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Un an après, retour sur les incendies forestiers en Gironde de 2022

Publié le 21/09/2023
Auteur(s) : Victor Piganiol, professeur d'histoire et géographie, docteur en géographie du tourisme - université Bordeaux Montaigne
En juillet 2022, la forêt des Landes de Gascogne, dans sa partie relevant du département de la Gironde, a connu les deux plus grands incendies de son histoire, simultanément. Ce type d'événement étant appelé à se reproduire en raison du changement climatique, quelles pistes d'adaptation peuvent être envisagées ?

Bibliographie | citer cette brève

Le 12 juillet 2022, dans l’après-midi, se déclaraient synchroniquement deux incendies en Gironde, dans la partie septentrionale du massif des Landes de Gascogne et du parc naturel régional des Landes de Gascogne ((Créé en 1970, ce PNR s’étend sur 51 communes réparties sur deux départements.)). L’un à Landiras, près de Langon dans le sud du département, et l’autre à La Teste-de-Buch, l’une des communes les plus étendues du bassin d’Arcachon. La crise, qualifiée d’« inédite et [d’] exceptionnelle compte tenu de l’ampleur, de la durée et de la simultanéité de ces feux hors normes » a mobilisé quelque 3 000 pompiers (français mais aussi grecs, allemands et autrichiens notamment) au plus fort de l’épisode. Il a aussi profondément modifié les paysages et a durablement marqué les mentalités des populations.

panorama post incendie

Document 1. Paysage de friche forestière post-incendie, un an après. Intersection de la D220 et du chemin du pont du Coua, commune d'Origne au sud-ouest de Landiras. 44,5048°N ; 0,4993°W. Cliché : Victor Piganiol, juillet 2023.

 

Événement hypermédiatisé (télévision, radio, réseaux sociaux, journaux etc.), cette double catastrophe a fait l’actualité de l’été 2022 dans l’ensemble du pays voire au-delà. Les possibilités de suivre « pas à pas » l’avancée des flammes et le combat des hommes du feu par l’usage d’images satellites, de cartes, de vidéos et de photographies immersives ont été un moment inédit dans l’appréhension voire la compréhension d’un risque naturel.

Le bilan officiel a comptabilisé 30 000 hectares brûlés et 50 000 évacuations préventives organisées (Préfecture de la région Nouvelle-Aquitaine, 2022). Aucune victime humaine n’a été à déplorer. Les dégâts matériels ont été minimes (une trentaine de bâtiments et cinq campings furent détruits) comparés aux volumes d’espaces forestiers détruits et compte-tenu de l’intensité et de la vitesse de propagation des feux. L’incendie de « Landiras 1 » a été fixé le 25 juillet 2022, avant de repartir le 9 août 2022. Par la suite, « Landiras 2 » a été maîtrisé le 25 août 2022 puis définitivement « éteint » le 28 septembre 2022. L’incendie de La Teste-de-Buch, lui, a été « maîtrisé » le 29 juillet 2022 et complètement « éteint » le 25 août 2022.

cartes

Document 2. Emprise des incendies de la Teste-de-Buch et de Landiras en juillet 2022. Carte de A. Sobocinski, 2022. Sous licence creative commons (source).

 

Deux contextes forestiers et anthropiques différents

Les pompiers furent confrontés à deux situations radicalement différentes selon l’espace investi.

À La Teste-de-Buch, il s’agissait d’une forêt usagère volontairement non entretenue où il y avait peu ou pas d’accès par des pistes et où la surveillance et la détection des incendies restaient difficiles. Le massif était laissé à la disposition des habitants selon un statut atypique datant du XVe siècle. La lutte contre les flammes exigeaient l’emploi de moyens aériens. L’habitat y était très concentré et nombreux avec un couvert végétal empêchant la progression des hommes du feu. La Teste-de-Buch comptait 26 168 habitants avec une densité moyenne de la population en 2020 de 145,8 habitants/km2. La commune, l’une des plus prisées du bassin d’Arcachon, est le théâtre d’une intense pression foncière avec des prix au mètre carré parmi les plus élevés du département. À la différence du Sud-Gironde, la forêt est ici utilisée presqu’exclusivement à des fins touristiques, comme cela a pu s’observer lors des évacuations de populations des quartiers du Pyla, de Miquelots ou de Porte de l’océan où s’alignent les résidences secondaires, les villas cossues et les hôtels cinq étoiles comme le C(o)orniche et l’Ha(a)ïtza.

À Landiras, la forêt était complètement organisée, appropriée et gérée par des réseaux de fossés, de remblais de limites de parcelles, de chemins vicinaux, support de boisements diversifiés (chênes servant de pare-feu par exemple) et d’un réseau de pistes en permettant l’accès. La configuration étant différente, les sapeurs-pompiers ont pu travailler « au sol » même si le front du feu s’étendait sur plusieurs kilomètres et menaçait un habitat plus diffus. Les valeurs des densités moyennes de la population en 2020 sont bien plus faibles à Landiras (36,7 habitants/km2), à Belin-Beliet (37,4 habitants/km2), à Hostens (25,7 habitants/km2), à Guillos (19,9 habitants/km2), à Origne (6,9 habitants/km2), à Louchats (18,5 habitants/km2), Saumos (9,2 habitants/km2) ou à Saint-Symphorien (17,1 habitants/km2). L’activité touristique, plus discrète ici, existe malgré tout, par exemple à Hostens avec la base nautique.

