La Chine : cadrage scientifique et pédagogique
Nathalie Reveyaz, agrégée de géographie, IA-IPR d'histoire-géographie - académie de Grenoble
1. Cadrage scientifique
Le régime politique chinois n’est certes plus totalitaire – s’immisçant jusque dans la vie privée de ces citoyens –, mais il reste largement autoritaire, verrouillant les questions « patriotiques » et sécuritaires, contrôlant tout débat de nature revendicative ou même interrogative sur des questions devenues essentielles comme la pollution urbaine. L’un des nœuds majeurs du défi chinois en interne – et peut-être l’une de ses forces en externe – est le rôle toujours prégnant du politique dans l’économique, hier directement, aujourd’hui plus indirectement après la « privatisation », notamment dans les secteurs productif et commercial, d’un bon nombre d’entreprises collectives et publiques – mais dont l’autorité administrative ou l’une de ses structures affidées peuvent rester l’actionnaire principal. La politique officielle de l’actuel Président Xi Jinping de lutte contre la corruption et de mise au pas des autorités locales ne fait que souligner cette continuelle opacité du monde des pouvoirs en Chine continentale. Les crises boursières à répétition, sonnant le glas des Trente Glorieuses ébranlées lors de la crise de 2008, n’en sont que les indices, provoquant toutefois des soubresauts d’amplitude désormais mondiale. L’autre face de ce Janus économique, la plus connue à l’extérieur parce que nous en sommes devenus solidaires mais certainement aux yeux de Pékin moins impérative au vu des difficultés intérieures actuelles, est en effet la place d’acteur mondial que son émergence économique, géopolitique et culturelle à l’échelle de la planète lui a offerte.
Pour autant, une autre vision de l’État chinois est également possible, et s’impose progressivement avec les champs récemment ouverts et l’approfondissement des recherches sur ce pays. Comprendre la Chine exige aussi de savoir pourquoi « ça marche », comment une urbanisation devenue majoritaire, l’apparition d’un classe moyenne et le développement d’une société de loisirs pour un grand nombre ont pu se faire jour, quelle est la part de l’autorité publique dans les dynamiques de modernisation économique et sociale. Si la Chine doit aujourd’hui faire face à des défis, des mécontentements voire des révoltes issus des réformes elles-mêmes, si elle est engagée dans un temps de « post-réformes », autant remonter aux origines du développement et aux projets de modernisation portés par les acteurs publics et privés, aux différents échelons de l’État, et souligner la multiplicité des stratégies, enjeux et intérêts des différentes instances intra-étatiques : l’État local reste un acteur décisif en positif comme en négatif - à la fois favorisant la croissance de son territoire et négligeant souvent les conséquences sociales et environnementales de cette même croissance -, quand l’État central se pose en réformateur, en aménageur à l’échelle du pays, voire en garant des valeurs d’équité et de « civilisation » - parfaits instruments en retour de son omniprésence autoritaire auprès non seulement des citoyens mais aussi des cadres locaux.
Enfin, une autre dimension doit être soulignée en ce début de XXIe siècle. Le temps n’est plus à l’ouverture – les années 1980 –, ni même à la diffusion du développement vers l’intérieur à travers un aménagement du territoire national – les années 1990 et 2000. La Chine aménage aujourd’hui son territoire à une autre échelle que lui-même. Les routes de la soie, et notamment les routes terrestres destinées à relier la Chine à l’Asie centrale, la Russie et l’Europe occidentale, donnent la mesure d’une géoéconomie chinoise d’échelle dorénavant globale. Pékin, pilote et pivot d’un territoire mieux que national ou même continental, d’un territoire globalisé, consacre une extraversion prudemment choisie hier, pleinement assumée aujourd’hui.
Ce dossier a essayé de faire le point sur un certain nombre de questions de la Chine très actuelle. Il comprend la contribution de chercheurs confirmés, de jeunes docteurs et de doctorants. Il est en cela, à son échelle, une vitrine de la richesse de la recherche française sur la Chine et notamment de l’essor des recherches en géographie ces dernières années. Nous avons ainsi réuni sept articles dans l’ordre suivant :
- La fin des trois Chine ?, par Thierry Sanjuan
- L’image de propagande dans la ville, par Léo Kloeckner
- La métropolisation chinoise et les villes nouvelles, par Carine Henriot
- Les autorités publiques et la modernisation agro-industrielle, par Étienne Monin
- Les réactions sociales face aux défis environnementaux, par Sébastien Goulard
- La puissance chinoise après la crise de 2008, par Jean-Pierre Cabestan
- Les Chinois, faiseurs de villes africaines, par David Bénazéraf
2. Cadrage pédagogique : la Chine dans les programmes de géographie de l’enseignement secondaire (2016)
L’étude de la Chine et de son territoire est installée dans les programmes scolaires. Pour la géographie, le cadre est celui de la mondialisation. La Chine est abordée comme un acteur clef du monde globalisé. De fait, la Chine et le territoire chinois au sens large et à différentes échelles sont le support privilégié d’études de cas ou d’exemples pour comprendre les mécanismes, les processus, les stratégies et les enjeux d’une géo-économie à l’échelle globale.
