Mémoire
En histoire, la mémoire désigne les liens qu’établissent des individus ou groupes vivants entre passé et présent. Ces liens sont en perpétuelle évolution et la mémoire est « ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie » (Pierre Nora). Elle est autant une source pour la recherche historique (au travers des témoignages et des traces) qu’un objet de recherche à part entière (le champ de l’histoire des mémoires ou les memory studies). En travaillant sur « les lieux de mémoire », l’histoire a mobilisé l’espace, en tant que cadre ou support essentiellement matériel, même si le mot « lieu » est ici à entendre dans un sens très large, y compris symbolique.
La mémoire est également mobilisée par la géographie, notamment culturelle et sociale. Il s’agit alors d’introduire une dimension spatiale dans le rapport au temps des sociétés, et d’étudier les représentations et productions spatiales qui découlent de ce rapport, au-delà de la prise en compte du lieu comme simple cadre du souvenir. « Il n’y a pas de mémoire sans acteurs » (Hertzog, 2014). Les mémoires doivent donc être étudiées comme des processus : « l’étude de la spatialité des mémoires conduit alors à questionner la dimension spatiale des phénomènes mémoriels autant qu’à explorer le rôle des mémoires dans les modalités d’appropriation, de production et de contrôle des espaces » (Chevalier et Hertzog, 2018).
Si les mémoires sont le reflet d’un processus de construction d’une identité d’un groupe social qui se retrouve dans des évènements du passé (la Shoah, les parcours diasporiques…), elles sont aussi productrices d’espaces, y compris idéalisés. La mémorialisation s’exerce dans des lieux spécifiques que la muséification peut mettre en avant (dont le mémorial serait un des modèles), mobilisant des acteurs divers aux objectifs différenciés (entre lieux de souvenir, mémoire nationale et mise en tourisme). Elle est donc un des vecteurs de la fabrique territoriale d’un groupe constitué ou d’une nation. Cette « géographie du souvenir » (Chevalier, 2017) est à interroger par le biais de la patrimonialisation et des choix de conservation opérés. Elle pose des questions sur l’immatérialité mémorielle dès lors qu’il ne subsiste aucune trace, ou presque, suite à des destructions massives ou ciblées (bombardements, Hiroshima par exemple ; volonté d’effacer les traces comme ce fut le cas pour le centre de mise à mort de Belzec, démantelé à partir de 1943 ; urbicides) ou lorsque des opérations de rénovation entraînent la destruction de quartiers industriels et l’effacement de la mémoire ouvrière. La mémorialisation est une forme de localisation devenue ainsi un « processus dynamique (…) de production [conjointe] des espaces habités géographiques » (Lazzarotti, 2019).
Enfin, la mémoire peut aussi être regardée comme une des dimensions du récit en géographie, dans le sens où l’espace peut devenir le support ou l’enjeu d’une mise en narration du souvenir ou des traces par des acteurs mémoriels qui chercheraient ainsi une forme de matérialisation du récit (Thémines, 2021).
(MC), juin 2023.
Références citées
- Chevalier Dominique (2017), Géographie du souvenir : ancrages spatiaux des mémoires de la Shoah, L’harmattan, coll. « Géographie et cultures », 244 p.
- Chevalier Dominique et Hertzog Anne (2018), « Introduction », Géographie et cultures, 105.
- Hertzog Anne (2014), « La mémoire est-elle géographique ? », Café géographique de Saint-Brieuc, 17 octobre 2014.
- Lazzarotti Olivier (2019), « Cinq leçons géographiques sur les mémoires », In Situ. Au regard des sciences sociales, 1.
- Nora Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée des histoires », 3 tomes, 1984-1992
- Thémines Jean-François (2021), « Des récits en géographie », Géoconfluences, février 2021.