Ces deux incendies sont parfois regroupés et généralisés derrière l’expression « l’incendie », comme pour le quotidien régional Sud Ouest qui a titré, « l’incendie du siècle » en août 2022, établissant un classement des pires catastrophes liées au feu dans la région. Ainsi, nombre d’observateurs ont fait référence à l’incendie de 1949 qui avait ravagé près de 52 000 hectares de forêt et causé la mort de 82 personnes.

Une forêt « récente »

Le massif des Landes de Gascogne est une forêt anthropique née en 1857 sous l’impulsion de Napoléon III afin de fixer la dune littorale, d’assainir les territoires aquitains et de drainer l’eau en surplus. L’un des objectifs fut également de créer de la richesse en exploitant de nouvelles ressources : la résine et le bois, en particulier pour les besoins de la construction ferroviaires en poteaux et en traverses. La présence de sable gris et de sols podzoliques (acides et pauvres) avait longtemps limité le potentiel agronomique de la région, d’où la plantation d’une forêt, permettant au passage la prise en main de la région par le régime du second empire, que certains auteurs ont été jusqu’à qualifier de « colonisation intérieure » contre les communautés agropastorales landaises (Aldhuy, 2010 cité par Guérin-Turcq, 2023). Au-delà des essences végétales présentes (bouleaux, feuillus, pin maritime), un nouvel écosystème a vu le jour et s’est diversifié avec le temps : tourbières, zones humides et étangs.

friche et reconquête

friche et reconquête végétale
Document 3. Un an après la catastrophe, paysages de friche post-incendie avec, au premier plan, une reconquête végétale d’herbacées et de graminées encore peu diversifiées (on distingue sans doute des érigérons (Erigeron sumatrensis) et des achillées millefeuille (Achillea millefolium). À l’arrière-plan, des lambeaux de la forêt incendiée avec la silhouette des pins maritimes. Sur la D125 à l'ouest de Landiras, coord. 44,5578°N ; 0,4549°W. Clichés : Victor Piganiol, juillet 2023.

Aujourd’hui, d’autres ressources sont exploitées, telles que l’ensoleillement avec l’installation de gigantesques usines de panneaux solaires ou la manne touristique. La forêt du XXIe siècle est essentiellement privée et appartient à une multitude de « petits » propriétaires (la plupart possèdent moins de 4 hectares).

Le pin maritime (Pinus pinaster) est l’espèce dominante dans le massif des Landes de Gascogne, entre 80 et 90 %. Sa croissance est rapide puisqu’il faut entre 20 et 30 ans de pousse pour obtenir un arbre adulte. Il s’adapte aux sols sableux et résiste à la chaleur et surtout, il est exploitable par l’industrie du bois notamment.

Les fonctions de la forêt girondine sont multiples :

  • D’abord elle assure un rôle biologique en tant qu’écosystème forestier pour la faune et la flore. Elle constitue un piège à carbone (le dioxyde de carbone ou CO2) stocké dans chaque arbre, elle favorise l’épuration des eaux qui s’infiltrent en profondeur et fournit une protection thermique et aérologique de la vigne pour la région viti-vinicole du Médoc par exemple.
  • Ensuite elle constitue une matière première pour l’industrie du bois et une source d’investissement et de placement financier pour de grands groupes comme pour des particuliers souhaitant créer de la valeur économique tout en bénéficiant de dispositions fiscales avantageuses.
  • Enfin elle est utilisée et mise en valeur à des fins récréatives, par l’accueil de touristes (campings, activités sportives forestières etc.) et par le déploiement de pratiques quotidiennes de loisirs (promenade, contemplation et photographie, repos, chasse).

Tas de bois

Document 4. Les catastrophes forestières entraînent une production soudaine de bois qui aurait dû être étalée dans le temps, ce qui peut déboucher sur une crise de surproduction et une mévente. Ici il s’agit des têtes, qui ont moins de valeur que les fûts. Au bord de la D220, commune d'Origne au sud-ouest de Landiras. Coord. 44,5143°N ; 0,4995°W. Cliché : Victor Piganiol, juillet 2023.

 

Les incendies girondins, symboles d’un bouleversement climatique global

Au-delà de leurs origines « naturelles » ou anthropiques (« criminelles » ou « accidentelles »), plusieurs éléments appartenant au contexte météorologique dit « exceptionnel » peuvent expliquer l’intensité de ces deux incendies. 2022 fut pour la France et une très grande partie de l’Europe, l’année la plus chaude jamais enregistrée (Météo France, 2023), avec des températures élevées et des épisodes prolongés et répétés de canicule, entraînant un déficit pluviométrique record et une sécheresse des sols inhabituelle. La végétation était dans certains endroits du pays particulièrement inflammable.

