Autochtonie
L’autochtonie désigne, en géographie, le fait d’appartenir à une population présente sur un territoire avant la colonisation par une puissance extérieure. Alors que le terme était jugé péjoratif par Joël Bonnemaison en 1993, il coexiste aujourd’hui avec celui d’indigène comme terme neutre dans la littérature scientifique. On parle aussi de « premières nations » en Amérique du Nord, d’Amérindiens, sur le continent américain, d'Índios au Brésil et encore d’Aborigènes en Australie. Christian Grataloup (2023, p. 122) note que si « la réalité est très ancienne, la reconnaissance [est] toute récente : c’est en 1987 qu’a été créée la sous-commission des droits de l’homme de l’ONU consacrée aux peuples autochtones ou premiers et en 2007 que l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution sur les droits des peuples autochtones ».
Au sens large, en langue française, l’autochtone est le local, celui qui est « du pays », par opposition à l’étranger (allochtone). Cette acception n’est pas très opérante en géographie, puisque « à la lettre, il n’existe pas d’autochtone : la notion est toute relative » (Bonnemaison, 1993). Toutefois, l’histoire, et en particulier celle de la colonisation, a engendré une différence de statut entre les récents arrivés et les populations présentes avant, entre les colons et les autochtones, à commencer par la dépossession et la mise en réserve, voire l’extermination. Pour les survivants et leurs descendants, une série d’inégalités sociales, économiques et politiques découle de cette différence institutionnelle au sein des sociétés coloniales.
Le fait d’être ou pas un ou une autochtone pose les mêmes questions que toutes les autres assignations (raciale, ethnique…) : puisqu’il n’est d’autochtone qu’au regard de la présence d’allochtones, l’autochtonie et les marqueurs identitaires qui lui sont attribués le sont généralement de l’extérieur, non sans caricature puisqu’il s’agissait souvent de justifier la colonisation par l’infériorité supposée des colonisés. Bien des noms attribués à ces peuples sont au départ exogènes et péjoratifs, comme Eskimos pour les Inuits ou Lapons pour les Sames
Ces marqueurs identitaires peuvent devenir absurdes lorsque la colonisation a pu aboutir à des situations de métissage et de créolisation qui ont affaibli l’opposition entre des groupes sociaux se voyant eux-mêmes comme très différents. Ainsi, si les religions autochtones ont évolué sous l’influence des religions coloniales, la réciproque est vraie, ce dont témoignent les exemples de syncrétisme entre religions indigènes et catholicisme au Mexique (Clauzel et Vega, 2016 ; Varnier, 2016) ou au Venezuela (Varnier, 2016).
En situation post-coloniale, l’autochtonie est donc avant tout un statut légal, qui sanctionne l’appartenance à un groupe social (par exemple selon des critères culturels : linguistiques, religieux) reconnu comme autochtone. Ce statut peut donner droit à une représentation (par exemple les peuples autochtones siégeant au Conseil de l’Arctique), à des formes d’autonomie (le Nunavut au Canada depuis 1999) à des droits territoriaux (les réserves aux États-Unis ou au Brésil, les resguardos en Colombie), ou d’usage (versements aux communautés autochtones pour l’exploitation des ressources, par exemple pour le lithium dans les salars du Cône Sud), ou encore à des dérogations (droits de pratiquer la chasse traditionnelle, ou encore autorisation des jeux d’argent dans les réserves étatsuniennes).
(JBB) octobre 2022. Dernière modification : mai 2024.
Références citées
- Bonnemaison Joël, « Autochtonie », in Roger Brunet, Robert Ferras, Hervé Théry (dir.), Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Reclus, La Documentation française. 1993 (1re éd. 1992).
- Clauzel Céline et Vega Valentina (2016), « Le syncrétisme à Xochimilco : entre cosmogonie indigène et religion catholique », Géoconfluences, octobre 2016.
- Grataloup Christian (2023). Géohistoire. Une autre histoire des humains sur la Terre. Paris : Les Arènes.
- Varnier Camille (2016), « "Maleïwa, c’est Jésus". Exemples de syncrétismes chez les Guajiros (Venezuela) et les Mixtèques (Mexique) », Géoconfluences, octobre 2016.
Pour compléter avec Géoconfluences
- Arthur Guérin-Turcq, « Les forêts dans le monde, des milieux anthropisés : un état des lieux », Géoconfluences, septembre 2023.
- Marion Benassaya, « Paix Territoriale et intégration d’une zone rouge de la violence armée en Colombie par des projets de développement : le cas du barrage d’Ituango », Géoconfluences, novembre 2022.
- Fabrice Clerfeuille, « Le conflit autour du projet minier « Montagne d’or » en Guyane au prisme de la géopolitique locale », Géoconfluences, mars 2022.
- Fabienne Joliet et Laine Chanteloup, « Le prisme des représentations paysagères arctiques des Inuits et des Qallunaat : l’exemple du Nunavik (Canada) », Géoconfluences, janvier 2020.
- Camille Escudé-Joffres, « Les régions de l’Arctique entre États et sociétés », Géoconfluences, septembre 2019.
- Bertrand Lefebvre, « Les minorités tribales dans les territoires de l'Union indienne », Géoconfluences, mars 2015.
Liens externes
- Les communautés autochtones au Québec
- Un exemple d’irruption de la question autochtones au sein des débats parlementaires dans une ancienne nation coloniale : « Situation des peuples autochtones de Guyane », question au Sénat français, 15e législature, 2018