qui le situe dans les abîmes des classements internationaux. Le rapport du PNUD sur le développement humain le classe en 2012 en 185ème position (sur 187 pays classés) avec une valeur de 0,327. Avec un seuil fixé à 0,65 US$ par personne et par jour, 54,7 % de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté. L’annulation de sa dette auprès des institutions mondiales et de certains pays (G8, FMI, Japon, France…), aussi favorablement qu’on puisse la juger, est tout autant un cruel révélateur. Par ailleurs, rappelons que le pays demeure frappé par des pandémies importantes comme la tuberculose, le choléra et surtout le sida (à l’instar de l’Afrique australe), tandis que l’une des premières causes de mortalité est le paludisme. Il subit de surcroît des catastrophes naturelles chroniques qui aggravent le mal-développement (Foley, 2007) : sécheresse, cyclones et surtout inondations dans la zone centre exposée aux grandes crues.
Ce constat justifie le fait que, selon la dénomination de l’ONU, le Mozambique fasse partie de la liste des pays les plus en difficulté de la planète. Cela étant, son profil socio-économique est disparate alliant, on l’a dit, forte croissance et investissements récents à haut niveau de pauvreté et inégalités héritées. Car le Mozambique contemporain, s’il se caractérise par des contrastes spatiaux inscrits à différents niveaux d’échelles (lesquels ont évolué dans le temps et continuent de le faire), n’est nullement un pays marginalisé et semble bel et bien dans une spirale économique libérale. D’où une double question qui peut être suggérée. Une première un brin provocatrice : est-ce que le terme de PMA se prête réellement à la situation du pays ? Et une seconde prospective : à terme, sera-t-il toujours pertinent de le classer en tant que pays parmi les plus pauvres au monde ? Formulé autrement, le Mozambique finira-t-il par échapper aux éléments de catégorisation statistiques des PMA ? Cela présumerait que la croissance économique, forcément homogène et salutaire, aura fini via un effet de ruissellement par impacter favorablement l’emploi et le développement local. Ce questionnement n’est d’ailleurs pas spécifique au seul Mozambique : c’est bien une certaine catégorisation du monde et en l’occurrence ici des PMA qui gagne à être critiquée. Selon les critères de certaines institutions, des situations nationales peuvent de la sorte se retrouver quelque peu figées, nonobstant les dynamiques et processus locaux qui les traversent.
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Pour le Mozambique, l’ensemble des indicateurs sont cumulés. Il s’agit donc stricto sensu d’un PMA. Cependant, un rapport de l’ONU de 2013 affirme que les flux des IDE vers les PMA ont augmenté de 20 % en 2012, enregistrant à ce moment un record de 26 milliards de dollars… Et que quelques pays en ont le plus profité : excepté le Cambodge, ce sont cinq pays africains : la République démocratique du Congo (RDC), le Libéria, la Mauritanie, l’Ouganda et le Mozambique précisément. À l’analyse, on pourra donc arguer qu’il ne s’agit nullement, en tout cas pour certaines parties de son territoire, d’un isolat souffrant d’une absence de contacts avec les pays développés et émergents : il n’est pas possible de considérer le Mozambique comme à l’écart des flux de la globalisation, loin s’en faut. Comme d’autres États africains, il connaît une dynamique de flux d’investissements et de « primarisation » de son économie. Ses faiblesses politiques et institutionnelles ne sont également pas à mettre sur le même plan que par exemple la République Centrafricaine ou le Soudan du Sud, englués il est vrai dans leur vif problème de conflits internes : la première a subi trois guerres civiles dont la dernière en 2013, le second un conflit intérieur sanglant deux ans seulement après son indépendance du Soudan en 2011. Malgré les tensions locales, on ne va pas parler pour ce pays, à l’aune de ces 15 dernières années, de violences civiles généralisées, même si les déclarations sont parfois ardentes et que des dérapages existent… Le Mozambique reste un État localement pauvre, mais économiquement mondialisé.
