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Le port sec de Xi’an : un aménagement logistique entre développement local et insertion de la Chine dans la mondialisation

Publié le 20/09/2024
Auteur(s) : Benjamin Claverie, géographe - académie de Bordeaux

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Son port sec fait de Xi’an, métropole du centre de la Chine, un pôle logistique majeur. Relais ferroviaire et routier entre les ports du littoral et la Chine occidentale, cet équipement multimodal est un jalon central des nouvelles routes de la soie et des relations commerciales entre la Chine et son voisinage eurasiatique. Il voit passer chaque année un nombre croissant de trains de marchandises, notamment des conteneurs, des automobiles et des matières premières en vrac.

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Capitale administrative de la province chinoise du Shaanxi, mégapole de 10 millions d’habitants (8,5 millions d’habitants pour la municipalité de Xi’An) en 2022, Xi’an fait partie de ces métropoles qui, aujourd’hui, structurent un intérieur chinois de plus en plus stratégique dans les logiques de puissance du pays. Héritière d’un remarquable patrimoine culturel et architectural en tant que capitale chinoise sous les dynasties Qin, Han puis Tang, elle tient lieu de pôle universitaire et touristique, dont la notoriété est assurée notamment par le musée et mémorial entourant la célèbre armée de terre cuite (IIIe s. av. J.-C.). Centre économique du Shaanxi, province caractérisée par la modestie de son poids dans l’économie chinoise (son PIB égalant 3 277 milliards de yuan en 2022, soit 2,74 % de la production nationale) mais par sa forte industrialisation, Xi’an a d’abord développé la production d’armement à l’époque maoïste, car la ville appartenait à la troisième ligne de défense (Gentelle, 1994 ; Sanjuan et Trolliet, 2010), laquelle permettait de soustraire le complexe militaro-industriel chinois aux menaces soviétiques et états-uniennes durant la guerre froide en l’implantant au milieu du pays. La gamme des activités industrielles présentes à Xi’an se diversifie depuis. Elle comprend l’agro-alimentaire, l’aéronautique, l’aérospatial, la mécanique, l’électronique, les biotechnologies, enfin les énergies renouvelables. Dans ce contexte, Xi’an nécessite un équipement logistique performant. C’est chose faite avec la création d’un port sec, pleinement opérationnel depuis 2018. Comment une initiative locale visant au développement du secteur des transports s’inscrit-elle dans la stratégie chinoise mondialisée des nouvelles routes de la soie (B.R.I.) ? Quel en est le bilan ?

Document 1. Vue du terminal conteneurisé du port sec de Xi’an

port sec de Xi'an

Les conteneurs sont acheminés massivement par train et plus minoritairement par camionnage. Les portiques automatisés qui les manutentionnent sont la propriété de l’entreprise publique chinoise C. R. Intermodal qui bénéficie de la gestion de cette installation logistique. La conteneurisation est au cœur de l’essor des plateformes logistiques et des ports avancés. Cliché : Benjamin Claverie, 11 décembre 2023. Coordonnées : 34,41°N ; 109,06°E.

1. Un aménagement municipal en phase avec une stratégie nationale

Situé au nord-est de l’agglomération de Xi’an à l’intérieur d’un méandre formé à la confluence des rivières Bahe et Wei He, le port sec nommé Xi’an International Trade & Logistics Park est la propriété d’une entreprise publique municipale, à savoir le Comité de gestion de la zone internationale des affaires portuaires de Xi’an ou ITL. Inauguré en 2008, le port sec est désormais l’équipement central de la zone pilote de libre-échange du Shaanxi, fondée en 2017. Dresser l’historique de la genèse de ce projet éclaire la complexité des interactions entre les différents acteurs de l’aménagement en République populaire de Chine, lesquels disposent d’un périmètre de compétence variable à l’échelle territoriale.

Document 2. Le port sec de Xi’an sur image satellite en 2024, et le site en 2006 avant sa construction
Port sec avant la construction (2006) Port sec en 2024

La comparaison des deux images permet de voir l'ampleur actuelle de l'équipement et des travaux nécessaires pour le réaliser : délogement des anciens résidents ruraux, multiplication et élargissement des axes de transports (document 5), notamment du muscle ferroviaire, et création de vastes aires d'entreposage des marchandises : conteneurs, vrac ou encore automobiles (document 7). Source : Google Earth, 2006 et 2024, contient des images Airbus. Télécharger le fichier KMZ.