Premier angle d’approche, la Chine est étudiée comme acteur clef de la mondialisation (en quatrième : thème « Les puissances émergentes », en terminale ES-L et S dans « Les dynamiques de la mondialisation », en terminale STMG – ST2S : « Les territoires dans la mondialisation », en première baccalauréat professionnel : « Pôle et aires de puissances »). À son rôle d’acteur, on associe les facteurs et les effets spatiaux et territoriaux en termes de commandement et de fonctionnement du processus de mondialisation (par exemple en quatrième : « Les espaces majeurs de production et d’échanges »).
La mondialisation et son corollaire, la polarisation, notamment le développement du fait urbain et de la métropolisation s’illustrent abondamment par des exemples chinois. Les villes chinoises, Shanghai en particulier, sont des supports d’étude privilégiés pour comprendre une ville mondiale (par exemple en terminale STMG – ST2S comme sujet au choix dans le thème « Les territoires dans la mondialisation »).
Le rapport à la Chine et à son territoire est prégnant dans le parcours des élèves pour construire et faire appréhender la complexité du processus de la mondialisation comme ses mutations. Il est essentiel de considérer pour cet acteur les dynamiques territoriales et l’échelle à laquelle les dirigeants chinois les développent.
Deuxième angle d’étude, la Chine et ses choix politiques en réponse aux défis et aux enjeux de sa population, de sa croissance dans une problématique de changement global.
La Chine, du fait du nombre, est un passage obligé pour l’étude des défis posés par le changement global comme par les mutations liées à la mondialisation. Ainsi dans les programmes scolaires, elle se trouve être le support privilégié des études de cas sur les enjeux démographiques de la gestion de la croissance à la gestion du vieillissement (en classe de sixième dans le cadre des grands foyers de peuplement, en classe de cinquième thème 2 - Les dynamiques de la population et le développement durable ), et des besoins liés à la population, sur la question des ressources et de la gestion des déchets (en classe de seconde générale dans le thème « Gérer les ressources terrestres », en seconde baccalauréat professionnel : «L’enjeu énergétique » ). Les stratégies chinoises extraverties et encadrées sont alors à comprendre dans une dynamique globale au sein de la mondialisation (terminale ES-L et S – Thème 2 : « Les dynamiques de la mondialisation » ou dans la question sur « L’Afrique : les défis du développement »). La métropolisation, les enjeux comme les défis de la croissance urbaine peuvent être abordés en classe de sixième (« Habiter la ville ») ; ils sont approfondis en classe de seconde (« Ville et développement durable »), et en classe de terminale ES-L et S. Ils sont abordés lorsque la ville de Shanghai est étudiée.
Les programmes d’histoire permettent aux professeurs de s’engager dans une démarche de géohistoire. Ainsi en terminale, l’étude des chemins de la puissance permet de mieux appréhender le rôle de l’État, la vision géopolitique et culturelle actuelle de la Chine comme sa rivalité ancestrale avec le Japon (classe de terminale ES-L et S « Japon - Chine : concurrences régionales, ambitions mondiales »). En classe de sixième, la question « la Chine des Han à son apogée » du thème « Regards sur des mondes lointains » prépare ou peut être réactivée en classe de quatrième. La question de la Chine en classe de première des séries STD2A, STL et STI2D croise les approches géohistorique et géographique autour de la mondialisation et des questions démographiques ou urbaine par l’étude de Shanghai.
Les nouveaux programmes de collège – BO spécial n°11 du 26 novembre 2015 – dans leurs repères annuels de progression reprennent ces deux entrées d’acteur de la mondialisation et des choix politiques pour répondre aux défis dans une problématique de changement global. La démarche en géohistoire peut également être envisagée.
Le dossier thématique « La Chine, la modernisation encadrée d’un territoire global » permet d’enrichir, d’actualiser les approches en considérant les nouvelles orientations des acteurs de la puissance chinoise ainsi que leurs stratégies. L’article de Thierry Sanjuan La fin des trois Chine ? est particulièrement utile pour l’étude de la Chine comme acteur de la mondialisation et la compréhension de sa stratégie territoriale. Les articles de Jean-Pierre Cabestan, Les relations internationales de la Chine après la crise de 2008 et de David Bénazéraf, Les Chinois, faiseurs de villes africaines, éclairent sur la stratégie de puissance de la Chine.
Pour renouveler l’approche de la ville et des problématiques de la métropolisation en Chine, les deux articles - L’image de propagande en Chine, outil du contrôle social : le cas de Pékin, de Léo Kloeckner et Métropolisation chinoise et villes nouvelles : l’exemple de l’aménagement polycentrique de Shanghai, de Carine Henriot - permettent de comprendre les nouveaux enjeux et orientations des acteurs publics.
Enfin, les deux articles - Les autorités publiques et la modernisation agro-industrielle d’Étienne Monin, Les réactions sociales face aux défis environnementaux de Sébastien Goulard éclairent la difficile articulation des volets économiques, sociaux et environnementaux du développement chinois dans une économie globalisée.
Thierry Sanjuan et Nathalie Reveyaz, 2016.
Pour citer cet article :
Thierry Sanjuan et Nathalie Reveyaz, « La Chine : cadrage scientifique et pédagogique », Géoconfluences, mars 2015.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/la-chine/cadrage-et-problematiques-generales