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À ce jour, parler de PMA en sortie est sans doute prématuré pour le Mozambique. Certes, il est indéniable que la croissance et les investissements y sont massifs et probablement pas prêts de s’arrêter. Pour le docteur A. Karki, coordonnateur international de LDC Watch (une alliance mondiale de la société civile focalisée sur les questions de développement et les préoccupations des PMA), ce sont certes les pays riches en ressources qui reçoivent des flux d’IDE. Cependant, les investissements sont surtout élevés dans le secteur extractif, composant dès lors une rente pouvant être vue comme des « flux de revenus déconnectés d’activités de production situées dans les territoires bénéficiaires » (Magrin, 2013). Il s’agirait à l’en croire d’une tendance guère encourageante puisque cela renforce la croissance guidée par les produits de base qui n’est guère durable : dépendre des exportations est un vrai risque en cas de retournement de la conjoncture. Les investissements seraient en revanche les bienvenus dans les secteurs de la fabrication, des infrastructures et des services de base tels que la santé, l’eau et l’assainissement, l’électricité et les communications, ce qui ramène aussitôt au rôle de la puissance publique (mais aussi des bailleurs)… [6] Mieux redistribuer ses futures richesses (gaz, charbon…), gage de croissance dans la stabilité, est le vrai défi du Mozambique (Bucuane, Mulder, 2007). A cette fin, le pays peut apprendre d’exemples repoussoirs notoires : sur le continent, ils se nomment Angola ou Nigéria (Stiel, 2013). Là, l’afflux de pétrole a davantage encouragé la corruption, les ingérences étrangères et les mécanismes de prédation avec apparition de phénomène de différenciation – voire de fracturation – spatiale. À l’inverse, d’autres exemples sont sans doute à suivre. Bien sûr, le cas de la Norvège est souvent mis en avant dans les sphères diplomatiques afin d’y rappeler la bonne gestion des ressources énergétiques. Le pays est connu pour avoir créé un fond souverain idoine ; le Mozambique pourrait s’en inspirer pour allouer par exemple 1% de ses revenus gaziers à un fond dédié aux dépenses sociales, de santé et d’éducation. Mais plus proche de lui, le contexte ghanéen pourrait, de la même manière, lui rappeler qu’une manne – ici pétrolière – peut tout à fait être réorientée vers certains secteurs, en l’occurrence celui agricole. Notons au final quelques avancées in situ :
- Un aspect très symbolique tout d’abord : dans le domaine de l’emploi local lié aux mégaprojets, un des plus grands fabricants de câbles d’aluminium au monde, Midal de Bahreïn, a implanté une usine dans la zone franche de Beluluane en périphérie de Maputo. Pour la première fois, on s’approvisionne localement directement auprès des lingots de Mozal. D’un montant de 16 millions de dollars, le projet entend employer des centaines de Mozambicains. Au total, ce sont 471 petites et moyennes entreprises mozambicaines qui, à l’année 2013, ont souscrit à des contrats auprès des mégaprojets nationaux (AIM, 2013a). Le pays ambitionne d’attirer davantage de petits investisseurs étrangers – via d’analogues incitations fiscales ainsi que des procédures réglementaires facilitées – en lien avec la logistique des mégaprojets [7]. À terme, il s’agira aussi de renforcer les liens avec les industries nationales…
- La même année, le gouvernement mozambicain a lancé son « National Investment Plan for the Agrarian Sector » (PNISA), couvrant la période 2013 à 2017 et qui est abondé par une somme de 4 milliards de dollars (AIM, 2013b). Financée en partie par la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, l’Union européenne, les États-Unis et le Japon, le plan couvre les champs de la production locale, l’accès au marché, la sécurité alimentaire et la nutrition, au sein d’un pays où 88 % des ménages dépendent de cette activité (qui emploie aussi 81 % de la population active).
Conclusion
Pour clore cette contribution, nous pouvons rappeler que quantité de zones de potentialités sont en train d’éclore sur l’actuel territoire mozambicain, par le double jeu de l’ouverture du marché et d'une polarisation économique sectorielle. Deux remarques sont à formuler : d’une part, la zone sud n’est plus uniquement celle concernée, en particulier la région autour de Maputo [8]. D’autre part, il semble souvent s’agir d’un essor sous forme d’enclaves à fort liens exogènes, reliés par des corridors utilitaires, le tout dans une logique de développement extravertie sous la houlette de majors internationaux et/ou d’États polarisants.