Les incendies girondins sont un signe brutal et radical d’une tendance profonde à venir : la multiplication des épisodes climatiques violents. Au-delà du reboisement et de la résilience de la forêt et des acteurs qui la gèrent, c’est toute la question de l’adaptation de nos sociétés à des conditions environnementales modifiées et perturbées par l’accélération des changements globaux qui se pose (voir Reghezza-Zitt, 2023). En 2022 en France, près de 66 000 hectares ont été ravagés par des incendies, un record absolu selon le Système européen d’information sur les feux de forêt (Effis), soit « sept fois plus [...] que la moyenne des quinze dernières années. » La moitié des surfaces brulées cette année-là en France se situaient en Gironde.

Si nous sommes ici relativement éloignés des données renvoyant aux superficies brûlées lors d’épisodes de mégafeux au Brésil, en Australie, au Canada ou encore aux États-Unis, les incendies qui ont ravagés la Gironde en 2022, qualifiés d’« hors normes » ou de « géants », ont tout de même permis une prise de conscience générale face aux enjeux climatiques. Pour faire face à la multiplication des feux de forêts dans les prochaines années, ici ou ailleurs, plusieurs stratégies préventives (avant l’incendie) et défensives (pendant l’incendie) sont avancées par les acteurs concernés.

  • La première stratégie concerne l’adaptation des forêts, par le reboisement avec une attention portée sur la diversification des espèces plantées, le débroussaillage et la coupe d’arbres, par l’installation de points d’eau fixes (retenues d’eau, lacs etc.) ou mobiles (citernes par exemple), ou encore par l’aménagement de voies d’accès et de pares-feux.
  • Il s’agit aussi de susciter une adaptation des populations, par la réglementation des activités touristiques et de loisirs estivales, la sensibilisation des populations au risque incendie, l’arrêt de nouvelles constructions dans des espaces contigus à la forêt, la limitation de l’étalement urbain lorsqu’il est réalisé à partir de centralités rurales forestières etc.
  • Enfin l’adaptation des professionnels de lutte contre ces incendies peut passer par l’augmentation des effectifs humains et des moyens matériels : équipements aériens, canadairs par exemple, moyens de surveillance avec la généralisation de drones…

Un an après, les traces des feux sont encore visibles alors que les scénarios les plus optimistes prévoient un retour de la forêt à son état pré-incendies, soit avant le 12 juillet 2022, dans une dizaine d’années. Une fois les derniers feux éteints, l’ensemble de la filière-bois (propriétaires, assureurs, bûcherons, sylviculteurs, chauffeurs grumier, conducteurs d’engin, experts forestiers, agents de l’Office national des forêts, ingénieurs, élus etc.) a dû agir rapidement pour récupérer ce qui était exploitable (et commercialisable) ou broyable, faciliter la régénération des parcelles endommagées et éviter une fragilisation supplémentaire de la forêt en protégeant les arbres sains de l’activité des ravageurs de bois (les insectes xylophages). Les opérations de replantage devraient intervenir entre deux et trois ans.

Les incendies en Gironde de l’été 2022 constituent la matérialisation d’un aléa naturel saisonnier majeur et omniprésent dans la région Nouvelle-Aquitaine. Ils ont révélé des dysfonctionnements structurels dans la manière de lutter contre les feux de forêts, notamment lorsque s’est posée la question d’un éventuel transfert, et sa mise à disposition permanente, d’une partie de la flotte aérienne de la Sécurité civile basée à l’aéroport de Nîmes-Garons (Gard) vers une ville du Sud-Ouest (Mérignac ou Mont-de-Marsan. Tout cela afin de garantir une intervention très rapide des secours sur les lieux de départs de feux. Les incendies de l’an dernier ont également permis de réactualiser une culture du risque incendie chez une grande partie de la population (résidente ou touriste) en fournissant l’un des exemples les plus récents et les plus visibles de la lutte contre les effets du dérèglement climatique à l’échelle locale. Des changements sont déjà en cours puisqu’en août 2023, Libourne (Gironde) a été choisie comme futur lieu d’une base de secours et de lutte contre les incendies. Il s’agira de la quatrième UIISC (unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile) du pays après Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir), Corte (Corse) et Brignoles (Var). Financée par l’État, elle permettra la mise à disposition de 565 sapeurs-pompiers qui pourront intervenir en complément des sapeurs-pompiers des services départementaux d’incendies et de secours (SDIS).

 


Bibliographie

Références citées
Presse et médias
Pour aller plus loin

 

 

Victor PIGANIOL

Professeur d'histoire et géographie, doctorant en géographie, Université Bordeaux Montaigne, UMR PASSAGES 5319

 

 

Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron

Pour citer cette brève :

Victor Piganiol, « Un an après, retour sur les incendies forestiers en Gironde de 2022 », Géoconfluences, septembre 2023.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/incendies-gironde-2022