Ainsi, dès 2001, en écho à la stratégie du Go West de développement des espaces occidentaux au sein de l’immensité chinoise, un expert mandaté par le gouvernement central plaide en faveur d’un projet de port sec qui devrait être implanté dans l’Ouest du pays. Le directeur adjoint de la province du Shaanxi reprend l’idée à son compte et émet le souhait que ce futur port sec ait un rayonnement international afin de stimuler durablement la croissance économique de la ville. Les propos recueillis auprès d’un responsable du port sec lors de notre visite abondent dans ce sens : « s’enrichir nécessite la construction d’infrastructures de transport, notamment un port ». Le groupe portuaire international de Shanghai, pourtant éloigné d’une distance d’environ 1 400 kilomètres, ouvre alors une antenne à Xi’an pour évaluer la faisabilité du projet d’un port-relais au centre de la Chine. Nous retrouvons ici le rôle moteur des ports maritimes chinois dans la construction des ports secs en tant qu’actionnaires majoritaires ou partiels. Remplissant notamment les fonctions de regroupement/éclatement des conteneurs et de leur stockage à court terme dans l’arrière-pays continental, les ports secs deviennent essentiels aux ports maritimes dans l’objectif de réduire leur congestion et d’agrandir leur hinterland. Ainsi, nombre de grands ports maritimes développent une stratégie de prise de contrôle de ces ports intérieurs. Par exemple, le port de Tianjin gère ou collabore avec une trentaine de ports secs situés dans des entités administratives proches (Pékin, Shandong, Hebei) ou traversées par un des axes principaux des nouvelles routes de la Soie (Heilongjiang, Mongolie intérieure, Shanxi, Shaanxi, Gansu, Ningxia et Xinjiang) (Chang, Yang, Wan et Han, 2019 ; Zeng, Maloni, Paul et Yang, 2013). Il en résulte que le vaste arrière-pays du port de Tianjin s’étend à la quasi-intégralité de la moitié nord du territoire chinois. Au Liaoning, les ports de Dalian et de Yingkou se livrent une âpre compétition pour étendre leur arrière-pays : le premier fonde 12 ports secs alors que le second en installe 13 (Wu et Yang, 2018). Afin d’apaiser cette vive concurrence portuaire susceptible d’engendrer une dissipation des investissements et des surcapacités portuaires, le comité central provincial du parti communiste, les autorités provinciales et l’entreprise transnationale China Merchants parviennent à fonder le groupe portuaire du Liaoning en janvier 2019, lequel regroupe les ports maritimes de Dalian, Yingkou, Dandong, Panjin et Suizhong (Liaoning Port Group, 2024). La carte des ports secs auquel le groupe portuaire fait appel est restructurée (document 3). L’arrière-pays prioritairement desservi est de taille régionale. Il correspond au Nord-Est de la Chine, bien que deux autres axes de transport soient privilégiés : le premier allant en direction de la province du Shandong, le deuxième empruntant la Nouvelle route de la Soie vers le Xinjiang.

Document 3. Les ports secs en Chine du Nord : l’exemple de deux réseaux polarisés par Tianjin et par le groupe portuaire du Liaoning

carte des ports secs en chine du nord

Concernant Xi’an, dès 2005, le Bureau du port sec réalise une première esquisse de cet aménagement logistique. Finalement, en 2008, le préfet, estimant que la construction du port sec s’avère trop lente, fait transférer la propriété de la zone aménageable du district de Baqiao à la ville de Xi’an. Considérant que la période 2008-2018 constitue la première étape de l’aménagement du port sec de Xi’an et que de nouveaux progrès doivent être réalisés, son propriétaire projette actuellement d’en faire évoluer la gouvernance. Ainsi, la zone gérée par ITL pourrait fusionner avec le district de Baqiao et intégrerait la Zone écologique de Chanba, laquelle a été établie en 2004 pour développer les services, le tourisme et la culture sur fond de protection de l’environnement. Ce sera alors l’occasion de planifier un nouveau projet d’aménagement multifonctionnel et de plus grande envergure.

De son côté, le gouvernement chinois soutient officiellement le développement du port sec de Xi’an, comme en témoignent les paroles de Xi Jiping lors de sa visite en 2018. Celles-ci ornent désormais l’entrée du bâtiment administratif du Xi’an International Trade & Logistics Park : « La construction du centre d’assemblage des trains de marchandises Chine-Europe (Xi’an) vise à accélérer la formation d’un corridor, d’une plaque tournante du commerce et de la logistique, d’une base d’industries importantes et d’échanges culturels orientés vers les pays d’Asie centrale, du Sud et de l’Ouest, tout en établissant un passage efficace, à faible coût et offrant des services de qualité pour le commerce international dans les régions intérieures ».