Pour répondre à l’une de nos problématiques de départ, les nouvelles dynamiques du Mozambique sont donc relativement en phase avec les transformations de la zone Afrique australe (polarisée par l’Afrique du Sud), et plus généralement avec les niveaux de croissance économique relativement hauts dans la zone subsaharienne. Ces dynamiques ont aussi des singularités liées à l’attractivité économique du Mozambique. D’abord, il reste perçu comme un Etat stable macroéconomiquement, ainsi que multipartite et démocratique. Sur le terrain, la relativisation voire la remise en cause de ces deux aspects est palpable… Mais si on ajoute son immense potentiel énergétique, le pays, à extrêmes, demeure tiraillé entre d’un côté une réelle impulsion économique, très inégale et partiellement déconnectée, et de l’autre de vifs enjeux de développement sur un territoire incarnant les « Suds ».
L’effet d’entraînement sur les régions d’implantation devra être évalué : dans l’immédiat, une large partie du Mozambique peut être qualifiée de territoire sous-développé. Le Mozambique illustre bien ce hiatus que l’on observe fréquemment entre croissance et développement. Toutefois, il serait vain de complètement opposer les deux, comme il est aussi incohérent d’homogénéiser et de distinguer la population locale soumise d’un côté, des acteurs extérieurs influents de l’autre. Même si très inégalement, certaines parties du territoire se développent. Les mégaprojets ont crée au total 5 000 emplois dans le pays, pour une population active il est vrai de 9 millions (CNUCED, 2013). Les objectifs de rentabilité des géants industriels ne sont pas forcément les mêmes que ceux des bailleurs et des ONG, par ailleurs très actifs sur le terrain et conservant un fort capital confiance. Quant au pouvoir Frelimo, bien que contesté, il garde un leadership au niveau décisionnel et ce sur une grande partie du maillage local (qu’essaie de lui arracher au centre et au nord la Renamo). Ginisty et Vivet (2012-13) ont même pu parler de « verrouillage territorial » dans le cas de la métropole de Maputo. Qui plus est, le pouvoir en place est étroitement connecté au milieu des affaires par l’entremise de sociétés de gestion. Les conflits d’intérêts ne sont d’ailleurs pas loin. Mia Couto a bien décrit l’influence d’une classe de nouveaux riches mozambicains, les oligarques, qui a émergé au cours de la décennie 1990 avec les privatisations et l’octroi de terres. Enfin, si la croissance demeure technique, une classe aisée mais aussi une timide classe moyenne – lucide et souvent très critique comme peut l’être aussi la presse locale… – existe tout de même dans le sillage des bouleversements récents.
Pris dans sa totalité, le Mozambique peut encore être considéré comme un PMA, mais mouvant, avec des différenciations territoriales qui s’exacerbent, ainsi que des inégalités et des tensions flagrantes. Les expressions de Pays « Mal », « Modestement » ou finalement « Miraculeusement » Avancé seraient dès lors autant de suggestions possibles, selon bien évidemment le gradient d’optimisme qu’on voudra lui accorder et la direction vers laquelle porte notre regard.
Pour compléter
Ressources bibliographiques
- Almeida-Santos, A., Roffarello, L. M., Filipe, M., 2016, Mozambique 2016, BafD/OCDE, perspectives économiques en Afrique, 15 p.
- Amigos de Moçambique, 2011, « Le Mozambique brade-t-il ses terres en faveur des latifundiaires brésiliens ? », Agriculture, dimanche 28 août 2011, par Patrice Dx ;
- Augé, B., 2014, « Le gaz au Mozambique, une évolution économique à haut risque », Note de l'Ifri (Institut Français des Relations Internationales), programme Afrique subsaharienne, avril 2014.
- Avila, J., 2012, Développement et lutte contre la pauvreté : le cas du Mozambique, L’Harmattan, études africaines, 204 p.
