Soulac-sur-Mer en Gironde : un littoral fragilisé par l’érosion
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L’immeuble résidentiel de quatre étages avait été construit dans les années 1960, dans le cadre de la MIACA (Mission Interministérielle d’Aménagement de la Côte Aquitaine). Il était alors à 200 mètres du rivage à marée haute. Situé sur le littoral du nord du Médoc, il était bordé à l’ouest par une dune littorale et à l’est par l’extrémité septentrionale de la forêt des Landes. La station balnéaire de Soulac-sur-Mer a été développée dans la deuxième moitié du XIXe siècle avec l’arrivée du chemin de fer en 1874 et la fréquentation de la bourgeoisie bordelaise, selon un processus classique de dédoublement balnéaire et un basculement de l’organisation du territoire depuis l’intérieur (Soulac-le-Jeune) vers le trait de côte (Soulac-sur-Mer). Elle a par la suite connu une importante croissance démographique, notamment depuis les années 1960, qui se traduit à la fois par une densification de la bande littorale et par un mitage périurbain significatif, avec une augmentation de 27 % de la densité de population communale entre 1968 et 2019. Cette évolution entretient un lien étroit avec l’attractivité touristique et résidentielle de ce territoire : la petite commune de 2833 habitants (en 2020) compte d’ailleurs 69 % de résidences secondaires au sein de ses logements (INSEE, 2023). C’était le cas de 90 % des appartements de l’immeuble « Le Signal ».
L’immeuble « Le Signal » à Soulac-sur-Mer en 2017. Cliché : jacme31, novembre 2017, sous licence CC BY-SA 2.0 (source). |
Le recul du trait de côte est un phénomène naturel : à l’état d’équilibre, sans intervention humaine, les littoraux engraissent ou reculent en fonction de la différence entre la puissance des agents érosifs (vent, houle, dérive littorale) d’une part, et l’apport de sédiments, par les cours d’eau notamment, d’autre part. Certains aménagements peuvent modifier ce bilan, par exemple en réduisant l’apport sédimentaire : les barrages sur les cours d’eau, l’extraction de sable, les aménagements anti-érosifs installés plus loin, peuvent y contribuer. Surtout, les risques météo-marins jouent un rôle majeur dans le recul du trait de côte. Or le long littoral sableux presque rectiligne de la côte girondine est particulièrement vulnérable, tant à l’érosion littorale qu’à l’aléa « submersion marine » qui peut occasionner des inondations lors de surcote de tempête, parfois couplées à des marées d’équinoxe à fort coefficient.
Ces deux aléas seront aggravés par le changement climatique qui entraînera une élévation du niveau de la mer et une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes (Reghezza-Zitt, 2023). À Soulac-sur-Mer, selon les données du CEREMA (centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), le trait de côte a ainsi reculé de 4,3 m par an entre 1957 et 2013, avec une accélération pendant les tempêtes hivernales de 2009, 2010 (tempête Xynthia) et 2013. C’est ce qui a poussé le préfet à prendre en janvier 2014 un « arrêté de péril imminent » pour vider définitivement l’immeuble de ses habitants. La décision a été le point de départ d’une longue procédure judiciaire, la loi n’ouvrant pas droit, en principe, à l’indemnisation des habitants d’un bâtiment évacué pour cette cause (contrairement aux risques naturels par exemple). La bataille juridique a débouché sur le vote d’un protocole d’indemnisation à hauteur de 70 % de la valeur vénale des biens, soit une enveloppe totale de 7 millions d’euros prise en charge par l’État.
L’exemple du « Signal » pose ainsi plus globalement la question de l’adaptation à des conditions environnementales modifiées de plus en plus profondément par l’accélération des changements globaux. Aujourd’hui, 18,6 % du linéaire côtier en France (soit 900 km) recule, sous l’effet de différents phénomènes, dont certains sont des processus naturels. 523 communes possèdent au moins un secteur touché, et pour 59 communes (parmi lesquelles Soulac-sur-Mer) le recul est en moyenne supérieur à 1,5 mètre par an. Depuis un demi-siècle, ce sont ainsi 30 km² qui ont disparu de ce fait (Vie Publique, 2022). Selon les études menées par le CEREMA grâce à l’analyse de photographies aériennes et la mobilisation d’analyses prospectives, 5 000 à 50 000 logements seraient directement menacés à l’horizon 2100 selon les scénarios. La loi du 22 août 2021 (portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets) vise justement à accroître la prévention, en adaptant les règles d’urbanisme (bail réel d’adaptation à l’érosion côtière, plan de prévention des risques littoraux, connaissance et cartographie fines du risque).
Au-delà des questions de relogement (à court terme) et d’indemnisation (à moyen terme), se pose plus largement la question de l’aménagement ou même du réaménagement des territoires littoraux, d’autant plus problématiques que ces espaces concentrent populations (1/8 de la population française vit à moins de 10 km des côtes, Colas 2017), activités et enjeux économiques du fait de l’intensité de la dynamique de littoralisation.
Bibliographie
Références citées
- Colas Sébastien, La distance à la mer : principal facteur de caractérisation sociodémographique du territoire littoral, Datalab, ministère de l’Environnement, de l’énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat, Commissariat Général de l’Égalité aux Territoires, mai 2017
- INSEE, commune de Soulac-sur-Mer, dossier complet, 2023
- Reghezza-Zitt Magali, « Sociétés humaines et territoires dans un climat qui change. Du réchauffement climatique global aux politiques climatiques », Géoconfluences, avril 2023.
Pour aller plus loin
- Le travail artistique du vidéaste et photographe Olivier Crouzel, consacré à l'immeuble Le Signal, sur son site personnel.
- Un portfolio : Sarah Mansoura, « En images - De sa construction à sa démolition, comment Le Signal est devenu l'emblème de l'érosion côtière », France Inter, 3 février 2023
- Les 126 communes les plus exposées à l’érosion littorale (Légifrance, Décret n° 2022-750 du 29 avril 2022 établissant la liste des communes dont l'action en matière d'urbanisme et la politique d'aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l'érosion du littoral)
- Le recul ou l’avancé du trait de côte par département : Brice Le Borgne, #MontéeDesEaux : découvrez si votre commune est grignotée par l'érosion du littoral, octobre 2021
- Les adaptations prévues par la loi : https://www.gouvernement.fr/actualite/erosion-du-littoral-un-plan-de-prevention-pour-les-communes-les-plus-touchees
- « Sur la route... du littoral aquitain », un épisode de « Sur la route » sur le littoral aquitain (France Culture), 9 janvier 2015, 54 minutes.
- Une tribune sur la réflexion à mener en matière d’aménagement : Benjamin Taupin, « Érosion côtière : « Il faut que les populations parviennent à se projeter dans un autre avenir », Le Monde, 17 février 2023.
- ViePublique.fr, « Littoral : 126 communes face à l'érosion côtière », 11 mai 2022.
Clara LOÏZZO
Professeure de chaire supérieure, lycée Masséna de Nice.
Édition et mise en web : Jean-Benoît Bouron
Pour citer cette brève :
Clara Loïzzo, « Soulac-sur-Mer en Gironde : un littoral fragilisé par l’érosion », brève de Géoconfluences, mai 2023.
URL : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/soulac-gironde-erosion-littorale