Document 4. Le port sec de Xi’an, un aménagement structurant à l’échelle de l’agglomération, et en position nodale à l’échelle de toute la Chine intérieure

Le port sec de Xi'an

2. Une adaptation permanente à la concurrence

Confronté à une concurrence aiguë en raison de l’existence de plus de 70 ports secs en Chine, ITL est contraint de proposer des services hautement performants à ces clients. S’il pratique le transport multimodal, ITL donne sa préférence au transport ferroviaire, lequel permet de limiter le temps et le coût de l’acheminement et d’en accroître le périmètre. Ainsi, nonobstant la guerre en Ukraine qui a obturé une partie des axes ferroviaires à travers l’espace ex-soviétique, le transport ferroviaire entre Xi’an et Hambourg dure moins de dix jours, en empruntant le corridor transcaspien des nouvelles routes de la soie, malgré deux ruptures de charge imposées par le franchissement de la Caspienne et de la mer Noire. ITL veille scrupuleusement au départ à l’heure des trains spécialisés. Du reste, l’entreprise possède ses propres conteneurs qu’il confie à des transporteurs ferroviaires d’État parmi lesquels CRIntermodal se distingue. En effet, c’est C. R. Intermodal qui est propriétaire des huit portiques automatisés dernier cri installés sur les trois quais pour manutentionner les conteneurs. Le recours à cette entreprise de logistique est rationnel dans la mesure où il sert l’intégration de Xi’an aussi bien dans le réseau des dix-sept autres ports secs que CRIntermodal gère sur le territoire chinois que dans celui des nouvelles routes de la Soie, dont cette entreprise est un opérateur important.

Xi’an est l’unique port sec chinois bénéficiaire des codes internationaux pour le transport intérieur et international, ce qui lui confère un précieux avantage comparatif. ITL propose la numérisation des démarches non seulement pour gagner du temps au moyen d’un dédouanement numérisé, mais aussi offrir aux clients un meilleur suivi des conteneurs livrables en porte-à-porte. Un dernier service permet de promouvoir Xi’an, bien au-delà de sa seule dimension logistique, en tant que pôle majeur de la BRI : les autorités du port sec y édifient une cour d’appel au service des entreprises impliquées dans le commerce international pour trancher les litiges avec le double objectif de promouvoir l’exportation des marchandises et des normes chinoises. Vitrine de la BRI, le port sec de Xi’an applique le principe de réciprocité en faveur de ses partenaires internationaux. Ses dirigeants peuvent de la sorte se targuer de se conformer au slogan « gagnant-gagnant » tant vanté par les hauts dirigeants chinois lorsqu’ils évoquent la BRI auprès de leurs voisins. Le port sec octroie par exemple aux entreprises kazakhes une zone à partir de laquelle elles distribuent leurs produits d’importation en Chine.

La nécessité d’exploiter des installations logistiques aisément accessibles explique que cette entreprise municipale a reçu un mandat pour se muer en acteur de l’aménagement de la zone du port sec. ITL a ainsi initié la construction d’une large infrastructure routière afin que les camions puissent rejoindre facilement le port sec (document 5). L’analyse du développement des territoires situés le long du tracé de la BRI en Chine démontre l’existence d’un différentiel concernant l’aptitude à capter les activités innovantes et à attirer les personnels chevronnés au détriment des ports secs intérieurs exposés à la rude concurrence des ports maritimes (Chen, 2021). Cette situation désavantageuse explique qu’en tant qu’acteur de l’urbanisme de Xi’an, ITL s’efforce aussi de promouvoir l’attractivité paysagère et technologique de la zone qu’elle administre avec l’ambition d’y recruter des personnels très qualifiés indispensables à son insertion dans les nouvelles routes de la soie. C’est pourquoi, dans un double objectif de développement territorial de la ville et d’acception sociale du pôle logistique auprès des populations, ITL a doté la zone du port sec d’un centre sportif, de lieux éducatifs de haut niveau avec la présence de cinq universités provinciales, d’un centre littéraire, d’un centre d’échanges culturels au sein duquel le cinéaste Zhang Yimou a réalisé un spectacle, enfin d’un pôle culturel où une quarantaine de grands concerts ont été organisés.

Document 5. Une large artère routière urbaine pour rejoindre le port sec

axe de communication

L’entreprise ITL agit en tant qu’acteur de l’aménagement de cette zone urbaine nouvelle. C’est à ce titre, que cette large artère a été construite pour permettre l’accès au port sec. Constituée de deux fois six voies, elle est décrite fièrement par l’entreprise comme « aussi large que la place Tian’anmen ». Cliché : Benjamin Claverie, 11 décembre 2023.