- Barroso, M., 2012, « Mozambique : charbon et développement ? », Deutsche Welle, (DW), Afro-presse (hebdomadaire), Edition: Georges-Ibrahim Tounkara.
- Bénazéraf, D. 2016, « Les Chinois en Afrique : les investissements dans le secteur de la construction », Géoconfluences, 2016, mis en ligne le 14 février 2016.
- Bucuane, A., Mulder, P., 2007, « Exploring Natural Ressources in Mozambique: will it be a blessing or a curse? », Discussion papers, N° 54E, Direcção Nacional de Estudos e Análise de Políticas, Ministério da Planificação e Desenvolvimento, 49 p.
- Cahen, M., 1993, Mozambique, histoire géopolitique d’un pays sans nation, Technical report, CNRS-Centre d’étude d’Afrique noire / Institut d’études politiques de Bordeaux.
- Dijkstra, A., 2015, « Nouveaux ravages chinois dans les forêts du Mozambique », Le Monde, Contribution Le Monde Afrique au Mozambique, le 22 mai 2015.
- Foley, C., 2007, Mozambique: A case study in the role of the affected state in humanitarian action, Humanitarian Policy Group (HGP), Overseas Development Institute (ODI), 36 p. En anglais.
- Folio, F., 2011, « Que nous apprennent les initiatives écotouristiques en Afrique australe ? Leçons d’expériences croisées en Afrique du Sud et au Mozambique », in Géoconfluences, Les nouvelles dynamiques du tourisme dans le monde.
- Folio, F., 2008, « Regards sur le Mozambique contemporain », in EchoGéo [En ligne], 7 | 2008, mis en ligne le 10 octobre 2008, consulté le 25 juin 2014.
- Foucher, M., 1991, Fronts et frontières, un tour du monde géopolitique, Fayard, 527 p. (2e édition).
- Ginisty, K., Vivet, J., 2012-13, « Territorialités d’un parti politique en ville - L’exemple du Frelimo à Maputo, capitale du Mozambique » in L’Espace Politique [En ligne], 18 | 2012-3, mis en ligne le 22 novembre 2012, consulté le 11 mars 2015.
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- Rapport 2013 sur les Pays les Moins Avancés, Une croissance créatrice d’emplois pour un développement équitable et durable, 2013, CNUCED, Publications des Nations Unies.
- Sautreuil, N. 2013, « Un gaz toxique pour le Mozambique ? », Perspectives Internationales, 9 juin 2013.
- Stiel, N., 2013, « Son gaz permettra-t-il au Mozambique de sortir de la pauvreté ? », publié le 27 septembre 2013, Challenges, Monde.
- Té-Léssia, J., 2014, « Forte remontée des "nouveaux" investissements directs étrangers en Afrique », Jeune Afrique, Finance.
- Vivet, J. 2012, Déplacés de guerre dans la ville. La citadinisation des deslocados à Maputo (Mozambique), Paris, Karthala, 366 p.
Sites utiles
- Banque Mondiale, « World Development Indicators », Washington, D.C.: World Bank. Consulté en 2013.
- France-Diplomatie, 2014, « Présentation du Mozambique », mise à jour le 02 janvier 2014.
- Human Development Report 2005, 2007, PNUD en partenariat avec le SARDC, l’Information Science Research Institute (ISRI) en collaboration avec l’INE (Instituto Nacional de Estatística). En français.
- Organisation des Nations Unies, « Pays les moins avancés, Aperçu » (en français) et Liste des pays les moins avancés (en anglais).
Fabrice FOLIO,
Maître de conférences à l'université de La Réunion.
conception et réalisation de la page web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cet articleFabrice Folio, 2017, « Dynamisme et réorientation territoriale au Mozambique : un PMA en sortie ? », Géoconfluences, janvier 2017. |
Pour citer cet article :
Fabrice Folio, « Dynamisme et réorientation territoriale au Mozambique : un PMA en sortie ? », Géoconfluences, janvier 2017.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/afrique-dynamiques-regionales/articles-scientifiques/mozambique-pma-en-sortie