3. Connexions modales et développement rapide des trafics

Situé le long de la ligne électrifiée du chemin de fer Longhai reliant le port maritime de Lianyungang au Shandong à Lanzhou au Gansu (document 3), le port sec de Xi’an profite de cet axe majeur de circulation chinois désormais connecté à l’espace eurasiatique. Le premier train au départ de Xi’an dans le cadre de la BRI a roulé en novembre 2013 pour atteindre Almaty au Kazakhstan. Xi’an s’est efforcé de densifier son réseau de partenaires, établissant la connexion à toujours plus de lignes ferroviaires. Vers son port sec convergent 21 lignes ferroviaires nationales pour échanger des marchandises notamment avec les ports maritimes (Shanghai, Lianyungang, groupe portuaire du Shandong) et 17 internationales desservant 45 pays d’Asie centrale et d’Europe.

Depuis 2013, le nombre de trains desservant ce port sec a fortement augmenté, en particulier à partir de 2018 qui fait figure d’année charnière. En 2023, ITL mise sur le chiffre de 5 000 trains annuels. Depuis la mise en service du port sec, on recense environ 20 000 trains cumulés. Ce trafic ferroviaire permet au port de sec Xi’an de traiter annuellement 5,4 millions d’EVP. Ce chiffre fait que le port sec de Xi’an représente 25 % de la capacité nationale d’importation et d’exportation des ports secs en 2023.

Document 6. Nombre de trains au départ du port sec de Xi’an dans le cadre de la BRI
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Nombre de trains   2017;2018;2019;2020;2021;2022;2023 (est.)   false
  Nombre de trains 194;1235;2133;3720;3841;4639;5000   #e31e51

Source : Entretien avec un responsable d’ITL, 2024.

Le port sec prend en charge des flux de nature diverse. Disposant d’une vaste aire d’entreposage à l’air libre de véhicules automobiles, il procède à leur exportation (document 7). Il achemine aussi à l’étranger des biens de consommation (vêtements et chaussures) ainsi que des produits de haute technologie (fibre optique). Il importe des pièces détachées pour les automobiles en particulier celles destinées à l’entreprise désormais chinoise Volvo, des pièces mécaniques usinées en Europe, des produits agricoles (blé, huile végétale et soja vert), du bois et de la purée de papier, du coton, enfin des produits miniers. Dans les détails, la firme agro-alimentaire Aiju Grain and Oil Industry Group importe par exemple 400 000 tonnes de blé dans sa zone industrielle réservée du port sec de Xi’an pour les transformer en farine et dispose d’une minoterie au Kazakhstan à partir de laquelle elle exporte vers Xi’an. China Forestry Group exploite un domaine en Russie et envoie du bois dans son installation située à Xi’an. Enfin, l’entreprise China Minmetals possède une zone d’entreposage dans le port sec pour réceptionner des minerais extraits en Russie et en Asie centrale.

Document 7. Aire de stockage des automobiles dans le port sec

entreposage d'automobiles en attente à Xi'an

Centre industriel automobile produisant des pièces détachées et opérant l’assemblage des véhicules, Xi’an devient un pôle logistique indispensable pour des firmes transnationales du secteur (BYD, Geely et Volvo). Durant la pandémie de covid-19, alors que les ports maritimes étaient bloqués, le port sec de Xi’an fut la première plaque tournante de l’exportation de véhicules produits en Chine. Consécutivement à la fin de la pandémie, le commerce des automobiles y ralentit. Cependant, en 2023, BYD y traite 5 626 voitures et Geely 5 500 véhicules. Cliché : Benjamin Claverie, 11 décembre 2023.

Pour conclure, la visite du port sec de Xi’an dévoile combien les politiques chinoises d’aménagement du territoire font interagir de nombreux acteurs à plusieurs échelles géographiques et se complètent dans le temps au service du développement industriel et commercial d’un pays ambitionnant de mener à bien une mondialisation sinisée.


Bibliographie

Mots-clés

Retrouvez les mots-clés de cet article dans le glossaire : arrière-pays et avant-pays | conteneurisation | entreprise transnationale | interface | logistique | nouvelles routes de la soie (B.R.I.) | port sec.

 

Benjamin CLAVERIE

Géographe, académie de Bordeaux

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cet article :  

Benjamin Claverie, « Le port sec de Xi’an : un aménagement logistique entre développement local et insertion de la Chine dans la mondialisation », Géoconfluences, septembre 2024.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/la-chine/articles-scientifiques/port-sec-xi-an